A-331-75
Great Canadian Oil Sands Supply Limited et
Wabco Equipment Canada Limited (Appelantes)
c.
Le sous-ministre du Revenu national, Douanes et
Accise (Intimé)
Cour d'appel, les juges Heald et Ryan et le juge
suppléant MacKay—Toronto, le 25 février et le 4
mars 1976.
Douanes et accise—Appel et examen judiciaire—Les
camions et les pièces, étant «des machines et appareils utili-
sés ... pour l'exploitation des sables pétrolifères par des pro-
cédés miniers,, sont-ils «d'une classe ou d'une espèce faite au
Canada»?—S'agit-il d'une question de fait ou de droit?—
Compétence—Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, c. C-40 et
numéros tarifaires 41006-1, 49215-1 et 49216-1.
La Commission du tarif a confirmé la décision du sous-minis-
tre portant que 17 camions et les pièces de ces camions, achetés
pour l'enlèvement des morts-terrains pour l'exploitation des
sables pétrolifères de l'Athabaska, étaient d'une «classe ou
d'une espèce faite au Canada» et assujettis à des droits s'élevant
à $554,452 en vertu du numéro tarifaire 49215-1.
Arrêt: la décision de la Commission est infirmée, les camions
et les pièces ne sont assujettis à aucun droit puisqu'ils auraient
dû être classés sous le numéro tarifaire 49216-1. Les numéros
tarifaires 49215-1 et 49216-1 contiennent une disposition rela
tive à l'utilisation finale («pour l'exploitation des sables pétroli-
fères»); dans ce cas, l'utilisation devient le fondement du classe-
ment et, aux fins de la détermination de la classe ou de l'espèce,
les marchandises qui ne satisfont pas aux critères de l'utilisa-
tion finale doivent être exclues. La Commission a interprété les
numéros tarifaires comme s'il n'y était fait aucune mention de
l'exploitation des sables pétrolifères, enlevant ainsi tout sens
aux mots précis du libellé de ces numéros. Les législateurs
entendaient exempter de droits les machines importées aux fins
de l'exploitation des sables pétrolifères par des procédés miniers
lorsqu'il n'était pas possible d'obtenir des machines concurren-
tielles de fabrication canadienne. La Commission a commis une
erreur en ne rattachant pas le critère de l'utilisation finale à la
détermination de la classe ou espèce. Ce n'est pas une erreur de
fait mais une erreur de droit; la Cour est donc compétente en
vertu de l'article 48(1) de la Loi sur les douanes.
Arrêt appliqué: Canadian Lift Truck Co. Ltd. c. Sous-
M.R.N. (1956) 1 D.L.R. (2») 497. Distinction faite avec
les arrêts: Dominion Engineering Works Ltd. c. Sous-
M.R.N. [1958] R.C.S. 652; Sous-M.R.N. c. MacMillan
& Bloedel [1965] R.C.S. 366; Sous-M.R.N. c. Saint John
Shipbuilding (1966) 55 D.L.R. (2») 503 et Consumers'
Gas Company c. Sous-M.R.N. [1972] C.F. 1057 (con-
firmé par la C.S.C. le 7 octobre 1975).
APPEL et examen judiciaire.
AVOCATS:
J. R. Houston, c.r., et M. Sclisizzi pour les
appelantes.
A. Garneau et W. G. St. John pour l'intimé.
PROCUREURS:
Tilley, Carson & Findlay, Toronto, pour les
appelantes.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Il s'agit d'un appel d'une
décision de la Commission du tarif présenté en
vertu de l'article 48(1) de la Loi sur les douanes,
portant sur une question de droit, et d'une
demande d'examen et d'annulation de ladite déci-
sion, présentée en vertu de l'article 28. Ces deux
procédures ont été réunies par ordonnance du juge
en chef.
