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T-2934-76
International Marine Banking Co. Limited (Demanderesse)
c.
Le pétrolier Dora et Abyreuth Shipping Company Limited (Défendeurs)
[N° 1 ]
Division de première instance, le juge en chef adjoint Thurlow—Montréal, les 16 et 18 août 1976.
Droit maritime—Pratique—Requête visant à l'obtention d'une ordonnance pour faire sanctionner rétroactivement des mesures prises par la demanderesse avant l'expiration du délai pour comparaître ou pour déposer des moyens de défense— Procédure prescrite en matière de saisie de navires—La Loi et les Règles n'autorisent pas pareille ordonnance—Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10, art. 13 et 55— Règles 1003 et 1007(4) de la Cour fédérale—Formules 40 44 de la Cour fédérale.
La demanderesse sollicite une ordonnance désignant des mandataires autorisés à assurer l'entretien et la garde du navire jusqu'à ce qu'il soit vendu, à payer les frais de maintien d'un équipage réduit et de rapatriement du reste de l'équipage. La demanderesse requiert également que l'ordonnance décide que les dépenses nécessaires engagées par la demanderesse lui soient remboursées sur les produits de la vente, comme s'ils faisaient partie des frais engagés par le prévôt. Le navire a été saisi le 27 juillet 1976, en vertu d'une demande portant sur trois hypothè- ques. Au moment de la saisie, il se trouvait au poste d'amarrage de Golden Eagle Canada Limited, dans le port de Québec et, le 1" août 1976, fut amené au poste d'amarrage appelé section 30 du port de Québec. Sans l'autorisation ni l'approbation de la Cour, la demanderesse a désigné des mandataires pour assurer la garde du navire jusqu'à sa vente. Une requête tendant à faire sanctionner rétroactivement ces mesures par la Cour a fait l'objet d'une opposition de la part de l'avocat du capitaine et de l'équipage, lesquels ont également intenté une action en paie- ment de leur salaire, laquelle est également à l'origine de la saisie du navire. La requête a également fait l'objet d'une opposition de la part d'un intervenant dans l'action intentée par le capitaine. L'unique demande présentée pour le déplacement du navire était jointe à l'avis de requête écrit, mais a été retirée à l'audience.
La procédure applicable devant la Cour fédérale en matière de saisie de navires est prévue par la Règle 1003. La Règle 1007(4) sur laquelle se fonde la demanderesse, prescrit que la Cour pourrait rendre une ordonnance pour la sécurité et la conservation d'un navire ou d'une cargaison sous saisie et que l'estimation, la vente et l'enlèvement de biens doivent s'effec- tuer en vertu d'une commission adressée au prévôt (Formules
40 44). Les articles 13 et 55 de la Loi sur la Cour fédérale prévoient la désignation des prévôts et leurs obligations.
Arrêt: la demande est rejetée. La Règle 1003(10) indique avec précision que la possession et la responsabilité d'un navire ou d'un bien saisi ne sont pas modifiées du fait de la saisie. De
plus, c'est le prévôt et non un mandataire (comme recherché dans la demande) que la Cour autorise à prendre possession des biens lorsque la partie en possession des biens jusqu'au moment de la saisie en est privée en vertu des dispositions de ces Règles. Le mandataire doit être un agent de la Cour. Étant donné qu'aucun shérif n'a été nommé en vertu du paragraphe 13(1), le shérif de Québec est de droit le prévôt. Il s'ensuit qu'en vertu du paragraphe 55(4), toute ordonnance de la Cour doit lui être adressée. D'après le dossier présenté à la Cour, rien ne justifie d'éviter la procédure prévue par la Loi.
DEMANDE d'ordonnance rétroactive. AVOCATS:
G. Vaillancourt pour la demanderesse.
V. Prager pour le pétrolier Dora.
M. Nadon pour Trans Asiatic Oil Ltd.
M. Savard pour Golden Eagle Canada
Limited.
P. Q. Davidson pour Pera Shipping Corp.
E. Baudry pour Clipper Ship Supply Ltd. et Hitachi Shipbuilding and Engineering.
F. de B. Gravel et S. Harrington pour Joseph Christopher Twite.
PROCUREURS:
Langlois, Drouin & Laflamme, Québec, pour la demanderesse.
Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier & Robb, Montréal, pour le pétrolier Dora.
Martineau, Walker, Allison, Beaulieu, Phelan & Mackell, Montréal, pour Trans Asiatic Oil Ltd.
