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T-1775-74
Brougham Sand & Gravel Limited (Demande- resse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Mahoney— Toronto, le 4 octobre; Ottawa, le 29 octobre 1976.
Pratique—Dépens—Expropriation—Demande afin d'obte- nir un jugement sur consentement avec frais extrajudiciaires à être taxés en vertu de l'art. 36 de la Loi sur l'expropriation— Effet de la réunion de l'art. 57(3) de la Loi sur la Cour fédérale et de l'art. 5d) de la Loi sur le ministère de la Justice Critères pour l'allocation des dépens—Le jugement traitant de l'indemnité doit-il être déclaratoire ou impéra- tif?—Loi sur l'expropriation, S.R.C. 1970 (1 gP Supp.) c. 16, art. 14, 29 et 36 Loi sur la Cour fédérale, art. 46(2) et 57(3) Loi sur le ministère de la Justice, S.R.C. 1970, c. J-2, art. 5d).
Les parties recherchent un jugement sur consentement afin de faire déterminer l'indemnité due et la taxation des frais extrajudiciaires, conformément à l'article 36 de la Loi sur l'expropriation.
Arrêt: la demande est rejetée sans préjudice des droits de l'une ou l'autre ou des deux parties de demander un jugement sur consentement en des termes différents. Le dossier montre que le montant de la transaction est tel que s'il était jugé qu'il était dû, la Cour serait requise d'allouer les frais extrajudiciai- res contre la Couronne. Cependant, le jugement sur consente- ment doit être un jugement que la Cour aurait pu rendre après audition de l'affaire: la documentation présentée doit établir que le montant résultant des pourparlers représente l'indemnité due conformément à la Loi sur l'expropriation et que la partie du jugement traitant de l'indemnité devrait être déclaratoire plutôt qu'impérative.
Arrêt suivi: Galway c. M.R.N. [1974] 1 C.F. 600. Distinc tion faite avec les arrêts: Bowler c. La Reine [1976] 2 C.F. 776 et Le Roi c. Hooper [1942] R.C.E. 194.
DEMANDE de jugement sur consentement. AVOCATS:
Paul R. Henry pour la demanderesse.
Nul ne s'est présenté pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Chappel, Bushell et Stewart, Toronto, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MAHONEY: La demanderesse, avec le consentement de la défenderesse, recherche un jugement fixant l'indemnité à être payée pour son droit dans un terrain exproprié en vertu de la Loi sur l'expropriation'. La demanderesse a introduit cette action dans le but de faire déterminer l'in- demnité due. La défenderesse a déposé un mémoire de défense révélant qu'un total de $639,- 350 avait été offert, en vertu de l'article 14 de la Loi, à titre d'indemnité totale pour le droit expro- prié. Les pourparlers ont abouti à une transaction incluant les frais extrajudiciaires. Les parties n'ont pas pu s'entendre sur le montant des frais et ont comparu devant un protonotaire de cette Cour, en vue de les faire taxer. Il a refusé de ce faire jusqu'à ce qu'un jugement soit signé.
Le jugement sur consentement est requis dans les termes ci-après:
[TRADUCTION] 1. LA COUR SUSDITE STATUE que la défende- resse est tenue de payer à la demanderesse la somme de $873,278.04, montant qui a déjà été payé par la défenderesse à la demanderesse.
2. LA COUR SUSDITE STATUE, en outre, que la défenderesse doit payer tous les frais extrajudiciaires raisonnables exposés par la demanderesse, lesdits frais à être taxés par un protono- taire de cette Cour.
Ainsi, le dossier montre que le montant de la transaction est tel que s'il était jugé qu'il était dû, la Cour serait requise, en vertu de l'article 36 de la Loi, d'allouer les frais extrajudiciaires contre la Couronne.
36. (1) Sous réserve du paragraphe (2), les frais des procé- dures devant le tribunal en vertu de la présente Partie et les frais accessoires à ces procédures, sont laissés à la discrétion du tribunal ou, dans le cas de procédures devant un juge du tribunal ou un juge de la cour supérieure d'une province, à la discrétion dudit juge. Le tribunal ou le juge peuvent ordonner, qu'en tout ou partie, ces frais soient acquittés par la Couronne ou par une partie auxdites procédures.
