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A-46-77
Association des Gens de l'Air du Québec Inc., Roger Demers et Pierre Beaudry (Appelants) (Demandeurs)
C.
L'honorable Otto Lang et le procureur général du Canada (Intimés) (Défendeurs)
et
Canadian Air Traffic Control Association Inc. (CATCA), Canadian Air Line Pilots Association (CALPA), le procureur général du Québec et Keith Spicer (Mis-en cause)
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain, le juge suppléant Hyde—Montréal, le 3 avril; Ottawa, le 27 juin 1978.
Couronne Aéronautique Appel contre un jugement confirmant la validité de l'Ordonnance sur les normes et méthodes des communications aéronautiques Matière rela tive aux communications verbales dans l'aéronautique Usage du français autorisé dans certains cas, mais la langue anglaise doit être exclusivement employée dans tous les autres cas L'Ordonnance est-elle valable? Loi sur l'aéronauti- que, S.R.C. 1970, c. A-3, art. 6(1),(2),(5)— Loi sur les langues officielles, S.R.C. 1970, c. O-2, art. 2 Déclaration cana- dienne des droits, S.C. 1960, c. 44 /S.R.C. 1970, App. 1111, art. 2 Règlement de l'Air, DORS/61-10 modifié par DORS/69- 627, art. 104k) Ordonnance sur les normes et méthodes des communications aéronautiques, DORS/76-551, art. 7.
Il s'agit d'un appel contre un jugement rendu par la Division de première instance rejetant une action intentée par les appe- lants principalement aux fins d'obtenir l'annulation de l'Ordon- nance sur les normes et méthodes des communications aéro- nautiques. L'Ordonnance concerne les langues à employer dans les communications verbales aéronautiques; elle autorisait l'em- ploi du français dans certains cas, mais exigeait l'emploi exclu- sif de l'anglais dans toutes les autres circonstances. Les appe- lants allèguent que l'Ordonnance n'est pas valable pour les motifs que: (1) la Loi sur l'aéronautique n'a pas habilité le Ministre à rendre cette ordonnance, (2) l'Ordonnance est en contradiction avec les dispositions de la Loi sur les langues officielles, (3) même si le Ministre n'a pas excédé ses pouvoirs en rendant l'Ordonnance, il a exercé ces pouvoirs dans un but non prévu par la Loi, et (4) l'Ordonnance est discriminatoire et en contradiction avec la Déclaration canadienne des droits.
Arrêt: l'appel est rejeté.
Le juge Pratte: Le pouvoir du Ministre de rendre cette ordonnance repose sur la question de savoir si la langue est une «méthode» de communication. Comme les appelants ont admis que la parole et le vocabulaire sont des méthodes de communi cation, ils ne peuvent pas nier qu'une langue employée pour communiquer fait partie des méthodes de communication. Même si le français est considéré comme une langue officielle coutumière pour le Québec, il n'y a aucune contradiction entre
ce statut et la possibilité que l'emploi du français soit interdit dans l'aéronautique pour des motifs de sécurité. L'égalité prévue dans la Loi sur les langues officielles est relative. Cette loi ne diminue en rien le pouvoir du Ministre de rendre une ordonnance en vertu de la Loi sur l'aéronautique, et l'interdic- tion de l'usage du français dans les communications aériennes n'est pas en contradiction avec ce principe d'égalité, s'il est plus dangereux d'employer le français que l'anglais. L'Ordonnance ne viole pas le principe de «l'égalité devant la loi», prévu dans la Déclaration canadienne des droits, car elle traite les anglopho- nes et les francophones de façon identique. Les uns et les autres sont autorisés, dans les cas que l'Ordonnance détermine, à parler français et la prescription suivant laquelle, hors ces cas, l'anglais est la seule langue autorisée, s'applique aux uns comme aux autres. Quoique le Ministre ait pu céder à la pression des syndicats en rendant cette ordonnance, ce fait n'amène pas à conclure qu'il y a eu détournement de pouvoir, et n'a aucun effet sur la validité de l'Ordonnance.
Le juge Le Dain (le juge suppléant Hyde souscrivant): Le pouvoir de déterminer la ou les langues à employer dans les communications aéronautiques, afin d'assurer la sécurité de la navigation aérienne, doit s'appliquer à toutes communications semblables partout au Canada et à toute langue utilisée, compte tenu du caractère international de l'aéronautique. Étant donné le champ d'application nécessaire de ce pouvoir en vertu de la Loi sur l'aéronautique, on ne peut pas déduire du libellé de la Loi sur les langues officielles que le Parlement a voulu que ce pouvoir soit subordonné aux dispositions de cette der- nière loi. Ce serait justement le cas si l'on concluait que la Loi sur les langues officielles doit s'appliquer dans le domaine du contrôle du trafic aérien sans tenir compte de l'obligation de veiller à la sécurité de la navigation aérienne en vertu de la Loi sur l'aéronautique. Seule une intention législative exprimée de façon parfaitement claire pourrait justifier une telle conclusion.
