A-22-74
Les propriétaires du navire Continental Shipper,
United Steamship Corporation, Federal Com
merce and Navigation Company Limited et Feder
al Pacifie Lakes Line (Appelants) (Défendeurs)
c.
Nissan Automobile Co. (Canada) Ltd. (Intimée)
(Demanderesse) -
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain et le juge
suppléant Hyde—Montréal, le 19 décembre 1975.
Droit maritime—Appel—Cargaison d'automobiles non
emballées—Dommages mineurs et éraflures—Responsabilité
du transporteur—Loi sur le transport des marchandises par
eau, S.R.C. 1970, c. C-15, Article III, par. 2, Article IV, par.
2m) et n).
Lors du déchargement à Montréal d'automobiles expédiées
sans emballage, sous connaissements nets, on s'est rendu
compte que certaines avaient été endommagées. La Division de
première instance jugea qu'à défaut d'une réserve au connaisse-
ment, le transporteur est responsable des dommages, même
mineurs, subis par les automobiles non emballées pendant la
période couverte par le connaissement. Les dommages ont été
imputés au défaut de diligence dans la manutention et l'arri-
mage desdites voitures, placées trop près les unes des autres.
Les appelants interjettent appel.
Arrêt: l'appel n'est accueilli que pour le montant des honorai-
res d'expertise. Les défenses fondées sur l'insuffisance d'embal-
lage et le vice caché, la nature spéciale ou le vice propre des
marchandises sont irrecevables. Les appelants n'ont pas prouvé
qu'ils avaient procédé de façon appropriée et soigneuse au
chargement, à la manutention etc., et, en outre, la preuve
indique clairement que les dommages résultent du défaut de
diligence dans l'arrimage et la manutention des marchandises.
Toutefois, les frais d'expertise engagés par l'intimée n'auraient
pas dû être inclus dans les dommages-intérêts. Cette dépense ne
résulte pas directement des dommages mais plutôt de la déci-
sion préalable des assureurs de faire examiner les automobiles à
leur arrivée, à un prix spécifié, indépendamment des domma-
ges. Il s'agit d'une dépense accessoire qui de toute façon aurait
été engagée.
Distinction faite avec l'arrêt: The Southern Cross [1940]
A.M.C. 59. Arrêt approuvé: Chrysler Motors Corporation
c. Atlantic Shipping Co. S.A. (non publié).
APPEL.
AVOCATS:
E. Baudry pour les appelants.
V. Prager et M. de Man pour l'intimée.
PROCUREURS:
Brisset, Bishop & Davidson, Montréal, pour
les appelants.
Jtikeman, Linott, Y amaki, Mercier di Kobb,
Montréal, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement de la Cour prononcés oralement par
LE JUGE LE DAIN: Appel est interjeté d'un
jugement de la Division de première instance'
concluant à la responsabilité des appelants, à titre
de propriétaires, exploitants, affréteurs et gérants
du navire Continental Shipper, pour les dommages
subis par une cargaison d'automobiles transportées
à bord dudit navire, de Yokohama (Japon) à
Montréal (Canada), en février et mars 1970 et
accordant des dommages-intérêts de $6,345.20. Ce
montant correspond au coût des réparations des
bosselures et éraflures sur la surface des automobi
les plus $400 pour les frais d'expertise.
Il s'agissait d'une cargaison de 321 automobiles
Datsun expédiées par les fabricants à l'intimée
pour leur distribution aux détaillants. Les voitures
n'étaient pas placées dans des cadres et leur trans
port se faisait sous connaissements nets ne préci-
sant pas l'absence d'emballage. Lors du décharge-
ment à Montréal, on s'est rendu compte que
certaines voitures avaient été endommagées.
