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T-3524-75
Le Syndicat canadien de la Fonction publique, Local 660 et le Syndicat canadien de la Fonction publique (Requérants)
c.
La Société Radio-Canada (Intimée) et
L'arbitre Pierre N. Dufresne, ès quai., (Mis-en-cause)
Division de première instance, le juge Walsh— Montréal, le 2 décembre 1975.
Relations de travail—Pratique—Les requérants allèguent que l'intimée n'a pas respecté la sentence arbitrale—Sentence enregistrée sans avis préalable—L'intimée n'a pas eu la possi- bilité de nier qu'elle ne s'était pas conformée à la sentence arbitrale avant l'enregistrement de celle-ci—Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, modifié par S.C. 1972, c. 18, art. 159(1) et (2) Règles 319 et 321 de la Cour fédérale.
L'intimée demande l'annulation et la radiation de l'enregis- trement, en date du 8 octobre 1975, d'une sentence arbitrale au motif que l'avis de requête à cet effet ne lui a été signifié que le 9 octobre 1975. Les requérants allèguent que l'article 159(2) du Code canadien du travail n'exige pas d'avis préalable et qu'une fois la sentence enregistrée, les procédures y faisant suite peuvent être engagées comme s'il s'agissait d'un jugement de cette cour.
Arrêt: la requête est accueillie. L'article 159(2) doit être lu en corrélation avec l'article 159(1) qui prévoit le dépôt d'une telle décision pour enregistrement à la Cour, après l'expiration d'un délai de 14 jours, lorsque la sentence arbitrale n'a pas été respectée. Cette condition doit être remplie avant de pouvoir procéder à l'enregistrement. La requête visant l'enregistrement était accompagnée d'un affidavit exposant les faits conformé- ment à la Règle 319 (c.-à-d. l'inobservation), mais sans appor- ter de précision, et n'a pas été signifiée à l'intimée avant l'enregistrement afin de lui permettre de réfuter l'accusation. Il s'agit d'une dérogation à la Règle 321 et à la règle audi alteram partem. La preuve de l'inobservation de la sentence arbitrale est une condition essentielle à son enregistrement. Une sentence doit être claire, mais il appartient au juge de première instance de juger si sa décision quant à l'inobservation de la sentence doit s'appuyer uniquement sur les affidavits ou égale- ment sur des témoignages.
DEMANDE d'annulation et de radiation de l'en-
registrement en date du 8 octobre 1975 d'une sentence arbitrale rendue le 25 mars 1975 par Pierre N. Dufresne.
AVOCATS:
G. Castiglio et P. Langlois pour les requérants.
J. Ouellet pour l'intimée. PROCUREURS:
Cutler, Langlois et Castiglio, Montréal, pour les requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: La sentence arbitrale rendue dans l'affaire susmentionnée a été enregistrée à cette cour le 8 octobre 1975 conformément à l'article 159 du Code canadien du travail (S.R.C. 1970, c. L-1 modifié par les S.C. 1972 c. 18) bien qu'un avis de requête visant à son enregistrement et à la délivrance d'un bref de fieri facias n'ait été signifié à l'intimée que le 9 octobre 1975. Une décision du juge Addy rendue le 14 novembre 1975 a déclaré nul ab initio le bref de fieri facias; le jugement interdisait également toute procédure exécutoire dans cette affaire. Cependant, on n'a pas soulevé devant le juge Addy la question de la nullité de l'enregistrement au motif qu'il n'avait pas été précédé de la signification à l'intimée d'un avis de requête donnant à cette dernière l'occasion de le contester. Les requérants en appellent à l'article 159(2) du Code canadien du travail, allé- guant que la décision de l'arbitre peut être enregis- trée à la Cour sans avis préalable et que son enregistrement lui accorde la même force et le même effet que s'il s'agissait d'un jugement éma- nant de cette cour et toutes les procédures y fai- sant suite peuvent dès lors être engagées en consé- quence. Cependant, il faut lire ce paragraphe en se référant au premier paragraphe de l'article 159 qui prévoit le dépôt d'une telle décision pour enregis- trement à la Cour après l'expiration d'un délai de 14 jours «Lorsqu'une personne ou une associa tion ne s'est pas conformée à une ordonnance ou décision d'un arbitre ou d'un conseil d'arbitrage.» Il s'agit d'une condition préalable essentielle au dépôt aux fins d'enregistrement et le paragraphe (2) ne fait qu'exposer l'effet dudit enregistrement. La Règle 321 des Règles de la Cour fédérale dit clairement que sauf dans les cas on peut présen- ter des requêtes ex parte, les requêtes doivent être signifiées aux autres parties au moins deux jours francs avant l'audition, sauf si la Cour accorde une permission spéciale à l'effet contraire. Conformé-
ment à la Règle 319 la requête doit être appuyée par un affidavit certifiant tous les faits sur lesquels se fonde la requête sauf ceux qui ressortent du dossier; une partie adverse peut déposer un affida vit en réponse et, avec la permission de la Cour, un témoin peut être appelé à témoigner relativement à une question de fait soulevée dans une requête.