Dans la décision en appel, la Commission du
tarif rejetait l'appel interjeté contre deux décisions
rendues par l'intimé et portant que 17 camions à
bascule arrière Wabco 150 B Haul Pak et les
pièces de ces camions étaient d'une «classe ou
d'une espèce faite au Canada» et donc assujettis à
des droits en vertu du numéro tarifaire 49215-1,
lesdits droits s'élevant à $554,452.
L'appelante, Great Canadian Oil Sands Supply
Limited (ci-après désignée par les initiales
G.C.O.S.) a acheté à l'appelante Wabco Equip
ment Canada Limited (ci-après nommée Wabco
Canada) les camions et les pièces en litige dans le
présent appel, fabriqués à Peoria (Illinois). Lesdits
camions ont été importés au Canada par Wabco
Canada entre le 6 juillet et le 10 novembre 1971 et
certaines pièces de ces camions ont été importées
par les appelantes entre le 29 septembre et le 30
décembre 1971.
Les trois numéros tarifaires pertinents se lisent
ainsi:
Tarif applicable
aux marchandises
a) Numéro tarifaire 41006-1 importées des E. -U.
Camions à bascule, à moteur diesel, automoteurs,
montés sur roues caoutchoutées ou sur roues
caoutchoutées ou semi -chenilles, d'une capacité
normale, au volume radé, d'au moins 9' verges
(yards) cubes, et à la charge payante, d'au moins
15 tonnes, et leurs pièces, devant servir, sur des
chemins autres que les grand'routes, au transport
des minéraux ou autres matériaux extraits, dans
les mines, les carrières, les gravières et les sabliè-
res ou aux endroits de construction. 10 pour cent
b) et c) Numéros tarifaires 49215-1
et 49216-1
Machines et appareils utilisés pour la production
de pétrole non raffiné à partir de schistes ou pour
l'exploitation des sables pétrolifères par des pro-
cédés miniers ou pour l'extraction du pétrole de
ces sables:
49215-1—D'une classe ou d'une espèce faite au
Canada; pièces de ces articles 10 pour cent
49216-1—D'une classe ou d'une espèce non faite
au Canada; pièces de ces articles En franchise
Tout d'abord, les fonctionnaires de l'intimé ont
décidé de classer lesdits camions et leurs pièces
sous le numéro tarifaire 41006-1. Cependant, on a
modifié cette décision pour les classer sous le
numéro tarifaire 49215-1.
La G.C.O.S. a fait oeuvre de pionnier dans le
domaine de l'exploitation des sables pétrolifères
par des procédés miniers et de l'extraction du
pétrole de ces sables. Elle a été la première et
demeure la seule compagnie à s'être livrée, au
Canada, à cette entreprise sur une échelle com-
merciale. La G.C.O.S. détient des baux et des
droits de brevet dans la région des sables pétrolifè-
res de l'Athabasca, en Alberta, et elle a construit
et exploite une usine où elle procède à l'extraction
du pétrole des sables pétrolifères. La production
commerciale continue a débuté vers 1968.
La masse de sables pétrolifères qu'exploite la
G.C.O.S. est couverte d'une épaisse couche de
morts-terrains (d'une épaisseur moyenne de 60
pieds) qu'il faut détacher et enlever afin de déga-
ger les sables pétrolifères; ce procédé est d'une
importance capitale dans l'exploitation des sables
pétrolifères. En 1969 et en 1970, la G.C.O.S. a
enlevé 6 millions et demi de tonnes de morts-ter
rains par année. Selon ses prévisions, entre 1971 et
1980, elle devra enlever 12 millions de verges par
an afin de maintenir sa production.
L'enlèvement des morts-terrains à l'intérieur du
terrain loué, de sorte que l'exploitation des sables
pétrolifères puisse continuer, nécessite la construc
tion d'un réseau de digues à même les morts-ter
rains. Tout matériel utilisé pour l'enlèvement des
morts-terrains doit pouvoir circuler sur ces digues.
Les morts-terrains sont d'une composition inhabi-
tuelle et comprennent surtout de la vase humide et
excessivement difficile à tasser, de sorte que les
digues offrent une très mauvaise surface portante.