Le témoignage principal quant à l'arrimage, à la
manutention et au déchargement des automobiles
vient de l'expert maritime dont les appelants
avaient retenu les services. Les experts nommés
par les assureurs de l'expéditeur n'ont pas été
admis à bord du navire. Voici, selon ce témoi-
gnage, les faits essentiels concernant l'arrimage
des automobiles. Le Continental Shipper est un
cargo qui avait été aménagé pour le voyage en
cause afin de permettre le transport d'automobiles
sans que ces dernières soient placées dans des
cadres. Les voitures furent transportées dans trois
cales où l'on avait construit six ponts provisoires.
Chacune des automobiles était munie de deux
petits crochets à l'avant et à l'arrière. Elles étaient
placées longitudinalement sur les ponts provisoires,
de manière à laisser un intervalle de neuf à douze
pouces entre chaque voiture, sur les côtés, à l'avant
et à l'arrière. Elles étaient arrimées à l'aide de fils
métalliques reliant chacun desdits crochets à un
câble en acier allant d'un côté à l'autre du navire,
au niveau des ponts, à l'avant et à l'arrière de
[1974] 1 C.F. 76.
chaque rang de véhicules et solidement attaché
aux côtés du navire. Chacun des quatre fils métal-
liques fixés aux voitures était enroulé autour d'un
de ces câbles et était tendu au moyen d'un
trésillon.
L'expert maritime des appelants a témoigné
qu'au cours d'un tel voyage, les membres de l'équi-
page devaient circuler périodiquement entre les
automobiles afin de vérifier si elles étaient solide-
ment arrimées, particulièrement par gros temps,
comme ce fut alors le cas. Selon son témoignage,
l'équipage portait habituellement des vêtements
épais, garnis de boutons en métal et il était inévita-
ble que ces vêtements causent certains domma-
ges—bosselures et éraflures—à la surface des
automobiles.
Pour le déchargement des automobiles, on a
utilisé un appareil de levage qui consistait en une
plate-forme aux coins de laquelle on attachait les
fils métalliques de manière à les empêcher de
toucher les automobiles lorsqu'elles étaient sur la
plate-forme. Il fallait conduire ou pousser les voi-
tures sur cet appareil de levage et utiliser un
monte-charge pour transporter cet appareil de
levage de la cale à l'apontement. L'expert mari
time des appelants a témoigné qu'au cours du
déchargement, les manutentionnaires, qui, comme
les membres de l'équipage, portaient des vêtements
épais, garnis de boutons en métal, frôlaient la
surface des automobiles, causant ainsi des domma-
ges supplémentaires, d'autres bosselures et éraflu-
res. L'espace entre les voitures étant très étroit, les
manutentionnaires devaient pénétrer dans les auto
mobiles par les fenêtres afin de les amener sur
l'appareil de levage.
L'intimée demande des dommages-intérêts pour
les bosselures et éraflures qu'il fallait repeindre et
les frais d'expertise. L'intimée n'a présenté aucune
réclamation pour les éraflures qui pouvaient être
effacées par polissage ou autrement. Les appelants
ont admis leur responsabilité à l'égard des bosselu-
res profondes mais l'ont contestée relativement aux
bosselures et éraflures mineures.
Les parties ont admis que la Loi sur le transport
des marchandises par eau, S.R.C. 1970, c. C-15,
devait s'appliquer en l'espèce et que les points
litigieux devaient être tranchés conformément à
ses dispositions.
Les parties ont en outre convenu que cette
affaire devait être tranchée sur la base de connais-
sements nets, c'est-à-dire en présumant que les
dommages sont survenus après le chargement des
automobiles à bord du navire.