Bien que la requête visant notamment à l'enre- gistrement de la sentence arbitrale ait été accom- pagnée d'un affidavit exposant que l'intimée ne s'était pas entièrement conformée à la sentence, on n'a pas précisé à quelle stipulation on a dérogé; de plus, la requête n'a pas été signifiée aux adversai- res avant son enregistrement afin de permettre à l'intimée de réfuter l'accusation. Il s'agit d'une dérogation à la Règle 321 de la Cour fédérale et au principe fondamental d'équité audi alteram partem. La preuve qu'on ne s'est pas conformé à la sentence arbitrale est une condition essentielle à son enregistrement à cette cour.
On a souligné dans le plaidoyer que l'intimée affirme que la sentence ne concerne que ses employés de la province de Québec et on ne nie pas qu'elle s'y soit conformée en autant que ces employés sont concernés, alors que les requérants prétendent que la sentence s'applique à la classifi cation de tous les employés canadiens de l'intimée concernés par ladite sentence. Cette question doit être réglée et l'intimée, à l'appui de sa prétention, voudrait, faire entendre des témoins afin d'établir la portée de la sentence. Je ne crois pas que ce soit à conseiller. Une sentence doit être claire et s'il y a doute à son sujet il peut exister une disposition en vertu de laquelle elle peut être renvoyée à l'arbitre aux fins d'explications. Ce n'est pas l'usage d'en- tendre des témoins pour essayer d'éclaircir la portée d'une sentence, d'autant plus qu'en pré- voyant le dépôt à la Cour fédérale d'une copie du dispositif de la sentence aux fins d'enregistrement, l'article 159(1) spécifie le «dispositif» de la sen tence, ce qui exclut ses motifs. Cependant, il appartiendra au juge saisi de la requête, si elle est de nouveau présentée après avoir été dûment signi- fiée, de juger si sa décision portant sur les déroga- tions à la sentence et sur son enregistrement doit s'appuyer uniquement sur des affidavits ou égale- ment sur des témoignages.
ORDONNANCE
La requête de l'intimée visant à l'annulation et à la radiation de l'enregistrement le 8 octobre 1975 à cette cour de la sentence arbitrale est accueillie avec dépens, sans préjudice au droit des requérants de présenter de nouveau la sentence aux fins d'en- registrement par voie de requête, appuyée d'un ou plusieurs affidavits en due forme spécifiant la nature et l'étendue des dérogations, et devant être entendue après que l'intimée aura reçu significa tion de la requête et eu l'occasion d'y répondre. Vu l'urgence de cette affaire et étant donné que, s'ils devaient être rendus simultanément dans les deux langues officielles, conformément à la Loi sur les langues officielles, il en résulterait un retard pré- judiciable, la,: présente ordonnance et ses motifs seront rendus d'abord en anglais et aussitôt que possible en français.
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