De son expérience antérieure à 1970, la G.C.O.S.
a appris que le matériel ayant une pression maxi
mum de portée au sol de 66 livres au pouce carré
pouvait circuler sur les digues la plupart du temps,
mais que le matériel ayant une pression de portée
au sol élevée ne convenait pas à l'état des digues.
Avant 1970, la G.C.O.S. se servait de scrapers
Caterpillar pour l'enlèvement des morts-terrains,
elle a dû les remplacer en 1970 parce qu'ils se
détérioraient. La G.C.O.S. savait qu'un nouveau
modèle de pneu de camion, plus large, dit 36" sur
51", et récemment mis au point, réduisait sensible-
ment la pression de portée au sol. En conséquence,
la G.C.O.S. fit des recherches afin de découvrir de
gros camions à bascule d'assez grande capacité
pour des opérations rentables et ayant une pression
de portée au sol assez faible pour leur permettre de
circuler sur les digues. On a aussi comparé d'au-
tres caractéristiques des gros camions à bascule en
vente à cette époque. Le délai de livraison était
aussi un facteur important du choix car il impor-
tait à la G.C.O.S. que le nouveau matériel soit sur
les lieux en mai ou juin 1971.
Après avoir examiné d'autres camions à bascule
et éliminé la plupart d'entre eux pour divers
motifs, le choix se limitait à deux concurrents
principaux, le camion de fabrication canadienne
Unit Rig 120 (120 tonnes) et le camion fabriqué
aux États-Unis de marque Wabco 150 B (150
tonnes) en cause dans cette action. Ce dernier a
été choisi en raison, a-t-on dit, d'une certaine
incertitude de la part d'Unit Rig Company quant
aux pneus et à la pression au sol et, en outre, parce
que le rapport énergie/poids du camion Wabco
était plus favorable. Leur poids net différait d'en-
viron 141,000 livres, ce qui aurait entraîné une
diminution désastreuse de la charge utile. L'un des
facteurs importants de cette décision était le fait
que le camion Wabco avait été conçu pour être
muni des nouveaux pneus 36" sur 51", ce qui
signifiait que la G.C.O.S. pouvait opérer avec un
chargement rentable et satisfaisant du véhicule
pour différentes conditions de pression de sol de 65
ou 66 livres. La décision d'acheter les camions
Wabco a été prise le 10 novembre 1970.
On a avancé que le camion Terex de 150 tonnes
de fabrication canadienne, fabriqué par la Division
des moteurs diesel de la General Motors était un
«concurrent». Cependant, il ressort de la preuve
que seulement 4 de ces camions ont été fabriqués
de septembre 1970 à novembre 1971, qu'il ne
s'agissait que de prototypes, et qu'ils n'avaient pas
encore été mis en production au moment où la
G.C.O.S. a acheté les camions Wabco. La preuve
établit que le 10 novembre 1970 aucun de ces
quatre camions n'était employé. Il est évident
qu'en ce qui concerne la G.C.O.S., ils n'étaient pas
compétitifs ni n'offraient, à l'époque pertinente,
une solution de rechange valable pour les camions
Wabco.
La Commission du tarif, par une décision parta-
gée à 2 contre 1 a statué que les camions et les
pièces en cause relevaient du numéro tarifaire
49215-1 parce qu'ils étaient «d'une classe ou d'une
espèce faite au Canada». Le membre minoritaire
de la Commission croyait plutôt que lesdits
camions et leurs pièces appartenaient au numéro
tarifaire 492l6-1-0d'une classe ou d'une espèce
non faite au Canada». Les trois membres de la
Commission ont convenu que le numéro tarifaire
41006-1 ne s'appliquait pas. Les parties en l'espèce
reconnaissent aussi que le numéro tarifaire
41006-1 ne s'applique pas (l'intervenante dans
l'action soumise à la Commission du tarif, la Gen
eral Motors of Canada, a prétendu le contraire,
mais n'est pas partie au présent appel).
