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T-3816-73
Harlequin Enterprises Limited (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Maho- ney—Toronto, le 12 septembre; Ottawa, le 21 novembre 1974.
Impôt sur le revenu—Livres invendus ou renvoyés— Déductions demandées par l'éditeur—Loi de l'impôt sur le revenu, art. 4, 11(1)e)(1) et 12(1)e)—Finance Act, 1940 (Royaume-Uni), c. 29—Sale of Goods Act, S.R.M. 1954, c. 233, art. 19 et 20—The Sale of Goods Act, S.R.O. 1960, c. 358, art. 18 et 19.
La demanderesse, éditeur canadien, vendait ses livres par l'intermédiaire de distributeurs canadiens et américains. Les distributeurs traitaient, par l'intermédiaire des grossistes, avec les points de vente au détail ou directement avec les gros détaillants. Des ententes conclues entre la demande- resse (l'éditeur) et les distributeurs comportaient des dispo sitions relatives aux livres invendus ou renvoyés. Pour son année d'imposition 1969, la demanderesse demanda la déduction des montants suivants: (1) $128,000 correspon- dant à ses profits bruts sur les livres aux mains des grossis- tes canadiens au 31 décembre 1969, c-à-d. la fin de l'exer- cice financier de la demanderesse; (2) environ $220,000 pour les marchandises dont on pouvait escompter le renvoi aux termes des contrats de vente. Ces déductions furent rejetées par le Ministre et la demanderesse a interjeté appel.
Arrêt: l'appel est rejeté; la demande de déduction des profits bruts sur les livres aux mains des grossistes n'est pas fondée. Les livres étaient vendus sous réserve d'une condi tion résolutoire qui, si elle était invoquée par le grossiste acheteur, entraînait la rétrocession de la propriété des mar- chandises à l'éditeur. Les témoignages des experts indi- quaient le renvoi de 10.5 pour cent des ouvrages livrés à des grossistes canadiens, sur une période de neuf mois. La preuve dans cette affaire n'étaye pas la thèse selon laquelle les principes comptables généralement acceptés exigent que l'ensemble de l'élément bénéficie pour tous les livres se trouvant aux mains des grossistes canadiens à un moment donné soit déduit du revenu afin de représenter de manière i fidèle, ou du moins plus fidèle, la situation financière de l'entreprise à ce moment. En ce qui concerne la seconde déduction demandée, il était certain que la demanderesse devrait, en temps voulu, payer certaines remises ou rem- bourser des redevances sur les renvois, mais l'obligation de la demanderesse à cet égard, vu les ententes, ne naissait qu'au moment la demanderesse recevait une demande de crédit. L'obligation de la demanderesse vis-à-vis des distri- buteurs, en ce qui concerne la remise ou le remboursement des redevances, était une obligation éventuelle. Tout compte établi afin de pourvoir à une obligation éventuelle, que ce soit sous forme de réserve constituée pour les renvois et les redevances dans son bilan ou d'une déduction des gains lors du calcul de son revenu imposable, constituait un compte de prévoyance au sens de l'article 12(1)e) de la Loi de l'impôt
sur le revenu. Même si les principes comptables générale- ment acceptés exigent qu'un tel compte soit établi, on ne peut autoriser aucune déduction à l'égard de ce compte dans le calcul du revenu imposable de la demanderesse. On ne pouvait pas non plus établir de réserve pour créances dou- teuses, en vertu de l'article 11(1)e)(i), car il faut qu'il y ait un doute quant à leur recouvrement fondé sur des considéra- tions réelles et non sur une simple spéculation amenant à conclure que ledit recouvrement est peu probable. Rien dans la preuve ne montrait que les créances sur les distributeurs étaient douteuses au 31 décembre 1969.
Arrêts suivis: Sinnott News Company Limited c. M.R.N. [1956] R.C.S. 433; M.R.N. c. Atlantic Engine Rebuilders Ltd. [1967] R.C.S. 477; Time Motors Ltd. c. M.R.N. [1969] R.C.S. 501 et Dominion Telegraph Securities Limited c. M.R.N. [1947] R.C.S. 45. Arrêt approuvé: Winters c. I.R.C. [1963] A.C. 235.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
D. A. Ward, c.r., et L. Hepburn pour la demanderesse.
M. R. V. Storrow et J. A. Weinstein pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Davies, Ward et Beck, Toronto, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés par
LE JUGE MAHONEY: Le présent litige porte sur le calcul du revenu imposable de la deman- deresse pour 1969 et notamment sur deux sommes. L'une correspond à la déduction de $128,040 réclamée par la demanderesse à titre de «bénéfices bruts sur des livres aux mains des grossistes» et rejetée par le ministre du Revenu national. L'autre somme correspond à une déduction d'approximativement $220,000 récla- mée par la demanderesse à l'égard de marchan- dises vendues qui lui seraient probablement ren- voyées en conformité des contrats de vente desdites marchandises.
La demanderesse est un éditeur. En 1969, elle ne publiait que des livres brochés, dans le genre «roman à l'eau de rose», au rythme de huit nouveaux titres par mois. Ces livres étaient commercialisés à la fois au Canada et aux États-
Unis par l'intermédiaire de chaînes de distribu tion distinctes et vendus sur le marché de gros et le marché de vente directe.
La technique de commercialisation de la demanderesse consiste à assumer une large divulgation de ses livres aux consommateurs et un très faible coût unitaire réel des livres eux- mêmes; elle repose sur une supposition, confir- mée par l'expérience, selon laquelle lorsqu'un titre donné n'a pas été accepté par le public dans un délai relativement court après sa paru- tion aux étalages des détaillants, il ne le sera jamais et devrait être retiré afin de laisser la place à un autre titre. Ainsi, chaque ouvrage est distribué en quantité suffisante pour assurer, selon les normes de la demanderesse, un appro- visionnement adéquat des détaillants qui ren- voient, sans restriction, les livres invendus.