Les appelants ont invoqué, comme moyens de
défense, l'insuffisance d'emballage et le vice caché,
la nature spéciale ou le vice propre de la marchan-
dise, cas prévus à l'Article IV, paragraphe 2m) et
n) des Règles sur les connaissements annexées à la
Loi sur le transport des marchandises par eau; en
voici le texte:
Article IV
2. Ni le transporteur ni le navire ne seront responsables pour
perte ou dommage résultant ou provenant:
m) de la freinte en volume ou en poids ou de toute autre
perte ou dommage résultant de vice caché, nature spéciale ou
vice propre de la marchandise;
n) d'une insuffisance d'emballage;
Comme le savant juge de première instance,
nous estimons que la défense fondée sur l'absence
d'emballage est irrecevable en l'espèce. La preuve
démontre que selon les pratiques et usages com-
merciaux bien établis et connus des parties en
cause, les automobiles sont transportées sans
cadre; le transporteur ne peut donc pas, dans ce
cas, invoquer la défense fondée sur l'insuffisance
d'emballage. Nous n'avons pas à nous prononcer
sur la validité et l'effet d'une réserve incluse au
connaissement visant à faire assumer au proprié-
taire le risque de dommages aux automobiles non
placées dans des cadres car aucune réserve de ce
genre n'a été stipulée en l'espèce. 2
2 L'effet d'une telle réserve fut étudié dans l'arrêt The South
ern Cross [1940] A.M.C. 59, une décision de la Cour de
district des États-Unis (District sud de New York). Dans cette
affaire, la mention suivante avait été apposée aux connaisse-
ments couvrant une cargaison d'automobiles non emballées:
[TRADUCTION] «Non emballées, au risque du propriétaire.» La
Cour a jugé que cette réserve dégageait le transporteur de la
responsabilité pour les dommages attribuables au fait que
l'automobile n'était pas placée dans un cadre, mais non pour les
dommages imputables à la négligence dans l'arrimage ou la
manutention. Toutefois, indépendamment de l'effet de cette
réserve sur la responsabilité en cas de dommages imputables à
l'absence d'emballage, la Cour a jugé que la défense fondée sur
l'insuffisance d'emballage, comme telle, ne s'appliquait pas
dans le cas d'une cargaison d'automobiles non emballées. A ce
sujet le juge suppléant Leibell a affirmé [aux pages 66-67]:
Nous souscrivons aussi à la conclusion du juge
de première instance selon laquelle la défense
fondée sur le vice caché des marchandises n'est pas
recevable. A notre avis, le fait que la surface très
lisse des automobiles puisse être facilement bosse-
lée ou éraflée ne constitue pas un vice caché de la
marchandise, au sens du l'Article IV, clause 2m)
des Règles. Nous ne voyons pas comment l'on peut
parler, dans ce cas, de vice caché puisque ces
dommages résultent nécessairement de l'interven-
tion d'autres facteurs.
En dernier lieu, nous sommes d'avis que non
seulement les appelants n'ont pas prouvé, comme il
leur incombait de le faire, qu'ils avaient procédé
«de façon appropriée et soigneuse au chargement,
à la manutention, à l'arrimage, au transport, à la
garde, aux soins et au déchargement des marchan-
dises transportées», conformément à l'Article III,
paragraphe 2, des Règles, mais aussi que, comme
l'a conclu le juge de première instance, la preuve
indique clairement que les dommages résultent du
défaut de diligence dans l'arrimage et la manuten-
tion des automobiles.
Nous partageons la conclusion du juge de pre-
mière instance selon laquelle les automobiles
étaient bien arrimées pour le voyage mais avaient
été placées trop près les unes des autres pour que
l'équipage et les manutentionnaires puissent, en
exerçant une diligence raisonnable, circuler entre
les voitures sans les endommager. Au sujet de
l'espace à laisser entre les automobiles non embal-
lées, l'expert maritime des appelants a cité une
recommandation de l'ouvrage de Thomas, On Sto-
wage. Sur ce point, nous nous rallions au raisonne-
ment du juge de première instance, que voici [aux
pages 86-87]:
Les défendeurs ont cité un passage de l'ouvrage de Thomas,
On Stowage, à la page 284, selon lequel des automobiles non
emballées doivent être arrimées, autant que possible, longitudi-
nalement et à environ huit ou neuf pouces de distance, pour
[TRADUCTION] Compte tenu du grand nombre de cargaisons
de voitures non emballées et de l'empressement des transpor-
teurs à accepter ces automobiles dans la cargaison du navire,
on ne peut invoquer la défense fondée sur l'ainsuffisance
d'emballage» lorsque le litige porte sur une cargaison de
voitures non emballées. Il était bien sûr évident que les
voitures n'étaient pas emballées et le connaissement stipulait
qu'elles n'étaient pas placées dans des cadres. Dans ces
circonstances, le transporteur ne peut par la suite soulever la
défense fondée sur l'insuffisance d'emballage. Silver c. Ocean
Steamship Company, 1 K.B. 416 (1930).
