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T-872-78
In re la Loi sur la citoyenneté et in re Antonios E. Papadogiorgakis (Appelant)
Division de première instance, le juge en chef adjoint Thurlow—Halifax, les 26 et 27 juin; Ottawa, le 30 juin 1978.
Citoyenneté Résidence Centre du mode habituel de vie de l'appelant en Nouvelle-Écosse, même s'il poursuit des études dans une université aux É.-U. Physiquement présent au Canada pendant des périodes relativement courtes La question est de savoir si l'appelant peut être considéré comme un résident du Canada pendant ses périodes d'études dans une université aux É.-U. Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974- 75-76, c. 108, art. 5(1)b).
La demande de citoyenneté de l'appelant a été rejetée pour le motif qu'il ne remplissait pas les conditions de résidence exigées par l'alinéa 5(1)b) de la Loi sur la citoyenneté. Bien qu'il ait fait de la demeure d'amis canadiens le centre de son mode habituel de vie en Nouvelle-Écosse et qu'il y soit fréquemment retourné pendant qu'il était étudiant dans une université aux États-Unis, l'appelant a été physiquement présent au Canada seulement pendant des périodes relativement courtes. Le pré- sent appel porte sur la question de savoir si l'appelant était un résident du Canada, au sens de la loi, pendant ses périodes d'études dans une université aux États-Unis.
Arrêt: l'appel est accueilli. La Loi sur la citoyenneté ne contient aucune définition du «lieu de domicile» et n'a même pas utilisé cette expression, et la version française n'emploie pas l'expression «chaque année entière passée au Canada». Ainsi, une grande partie du raisonnement servant de base à l'interpré- tation n'est plus applicable et il faut attribuer aux mots «rési- dent» et «résidence» le sens ordinaire suivant le contexte dans lequel ils sont employés. L'appelant était, pendant toute la période pertinente, un résident dans la demeure de ses amis en Nouvelle-Écosse; il en a fait le centre de son mode habituel de vie. On ne peut pas considérer sa présence en ce lieu comme un «séjour» ou une «visite» au sens habituel de ces termes. Et lorsqu'il a quitté ce lieu dans le but provisoire de faire des études aux Etats-Unis, il n'a pas renoncé à faire de ce lieu le centre de son mode habituel de vie; sa vie a continué comme auparavant.
Distinction faite avec l'arrêt: Blaha c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration [1971] C.F. 521. Arrêt suivi: Thomson c. M.R.N. [1946] R.C.S. 209.
APPEL. AVOCATS:
Antonios E. Papadogiorgakis en son nom
personnel.
John D. Murphy, amicus curiae.
PROCUREURS:
Stewart, MacKeen & Covert, Halifax, pour l'amicus curiae.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT THURLOW: La demande de citoyenneté, faite par l'appelant, a été rejetée pour le motif que l'appelant ne remplissait pas les conditions de résidence exigées par l'alinéa 5(1)b) de la Loi sur la citoyenneté'. A tous autres égards, le juge de la citoyenneté a constaté que l'appelant remplissait les conditions requises, comme je l'ai constaté moi-même après examen des documents soumis à la Cour. Ainsi qu'il sera indiqué plus loin, le présent appel porte sur la question de savoir si l'appelant était un résident du Canada, au sens de la loi, pendant ses périodes d'études à l'université du Massachusetts à Amherst (Massachusetts).
Au moment du dépôt de la demande de l'appe- lant, le 6 décembre 1977, l'alinéa 5(1)b) disposait ainsi:
5. (1) Le Ministre doit accorder la citoyenneté à toute personne qui, n'étant pas citoyen, en fait la demande et qui
b) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, totalisé au moins trois ans de résidence au Canada calculés de la manière suivante:
(i) elle est censée avoir acquis un demi-jour de résidence pour chaque jour durant lequel elle résidait au Canada avant son admission légale au Canada à titre de résident permanent, et
(ii) elle est censée avoir acquis un jour de résidence pour chaque jour durant lequel elle résidait au Canada après son admission légale au Canada à titre de résident permanent;
L'appelant est en Crète et a maintenant 25 ans. Il n'est pas marié et n'a aucune famille ou parenté vivant au Canada. Il entra au Canada le 5 septembre 1970, avec un visa d'étudiant et fut admis comme résident permanent le 13 mai 1974. Pendant cette période, il fréquentait l'université Acadia à Wolfville (Nouvelle-Ecosse). Pendant la première année et demie, il a logé à l'université, ensuite dans une pension de famille à Wolfville, et, pendant sa troisième année, il a partagé un appar- tement à Wolfville avec trois autres personnes. Pendant la quatrième année, il a habité à Grand Pré (Nouvelle-Écosse). Pendant les vacances d'été, il travaillait sur un traversier entre Yarmouth
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(Nouvelle-Écosse) et Portland (Maine). C'est pen dant cette période qu'il établit des relations avec un ami et les parents de celui-ci, et, en mai 1974, il emménagea dans leur maison à Tusket (Nouvelle- Écosse). Depuis lors jusqu'en janvier 1978, il a occupé une chambre dans leur maison. Il y vivait lorsqu'il était au Canada et il y revenait après chaque voyage hors du Canada. Sans payer de loyer pour la chambre, il apportait sa contribution aux dépenses du ménage. Il était considéré comme un membre de la famille et il considérait cette maison comme son foyer canadien. Il y laissait ses biens personnels lorsqu'il faisait des voyages, mais la famille utilisait alors la chambre. Depuis 1973, il est copropriétaire d'une parcelle de terrain tout près.