Sur le marché de gros, elle traite avec un distributeur qui s'occupe des produits d'un cer tain nombre d'éditeurs et traite à son tour avec un certain nombre de grossistes. Les grossistes traitent avec plusieurs distributeurs d'une part et un grand nombre de détaillants situés sur leur territoire. Les détaillants placent les produits à l'étalage pour inciter le consommateur à ache- ter. Sur le marché direct, le grossiste n'inter- vient pas; le distributeur traite directement avec des détaillants importants comme par exemple les succursales de grands magasins. A tous les échelons des deux chaînes de distribution, le renvoi des livres invendus est prévu. En l'es- pèce, seules les ententes conclues entre l'éditeur (la demanderesse) et ses distributeurs sont pertinentes.
La première somme en cause, la déduction de $128,040 réclamée et rejetée, ne se rapporte qu'au marché de gros canadien. Elle représente le profit brut réalisé par la demanderesse sur les livres aux mains de grossistes canadiens au 31 décembre 1969, soit la fin de l'exercice finan cier de la demanderesse. Elle réclame cette déduction au motif que ses livraisons de livres à son distributeur ne constituaient pas des ventes à forfait, mais plutôt des livraisons soumises à une condition «vente ou retour» et que le profit imputable à ces livraisons ne devait pas être inclus dans le calcul de son revenu tant que le droit du distributeur de renvoyer les livres
n'avait pas expiré. Subsidiairement, elle affirme que même si les livraisons aux distributeurs n'étaient pas soumises à la condition «vente ou retour», il s'agissait de ventes soumises à une condition résolutoire dont la part de profits était à bon droit déductible du revenu.
La Cour suprême du Canada, dans l'affaire Sinnott News Company Limited c. M.R.N. 1 exa- mina une situation similaire à un niveau diffé- rent de la chaîne de distribution. Dans cette affaire, le contribuable (l'appelante) était un grossiste et les opérations en cause consistaient dans la livraison de magazines, et non de livres, à des détaillants et leur renvoi éventuel aux grossistes. L'appelante revendiquait le droit de déduire de son revenu pour l'année une [TRA- DUCTION] «réserve pour les pertes résultant des renvois» correspondant à la valeur approxima- tive de la perte de profit sur des magazines invendus et susceptibles d'être renvoyés l'année suivante.
Le juge Locke rendit le jugement de la Cour auquel les juges Cartwright et Fauteux (tels étaient alors leurs titres) souscrivirent. Le juge Kellock parvint au même résultat, mais en se fondant sur des conclusions de fait différentes de celles adoptées par la majorité. Le juge Locke déclarait à la page 439:
TRADUCTION] Les ententes conclues entre l'appelante et les détaillants auxquels elle livrait ses publications pour la vente, constituaient, selon les conclusions du savant juge de première instance, des livraisons soumises à la condition «vente ou retour»; la Règle 4 de l'article 19 de The Sale of Goods Act (S.R.O. 1950, c. 345), s'applique donc.
et à la page 442:
[TRADucTioN] Selon la conclusion de fait du savant juge de première instance, que les livraisons aux détaillants étaient soumises à la condition «vente ou retour»; il conclut pourtant que les parties les avaient considérées par la suite comme des ventes à forfait et qu'en conséquence il fallait considérer les montants payables par les détaillants, si les marchandises en magasin étaient toutes vendues ou rete- nues, comme des comptes à payer.
En toute déférence, je ne peux souscrire à la conclusion selon laquelle, en l'espèce, ces opérations sont en fait deve- nues des ventes à forfait.
Selon le jugement de la Cour, puisqu'il s'agissait de livraisons soumises à la condition «vente ou
1 [1956] R.C.S. 433.
retour), la Règle 4 de l'article 19 de The sale of Goods Act de l'Ontario s'appliquait, la propriété des marchandises n'était pas transférée aux détaillants, et ces derniers n'étaient tenus de payer, sur les marchandises livrées, que celle vendues ou non renvoyées dans les délais convenus.
La Cour rejeta la réserve initialement établie par l'appelante pour les pertes résultant des renvois, mais parvint au résultat recherché par cette dernière puisqu'elle ordonna un nouveau calcul du revenu imposable dans lequel ne seraient pas inclus les revenus et dépenses, les comptes à recevoir et à payer établis à l'égard des marchandises soumises à la condition «vente ou retour», aux mains des détaillants à la fin de l'exercice financier de l'appelante. En l'espèce, la demanderesse se trouve au premier échelon de la chaîne de distribution et non à un échelon intermédiaire; elle ne peut donc faire état que de comptes à recevoir et non de comp- tes à payer comparables; elle cherche donc en fait à parvenir au résultat recherché en dédui- sant de son revenu les profits réalisés sur les ouvrages livrés et aux mains des grossistes. On peut comprendre que la demanderesse ne demande pas la même déduction pour les livres actuellement aux mains des détaillants, en raison des difficultés pratiques qu'impliquerait la détermination du nombre de ces livres, à un moment donné. Il semble que le principe soit le même, dans la mesure les livres sont suscep- tibles de remonter par étape au début de la chaîne de distribution, c'est-à-dire, à la demanderesse.
Les parties n'ont pas discuté la question de savoir si les livraisons étaient régies par le droit de l'Ontario, se trouvait la demanderesse à la fin de 1969, ou par le droit du Manitoba, se trouvait son imprimeur, qui en fait expédiait les livres en son nom. En 1969, les dispositions équivalentes des Sale of Goods Acts du Manito- ba 2 et de l'Ontario 3 étaient, à. toutes fins prati- ques, identiques aux dispositions de la Loi onta- rienne examinée dans l'affaire Sinnott News. Cette loi prévoyait que:
2 S.R.M. 1954, c. 233, articles 19 et 20, respectivement.
3 S.R.O. 1960, c. 358, articles 18 et 19, respectivement.
[TRADUCTION] 18. (1) Dans le cas d'un contrat de vente de choses certaines et déterminées, la propriété desdites choses est transférée à l'acheteur à la date à laquelle les parties au contrat ont l'intention de le faire.
(2) Pour déterminer l'intention des parties, il faut prendre en considération les conditions du contrat, l'attitude des parties et les circonstances de l'espèce.