appuyer leur défense basée sur l'absence de négligence. Le
capitaine Glover qualifie cet ouvrage de «bible du marin», mais,
tout ce que je peux dire, c'est qu'il me semblerait plus raisonna-
ble et plus prudent en raison du temps et de l'état de la mer
auxquels il faut s'attendre à l'époque de l'année où l'on a
effectué le transport, de laisser un plus grand espace entre les
véhicules, d'autant plus que les membres de l'équipage et les
arrimeurs sont obligés de porter des vêtements épais lorsqu'ils
inspectent l'amarrage des véhicules pendant le voyage et lors du
déchargement. A mon avis, on doit seulement considérer les
recommandations contenues dans l'ouvrage de Thomas comme
un guide et garder à l'esprit les conditions atmosphériques
particulières à chaque transport de marchandises.
Les appelants ont soutenu que les bosselures et
éraflures mineures sur des automobiles non embal-
lées devraient être considérées comme un risque
inhérent à ce mode de transport ou le résultat de
l'usure normale au cours d'un voyage transocéani-
que et que le transporteur ne devrait pas en être
tenu responsable. Selon cet argument, ces domma-
ges ne devraient pas soulever une présomption de
négligence du transporteur ou des personnes sous
sa responsabilité. A notre avis, cette limitation de
responsabilité n'est pas fondée en droit.'
Les appelants soutiennent que les frais d'exper-
tise engagés par l'intimée n'auraient pas dû être
inclus dans les dommages-intérêts. Nous sommes
d'accord. A notre avis, cette dépense ne résulte pas
directement des dommages causés aux automobiles
mais plutôt de la décision préalable des assureurs,
3 Sur ce point, les avocats n'ont pas cité de décisions des
tribunaux de ce pays ou du Royaume-Uni, mais ils ont invoqué
l'arrêt The Southern Cross (précité) et une décision non
publiée de la Cour de district des États-Unis (Division sud de
l'Alabama), datée du 5 janvier 1971: Chrysler Motors Corpo
ration c. Atlantic Shipping Company, S.A. Le juge de première
instance a étudié ces deux arrêts. Dans l'arrêt The Southern
Cross, la réserve «non emballées, au risque du propriétaire»
avait été apposée aux connaissements et la Cour a jugé que
certains dommages causés aux automobiles étaient de nature à
soulever une présomption de négligence pour laquelle le trans-
porteur était responsable, mais relativement à d'autres domma-
ges elle a conclu [à la page 66]: [TRADUCTION] «Cependant, des
éraflures superficielles de la peinture ou du poli de l'automo-
bile, ou de petites bosselures ou marques sur les panneaux
n'entrent pas dans la catégorie des dommages qui créent une
présomption de négligence du transporteur. On doit les considé-
rer comme `l'usure normale ... des marchandises au cours du
transport.'» Dans l'arrêt Atlantic Shipping, aussi relatif à une
cargaison d'automobiles non emballées, aucune réserve n'était
apposée aux connaissements. La Cour a jugé qu'«à défaut d'une
réserve, telle que celle de l'affaire The Southern Cross (préci-
tée), le transporteur est donc responsable des dommages, même
mineurs, subis par des automobiles non emballées, pendant
toute la période couverte par le connaissement.»
au Japon, de les faire examiner à leur arrivée, à un
prix fixé à l'unité, indépendamment de l'existence
réelle ou de l'étendue des dommages. Il s'agit
d'une dépense accessoire à l'expédition de mar-
chandises par mer et qui de toute façon aurait été
engagée.
En conséquence, l'appel devrait être accueilli
pour le montant des honoraires d'expertise mais
rejeté pour le reste.
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