Bien que les parties soient d'accord sur l'appli-
cabilité du numéro tarifaire 41006-1, je tiens à
souligner que je souscris aux motifs exprimés dans
le jugement majoritaire de la Commission du tarif,
lorsqu'il conclut que le numéro tarifaire 41006-1
ne s'applique pas; ces motifs se trouvent aux pages
10 et 11 du jugement majoritaire. (Livre d'appel,
pages 796 et 797.)
En conséquence, la question à trancher dans
cette action est de savoir si les camions et les
pièces en cause, qui sont incontestablement des
«machines et appareils utilisés ... pour l'exploita-
tion des sables pétrolifères par des procédés
miniers ...», étaient «d'une classe ou d'une espèce
faite au Canada».
A la page 16 du jugement majoritaire on lit:
«D'après les preuves au dossier, ... , la Commis
sion a quelque motif de croire que, au moment où
les camions en litige sont entrés au Canada, aucun
camion n'était, en réalité, immédiatement disponi-
ble, auprès des fabricants canadiens, qui eût été en
mesure, avec autant de succès que les camions en
litige, de faire face aux conditions de sol difficiles
qui règnent. sur les digues de l'emplacement de la
mine GCOS à Fort McMurray; et la Commission
n'a aucun motif de douter que ce succès eût été dû
principalement à la pression de portée au sol relati-
vement faible du camion à bascule arrière Wabco
150 B Haulpak.» Le membre minoritaire de la
Commission a souscrit à cette opinion exprimée
dans la décision majoritaire. Voici un extrait des
motifs de l'opinion minoritaire (à la page 20 de son
jugement, pages 802 et 803 du Livre d'appel):
La structure tarifaire est une méthode de classement des
marchandises aux fins des impôts sur les importations et ce, au
moyen d'un numéro tarifaire. Habituellement, le numéro tari-
faire nomme ou décrit les marchandises que doivent viser ses
dispositions. Dans de telles circonstances, la promulgation
d'une disposition afférente à la classe ou à l'espèce, conjointe-
ment avec celle de la description contenue dans le numéro
tarifaire, prévoit l'établissement, dans les limites du classement,
de catégories de marchandises qui sont décrites dans le numéro
tarifaire. Les limites de ces catégories peuvent varier en impor
tance, comme l'établit la jurisprudence pertinente.
Cependant, lorsque l'utilisation finale est promulguée à titre
d'élément d'un numéro tarifaire, le numéro tarifaire n'est plus
qu'en partie une description des marchandises elles-mêmes. Le
classement doit alors être fondé à la fois sur les marchandises
selon qu'elles y sont décrites, et sur l'utilisation selon qu'elle y
est désignée. Bien que cet élément ajoute une nouvelle dimen
sion aux exigences d'un numéro tarifaire, il a également pour
effet de restreindre son application. Attendu que la notion de
classe ou d'espèce n'a pas de pertinence ou d'identité, si ce n'est
par rapport au numéro tarifaire dans lequel elle est édictée, il
est manifeste que la décision afférente à une catégorie de classe
ou d'espèce de marchandises, sera nécessairement spécifique,
puisque le numéro tarifaire lui-même vise expressément une
utilisation précise. Cependant, la nature et l'ampleur des preu-
ves à examiner en vue d'établir des critères appropriés auront la
portée que dicteront l'importance et le caractère de l'activité
exposée dans le numéro tarifaire.
Il est difficile d'interpréter le libellé des numéros tarifaires
49215-1 et 49216-1 comme étant autre chose que l'expression
d'une intention de contribuer à la mise en valeur des sables
pétrolifères. Ces numéros tarifaires font mention de machines
et d'appareils et décrivent l'importance et le caractère de
l'activité comme étant «pour l'exploitation des sables pétrolifè-
res par des procédés miniers ou pour l'extraction du pétrole de
ces sables», soit deux procédés précis. En l'espèce, il est établi
que l'exploitation des sables bitumineux est un procédé précis
qui suppose que l'on réponde à des exigences fort précises. En
conséquence il s'ensuit que, dans la mesure où l'exploitation des
sables bitumineux exige un genre, un type, une grosseur ou une
capacité données en matière de machines et d'appareils, il y a
lieu de faire preuve d'exactitude en fixant en l'espèce les limites
d'une décision afférente à la classe ou espèce.