Aux fins de sa demande, la période pertinente va du 6 décembre 1973 au 6 décembre 1977. Pendant la première partie de cette période, du 6 décembre 1973 au 13 mai 1974, soit 158 jours, il était un résident du Canada, mais il ne peut en appliquer que 79 à la condition des trois années nécessaires, car cette période était antérieure à son admission au Canada à titre de résident permanent.
Entre le 13 mai 1974 et le 6 décembre 1977, il fut absent du Canada plusieurs fois. Tout d'abord il a fréquenté l'université du Massachusetts du 28 janvier 1976 jusqu'à mi-juin de la même année, soit les quatre mois et demi d'un semestre universi- taire. Il revint ensuite à Tusket (Nouvelle-Écosse), mais il partit en vacances du 28 juillet au 28 août.
Du début de septembre jusqu'à mi-décembre, puis de la fin de janvier 1977 jusqu'en août 1977, il a de nouveau fréquenté l'université du Massachu- setts mais est revenu à Tusket pendant les vacan- ces de Noël. Durant son séjour à l'université, il revenait aussi deux fins de semaine par mois à Tusket. En allant au Massachusetts, son seul but était de continuer ses études et, en effet, après sa période d'étude totalisant environ treize mois, il en sortit avec les diplômes de Master of Business Administration et Master of Hotel, Restaurant and Travel Administration. Il n'a pas travaillé au Massachusetts pendant cette période.
Pendant son séjour au Massachusetts, il vivait dans un vieil autobus d'écolier qu'il avait trans-
formé en un appartement et le véhicule gardait toujours son numéro d'immatriculation de Nou- velle-Écosse. Il payait ses frais d'étude par des prêts d'étudiant et par une bourse d'étudiant étranger à lui accordée à titre d'étudiant canadien.
Du 4 octobre 1977 au 3 décembre 1977, il s'est absenté du Canada pour d'autres vacances.
Ainsi, en 1976 et 1977, l'appelant a été physi- quement présent au Canada seulement pendant des périodes relativement courtes, quoique fré- quentes. Il s'agit de déterminer s'il continuait à, être un résident du Canada au sens de la loi alors qu'il était absent pour faire des études à l'univer- sité du Massachusetts. Si la réponse est affirma tive, il remplit l'exigence de la loi car, si ces périodes d'étude peuvent être prises en considéra- tion, il aura démontré qu'il a résidé pendant toute la période d'environ trois ans et demi qui va du 13 mai 1974 au 6 décembre 1977, sous réserve seule- ment des périodes de vacances qui, de toute façon, ne peuvent rien changer au résultat final et n'ont donc pas besoin, à mon avis, d'être prises en considération.
Je devrais ajouter que rien ne prouve que l'appe- lant a été absent du Canada depuis le 6 décembre 1977, et qu'il a apporté des preuves de son projet d'ouvrir sa propre entreprise en Nouvelle-Écosse.
Passons maintenant à l'interprétation des termes «résidence» et «résident» employé dans l'alinéa 5(1)b) de la Loi.
Dans Blaha c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration', le juge Pratte a adopté une interprétation des termes correspondants dans l'an- cienne loi, la Loi sur la citoyenneté canadienne', laquelle interprétation est plus restrictive que le sens habituel. Il s'est ainsi prononcé aux pages 524 et 525:
La Loi sur la citoyenneté canadienne ne définit pas les termes «résider» ou «résidence». On peut cependant noter qu'elle définit l'expression «lieu de domicile» de la façon suivante:
2. «lieu de domicile» signifie l'endroit une personne a son logis, ou dans lequel elle réside, ou auquel elle retourne comme à sa demeure permanente, et ne signifie pas un endroit elle séjourne pour une fin spéciale ou temporaire seulement;
2 [1971] C.F. 521.