Chauvin, Marler & Baudry, Montréal, pour Golden Eagle Canada Limited, Clipper Ship Supply Ltd. et Hitachi Shipbuilding and Engineering.
Brisset, Bishop & Davidson, Montréal, pour Pera Shipping Corp.
Gravel & Associés, Québec, pour Joseph Christopher Twite.
Ce qui suit est la version francaise des motifs de l'ordonnance prononcés oralement par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT THURLOW: La demanderesse sollicite une ordonnance afin que:
[TRADUCTION] (1) A compter du 1°t août 1976, la Ramsey Greig & Company Limited soit désignée comme mandataire du navire et soit autorisée à prendre toutes les mesures nécessaires, notamment à engager des gardiens afin d'assurer l'entretien et la garde du navire jusqu'à ce qu'il soit vendu et de participer aux frais de maintien d'un équipage réduit et de rapatriement du reste de l'équipage;
(2) que, dans le but de préserver le navire et ses machines un équipage réduit soit maintenu à bord jusqu'à la vente du navire; cet équipage de 17 personnes choisies par le capitaine devra comprendre le capitaine, deux officiers de pont, trois mécani- ciens, quatre marins, deux graisseurs, deux cuisiniers, deux garçons de cabine et un magasinier pour le compartiment des machines. Le reste de l'équipage devra être rapatrié;
(3) que toutes les dépenses engagées par les mandataires et payées en premier par la demanderesse lui soient remboursées sur les produits de la vente comme s'ils faisaient partie des frais engagés par le prévôt, ces débours devant comprendre les honoraires du mandataire, tous les frais du déplacement du navire conformément aux exigences des autorités portuaires, notamment les frais de remorquage et de pilotage, et, de façon générale, tous les frais visant à l'entretien et à la garde du navire, les frais d'entretien pour son bon fonctionnement, notamment les réparations des deux moteurs électriques de la commande de barre, ainsi que le montant de la paie de l'ensem- ble de l'équipage du 4 août 1976 jusqu'à la formation de l'équipage réduit et le montant de la paie ultérieure de l'équi- page réduit;
(4) que tous les frais consécutifs à la présente demande soient considérés comme frais de justice de l'affaire.
L'action a débuté le 27 juillet 1976. Un mandat a été décerné et le navire défendeur a été saisi le même jour. La demande porte sur trois hypothè- ques d'un montant total d'environ $9,000,000. Le délai pour déposer un acte de comparution ou une défense n'est pas expiré.
Le navire est un pétrolier d'un port en lourd d'environ 95,000 tonnes. Au moment de la saisie, il se trouvait au poste d'amarrage de la Golden Eagle Canada Limited dans le port de Québec. Le 1 °r août, il a été amené au poste d'amarrage appelé section 30 du port de Québec. On trouve, dans l'exposé de l'avis de requête, les indications suivantes:
[TRADUCTION] le demandeur a désigné la Ramsey Greig & Company Limited comme mandataire du navire pour en assu- rer la garde jusqu'à sa vente, pour prendre toutes les mesures nécessaires à sa préservation et pour participer au paiement de la rémunération de l'équipage et du rapatriement d'une partie de l'équipage.
Cela a été fait sans l'autorisation ni l'approba- tion de la Cour. On cherche maintenant à obtenir une ordonnance sanctionnant rétroactivement ces mesures comme si la Cour l'avait ordonné et les autorisant pour l'avenir jusqu'à la vente du navire. La requête a fait l'objet d'une opposition de la part de l'avocat du capitaine et de l'équipage; ceux-ci ont également intenté une action en paiement de leur salaire, laquelle est également à l'origine de la saisie du navire. Selon le capitaine et l'équipage, il serait préférable que le prévôt prenne possession
du navire, assisté en cela par un agent. La requête a également fait l'objet d'une opposition de la part de l'avocat d'un intervenant dans l'action intentée par le capitaine; selon cet intervenant, la demande- resse n'était nullement autorisée à désigner direc- tement un agent et l'ordonnance ne devrait donc pas être prononcée.
Je cite maintenant le paragraphe 8 de l'avis de requête:
[TRADUCTION] les propriétaires de la cargaison ont demandé verbalement le déplacement du navire jusqu'à la section 30 du port de Québec, ladite requête devant être faite par écrit en bonne et due forme puis endossée par l'honorable juge en chef Thurlow, toutes les parties ayant donné leur accord sur ce point.