Je souscris à cette partie de l'opinion minoritaire
et je suis en désaccord avec les membres majoritai-
res de la Commission lorsqu'ils affirment qu'il ne
faut pas rattacher le critère de l'utilisation finale à
la détermination de la classe ou espèce. Je souscris
également à la décision du membre minoritaire
lorsqu'il affirme à la page 19 de son jugement
(page 802 du Livre d'appel):
...le présent appel a été interjeté en rapport avec un numéro
tarifaire qui incorpore une forme de disposition afférente à
l'utilisation finale, à savoir, «pour l'exploitation des sables
pétrolifères». Lorsqu'est édictée une disposition relative à l'utili-
sation, l'utilisation est beaucoup plus qu'un aspect des preuves
ayant trait à la nature des marchandises: elle devient le fonde-
ment même du classement des objets visés par le numéro dont il
s'agit. Ceci exclut, aux fins des décisions en matière de classe
ou d'espèce, toutes les marchandises qui ne répondent pas à
cette exigence afférente à l'utilisation finale, attendu qu'elles ne
seront pas les marchandises décrites dans le numéro tarifaire
dont il s'agit.
Suivant l'interprétation de l'opinion majoritaire
de la Commission, il faudrait lire les numéros
tarifaires 49215-1 et 49216-1 comme s'il n'y était
fait aucune mention de l'exploitation des sables
pétrolifères. Une telle interprétation dénature le
libellé de ces numéros, et enlève tout sens aux mots
simples et précis utilisés par le législateur.
Après avoir lu ces numéros tarifaires, il me
semble évident que les législateurs, en les édictant,
entendaient exempter de droits les machines
importées nécessaires à l'exploitation des sables
:pétrolifères par des procédés miniers, lorsqu'il
n'était pas possible d'obtenir des machines concur-
rentielles de fabrication canadienne—c'est-à-dire
'rentables et capables d'accomplir le même travail.
J'ai par conséquent conclu que la majorité de la
Commission a commis une erreur sérieuse en inter-
prétant lesdits numéros tarifaires de la façon
susmentionnée.
Cependant, l'avocat de l'intimé a allégué que
même si la majorité de la Commission a tort, elle
n'a pas commis d'erreur de droit mais plutôt une
erreur de fait et que, comme l'article 48(1) de la
Loi sur les douanes ne prévoit un appel devant la
présente cour que sur une question de droit, la
Cour n'a pas compétence pour accorder le redres-
sement que réclament les appelantes. Le jugement
faisant autorité en la matière est la décision du
juge Kellock, de la Cour suprême, dans l'affaire
Canadian Lift Truck Co. Ltd. c. S.M.R.N. 1 A la
page 498 de son jugement, le juge Kellock a
déclaré:
[TRADUCTION] Bien que l'interprétation d'un texte législatif
soit une question de droit, et que la question de savoir si un
objet en particulier est compris dans une définition de la loi en
soit une de fait, la Cour d'appel peut néanmoins, s'il lui semble
que le juge du fait s'est prononcé sans preuves ou qu'il était
impossible à une personne ayant une connaissance suffisante du
droit et agissant dans le respect du processus judiciaire de
rendre une telle décision, prendre pour acquis que la décision en
première instance découle d'une erreur de droit; Edwards c.
Bairstow, [1955] 3 All E.R. 48. [C'est moi qui souligne.]