19. Sauf intention contraire manifeste, les règles suivan- tes serviront à déterminer l'intention des parties pour ce qui est du moment la propriété passera à l'acheteur:
Règle 4.—Lorsque des choses sont livrées à l'acheteur à l'essai, ou à la condition «vente ou retour» ou à d'autres conditions analogues, l'acheteur en devient propriétaire,
(i) lorsqu'il signifie son approbation ou acceptation au vendeur ou démontre autrement qu'il a accepté la transaction;
(ii) s'il ne signifie pas son approbation ou son accepta- tion au vendeur, mais conserve les biens sans donner avis de son refus, si un délai de retour des biens est fixé, à l'expiration de ce délai, et, si aucun délai n'est fixé, à la fin d'un délai raisonnable; la durée d'un délai raisonnable est une question de fait.
Déterminer si la demanderesse a livré les ouvra- ges à ses grossistes à la condition «vente ou retour» est une question de fait qu'il faut tran- cher en se fondant sur l'accord conclu, l'attitude des parties et les circonstances entourant l'opération.
La Curtis Distributing Company Limited (ci- après appelée «Curtis Canada») effectuait la distribution au Canada, sur le marché de gros et sur le marché direct, en vertu d'un accord écrit en date du 22 mars 1949 dans lequel la deman- deresse était désignée comme «l'éditeur» et Curtis Canada sous le nom de «Curtis». Il stipu- lait que:
[TRADUCTION] 2. ... Le nombre de titres et d'exemplaires de chaque livre à expédier chaque mois en vertu de ce contrat sera fixé par accord mutuel. L'éditeur expédiera les livres, selon les quantités ainsi convenues, franc de port, aux grossistes désignés par Curtis. L'éditeur demeurera proprié- taire desdits livres et assumera tout risque de perte jusqu'à la date de livraison aux grossistes.
3. Tout livre considéré invendable pourra être renvoyé. Curtis et l'éditeur détermineront à l'occasion quels livres sont invendables; néanmoins, les livres mis en vente pen dant douze mois seront définitivement présumés invenda- bles et pourront tous être renvoyés, au choix de Curtis... . Tous les livres ainsi renvoyés seront expédiés, aux frais du destinataire, au lieu fixé par l'éditeur. Curtis aura droit de porter au crédit de ses états mensuels le montant de ces renvois, au prix demandé par Curtis pour lesdits livres.
4. ... Tout règlement sera effectué par Curtis, avant le 10 du mois, pour les livres expédiés lors du pénultième mois.
En pratique, la demanderesse, sise à Toronto, n'expédiait pas elle-même les livres, mais son imprimeur, à Winnipeg, le faisait en son nom. En outre, les livres ainsi renvoyés ne l'étaient pas matériellement à la demanderesse ni même à Curtis Canada ni aux grossistes. Le détaillant déchirait la couverture des livres à renvoyer, ou même seulement la partie apparaissait le titre. Il détruisait alors les livres et renvoyait leurs couvertures le long de la chaîne de distri bution comme preuve de leur destruction. Dès leur réception, Curtis Canada, établissait un bor- dereau de crédit à l'ordre des grossistes et en transmettait une copie à la demanderesse. Ce bordereau constituait la facture de Curtis Canada à la demanderesse et était comptabilisé mensuellement, comme le prévoyait la clause 3 du contrat.
Il semble qu'en théorie, les détaillants pou- vaient, à tout moment, entamer la procédure de renvoi, mais, en pratique, les livres distribués par l'intermédiaire du marché de gros au Canada restaient souvent trois ou quatre mois aux étala- ges des détaillants. En outre, les demandes d'inscription à leur crédit des sommes corres- pondant aux renvois étaient retardées de six à huit semaines au niveau des grossistes du fait que chacun s'occupait de demandes provenant d'un grand nombre de détaillants recevant des marchandises de plusieurs distributeurs; lés grossistes devaient les répartir et les attribuer aux divers distributeurs. Dès l'imputation des demandes aux distributeurs, elles étaient immé- diatement réparties et répercutées au niveau des éditeurs à qui il incombait d'effectuer les paiements.
La demanderesse reconnaît qu'en règle géné- rale, Curtis Canada respecta l'arrangement prévu par le contrat en 1969, jusqu'en 1970, date à laquelle elle l'informa de son intention de mettre fin à cette entente. Le contrat fut effecti- vement résilié en septembre 1970. En pratique donc, la demanderesse recevait le paiement d'un livre expédié par Curtis Canada pendant un mois donné environ 40 jours après la fin de ce mois. Si ce livre était renvoyé, la somme corres- pondante était normalement créditée au compte
de Curtis Canada par la demanderesse de quatre mois et demi à six mois après l'expédition.
L'entente prévoyait que les livres étaient expédiés «franc de port» par la demanderesse qui restait propriétaire des livres et assumait les risques à leur égard «jusqu'à la date de livraison aux grossistes». A première vue, lorsque les marchandises sont vendues «franc de port», le transfert de la propriété à l'acheteur se fait à la date de l'expédition, bien qu'il soit permis aux parties de retarder cette date. La clause stipu- lant que la demanderesse reste propriétaire et assume les risques jusqu'à la date de la livraison signifie clairement qu'en l'espèce, les parties avaient convenu de retarder le moment du transfert de la propriété des livres à la date de la livraison.
Les Règles prévues à l'article 19 de The Sale of Goods Act s'appliquent donc «sauf intention contraire manifeste». Compte tenu de la clause de l'accord selon laquelle la propriété des livres serait transférée à Curtis Canada à la date de la livraison aux grossistes désignés par elle, et compte tenu du fait qu'en temps ordinaire, le prix d'un livre donné serait effectivement payé bien avant que ne puisse être portée au crédit la somme due pour son renvoi, je conclus que la Règle 4 ne s'applique pas.