3 S.R.C. 1970, c. C-19.
Les mots «résider» et «résidence» n'étant pas définis par la loi il faut, pour en préciser le sens, se référer à leur signification ordinaire sous cette seule réserve qu'il semble évident qu'on ne peut leur donner un sens qui soit identique à celui que le législateur a donné à l'expression «dieu de domicile».
Or ces deux mots, «résider» et «résidence», n'ont pas, en droit de signification précise; leur sens varie suivant le contexte ils sont employés. Ayant à déterminer le sens de ces termes dans la Loi sur la citoyenneté canadienne, je ne peux donc me référer aux décisions les tribunaux ont eu à préciser la signification de ces mêmes mots dans d'autres lois, comme une loi fiscale (Thomson c. M.R.N. [1946] R.C.S. 209), une loi électorale (Re An Election in St. John's South, Newfoundland (1960) 22 D.L.R. (2d) 288)), ou une loi de procédure (Ethier y. Nault [1952] B.R. 216).
A mon avis, une personne ne réside au Canada, au sens de la Loi sur la citoyenneté canadienne que si elle se trouve physi- quement présente (d'une façon au moins habituelle) sur le territoire canadien. Cette interprétation me semble conforme à l'esprit de la loi qui me paraît exiger de l'étranger qui veut acquérir la citoyenneté canadienne, non seulement qu'il possède certaines qualités civiques et morales et désire se fixer au Canada de façon permanente, mais aussi qu'il ait effectivement vécu au Canada pendant assez longtemps. Ainsi, le législateur veut-il s'assurer que la citoyenneté canadienne ne soit accordée qu'à ceux-là qui ont démontré leur aptitude à s'intégrer dans notre société.
Cette interprétation, d'ailleurs, est confirmée par la compa- raison que l'on peut faire des versions anglaise et française du sous-alinéa (1)c)(i) de l'article 10. L'expression «each full year of residence in Canada» qui apparaît dans le texte anglais de ce sous-alinéa a été traduite, dans le texte français par les mots «chaque année entière passée au Canada».
Si, comme je le pense, il faut donner ce sens restreint au mot «résider», il est évident que le tribunal a eu raison de décider que l'appelant n'a résidé au Canada ni pendant cinq des huit années, ni pendant douze des dix-huit mois, ayant précédé immédiatement la date de sa demande.
Je voudrais dire dès maintenant que, si la Loi sur la citoyenneté canadienne était encore en vigueur et applicable au présent cas, j'aurais adopté et suivi le raisonnement précité, comme l'ont fait d'autres juges de la Cour, et, en consé- quence, je rejetterais l'appel. Mais la nouvelle loi applicable à la présente affaire, la Loi sur la citoyenneté, ne contient aucune définition du «lieu de domicile» et n'a même pas utilisé cette expres sion, et la version française n'emploie pas l'expres- sion «chaque année entière passée au Canada». Ainsi, une grande partie du raisonnement servant de base à l'interprétation n'est plus applicable, et la seule possibilité qui reste est d'interpréter les mots «résidence» et «résident» en leur attribuant le sens ordinaire suivant le contexte dans lequel ils sont employés.
Dans Thomson c. M.R.N. 4 , la Cour suprême a examiné le sens de l'expression «ordinairement résident» dans le contexte d'une loi imposant des taxes sur des personnes «ordinairement résidentes» au Canada. Le juge Rand s'est ainsi prononcé aux pages 224 et 225:,
[TRADUCTION] La progression par degrés en ce qui concerne le temps, l'objet, l'intention, la continuité et les autres circons- tances pertinentes, montre que, dans le langage ordinaire, le terme «résidant» ne correspond pas à des éléments invariables qui doivent tous être présents dans chaque cas donné. Il est tout à fait impossible d'en donner une définition précise et applica ble à tous les cas. Ce terme est très souple, et ses nuances nombreuses varient non seulement suivant le contexte de diffé- rentes matières, mais aussi suivant les différents aspects d'une même matière. Dans un cas donné, on y retrouve certains éléments, dans d'autres, on en trouve d'autres dont certains sont fréquents et certains autres nouveaux.
L'expression «résidence ordinaire» a un sens restrictif et, alors qu'à première vue elle implique une prépondérance dans le temps, les décisions rendues en vertu de la Loi anglaise ont rejeté ce point de vue. On a jugé qu'il s'agit de résidence au cours du mode habituel de vie de la personne en question, par opposition à une résidence spéciale, occasionnelle ou fortuite. Pour appliquer le critère de la résidence ordinaire, il faut donc examiner le mode général de vie.