Selon moi, la majorité de la Commission a
commis une erreur en interprétant les numéros
tarifaires en question sans rattacher le critère de
l'utilisation finale à la détermination de la classe
ou espèce, et une telle erreur, selon l'arrêt Canadi-
an Lift Truck susmentionné, est une erreur de
droit, donnant donc à la présente cour la compé-
tence nécessaire pour accorder un redressement
aux appelantes.
Quand il affirme que la question de savoir si les
camions en cause sont d'une classe ou d'une espèce
faite au Canada au sens du numéro tarifaire
49215-1 est une question de fait et non de droit,
l'avocat de l'intimé s'appuie non seulement sur la
décision rendue dans l'affaire Canadian Lift Truck
(précitée), mais encore sur les arrêts Dominion
Engineering', MacMillan Bloedel 3 , Saint John
1 (1956) 1 D.L.R. (2e) 497, à la page 498.
'Dominion Engineering Works Ltd. c. S.M.R.N. [1958]
R.C.S. 652.
S.M.R.N. c. MacMillan & Bloedel (Alberni) Limited
[1965] R.C.S. 366.
Shipbuilding 4 et Consumers' Gass.
Cependant, les affaires Canadian Lift Truck,
Dominion Engineering, MacMillan Bloedel et
Saint John Shipbuilding visaient toutes l'ancien
numéro tarifaire 427a, dont voici le libellé:
427a. Toutes les machines composées entièrement ou partielle-
ment de fer ou d'acier, n.d. d'une classe ou d'une espèce non
fabriquée au Canada; pièces achevées de ces machines.
A mon avis, ces affaires ne s'appliquent pas en
l'espèce parce que, comme l'a fait remarquer le
membre minoritaire (Livre d'appel, page 802),
aucune disposition relative à l'utilisation finale
n'était contenue au numéro tarifaire 427a et par
conséquent, ces questions ont été tranchées unique-
ment en fonction de la nature des marchandises
elles-mêmes.
J'estime également que l'affaire Consumers'
Gas n'est d'aucune aide à l'intimé. Dans cette
affaire, les compagnies appelantes, offrant des ser
vices d'utilité publique, ont interjeté appel d'une
décision de la Commission du tarif portant que les
régulateurs qu'elles utilisaient pour réduire la pres-
sion du gaz livré à leurs clients n'étaient pas
utilisés «dans la fabrication ou la production de
marchandises» au sens de l'alinéa la) de la Partie
XIII de l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise,
ce qui aurait exempté ces régulateurs des taxes de
vente. La Cour d'appel fédérale a rejeté l'appel.
Dans le jugement majoritaire, le juge en chef
Jackett a déclaré à la page 1062:
A mon avis, il semble découler de cette décision que la
question de savoir si, dans un cas particulier, il s'agit de la
«fabrication» ou de la «production» est, dans une large mesure,
une question de fait que doit trancher la Commission du tarif
dans une affaire comme la présente. En d'autres mots, à mon
avis, la définition de la «fabrication» ou de la «production»
dépend du sens que l'on donne à ces mots selon les circons-
tances. Dans le contexte actuel, je ne peux pas conclure que la
Commission du tarif a commis une erreur de droit en décidant
4 S.M.R.N. c. Saint John Shipbuilding & Dry Dock Ltd.
(1966) 55 D.L.R. (2») 503.
5 Consumers' Gas Company c. S.M.R.N. [1972] C.F. 1057—
confirmée par la Cour suprême du Canada, le 7 octobre 1975
[(1976) 59 D.L.R. (3») 610].
qu'il n'y a pas «fabrication» ou «production» lorsqu'on modifie
la pression du gaz naturel dans des régulateurs.
Si je commets une erreur en estimant que c'est une question
de fait—si une fois les faits fondamentaux établis il s'agit d'une
question de droit, savoir que la Cour doit déterminer s'ils sont
couverts par la disposition d'exonération je suis d'avis que la
décision de la Commission du tarif était fondée.