(2) Lorsque le montant de l'indemnité allouée en vertu de la présente Partie, à une partie à des procédures devant le tribunal en vertu de l'article 29, pour un droit exproprié, ne dépasse pas le montant total de toute offre faite à cette partie en vertu de l'article 14 et de toute offre subséquente à elle faite pour ce droit avant le début de l'instruction des procédures, le tribunal doit, sauf s'il conclut que le montant de l'indemnité réclamée par cette partie dans les procédures était déraisonnable, ordon- ner que la totalité des frais des procédures et des frais accessoi- res encourus par cette partie soit payée par la Couronne, et
' S.R.C. 1970 (ler Supp.) c. 16.
lorsque le montant de l'indemnité ainsi allouée à cette partie dépasse ce montant total, le tribunal doit ordonner que la totalité des frais des procédures et des frais accessoires encou- rus par cette partie, y compris les frais extrajudiciaires que le tribunal détermine, soit payée à cette partie par la Couronne.
Il faut relever que le paragraphe 36(2) se réfère expressément «à des procédures devant le tribunal en vertu de l'article 29». Les parties essentielles de cet article disposent:
29. (1) Sous réserve de l'article 28,
a) une personne qui peut prétendre à une indemnité pour un droit exproprié peut,
(i) à tout moment après l'enregistrement de l'avis de confirmation, si elle n'a accepté aucune offre faite en vertu de l'article 14, et
(ii) dans un délai d'un an à compter de l'acceptation de l'offre, dans tout autre cas,
engager des procédures devant le tribunal par voie d'exposé de la demande pour le recouvrement du montant de l'indem- nité à laquelle elle a alors droit; ou
b) le procureur général du Canada peut, à tout moment après l'enregistrement de l'avis de confirmation, que des procédures en vertu de l'alinéa a) aient été engagées ou non, produire auprès du tribunal un avis sur la question ....
(2) Un avis produit au tribunal, en vertu du paragraphe (1), est censé introduire une instance ou un procès mettant en cause les personnes qui y sont désignées comme parties aux procédu- res, en vue de la détermination finale de l'indemnité payable ou de la décision finale de toute autre question résultant de l'enregistrement de l'avis de confirmation.
(4) Sous réserve du présent article, une instance ou un procès introduits ainsi que l'énonce le paragraphe (2) doivent être poursuivis conformément aux règles et ordonnances de pratique et de procédure devant le tribunal et comme si les procédures avaient été introduites par un exposé de la demande produit par une personne désignée dans un avis produit au tribunal selon le paragraphe (1) comme devant être partie aux procédures.
(6) Qu'il soit rendu du consentement des parties, par défaut ou d'autre façon, un jugement rendu dans des procédures, en vertu du présent article, fait obstacle à toutes nouvelles récla- mations des parties aux procédures, et des personnes réclamant par l'intermédiaire de ces parties ou sous leur autorité, y compris toute réclamation relative à un douaire ou à un douaire non encore ouvert ou relativement à quelque hypothèque, mort gage, servitude ou autre droit, et le tribunal doit déclarer le montant de l'indemnité payable et rendre l'ordonnance qui peut être nécessaire pour la répartition, le paiement ou le placement des deniers de l'indemnité et pour la garantie des droits de tous les intéressés.
Les procédures introduites en vertu de l'article 29, commencées comme elles l'ont été en l'espèce, selon un exposé de la demande déposé par une
personne ayant droit à une indemnité, doivent être traitées conformément aux Règles de cette Cour et peuvent se terminer par un jugement sur consentement.
En l'absence d'une Règle spécifique à ce sujet au paragraphe 46(2) de la Loi sur la Cour fédéra- le 2 , la Règle 340 des Règles et ordonnances géné- rales de la Cour fédérale s'applique:
Règle 340. (1) Dans toute action dont le défendeur a un procureur ou solicitor inscrit au dossier, aucun jugement ne doit être rendu sur consentement à moins que le consentement du défendeur ne soit donné par le procureur ou solicitor inscrit au dossier.
(3) Aucun jugement sur consentement ne doit être rendu à moins que le défendeur n'ait déposé un acte de comparution ou une défense.
Le paragraphe (2) n'est pas applicable quand, comme en l'espèce, le défendeur a un procureur ou solicitor inscrit au dossier.
Le procureur ou solicitor de la défenderesse inscrit au dossier est le sous-procureur général du Canada; toutefois, à un certain moment après le dépôt de la défense, une firme privée d'avocats a pris la suite de l'affaire. Le consentement au juge- ment a été donné par cette firme. Je crois qu'il peut être remédié facilement au défaut de se con- former à la Règle 300 en ce qui concerne le changement de procureurs; toutefois, les avocats peuvent souhaiter étudier la portée de la décision de la Cour d'appel fédérale dans Galway c. M.R.N. 3 qui avait également à se prononcer sur une demande de jugement sur consentement à laquelle la Couronne était partie.