Les livres n'étaient pas livrés à la condition «vente ou retour»; ils étaient vendus sous réserve d'une condition résolutoire que Curtis Canada en qualité d'acheteur pouvait invoquer; si elle se réalisait, Curtis rétrocédait la propriété des livres à la demanderesse. Telle est donc la théorie subsidiaire de la demanderesse, corres- pondant pour l'essentiel à la situation de fait existant dans l'affaire Sinnott News, que décrit le juge Kellock. Ayant conclu que le grossiste appelant transférait la propriété des magazines au détaillant au moment de la livraison, il décla- rait alors à la page 437:
[TRADUCTION] Ce point ne suffit cependant pas à trancher l'affaire, puisque les parties n'étaient pas d'accord sur le fait que les détaillants avaient à tout moment le droit de ren- voyer les magazines.... Ceci étant, même si les opérations conclues entre l'appelante et ses détaillants étaient des ventes et non des livraisons en dépôt, il s'agissait néanmoins de ventes soumises à une condition résolutoire, entraînant, dans le cas de magazines effectivement renvoyés, la rétro-
cession de la propriété de ces magazines à l'appelante; voir les affaires Head c. Tattersall (1), le baron Cleasby; May c. Conn (2); Benjamin, 8e éd. 415. La situation serait différente s'il s'agissait d'une vente dans laquelle le vendeur s'est engagé à racheter les marchandises, dans certaines circon- stances, comme c'était le cas dans l'affaire The Vesta (3). 4
En conséquence, l'appelante n'a pas le droit d'établir une réserve pour les bénéfices comme elle l'a fait. La réserve qu'elle cherche à établir correspond à l'élément bénéfice du prix de vente des marchandises livrées aux distributeurs pendant chacune des années en cause et qui, selon ses estimations, lui seront renvoyées au cours des trois mois suivants. Pour reprendre l'exposé de l'appelante, ces estima tions étaient «réalistes, raisonnablement exactes et calculées sur la base de l'expérience réelle de la compagnie à l'égard de chacun de ces magazines pour une durée raisonnable avant la fin de l'année».
Selon la déposition du témoin Sinnott, l'appelante, à la fin de la période de trois mois, «connaît exactement» la valeur des marchandises effectivement renvoyées. En consé- quence, au lieu de déduire la réserve susmentionnée du montant de ses ventes pour chacune des années en question, l'appelante devrait être autorisée à déduire, dans sa déclara- tion de revenus, la valeur estimée des ventes elles-mêmes, sous réserve cependant d'un ajustement dans l'année desdits renvois, lors de la détermination du chiffre réel à la fin de la période de trois mois. 5
Le juge Kellock n'a lié à aucune disposition de la Loi sa conclusion quant à la déductibilité de la valeur estimée des ventes. Le jugement ne donne aucune définition précise du terme «valeur des ventes», mais la remarque suivante, à la page 438, offre quelques éclaircissements:
[TRADUCTION] Bien que les arguments sur lesquels l'appe- lante fonde sa contestation soient irrecevables, le résultat pratique est le même.
La «valeur des ventes» ne correspond pas au «bénéfice», bien qu'elle représente le même montant, mais correspond à «l'élément béné- fice» que la demanderesse cherche à déduire, en l'espèce, non pas de ses bénéfices après le calcul de leur montant, mais plutôt de ses gains, avant ledit calcul. Le droit applicable pour déterminer si la déduction devrait être autorisée est le même que pour déterminer si la déduction de $220,000 devrait l'être. Il sera donc plus commode de rappeler ici les faits pertinents à cette déduction.
La distribution sur le marché de gros et le marché direct au Canada se faisaient selon l'ac-
4 Voici les références des affaires mentionnées dans cette citation: (1) [1871] L.R. 7 Ex. D. 7 à la page 14; (2) (1910) 23 O.L.R. 102; (3) [1921] 1 A.C. 774 aux pages 782 et 783.
5 C'est moi qui souligne.
cord conclu avec Curtis Canada. Nous en avons déjà cité les dispositions pertinentes. La distri bution sur le marché de gros américain relevait exclusivement de la Curtis Circulation Company (ci-après appelée «Curtis USA») en vertu d'un accord écrit en date du 19 décembre 1968, dans lequel la demanderesse était désignée sous le nom de «Harlequin» et la Curtis USA sous le nom de «Curtis». Cet accord stipulait que:
[TRADUCTION] (3) Harlequin convient de vendre et Curtis convient d'acheter les livres pour les revendre en conformité de cet accord . . . . Curtis devra acquitter le prix d'achat soixante jours après l'expédition des marchandises par Har lequin qui établira une facture mensuelle au nom de Curtis. Les livres seront expédiés et livrés par Harlequin ou ses mandataires aux grossistes ou à tout autre point de vente désigné par Curtis . . . . Lors de la livraison des livres achetés aux endroits désignés par Curtis, ce dernier en deviendra propriétaire.
(4) Curtis vendra lesdits livres à ses clients sous réserve du droit absolu de ces derniers de les renvoyer, selon les modalités décrites ci-après. Curtis pourra, en tout temps et sans restriction, renvoyer les livres à Harlequin qui les portera totalement à son crédit. Curtis établira la comptabi- lité des crédits alloués aux clients pour le renvoi des livres invendus en délivrant des autorisations de renvoi . . . . Curtis portera au crédit des clients le montant des renvois, dès réception des autorisations provenant des clients, et Harlequin portera à son crédit les sommes créditées des clients . . . .
(6) Harlequin expédiera les livres à Curtis ou aux clients et dans les soixante jours dudit envoi, Curtis lui remboursera les frais y afférents. Ce paiement sera ajusté de manière à inclure les crédits au titre des renvois effectués (accordés en conformité du paragraphe (4) ci-dessus), mais non encore crédités.
En pratique, tout comme aux termes de l'accord conclu avec Curtis Canada, c'était l'imprimeur qui expédiait les livres; leurs couvertures étaient arrachées et les livres détruits au lieu d'être renvoyés. Les modalités de paiement stipulées dans les accords furent en général observées jusqu'au moment cet accord allait prendre fin, soit en septembre 1970.
