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T-956-75
CAE Industries Ltd. et CAE Aircraft Ltd. (Demanderesses)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge suppléant Smith—Winnipeg, les 20 avril et 6 mai 1976.
Pratique—Interrogatoire préalable—Le ministre de la Défense nationale est-il le fonctionnaire de la défenderesse habilité à subir l'interrogatoire préalable?—La défenderesse prétend que le Ministre n'est pas visé par la Règle 465(1)c) établie conformément à l'article 46(l)a)(i) de la Loi sur la Cour fédérale—Loi sur la Cour fédérale, art. 46(1)a)(i) et Règle 465(1)c).
Dans une action en dommages-intérêts, les demanderesses sollicitent une ordonnance portant que le ministre de la Défense nationale, en qualité de fonctionnaire de la Couronne, sera désigné pour subir un interrogatoire préalable. Les demande- resses prétendent que depuis qu'il est entré au gouvernement, le Ministre s'est occupé de ce qui constitue l'objet de l'action principale. La défenderesse a soutenu qu'un ministre de la Couronne n'est pas un «fonctionnaire du ministère» au sens de l'article 46(1)a)(i) de la Loi sur la Cour fédérale, en vertu duquel a été établie la Règle 465(1)c).
Arrêt: la demande est rejetée. Le droit de faire subir un interrogatoire préalable à la partie adverse est purement une question de loi. L'article 46(1)a)(i) utilise l'expression «fonc- tionnaire d'un ministère ou ... autre fonctionnaire de la Cou- ronne». (Dans la version française, la Règle 465(1)c) utilise l'expression «officier ministériel ou autre officier de la Cou- ronne».) La Loi ne contient aucune définition, et bien que l'on doive supposer que l'expression «fonctionnaire de la Couronne» comprend un ministre de la Couronne, cela ne signifie pas nécessairement que les mots tels que nous les trouvons dans la Loi et les Règles aient le même sens. L'expression «d'un ministère» a un sens restrictif, et la modification peut très bien avoir été conçue en vue d'éviter l'interrogatoire préalable du ministre dans nombre de poursuites judiciaires. Un ministre peut être sans portefeuille, auquel cas il n'est certainement pas un fonctionnaire d'un ministère. Avec ou sans portefeuille, il est membre du Conseil privé de la Reine, dont la fonction est de conseiller le chef de l'État. Ainsi, bien qu'il puisse être le chef politique d'un ministère particulier, il n'est pas un fonctionnaire d'un ministère au sens de l'article 46(1)a)(i) et de la Règle 465(1)c). Et les mots «ou ... autre» ne le font pas tomber sous le coup de cette définition. Il est plus probable que ces mots ont pour but d'inclure, sous le vocable «fonctionnaire», des person- nes employées dans les différents organismes de la Couronne qui n'appartiennent à aucun ministère et qui, en raison de leurs fonctions, sont des fonctionnaires de la Couronne. Pour ce qui est du fonctionnaire désigné au nom de la Couronne, il appar- tient au juge de décider lequel est le plus apte. Une simple désignation par le procureur général ou le sous-procureur géné- ral ne suffit pas.
Arrêt approuvé: Dick c. Le procureur général [1956] N.Z.L.R. 121. Arrêts appliqués: La Reine du chef de
Terre-Neuve c. La Reine du chef du Canada (1960, Cour de l'Échiquier, arrêt non publié); McArthur c. Le Roi [1943] R.C.É. 77; McHugh c. La Reine (1900) 6 R.C.É. 374; Mayor c. Le Roi (1919) 19 R.C.É. 304; Pouliot c. Le ministre des Transports [1965] 1 R.C.É. 330 et Belleau c. Le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social
[1948] R.C.É. 288. DEMANDE.
AVOCATS:
L. Mercury et D. Hill pour les demanderesses. J. Scollin, c.r., et G. St. John pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Aikins, MacAulay & Thorvaldson, Winni- peg, pour les demanderesses.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT SMITH: On demande une ordonnance en vue de faire désigner l'honorable James A. Richardson, actuellement ministre de la Défense nationale, du gouvernement fédéral, pour comparaître, au nom de la défenderesse, à un interrogatoire préalable sur les affaires en cause dans cette action, conformément à la Règle 465(1)c) de la présente Cour.