Ordinairement, dans un litige entre des personnes privées, majeures et saines d'esprit, il n'incombe normalement pas à la Cour de mettre en question le consentement des parties au jugement. A première vue, il pourrait sembler que la même règle s'applique lorsque la Couronne, représentée par ses con- seillers juridiques, est l'une des parties. Il existe cependant au moins une exception à l'admission inconditionnelle des juge- ments sur consentement, quelles que soient les parties, à savoir que la Cour ne peut accueillir sur consentement un jugement qu'elle ne serait pas habilitée à accorder après le procès ou l'audition de l'appel. Il s'ensuit que, dans la mesure la Cour ne peut, après le procès ou l'audience, déférer une affaire pour cotisation excepté dans les formes prévues par la Loi et ne peut, à un tel stade, déférer une affaire pour qu'on procède à une nouvelle cotisation pour donner effet à un compromis. La Cour ne peut donc déférer une affaire au moyen d'un jugement sur consentement pour nouvelle cotisation à cette fin.
2 S.R.C. 1970 (2' Supp.) c. 10.
3 [1974] 1 C.F. 600, aux pages 602-603.
Dans ces circonstances, il n'y a aucune raison de s'opposer à une nouvelle demande des parties se fondant sur un jugement sur consentement visant à donner effet à leur accord sur la façon d'établir la cotisation en appliquant la loi aux faits. S'il devait y avoir une nouvelle demande de ce genre, nous propo- sons que, compte tenu de l'historique de l'affaire, le consente- ment contienne un exposé précisant qu'il vise à donner effet à un tel accord.
Bien que le langage utilisé par le jugement soit dicté par le fait qu'il traitait d'une cotisation d'im- pôt sur le revenu, le principe est applicable en la présente espèce. Le jugement sur consentement en vertu des dispositions de l'article 29 de la Loi sur l'expropriation, doit être un jugement que la Cour aurait pu rendre si elle avait entendu les témoigna- ges nécessaires et déterminé le montant de l'in- demnité due.
Peut-être les avocats devraient-ils présumer, comme je le fais, que la Cour d'appel exprimait réellement sa pensée, quand elle a retenu expressé- ment que lorsque la Couronne, «représentée par ses conseillers juridiques», demande un jugement sur consentement, les mêmes considérations qu'à toute personne privée jouissant de sa pleine capacité légale lui sont applicables. Bien que je ne voudrais pas que l'on puisse penser que je considère que la Couronne ne peut pas retenir les services de procu- reurs privés et être tenue par des engagements qu'ils ont pris, au moins un certain nombre de questions ne se posent même pas quand le procu- reur ou solicitor exécutant un jugement sur con- sentement tire sa qualité pour agir de l'alinéa 5d) de la Loi sur le ministère de la Justice 4 . Cela n'est pas, à mon avis, un simple détail de procédure, si l'on tient compte du fait qu'un jugement de cette Cour a normalement pour effet, aux termes du paragraphe 57(3) de la Loi sur la Cour fédérales, d'autoriser le paiement de fonds publics qui n'ont pas nécessairement été affectés par le Parlement à cet usage particulier. Il est juste que ce soit les officiers de justice de la Couronne, responsables devant le Parlement par l'intermédiaire de leur Ministre, qui partagent avec la Cour la responsabi- lité de ce paiement, plutôt que des procureurs privés.
S.R.C. 1970, c. J-2.
5 57. (3) Les sommes d'argent ou dépens adjugés à une personne contre la Couronne, dans toutes procédures devant la Cour, doivent être prélevés sur le Fonds du revenu consolidé.
Dans Bowler c. La Reine', le juge en chef adjoint a rejeté un jugement sur consentement demandé conformément aux dispositions de la Loi sur l'expropriation et rédigé dans les termes
suivants:
[TRADUCTION] SUR dépôt du consentement des parties, la présente Cour statue que cette action est rejetée et que la défenderesse est tenue de payer au demandeur les frais de la présente action et ceux qui y sont accessoires, sur la base de frais taxés entre le procureur et son client.