La distribution sur le marché direct aux États- Unis se faisait selon un processus tout à fait différent. Elle était régie par un accord écrit daté du 31 décembre 1968 conclu entre la demanderesse, désignée sous le nom de «Harle- quin» , et Simon & Schuster, Inc., désigné
comme l'«éditeur». Aux termes de cet accord, Harlequin fournissait à l'éditeur les plaques et négatifs permettant à ce dernier d'imprimer aux États-Unis les ouvrages qu'Harlequin devait dis- tribuer au Canada. L'éditeur s'engageait à faire imprimer un nombre minimum d'exemplaires de chacun de ces ouvrages dans des délais précis à compter de la livraison des plaques et négatifs et à payer à Harlequin des redevances sur les ventes nettes. Les «ventes nettes» étaient défi- nies comme correspondant aux [TRADUCTION] «exemplaires expédiés par l'éditeur à des fins de vente au détail par les succursales de grands magasins, moins les renvois» et il était prévu que [TRADUCTION] «l'éditeur aurait un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne l'acceptation de renvois».
Les dispositions pertinentes à l'égard du décompte et du paiement des redevances étaient les suivantes:
[TRADUCTION] 10. a) Le dernier jour de chaque mois, l'éditeur soumettra par écrit à Harlequin un décompte du montant global des ventes et des renvois des ouvrages pendant le mois civil précédent et, en vertu du présent contrat, versera à Harlequin un certain montant au titre de redevances calculées au taux de 75% des ventes nettes effectuées lors du mois en cause... .
b) Le 30 mai, l'éditeur soumettra à Harlequin un décompte des redevances, pour la période allant du le' octobre au 31 mars et le 30 novembre, pour la période allant du 1. , avril au 30 septembre . . . . Dans les dix jours suivants, l'éditeur versera à Harlequin les redevances appli- cables à la période en question ... moins les montants versés à cet égard en vertu de l'alinéa a) de ce paragraphe et moins une réserve de 25% des ventes nettes pendant les deux derniers mois de la période en question; mais il paiera alors la réserve ainsi retenue pour la période précédente. Si le décompte indique un surplus de redevances, Harlequin remboursera la différence à l'éditeur dans les plus brefs délais après la réception dudit compte . . . .
L'expérience montre des variations dans le renvoi de livres distribués par l'intermédiaire des quatre chaînes. Au 31 décembre 1969, le bilan de la demanderesse indiquait un passif exigible de $232,889 pour le renvoi de livres en circulation dans le système de distribution. Des omissions lors du calcul effectué à cette époque expliquent pourquoi ce montant est supérieur au montant réclamé maintenant.
Voici comment fut effectué ce calcul:
Ventes au Canada
Grossistes
Vente des neuf derniers mois se
chiffrant à $724,398,à 10.5% = $ 76,000*
Ventes directes
Ventes des derniers trois mois se
chiffrant à $60,000, à 15% _ $ 9,000
Ventes aux États-Unis
Vente des derniers six mois se
chiffrant à $554,000, à 20% = $110,800 Conversion en dollars canadiens a u
taux de 1.073 = $ 8,000*
$203,800
Remboursement des redevances à Simon & Schuster Renvois prévus de 528,894 livres aux
prix de $.055 = $ 29,089
Réserve totale $232,889
environ.
L'inexactitude du chiffre de $232,889 résulte du fait que l'on n'a pas converti le remboursement à Simon & Schuster de dollars américains en dollars canadiens et du fait que l'on n'a pas tenu compte de la réduction ipso facto des sommes payables pour la demanderesse à titre de rede- vances à une tierce partie, dès que Simon & Schuster a droit à un remboursement. Je ne suis pas convaincu de l'exactitude du chiffre modifié donné lors du procès et je ne vois cependant pas l'utilité d'un nouveau calcul. Pour plus de com- modité, nous supposerons que le chiffre avoi- sine la somme de $220,000. Si cette déduction était accordée à la demanderesse, il faudrait alors ajouter à son revenu la réserve similaire établie à la fin de l'année précédente et repor- tée. Le résultat net serait donc une réduction d'environ $35,000 de la réserve puisque la réserve établie, mais non réclamée aux fins fis- cales, était plus importante au 31 décembre 1968. De même, il me semble inutile de détermi- ner avec plus d'exactitude le montant de la réduction et il est bien évident que, vu la preuve, je ne serais pas en mesure de le faire.
Selon la déposition de Ronald Walker Scott, à titre d'expert, la réserve aux fins des renvois, compte tenu de la situation commerciale de la demanderesse, est conforme aux principes comptables généralement acceptés; elle est en fait, juste et raisonnable. Scott es-t un comptable agréé, associé dans un cabinet d'experts comp- tables, Clarkson, Gordon & Co. et travaille plus
particulièrement pour le service du National Accounting Standards. Il s'agit d'un service interne de la firme, chargé entre autres de la recherche sur l'évolution des principes et normes comptables. Clarkson, Gordon & Co. sont les vérificateurs de la demanderesse. J'ac- cepte le témoignage de Scott selon lequel, compte tenu de sa gestion, la pratique suivie par la demanderesse, consistant à établir une réserve pour le renvoi des livres, était conforme aux principes comptables généralement accep tés. Vu la preuve relative à l'expérience de la demanderesse à l'égard des renvois, avant, pen dant et depuis 1969, cette réserve semble avoir été calculée de manière raisonnable du moins en ce qui concerne les renvois effectués en vertu des accords conclus avec Curtis.
Même si l'on peut aisément établir une dis tinction quant aux faits entre l'affaire présente et les décisions traitant de dépôts et de notes de crédit, le droit applicable est identique et ne saurait être différencié. Les décisions de la Cour suprême du Canada, dans les affaires M.R.N. c. Atlantic Engine Rebuilders Ltd. 6 et Time Motors Ltd. c. M.R.N. 7 consacrent la pro position selon laquelle les principes comptables généralement acceptés sont tout à fait pertinents pour déterminer dans quelles circonstances il convient d'appliquer les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu.