Il s'agit d'une action en dommages-intérêts dont le montant reste à établir pour la prétendue viola tion, par la défenderesse, d'une entente intervenue en février et en mars 1969 entre la demanderesse, CAE Industries Ltd., et le gouvernement canadien (Sa Majesté la Reine du chef du Canada). On prétend que par cet accord la demanderesse, CAE Industries Ltd., a accepté d'acheter dans la ville de Winnipeg une base aérienne importante apparte- nant à Air Canada et exploitée par elle, et que le gouvernement canadien a, entre autres, accepté d'employer tous ses efforts à fournir du travail de différentes sources, afin de permettre à la deman- deresse d'atteindre l'objectif annuel en main-d'oeu- vre directe de 700,000 heures-hommes au cours des années 1971 à 1976 inclusivement. De son côté, la demanderesse devait fournir autant de travail que possible à même ses propres moyens mais, d'après sa déclaration, il appert qu'elle n'en- tendait acheter la base aérienne que si le gouverne-
ment s'engageait à fournir suffisamment de travail pour maintenir le service.
Dans la présente requête, la Cour n'a pas à se prononcer au fond, mais elle doit uniquement déci- der si l'honorable James A. Richardson est le fonctionnaire de la défenderesse qui devrait subir l'interrogatoire préalable sollicité par les demanderesses.
Chaque partie envisage la question soulevée dans cette requête bien différemment. Les deman- deresses requérantes ont déposé deux longs affida vits, l'un de Charles Douglas Reekie, président de la demanderesse CAE Industries Ltd., et directeur du conseil d'administration de la seconde deman- deresse, CAE Aircraft Ltd., et l'autre de David Humphrey Race, président de CAE Aircraft Ltd. La demanderesse CAE Aircraft Ltd. est une filiale de la demanderesse CAE Industries Ltd. dont les objets consistent à prendre en charge et à exploiter la base aérienne de Winnipeg. Les deux affidavits traitent notamment des discussions et des négocia- tions relatives à la base aérienne à partir de 1966 jusqu'au début de 1976. Ces déclarations, étayées de copies de nombreuses lettres et de coupures de journaux, montrent que depuis son entrée au gou- vernement canadien en 1968 comme ministre sans portefeuille, puis comme ministre des Approvision- nements et Services et, depuis lors, comme minis- tre de la Défense nationale, l'honorable James A. Richardson a activement participé à l'organisation des réunions et y a assisté lors des discussions de problèmes et des négociations relatives à la base aérienne. Elles révèlent en outre qu'il a participé à certaines des décisions gouvernementales relatives à la mise en œuvre de l'entente de 1969 entre le gouvernement canadien et CAE Industries Ltd.
Par ailleurs, la défenderesse n'a déposé ni soumis aucune preuve, mais elle s'appuie sur trois arguments d'ordre juridique.
1. Un ministre de la Couronne n'est pas visé par la Règle 465(1)c) établie conformément à l'arti- cle 46(1)a)(i) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.) c. 10.
2. La Règle 465(1)c) expose plus d'une méthode pour déterminer qui doit être interrogé
au préalable. Si la requête en mentionne une, on ne peut plus lui en substituer une autre.
3. La façon du juge Collier d'envisager la ques tion dans Irish Shipping Ltd. c. La Reine [ 1974] 1 C.F. 445 n'est pas appropriée.
L'article 46(1)a)(i) de la Loi sur la Cour fédé- rale prévoit que les juges de la Cour, sous réserve de l'approbation du gouverneuren conseil, peuvent établir des règles générales pour réglementer la pratique et la procédure à la Division de première instance et à la Cour d'appel, et notamment établir:
(i) des règles prévoyant, dans une procédure à laquelle la Couronne est partie, l'interrogatoire préalable d'un fonction- naire d'un ministère ou département ou de tout autre fonc- tionnaire de la Couronne,
La Règle 465 prévoit entre autres:
Règle 465. (1) Aux fins de la présente Règle, on peut procéder à l'interrogatoire préalable d'une partie, tel que ci-après prévu dans cette Règle,
c) si la partie est la Couronne, en interrogeant un officier ministériel ou autre officier de la Couronne désigné par le procureur général du Canada ou le sous-procureur général du Canada ou par ordonnance de la Cour, et
d) dans tous les cas, en interrogeant une personne qui, avec son consentement, a été agréée par la partie qui procède à l'interrogatoire et par la partie qui en est l'objet ....
Si le premier argument de la Couronne selon lequel la Règle 465(1)c) ne s'applique pas à un ministre de la Couronne est retenu, la requête des demanderesses doit être rejetée.