Aux fins de la législation de l'impôt sur le revenu il est nécessaire de considérer que chaque personne a, en tout temps une résidence.
Mais dans les différentes situations de prétendues «résidences permanentes», «résidences temporaires», «résidences ordinaires», «résidences principales» et ainsi de suite, les adjectifs n'influent pas sur le fait qu'il y a dans tous les cas résidence; cette qualité dépend essentiellement du point jusqu'auquel une personne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances, au lieu en question. Il se peut qu'elle soit limitée en durée dès le début, ou qu'elle soit indéterminée, ou bien, dans la mesure envisagée, illimitée. Sur un plan inférieur, les expressions comportant le terme résidence doivent être distinguées, comme elles le sont je crois dans le langage ordi- naire, du concept de «séjour» ou de «visite».
Même si le cas précité examine une loi fiscale, la discussion me paraît suffisamment générale pour servir de guide dans l'interprétation du sens des mots faisant l'objet du litige dans la présente espèce. D'un autre côté, il ne faut pas oublier ce que le juge Pratte a mentionné comme étant l'es- prit de la loi concernant la citoyenneté. 41 me semble que les termes «résidence» et «résident» employés dans l'alinéa 5(1)b) de la nouvelle Loi sur la citoyenneté ne soient pas strictement limités à la présence effective au Canada pendant toute la
4 [1946] R.C.S. 209.
période requise, ainsi que l'exigeait l'ancienne loi, mais peuvent aussi comprendre le cas de personnes ayant un lieu de résidence au Canada, qu'elles utilisent comme un lieu de domicile dans une mesure suffisante fréquente pour prouver le carac- tère effectif de leur résidence dans ce lieu pendant la période pertinente, même si elles en ont été absentes pendant un certain temps>Cette interpré- tation n'est peut-être pas très différente de l'excep- tion à laquelle s'est référé le juge Pratte lorsqu'il emploie l'expression «(d'une façon au moins habi- tuelle)», mais, dans un cas extrême, la différence peut suffire pour mener le requérant au succès ou à la défaite.
Une personne ayant son propre foyer établi, elle habite, ne cesse pas d'y être résidente lors- qu'elle le quitte à des fins temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances ou même pour poursuivre des études. Le fait que sa famille continue à y habiter durant son absence peut appuyer la conclusion qu'elle n'a pas cessé d'y résider. On peut aboutir à cette conclusion même si l'absence a été plus ou moins longue. Cette conclusion est d'autant mieux établie si la per- sonne y revient fréquemment lorsque l'occasion se présente. Ainsi que l'a dit le juge Rand dans l'extrait que j'ai lu, cela dépend [TRADUCTION] «essentiellement du point jusqu'auquel une per- sonne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cor- tège de relations sociales, d'intérêts et de conve- nances, au lieu en question».
Appliquant cette interprétation quelque peu élargie aux circonstances de l'espèce, je suis d'avis que l'appelant était, pendant toute la période perti- nente, de mai 1974 décembre 1976, un résident dans la demeure de ses amis à Tusket (Nouvelle- Écosse). Il n'était pas propriétaire de la maison, mais il en a fait le centre de son mode habituel de vie en mai 1974. Il y a habité pendant le reste de l'année 1974 et toute l'année 1975. On ne peut pas considérer sa présence en ce lieu comme un «séjour» ou une «visite», au sens habituel de ces termes. Et, lorsqu'en 1976 il a quitté ce lieu pour aller dans une université, il ne l'a fait que dans le but provisoire de faire des études. Il a quitté sans renoncer à faire de ce lieu le centre de son mode habituel de vie. Il a pris ce qui était nécessaire à son séjour au Massachusetts, mais il a laissé le
reste de ses effets personnels dans la maison il avait habité. Et il y est revenu à intervalles rappro- chés pour des fins de semaines et pour les vacances de Noël et d'été. Et il y est revenu à la fin de ses études. Il me paraît avoir fait de cette maison le centre de son mode habituel de vie pendant plus d'un an et demi avant de poursuivre ses études à l'université et il a continué à le faire même alors qu'il était à l'université. A mon avis, sa vie a continué comme auparavant, sous réserve seule- ment de la nécessité pour lui de s'en absenter dans le but provisoire de faire des études.
Je conclus donc que l'appelant remplit la condi tion de résidence énoncée dans l'alinéa 5(1)b) de la Loi et que l'appel réussit.
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