La première question à trancher consiste à déterminer si, en vertu des principes comptables généralement acceptés, il fallait effectuer la déduction réclamée pour déterminer les bénéfi- ces réels de la demanderesse pour l'exercice financier se terminant le 31 décembre 1969. Dans la négative, il n'est pas nécessaire d'aller plus loin, mais, dans l'affirmative, il reste à déterminer si une disposition quelconque de la Loi interdit de le faire. Le temoignage de l'expert ne traitait pas de la déduction de l'ensemble de l'élément bénéfice imputable aux livres aux mains des grossistes canadiens au 31 décembre 1969. Ce témoignage traitait seulement de la réserve (sous le poste exigibilités) pour les rem- boursements raisonnablement prévisibles à
6 [1967] R.C.S. 477.
7 [1969] R.C.S. 501.
l'égard des renvois de livres se trouvant dans le système de distribution à la fin de l'exercice financier de la demanderesse.
Personne n'a suggéré qu'on pouvait raisonna- blement prévoir le renvoi de tous les livres se trouvant à n'importe quel échelon du système et notamment, en l'espèce, les livres en circulation dans la chaîne du marché de gros canadien, encore aux mains des grossistes. Le choix de cette base de calcul pour la déduction visait peut-être à la faire correspondre aussi étroite- ment que possible au jugement du juge Kellock dans l'affaire Sinnott News. En toute déférence, je ne peux accepter ce jugement de la Cour, compte tenu des conclusions de fait très diffé- rentes de la majorité, et je dois donc examiner les agissements de la demanderesse à la lumière des principes comptables généralement accep tés. Il est particulièrement significatif que, dans l'affaire Sinnott News, la déduction réclamée ne représentait qu'une partie des bénéfices raison- nablement imputables, en fonction de l'expé- rience à cet égard, aux publications qui seraient probablement renvoyées et qui donneraient droit au crédit. Dans l'affaire présente, la demanderesse demande la déduction de l'en- semble de l'élément bénéfice imputable à toutes les publications se trouvant à un échelon quel- conque de l'une de ces chaînes de distribution.
J'admets que le renvoi de plusieurs de ces livres est certain et que l'application de princi- pes comptables généralement acceptés exigent l'établissement d'une réserve à ce titre. La réserve, étayée par le témoignage de l'expert, était calculée sur la base d'un pourcentage de renvois de 10.5 pour cent des ouvrages livrés aux grossistes canadiens, sur une période de neuf mois. Il me semble qu'on ne peut raisonna- blement justifier l'élimination de l'ensemble de l'élément bénéfice, y compris les bénéfices imputables à environ neuf livres sur dix dont on ne prévoyait pas le renvoi. La preuve dans cette affaire n'étaye pas la thèse selon laquelle les principes comptables généralement acceptés exigent que l'ensemble de l'élément bénéfice pour tous les livres se trouvant aux mains des grossistes canadiens à un moment donné, soit déduit du revenu afin de présenter de manière
fidèle, ou du moins plus fidèle, la situation financière de l'entreprise à ce moment.
En ce qui concerne les livres en circulation en vertu de l'accord Simon & Schuster, au 31 décembre 1969, je ne suis aucunement con- vaincu, vu la preuve que la demanderesse avait effectivement reçu le versement des redevances qu'elle pouvait être tenue de rembourser. Cet accord semble avoir pour but de protéger Simon & Schuster en cas de versements excédentaires à la demanderesse. La preuve montre que les conditions de l'accord relatives à la comptabilité et aux versements ont été respectées. En consé- quence, au 31 décembre, la demanderesse n'au- rait pas reçu, ni n'aurait été en droit de recevoir 25 pour cent de la redevance sur les ventes nettes des mois d'août et septembre, savoir les deux derniers mois de la dernière période comp- table, ni pour octobre, novembre et décembre, ces mois-là étant inclus dans la période compta- ble courante.
1969 était la première année d'application de l'accord Simon & Schuster. Auparavant, la demanderesse était son propre distributeur dans certaines parties des États-Unis et Simon & Schuster, s'occupant de livres imprimés au Canada, couvrait, comme grossiste, les autres régions. La disposition relative au rembourse- ment de redevances reposait sur cette expé- rience, mais ne semble pas avoir pris en consi- dération la retenue de garantie. La retenue de 25 pour cent des redevances sur les ventes nettes des cinq derniers mois est de loin supé- rieure aux 16 pour cent et 14 pour cent, respec- tivement, des redevances sur les ventes nettes des cinq mois précédents, fixée par la demande- resse sur la base de son expérience réelle, en vertu de la nouvelle entente à la fin de 1970 et en 1971. Je conclus donc que cette disposition en 1969 n'était pas conforme aux exigences des principes comptables généralement acceptés.
Le solde de la réserve aux fins des renvois, soit au total environ $203,800, était conforme, si j'en crois la preuve, aux exigences des princi- pes comptables généralement acceptés. Il con- vient d'appliquer ces principes au calcul des bénéfices de la demanderesse à moins que la Loi ne contienne une interdiction explicite à cet égard.
Les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes:
4. Sous réserve des autres dispositions de la présente Partie, le revenu provenant, pour une année d'imposition, d'une entreprise ou de biens est le bénéfice en découlant pour l'année.
12. (1) Dans le calcul du revenu, il n'est opéré aucune déduction à l'égard
e) d'un montant transféré ou crédité à une réserve, à un compte de prévoyance ou à une caisse d'amortissement, sauf autorisation expresse de la présente Partie,
Dans l'arrêt Dominion Telegraph Securities Lim ited c. Le ministre du Revenu national', la Cour suprême du Canada décida que l'article 12(1)e) prévoit trois comptes distincts: (1) une réserve, (2) un compte de prévoyance et (3) une caisse d'amortissement. Afin de correspondre à un des comptes prévus à cet article, il faut que tout montant affecté à ce compte à partir d'un autre compte entraîne une réduction du revenu. Cette affaire n'implique aucune caisse d'amortisse- ment au sens que j'attribue à ce terme.