Le droit d'interroger au préalable la partie adverse dépend uniquement de la loi. En fait, la Cour fédérale du Canada (de même que la Cour de l'Échiquier, qui l'a précédée) n'a pas de compé- tence inhérente, mais tient ses pouvoirs de la Loi. Donc, dans le cas présent, pour établir si une ordonnance de comparaître à un interrogatoire préalable peut viser un ministre de la Couronne dans une cause il n'est pas partie, il faut déterminer la signification exacte des mots utilisés dans la loi pertinente. La seule disposition législa- tive qui traite spécifiquement de ce point est l'arti- cle 46(1)a)(i) de la Loi sur la Cour fédérale, précité. L'expression employée dans la Loi, «fonc- tionnaire d'un ministère ou département ou ... tout autre fonctionnaire de la Couronne» est
reprise dans la Règle 465(1)c)(1)'. La Loi ne définit pas ces mots.
En Nouvelle-Zélande, dans la cause Dick c. Le procureur général [1956] N.Z.L.R. 121, les demandeurs ont sollicité une ordonnance visant un interrogatoire préalable et ont soumis que l'affida- vit relatif à l'interrogatoire devait être fait par le ministre des Chemins de fer. La Loi n'employait que l'expression «fonctionnaire de la Couronne». S'appuyant sur deux arguments, le juge en chef Barrowclough a conclu, aux pages 123 et 124, que cette expression comprenait un ministre de la Cou- ronne. Voici les arguments en question: [TRADUC- TION] (1) «un ministre de la Couronne, selon la définition du Crown Proceedings Act, 1950, fait partie de ces employés de Sa Majesté appelés `fonctionnaires' de la Couronne». (2) «En second lieu et indépendamment de la définition du Crown Proceedings Act, 1950, je ne peux admettre qu'un ministre n'est pas un `fonctionnaire de la Cou- ronne'. Il est constamment désigné haut fonction- naire de l'État, ce qui équivaut à un haut fonction- naire de la Couronne.»
J'en viens aisément à la conclusion que l'expres- sion «fonctionnaire de la Couronne», indépendam- ment de son contexte et de l'interprétation judi- ciaire en découlant, désigne également un «ministre de la Couronne». Mais cela ne s'entend pas nécessairement de l'expression «fonctionnaire d'un ministère ou département ou ... tout autre fonctionnaire de la Couronne», dans la Loi et les Règles de la Cour fédérale.
La jurisprudence canadienne est très restreinte sur ce point précis. Deux causes sont pertinentes. La première que j'étudierai n'est pas publiée. Il s'agit de l'affaire Le gouvernement de la province de Terre-Neuve c. Le gouvernement du Canada. Plus exactement, cette cause devrait s'intituler Sa Majesté la Reine du chef de Terre-Neuve c. Sa Majesté la Reine du chef du Canada. Cette affaire de la Cour de l'Échiquier de 1960, entendue par le juge Thorson, président de la Cour, porte sur une demande d'ordonnance d'interroger au préalable
' N.D.T. L'expression «departmental or other officer of the Crown» employée au sous-alinéa 46(1)a)(i) de la Loi et à la Règle 465(1)c) est rendue dans la version française de ces dispositions par, respectivement, «fonctionnaire d'un ministère ou département ou ... tout autre fonctionnaire de la Couronne» et «officier ministériel ou autre officier de la Couronne».
un fonctionnaire de la Couronne, présentée en vertu de l'ancienne Règle 130 de la Cour de l'Échiquier. Le président Thorson y déclare:
[TRADUCTION] En premier lieu, l'avocat du demandeur voulait interroger le procureur général du Canada, également ministre de la Justice. Je rejette cette demande au motif qu'étant un ministre de la Couronne, cette personne n'est pas un fonction- naire de la Couronne au sens de la Règle 130. En tant que ministre de la Couronne, il est membre du cabinet qui conseille Sa Majesté.
Le président Thorson n'a pas donné d'autres motifs pour rejeter la demande. L'avocat de la demanderesse en l'espèce prétend qu'une décision si peu motivée ne peut faire jurisprudence. Cepen- dant, dans un jugement antérieur, McArthur c. Le Roi [1943] R.C.É. 77, le président Thorson avait tranché toutes les questions que soulève l'avocat à l'appui de sa prétention. Le président Thorson décrit en détail l'évolution de la responsabilité de la Couronne en dommages-intérêts, notamment en ce qui concerne les dommages résultant de la négligence de ses fonctionnaires ou préposés. A la lumière des nombreux jugements qu'il a cités, il est évident à mon avis qu'en interprétant le libellé d'une loi établissant pour la première fois la res- ponsabilité de la Couronne, ou modifiant sa res- ponsabilité établie par une loi antérieure, la Cour doit donner au libellé sa véritable signification et ne pas chercher à l'étendre ou à la restreindre de façon à accroître ou limiter l'effet prévu sur la prérogative royale.