Cela semble indiquer que le déplacement du navire a été effectué sous l'autorité de la Cour. Ce n'est cependant pas le cas. La Cour n'a délivré aucune ordonnance et n'a donné aucune approba tion concernant le déplacement du navire jusqu'à la section 30. L'unique demande présentée dans ce but était jointe à l'avis de requête écrit, mais a été retirée à l'audience.
La procédure applicable devant cette Cour en matière de saisie de navires est prévue par la Règle 1003 qui dit notamment:
(6) Le mandat doit être signifié par le prévôt ou toute personne légalement autorisée à agir à sa place, de la façon prescrite par les présentes Règles pour la signification d'un statement of claim ou déclaration dans une action in rem, et, dès la significa tion, les biens sont censés saisis.
(9) La signification d'un mandat en vertu du paragraphe (6) ne confère au prévôt ou autre personne qui a procédé à la saisie ni la possession des biens saisis, ni la responsabilité de leur garde et entretien; cette possession et cette responsabilité sont laissées aux personnes qui étaient en possession des biens immédiatement avant la saisie. Aucun de ces biens ne doit, tant qu'il est sous saisie, être déplacé sans l'autorisation de la Cour ou le consentement de toutes les parties intéressées.
(10) Sur demande d'une partie y ayant intérêt, la Cour pourra ordonner au prévôt, ou à toute personne légalement autorisée à agir à sa place de prendre possession des biens qui ont été saisis en vertu de la présente Règle, mais une telle ordonnance ne doit pas être rendue tant que le requérant, ou toute partie intéressée, ne se sont pas engagés envers le prévôt ou ladite personne, à assumer la charge des frais qui seront encourus ou droits ou honoraires qui seront gagnés par eux à l'occasion de l'exécution de cette ordonnance et tant qu'il n'a pas donné au besoin, pour assurer leur paiement une garantie satisfaisante pour la Cour.
(11) Dans les présentes Règles, «prévôt» inclut toute personne visée par l'article 55(5) de la Loi.
Pour l'obtention de l'ordonnance, la demande- resse se fonde sur la Règle 1007(4):
(4) La Cour pourra, avant ou après le jugement final, ordon- ner que des biens saisis sur son ordre soient déplacés ou qu'une cargaison saisie à bord d'un navire soit déchargée; et, d'une façon générale, après introduction d'une action, elle peut rendre une ordonnance ou un décret pour la sécurité et la conservation d'un navire ou d'une cargaison saisie, de même qu'une ordon- nance pour la disposition des marchandises périssables saisies, aux conditions qu'elle peut juger convenables.
L'alinéa (5) de la même Règle est ainsi rédigé:
(5) L'estimation, la vente et l'enlèvement de biens ainsi que le déchargement d'une cargaison doivent s'effectuer en vertu d'une commission adressée au prévôt. (Formules 40 à 44).
En ce qui concerne les personnes qui peuvent être désignées comme prévôt, les articles 13 et 55 de la Loi sur la Cour fédérale' disposent:
13. (1) Le gouverneur en conseil peut nommer un shérif de la Cour pour tout secteur géographique.
(2) Lorsque aucun shérif n'est nommé en vertu du paragra- phe (1) pour un secteur géographique, le shérif et les shérifs adjoints du comté ou de tout ou partie d'une autre circonscrip- tion judiciaire qui se trouve dans ce secteur, qui sont nommés en vertu des lois provinciales sont de droit, respectivement, shérif et shérifs adjoints de la Cour.
(3) Les Règles peuvent prévoir la nomination de shérifs adjoints.
(4) Tout shérif ou shérif adjoint de la Cour est de droit prévôt ou prévôt adjoint de la Cour, selon le cas.
55. (4) Un shérif ou prévôt doit exécuter le bref de la Cour qui lui est adressé que cela l'oblige ou non à agir en dehors de son ressort et il doit exercer les autres fonctions qui peuvent lui être attribuées expressément ou implicitement par les Règles.
(5) Chaque fois qu'il n'y a pas de shérif ni de prévôt ou qu'un shérif ou prévôt est incapable d'exercer ses fonctions ou ne veut pas les exercer, le bref est adressé à un shérif adjoint ou prévôt adjoint, ou à toute autre personne que peuvent prévoir les Règles ou une ordonnance spéciale de la Cour visant un cas particulier et une telle personne a le droit de percevoir et conserver pour elle-même les droits qui peuvent être prévus par les Règles ou cette ordonnance spéciale.