Le qualificatif «de prévoyance» (en anglais contingent) signifie «qui peut se produire ou non, éventuel ou fortuit» 9 . L'expression «compte de prévoyance» prise littéralement semble absurde. Un compte, une fois établi, n'est plus contingent; il est et n'est pas incer- tain, si l'on peut s'exprimer ainsi. Il existe. Cette expression doit être prise dans l'acception de «compte établi en prévoyance». En d'autres termes, il faut considérer que la contingence en question ne s'applique pas au compte lui-même, mais plutôt à la chose pour laquelle il a été établi: en l'espèce l'obligation de payer ou de créditer des remboursements ou remises. Je n'ai pas trouvé d'arrêts canadiens définissant l'ex- pression «obligation contingente»; la Chambre des lords a cependant examiné cette expression dans l'affaire Winter c. I.R.C. 10 , dans le con- texte de la Finance Act, 1940."
Les faits dans cette affaire étaient compliqués par l'intervention d'une compagnie contrôlée par le défunt. En conséquence, aux fins des droits de succession les lords juristes scrutèrent
[1947] R.C.S. 45.
9 Voir The Oxford English Dictionary.
[1963] A.C. 235.
" 3 & 4 George VI, c. 29.
l'organisation de la compagnie pour parvenir à la valeur réelle des actions, en déterminant la valeur réelle de la compagnie. Certains biens de la compagnie, dont on avait demandé l'amortis- sement, avaient, au moment du décès du de cujus, une juste valeur marchande bien supé- rieure à la valeur inscrite aux registres de la compagnie. S'ils avaient été vendus plus chers que la valeur inscrite, la récupération de l'amor- tissement aurait nécessairement entraîné un changement défavorable dans la situation fiscale de la compagnie. La législation en matière de droit de succession exigeait expressément que l'on tienne compte des «obligations éventuelles» pour déterminer la valeur imposable de la suc cession. Les exécuteurs soutinrent avec succès que l'impôt pouvant théoriquement être imposé sur la récupération de la dépréciation était une obligation éventuelle au moment du décès. Leurs Seigneuries déclarent que l'expression «obligation conditionnelle», bien définie en droit écossais, a le même sens que l'expression «obli- gation éventuelle». Plusieurs lords discutèrent la définition de ces expressions dans leurs déclara- tions; lors Reid s'y pencha longuement. Aux pages 248 et suivant, il déclara ceci:
[TRADUCTION] Il semblerait que l'expression «obligation éventuelle» n'ait pas de sens défini en droit anglais ... mais les Finance Acts sont des lois du Royaume-Uni et il existe au moins une forte présomption de signification équivalente en Écosse et en Angleterre. Une affaire exactement sembla- ble à l'affaire présente aurait pu nous venir d'Écosse et vos Seigneuries auraient alors examiné le sens de cette expres sion en droit écossais. Je demande à leurs Seigneuries de m'excuser si je leur rappelle son sens en ce cas. La défini- tion sans doute la plus claire du droit écossais se trouve dans Erskine's Institute, 3e éd., vol. 2, livre III, titre 1, article 6, page 586, il déclare: «les obligations peuvent être absolues, naître à une certaine date ou être condition- nelles . . . . Une obligation conditionnelle ou une obligation acceptée sous condition, dont l'existence est incertaine, n'a pas force obligatoire tant que la condition n'est pas réalisée; puisque la partie déclare n'avoir l'intention d'être liée par cette obligation qu'au cas cet événement surviendrait, elle n'est redevable de rien tant que cette condition n'existe pas effectivement; ainsi la condition, c'est-à-dire, l'événe- ment incertain, suspend non seulement l'exécution de l'obli- gation, mais l'obligation elle-même . . . . On dit d'une telle obligation, en droit romain, qu'elle crée seulement une espé- rance de dette. Le débiteur est cependant lié dans la mesure ou il n'a pas le droit de révoquer ou de retirer au créancier cette espérance après la lui avoir donnée».
Autant que je sache, cette déclaration n'a jamais été mise en question depuis qu'elle a été écrite il y a deux siècles, et la jurisprudence postérieure à cette déclaration démontre
clairement qu'obligation conditionnelle et obligation éven- tuelle ont le même sens. Il est donc impossible de décider qu'en droit écossais, une obligation éventuelle constitue simplement un genre particulier d'obligation existante. Il s'agit d'une obligation qui, en raison d'un acte du débiteur, naîtra nécessairement si un ou plusieurs événements se produisent ou ne se produisent pas. Si le droit anglais est différent—et je n'exprimerais aucune opinion à cet égard— la différence tient probablement plus à la terminologie qu'au fond même.
Puis, après avoir traité d'autres catégories d'obligations dont les Inland Revenue Commis sioners devaient tenir compte en vertu de la Loi, il déclara:
[TRADucTION] La troisième catégorie correspond aux «obli- gations éventuelles», c'est-à-dire certaines sommes, dont le paiement dépend d'un événement incertain, savoir, des sommes qui ne deviendront exigibles que si certaines choses arrivent et ne le seront jamais dans le cas contraire. On ne peut donc les déterminer avec certitude et les commissaires doivent faire une estimation qui leur semble raisonnable.
La dernière catégorie me semble couvrir exactement l'obligation conditionnelle dont traitait Erskine dans l'extrait cité. Je souscris à la théorie des intimés lorsqu'ils affirment que cette catégorie ne peut inclure que des obligations qui, en droit, dépendent de la réalisation d'une ou plusieurs choses, et qu'elle ne peut s'appliquer à toutes les choses contre lesquelles un homme d'affaires prudent estimerait approprié de se prémunir.
Je ne vois aucune raison de ne pas accepter le même sens en droit canadien.
Bien qu'il fût certain que la demanderesse serait tenue, en temps voulu, de rembourser certaines sommes sur les redevances ou sur les renvois de livres, l'obligation de la demande- resse à cet égard, aux termes des ententes qui en pratique furent respectées, ne prenait pas naissance tant que cette dernière ne recevait pas une demande de paiement. L'obligation de la demanderesse à l'égard des distributeurs, en ce qui concerne le remboursement au titre des ren- vois était donc une obligation éventuelle. Il en était de même pour son obligation de rembour- ser les redevances à Simon & Schuster. Tout compte établi afin de pourvoir à ces obligations éventuelles que ce soit sous forme d'une réserve constituée pour les renvois et les redevances dans son bilan ou d'une déduction des gains lors du calcul du revenu imposable constituait un compte de prévoyance au sens de l'article 12(1)e). Même si les principes comptables géné- ralement acceptés exigent qu'un tel compte soit' établi, on ne peut autoriser aucune déduction à
l'égard de ce compte dans le calcul du revenu imposable de la demanderesse.