Dans cette affaire, introduite par pétition de droit, il s'agissait de déterminer si un soldat, con- ducteur d'une camionnette du ministère de la Défense nationale impliquée dans un accident qui a causé des blessures au demandeur, était un «employé ou serviteur de la Couronne» 2 , au sens de l'article 19c) de la Loi sur la Cour de l'Échiquier, S.R.C. 1927, c. 34, modifiée en 1938.
Aux pages 96 et 97, le savant président déclare:
[TRADUCTION] ... il me paraît évident qu'il est inexact de présumer que l'expression «employé ou serviteur de la Cou- ronne», au sens de l'article 19c) de la Loi sur la Cour de l'Échiquier, comprend n'importe quelle personne, sous prétexte
2 N.D.T. A l'article 19c) de la Loi sur la Cour de l'Échi- quier, S.R.C. 1927, c. 34, et au paragraphe correspondant des S.R.C. de 1887 et de 1952 le mot «officer» dans l'expression «officer or servant of the Crown» est rendu dans la version française de ces dispositions par «employé».
qu'elle s'acquitte d'une charge ou d'une fonction de caractère national ou public et reçoit un traitement ou un salaire de la Couronne.
Il va de soi qu'une telle présomption n'est pas justifiée. Par exemple, il a été affirmé dans McHugh c. La Reine (1900) 6 R.C.E. 374 que le ministre des Travaux publics était un «employé de la Couronne» au sens de l'article 16c) de la Loi sur la Cour de l'Échiquier de 1887, mais cette opinion fut rejetée par le juge Burbidge. Cet arrêt fut par la suite approuvé et suivi par le juge Audette dans Mayor c. Le Roi (1919) 19 R.C.É. 304. On peut considérer que ces deux causes font jurisprudence en la matière et qu'en conséquence, l'expression «employé ou serviteur de la Couronne» à l'article 19c) de la Loi sur la Cour de l'Échiquier ne s'applique pas à un ministre de la Couronne, même si cette dernière le rémunère. Bien qu'il soit nommé par la Couronne, le ministre est un conseiller de la Couronne et est responsable devant le Parlement. Plusieurs autres personnes, même si elles sont nommées et rémunérées par la Couronne, ne sont en aucune manière «employé ou serviteur de la Couronne», au sens de ladite loi. Par exemple, les lieutenants-gouverneurs des provinces, même s'ils sont nommés et rémunérés par la Couronne, sont les représentants de Sa Majesté, de même que les juges des cours fédérales ou provinciales qui, même s'ils sont nommés et rémunérés par la Couronne, en sont indépendants.
Au bas de la page 97, il poursuit:
[TRADUCTION] ... la signification de l'expression courante «employé ou serviteur de la Couronne» doit, puisque la Loi ne la définit pas, être fixée selon des règles d'interprétation, sembla- bles en principe à celles qu'a utilisées la Cour dans ses décisions sur cette Loi.
Il est vrai que, dans McArthur c. Le Roi, McHugh c. La Reine et Mayor c. Le Roi, il s'agissait de savoir si, en vertu des dispositions législatives en vigueur à l'époque, la personne dont la négligence cause un préjudice ou une perte au demandeur est un fonctionnaire ou un préposé de la Couronne qui engage la responsabilité en dom- mages-intérêts de cette dernière pour le préjudice ou la perte subie. Même si dans ces arrêts le demandeur ne sollicitait pas l'interrogatoire préa- lable d'un fonctionnaire de la Couronne, je ne vois pas pourquoi la méthode d'interprétation de l'ex- pression considérée en l'espèce devrait différer pour l'unique raison qu'il s'agit de déterminer qui doit être interrogé au préalable au lieu de décider du bien-fondé de l'action en dommages-intérêts contre la Couronne. Je ne pense pas que le prési- dent Thorson ait émis une opinion erronée dans la cause de la province de Terre-Neuve (précitée).