Selon moi, l'ordonnance demandée ne peut être prononcée en vertu des Règles que j'ai citées. La Règle 1003(10) indique avec précision que la pos session et la responsabilité d'un navire ou d'un bien saisi ne sont pas modifiées du fait de la saisie mais restent à la personne qui en était en possession au moment de la saisie. Elles ne sont conférées au
S.R.C. 1970, c. 10 (2 ° Supp.) et ses modifications.
prévôt que lorsqu'il en prend possession conformé- ment à une ordonnance de la Cour, laquelle ne peut être délivrée avant qu'une garantie ait été fournie pour les droits et honoraires du prévôt comme l'exige la Règle 1003(11). II faut égale- ment remarquer que c'est le prévôt, ou toute autre personne légalement autorisée à agir à sa place, que la Cour autorise à prendre possession des biens lorsque la partie en possession des biens jusqu'au moment de la saisie en est privée en vertu des dispositions de ces Règles. Cependant, en l'espèce, on cherche à obtenir une ordonnance qui désigne- rait un mandataire du navire et il me semble qu'une telle ordonnance aurait pour conséquence de transmettre la possession du navire de la per- sonne qui en était jusqu'alors responsable à une mandataire qui, s'il est désigné par la Cour, doit être, selon moi, l'agent de la Cour.
La possibilité de conférer à un agent un tel pouvoir dépend des articles de la Loi que j'ai cités. Étant donné qu'aucun shérif n'a été nommé en vertu du paragraphe 13(1), il faut appliquer les paragraphes 13(2) et (4). En conséquence, le shérif de Québec, désigné en vertu de la loi de la province, est de droit le prévôt de la Cour pour ce comté. En vertu du paragraphe 55(4), il doit exé- cuter le bref de la Cour qui lui est adressé et exercer les fonctions qui peuvent lui être attribuées expressément ou implicitement par les Règles.
De plus, il me semble que toute ordonnance de prise de possession du navire saisi devrait lui être adressée et ce n'est que dans le cas, prévu au paragraphe 55(5), il est «incapable d'exercer ses fonctions ou ne veut pas les exercer», ce qui n'est indiqué par aucune preuve, qu'il faut adresser le bref à un adjoint, ou «à toute autre personne que peuvent prévoir les Règles ou une ordonnance spéciale de la Cour visant un cas particulier».
Ainsi, selon moi, d'après le dossier présenté à la Cour, aucune disposition de la Loi ou des Règles ne m'autorise à ordonner à quiconque, excepté au prévôt, de prendre possession du navire; je ne vois rien qui autorise ou oblige la Cour à éviter la procédure prévue par la Loi et les Règles en désignant un agent qui, dans les faits, prendrait possession du navire et en assumerait la responsa- bilité. Même si l'espèce était de nature à justifier une ordonnance spéciale visant un cas particulier, il serait néanmoins nécessaire de procéder selon les
dispositions de la Règle 1003(11) pour obtenir l'ordonnance autorisant la personne désignée à prendre possession du navire et une telle procédure exige la garantie prévue par cette Règle.
L'avocat de la demanderesse a cité, pendant les débats, l'affaire Gwendolen Isle 2 dans laquelle un des paragraphes d'une ordonnance de publicité pour la vente du navire contenait une disposition qui nommait rétroactivement un agent pour assu- rer l'entretien du navire jusqu'à sa vente. Cepen- dant, le dossier ne fait pas état des raisons qui ont motivé une telle ordonnance et il ne semble pas que la question posée dans la présente affaire ait été soulevée ou discutée dans l'affaire Gwendolen Isle. De ce fait, on ne peut pas considérer selon moi que cette affaire ait déterminé ou établi un usage. C'est pourquoi l'ordonnance demandée doit être refusée.
Au cours des débats, j'ai indiqué à l'avocat de la demanderesse qu'il était possible, en l'espèce, de prononcer une ordonnance en vertu de la Règle 1003 (11), pour que le prévôt prenne possession du navire et puisse ensuite, en vertu d'une ordon- nance, être autorisé à se procurer l'assistance nécessaire, notamment celle d'un agent, pour la préservation et l'entretien du navire, mais j'ai cru comprendre que l'avocat n'était pas désireux de procéder de cette façon.
En conséquence, la demande doit être rejetée.
2 (N° du greffe: T-700-72, non publiée).
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