Il convient d'établir une distinction entre l'af- faire présente et l'arrêt Sun Insurance Office c. Clark 12 il fut expressément déclaré qu'au- cune interdiction légale ne s'appliquait aux déductions effectuées" et que le seul problème en l'espèce était l'estimation de la déduction. Il faut aussi établir une distinction avec les arrêts Atlantic Engine Rebuilders et Time Motors. Dans l'un et l'autre cas, l'incertitude ne portait pas sur l'existence future de l'obligation (cette obligation naissait lors de l'acceptation du dépôt ou lors de l'émission du billet à ordre, selon le cas), mais portait plutôt sur la question de savoir si les créanciers feraient le nécessaire pour assurer l'exécution de l'obligation existante.
En l'espèce, si la théorie de la demanderesse est irrecevable, ce n'est pas parce qu'il fallait nécessairement établir une estimation ni parce qu'elle aurait pu être ou ne pas être appelée à s'acquitter de l'obligation. Cette conclusion résulte du fait que l'obligation, à la date perti- nente, était une obligation éventuelle et que le compte établi pour y pourvoir, quelles qu'en soient les modalités, était un compte de prévoyance.
Les deux ententes Curtis furent résiliées en septembre 1970. Lorsqu'elles furent informées de l'intention de la demanderesse d'y mettre fin, en 1970, les deux compagnies Curtis suspendi- rent leurs paiements comme les ententes le sti- pulent, jusqu'à ce que tous les renvois aient été enregistrés et les crédits déterminés. Les com- pagnies Curtis payèrent alors à la demanderesse les soldes dus. Cette preuve fut soumise à l'ap- pui de la prétention de la demanderesse selon laquelle au moins une partie de la réserve éta- blie pour les renvois et les redevances était à juste titre, déductible à titre de réserve autorisée par l'article 11(1)e)(i) de la Loi.
11. (1) ... les montants suivants peuvent être déduits dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition:
e) un montant raisonnable à titre de réserve pour
12 [1912] A.C. 443.
13 Le vicomte Haldane à la page 454.
(i) les créances douteuses qui ont été incluses dans le calcul du revenu du contribuable pour cette année ou
une année antérieure,
La demanderesse n'a eu aucune difficulté à recouvrer les sommes dues par les deux compa- gnies Curtis avant de leur avoir communiqué son intention d'annuler les ententes, ce qui arriva l'année suivante. La demanderesse n'avait pas établi de réserve à cet égard dans les états financiers de cette année-là.
Un contribuable avec qui la présente deman- deresse pourrait avoir certains rapports avait demandé cette déduction lors d'un appel inter- jeté auprès de la Commission d'appel de l'impôt à l'égard de ses cotisations à l'impôt sur le revenu de 1949. Dans cette affaire," le savant membre de la Commission, R.S.W. Fordham, c.r., affirmait, à l'égard de l'expression «créan- ces douteuses» que:
[TRADUCTION] Ces deux mots impliquent qu'il existe une dette financière certaine que, pour une raison explicable, le débiteur n'acquittera probablement pas—mais il faut remar- quer que nous n'utilisons pas les termes «certainement pas».
Je souscris à cette interprétation. Pour qu'une créance soit douteuse au sens envisagé à l'arti- cle 11(1)e)(i), il faut qu'il y ait un doute quant à' son recouvrement, fondé sur des considérations réelles, et non sur une simple spéculation, ame- nant à conclure que ledit recouvrement est peu probable. Une créance douteuse diffère d'une créance dont le recouvrement tarde. Rien dans la preuve n'étaye la proposition selon laquelle la dette payable par les deux compagnies Curtis était douteuse au 31 décembre 1969.
Enfin la défenderesse s'opposa, sur la base des plaidoiries, à ce que la Cour traite des déductions, excepté la déduction de $128,040 réclamée par la demanderesse dans sa déclara- tion de revenu et la réserve pour créances dou- teuses. On fit remarquer que la déclaration du revenu ne réclamait aucune déduction au titre de la réserve pour les renvois et les redevances et que l'exposé de la demanderesse n'en faisait pas mention.
La déclaration soumise à la Cour n'est aucu- nement cristalline dans sa définition des ques tions en litige. Cependant, on ne peut remédier à cette insuffisance après le début de l'instruction.
14 Harlequin Books Limited c. M.R.N. 54 DTC 453.
Vu l'interprétation que de multiples indications permettent raisonnablement de donner, elle semble porter sur la déductibilité de la réserve pour renvois et redevances à un autre titre que réserve pour créances douteuses.
Dans ces circonstances, la défense n'a évi- demment pas soulevé la question de savoir si la déduction pouvait être réclamée lors de cette action puisqu'elle n'avait pas été réclamée dans la déclaration de revenu et qu'elle n'était donc pas visée par la cotisation dont il est interjeté appel par les présentes. Cependant la défense n'a pas soulevé ladite objection à l'égard de la réserve pour créances douteuses réclamée pour la première fois dans la déclaration. La réserve pour les renvois et redevances, à la différence de la réserve pour créances douteuses, apparais- sait au moins dans les états financiers accompa- gnant la déclaration de revenu. Toutefois elle est éliminée une fois qu'on établit le revenu imposable par rapport aux gains inscrits aux états financiers.
Il n'est donc pas nécessaire de se prononcer sur cette objection. Il me semble toutefois que, puisqu'il s'agit d'un appel d'une cotisation, on peut discuter la question de savoir si la Cour a le droit d'examiner en appel une déduction qui n'a même pas fait l'objet de la cotisation. Je me dois cependant de ne pas exprimer d'opinion sur une telle question sans avoir entendu de plaidoi- ries exhaustives sur ce point; or aucune n'a été présentée à cet égard dans la présente affaire.
L'appel est rejeté avec dépens.
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