Dans Pouliot c. Le ministre des Transports [1965] 1 R.C.É. 330, le juge Jackett, alors prési- dent de la Cour de l'Échiquier et maintenant juge en chef de la Cour fédérale du Canada, a conclu,
en se fondant sur une décision du juge Angers dans Belleau c. Le ministre de la Santé et du Bien-être social [1948] R.C.E. 288 et sur une ordonnance non publiée du président Thorson de la Cour de l'Échiquier, qu'un ministre de la Couronne n'est pas un «fonctionnaire de la Couronne» au sens de l'article 29c) de la Loi sur la Cour de l'Échiquier.
Je crois que le libellé de la Loi et des Règles de la Cour fédérale cité plus haut est important. Comme nous l'avons constaté, on n'y emploie pas l'expression «fonctionnaire ou préposé de la Cou- ronne» mais l'expression «fonctionnaire d'un minis- tère ou département ou ... tout autre fonctionnaire de la Couronne». A mon avis, l'utilisation des termes «ministère ou département» semble res- treindre le sens du mot «fonctionnaire» et le but de la modification peut fort bien être d'éviter l'inter- rogatoire préalable du ministre dans nombre de poursuites judiciaires. Cela dit, quel est le véritable sens de l'expression «fonctionnaire d'un ministère ou département»? Un ministre peut ne pas avoir de portefeuille et ne pas travailler pour un ministère du gouvernement, auquel cas il n'est absolument pas «fonctionnaire d'un ministère ou département». Avec ou sans portefeuille, un ministre est membre du Conseil privé canadien de Sa Majesté et, de ce fait, appartient à un groupe particulier de person- nes dont le rôle est de conseiller Sa Majesté et cette dernière ou son représentant, le gouverneur général, doit normalement suivre ce conseil. En ce sens, bien qu'il puisse être le chef politique d'un ministère du gouvernement, il n'est pas, à mon avis, fonctionnaire d'un ministère ou département au sens de l'article 46(1)a)(1) de la Loi sur la Cour fédérale et de la Règle 465(1)c) de la pré- sente Cour.
Il reste à déterminer si les termes «ou ... autre» à l'article 46(1)a) (i) de la Loi et à la Règle 465(1)c), visent un ministre? C'est avec réticence que je conclus que non. Si le mot «fonctionnaire» comprend tous les fonctionnaires de la Couronne, l'expression «ministère ou département» n'a pas sa raison d'être. On peut suivre le même raisonne- ment si les mots «ou ... autre» sont inclus pour non seulement viser un «fonctionnaire» d'un «ministère ou département» mais également tout autre fonc- tionnaire. A mon avis, il est plus probable que les mots «ou ... autre» ont pour but d'inclure sous le vocable «fonctionnaire» des personnes employées
ou engagées dans différents organismes de la Cou- ronne mais qui ne relèvent d'aucun ministère et qui, en raison de leurs fonctions sont des fonction- naires de la Couronne.
Étant donné ce qui précède et après avoir soi- gneusement étudié la jurisprudence citée devant cette Cour par les avocats des parties, j'en viens à la conclusion que l'honorable James A. Richard- son, ministre de la Défense nationale dans le gou- vernement canadien, n'est pas un «fonctionnaire d'un ministère ou département ou ... autre fonc- tionnaire de la Couronne» au sens de cette expres sion à l'article 46(1)a)(i) de la Loi sur la Cour fédérale. La demande est donc rejetée.
Les parties admettent que le sous-procureur général du Canada a désigné Brian Thomas Boyd—Chef de la Division des Opérations, Centre de la gestion des programmes, ministère des Approvisionnements et Services—comme fonction- naire qui doit être interrogé au préalable. Aucun autre renseignement que le titre du poste occupé par Boyd n'ayant été fourni à la Cour, je ne suis pas en mesure de décider s'il est bien le fonction- naire qui devrait subir l'interrogatoire préalable ni même s'il est un fonctionnaire de la Couronne devant être interrogé au préalable sur les faits de cette cause. Dans un cas comme celui-ci, il appar- tient au juge de décider quel fonctionnaire est le plus apte à se présenter à l'interrogatoire préala- ble. Une simple désignation par le procureur géné- ral ou le sous-procureur général ne suffit pas. C'est pourquoi je ne prononce pas d'ordonnance relative- ment à Boyd.
En raison de l'incertitude que revêtait le princi pal point de droit traité en l'espèce, il n'y aura pas d'adjudication de dépens.
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