Dans ses motifs, le juge en chef adjoint relève l'inconséquence pour une cour d'exercer son pou- voir discrétionnaire en ce qui concerne les frais de façon à aboutir au rejet de l'action du demandeur, alors qu'elle lui accorde les frais sur une base moindre que la base procureur-client. Il a observé que les frais taxés sur la base procureur-client sont «rarement alloués dans une action ordinaire et seulement pour des raisons très valables». Il a également relevé que rien à l'article 36, n'autorise le rejet de l'action et l'allocation au demandeur de frais taxés sur la base procureur-client. Il n'y avait rien au dossier qui «indique, ... qu'en l'espèce, la Cour devrait ordonner le paiement de frais entre procureur et client».
Dans l'affaire Le Roi c. Hooper', il résultait du dossier que le montant de l'indemnité à être payée au titre du droit exproprié avait été convenu préa- lablement à l'introduction des procédures. La Loi sur l'expropriation' alors en vigueur (ci-après appelée «d'ancienne loi»), prévoyait uniquement des procédures engagées par une information déposée par le procureur général du Canada—une procé- dure très proche de celle visée à l'alinéa 29(1)b) et au paragraphe 29(2) de la Loi actuelle. L'informa- tion exprimait le consentement de la Couronne de payer $39,830 et la défense exprimait le consente- ment de Hooper d'accepter ce montant. En cette circonstance, le président Thorson a refusé de per- mettre à la Cour de
[TRADUCTION] ... devenir simplement un intermédiaire pour la commodité des parties qui ont déjà convenu du montant de l'indemnité dans une expropriation particulière, mais veulent obtenir un jugement de la Cour entérinant leur accord de façon que le défendeur puisse être payé par prélèvement sur le Fonds du revenu consolidé, sans aucune affectation spécifique.
6 [1976] 2 C.F. 776. ' [1942] R.C.É. 194. 8 S.R.C. 1927, c. 64.
Cette considération est toujours valable; cepen- dant, une certaine modification de l'approche adoptée par le savant président est dictée par le fait que l'ancienne loi ne prévoyait pas de juge- ment sur consentement, alors que la loi actuelle le fait expressément au paragraphe 29(6).
Je dois relever qu'en la présente espèce, il est manifeste que les parties ne cherchent pas à se prévaloir du paragraphe 57(3) de la Loi sur la Cour fédérale pour obtenir, à titre d'indemnité, des fonds non affectés. L'indemnité a déjà été payée et la seule question en suspens est celle du quantum des frais. Si un jugement sur consente- ment est accordé et que le paragraphe 57(3) sert de base au financement des frais, cela se produira seulement après due détermination de leur quan tum par un protonotaire, conformément à la prati- que de la Cour. En d'autres termes, cela se pro- duira seulement après une décision basée sur une preuve convenable.
La présente demande diffère de l'affaire Hooper du fait que le dossier révèle, à la clôture des plaidoiries, un différend sérieux au sujet de l'in- demnité due. Elle diffère de l'affaire Bowler en ce qu'il est demandé qu'une indemnité soit déclarée payable par un jugement qui, selon le dossier, entraîne le droit prévu par la loi au paiement, de la Couronne, des frais extrajudiciaires.
Les critères établis par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Galway sont applicables. Le juge- ment sur consentement doit être un jugement que la Cour aurait pu rendre après audition de l'af- faire. La documentation présentée doit établir que le résultat des pourparlers était un montant repré- sentant l'indemnité due telle que déterminée par l'application aux faits, des dispositions de la Loi sur l'expropriation. Si la somme forfaitaire de $873,278 comporte autre chose que l'indemnité, des intérêts par exemple, ceux-ci doivent être défalqués de l'indemnité accordée. La Cour, ordi- nairement, n'a pas à s'occuper du droit aux inté- rêts ou à leur calcul. Ces derniers résultent de l'article 33 de la Loi et sont fixés après détermina- tion de l'indemnité due. Je crois également, qu'en l'espèce, la partie du jugement traitant de l'indem- nité, par opposition à celle traitant des frais, devrait être déclaratoire plutôt qu'impérative, une forme qui, je le relève, apparaît en tout cas plus
strictement conforme aux dispositions du paragra- phe 29(6) à ce sujet, que ne l'est la forme habi- tuelle d'un jugement.
ORDONNANCE
Cette demande est rejetée sans frais et sans préjudice des droits de l'une ou l'autre ou des deux parties de demander un jugement sur consente- ment en des termes différents de ceux du jugement recherché en l'espèce.
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