La définition des mots «fabrication» ou «production», pris
dans leur sens ordinaire, varie en vertu du contexte ou de la
catégorie d'entreprise en cause. Au cours de la distribution, un
négociant ou un détaillant fait de nombreuses opérations néces-
saires pour que ses marchandises soient acceptables ou utilisa-
bles par ses clients. En général, si le distributeur effectue ces
opérations dans le cours normal de la distribution, le monde des
affaires ne les considèrerait pas comme faisant partie de la
fabrication ou de la production. Un détaillant serait sans doute
indigné s'il découvrait que ces opérations le soumettent à la
taxe, à la consommation ou à la taxe de vente sur le prix de
vente au détail. Par ailleurs, un détaillant peut combiner les
rôles de fabricant et de détaillant; c'est alors une question de
qualification, sinon de fait, de décider si ces opérations frontiè-
res tombent dans une catégorie ou l'autre. A mon avis, lors-
qu'on utilise ces mots dans leur sens ordinaire, on ne peut
considérer la simple modification de la pression du gaz naturel,
quand c'est une opération réversible, comme il semble que ce
soit le cas en l'espèce, comme faisant partie de la «fabrication»
ou de la «production».
Les faits dans cette affaire sont très différents
de ceux en l'espèce. Selon moi, dans le passage
précité, le savant juge en chef dit que la question
de savoir si un certain procédé relève de la «fabri-
cation» ou de la «production» est une question de
fait dépendant des circonstances en l'espèce; toute-
fois, dans l'éventualité où ce serait une question de
droit, la Commission du tarif ne s'est pas trompée
relativement à cette question. En l'espèce, la Com
mission du tarif devait interpréter les numéros
tarifaires 49215-1 et 49216-1 et, ce faisant, la
majorité de la Commission a commis une erreur de
droit en ne tenant pas compte des dispositions
relatives à l'utilisation finale, faussant dès le
départ l'optique dans laquelle il faut envisager le
problème de la classification en vertu desdits
numéros tarifaires. En conséquence, la décision
majoritaire de la Commission ne peut être mainte-
nue et doit être infirmée.
L'article 48(17) de la Loi sur les douanes pré-
voit la façon dont la Cour peut statuer sur un
appel de cette nature et se lit ainsi:
(17) La Cour peut statuer sur un appel en rendant telle
ordonnance ou prononçant telle conclusion que la nature du
sujet peut exiger et, sans restreindre la généralité de ce qui
précède, peut
a) déclarer le taux de droit qui est applicable aux marchan-
dises particulières ou à la catégorie de marchandises concer-
nant lesquelles l'appel à la Commission du tarif a été porté,
ou déclarer qu'aucun taux de droit n'y est applicable,
b) déclarer la valeur imposable des marchandises particuliè-
res ou de la catégorie de marchandises, ou
c) renvoyer l'affaire devant la Commission du tarif pour une
nouvelle audition.
En conséquence, conformément à l'article
48(17)a), je déclarerais que les 17 camions à
bascule arrière Wabco 150 B Haul Pak et les
pièces de ces camions, propriété des appelantes en
l'espèce, ne sont assujettis à aucun droit puisqu'ils
auraient dû être classés sous le numéro tarifaire
49216-1. Il n'est pas contesté que des droits s'éle-
vant à $554,452 ont été payés relativement auxdits
camions et pièces (voir l'avis d'appel, le paragra-
phe 2 de l'exposé des faits et les dispositions
législatives voir également la réponse à l'avis
d'appel, le paragraphe 1 de l'exposé des faits et des
dispositions législatives).
Puisque la Cour peut rendre telle ordonnance
«que la nature du sujet peut exiger», j'ordonnerais
en outre le remboursement aux appelantes des
droits qu'elles ont payés, et qui s'élevaient à $554,-
452. Comme les appelantes n'ont présenté aucune
demande relativement aux dépens, ni dans leurs_
déclarations écrites ni dans leurs plaidoyers,
aucune ordonnance ne sera rendue à cet égard.
* * *
LE JUGE RYAN: Je souscris.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: Je souscris.
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