APPEL. AVOCATS:
Guy Bertrand et Gilles Grenier pour les appe- lants (demandeurs).
Gaspard Côté, c.r., et Michel Robert pour les intimés (défendeurs).
Gary Q. Ouellet pour Canadian Air Traffic Control Association Inc. (CATCA) (mis-en- cause).
Louis Crête pour le procureur général du Québec (mis-en cause).
Robert Buchan et Lynn Kassie pour Keith Spicer (mis-en-cause).
PROCUREURS:
Bertrand, Otis & Grenier, Québec, pour les appelants (demandeurs).
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés (défendeurs).
Levasseur, Ouellet, Morneau, Plourde & Lévesque, Québec, pour Canadian Air Traffic
Control Association Inc. (CATCA) (mis-en- cause).
Le procureur général du Québec pour son propre compte (mis-en-cause).
Gowling & Henderson, Ottawa, pour Keith Spicer (mis-en-cause).
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE PRATTE: Ce pourvoi est dirigé contre le jugement de la Division de première instance qui a rejeté l'action que les appelants avaient intentée dans le but principal de faire annuler l'Ordonnance sur les normes et méthodes des communications aéronautiques édictée par le ministre des Trans ports du Canada le 27 août 1976. 2 Cette ordon- nance, relative aux langues qui peuvent être utili sées dans les communications parlées en aéronautique, autorise l'usage du français en cer- tains cas et impose l'usage exclusif de l'anglais en toutes autres circonstances.
Les appelants soutiennent que l'Ordonnance est nulle pour quatre motifs:
a) Le Ministre n'avait pas, suivant la Loi sur l'aéronautique (S.R.C. 1970, c. A-3), le pouvoir de l'édicter;
b) elle contredit la Loi sur les langues officiel- les (S.R.C. 1970, c. O-2);
c) si le Ministre n'a pas excédé sa compétence en édictant l'Ordonnance, il a, en tout cas, exercé ses pouvoirs pour une fin autre que celle prévue par la Loi;
d) l'Ordonnance est discriminatoire et, en cela, contrevient à la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44 (S.R.C. 1970, App. III).
Il convient d'étudier chacun de ces moyens dont seuls les trois premiers ont été soulevés en pre- mière instance.
I—La compétence du Ministre en vertu de la Loi sur l'aéronautique
L'Ordonnance attaquée a été établie par le Ministre en vertu de l'article 104k) du Règlement de l'Air qui a été lui-même édicté en vertu de l'article 6 de la Loi sur l'aéronautique.
1 [1977] 2 C.F. 22.
2 DORS/76-551, Gazette du Canada du Pr septembre 1976.
L'article 6(1) de la Loi sur l'aéronautique permet au Ministre d'établir, avec l'approbation du gouverneur en conseil, «des règlements pour contrôler et régler la navigation aérienne au Canada» et, plus particulièrement, les «règlements qui peuvent être jugés nécessaires pour la naviga tion sûre et convenable des aéronefs au Canada». Ces règlements, suivant l'article 6(2), peuvent «autoriser le Ministre à établir des ordonnances ou des directives, concernant les matières tombant sous le présent article, ...». Celui qui contrevient à une ordonnance ainsi établie par le Ministre est coupable d'une infraction et encourt, aux termes de l'article 6(5), «une amende d'au plus mille dollars ou un emprisonnement d'au plus six mois, ou à la fois l'amende et l'emprisonnement.»
Le 8 novembre 1969, le Ministre se prévalait de ses pouvoirs en vertu de l'article 6(2) et édictait l'article 104 du Règlement de l'Air 3 dont seule la partie ci-après citée est pertinente au litige:
104. Le Ministre peut établir des ordonnances ou des directi ves qui prescrivent des normes relatives à la surveillance et au contrôle de l'aéronautique, ... et, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, il peut établir des ordonnances ou des directives qui prescrivent des normes et des conditions relativement à ce qui suit:
k) la normalisation des équipements, systèmes et méthodes de communications employés en navigation aérienne; ...
L'Ordonnance dont les appelants demandent l'annulation a été édictée en vertu de cet article 104; elle porte sur les langues qui peuvent être utilisées dans les communications parlées en navi gation aérienne. Les appelants prétendent qu'elle excède la compétence du Ministre parce que, disent-ils, les langues ne sont pas «des équipe- ments, systèmes et méthodes de communications».
Il va de soi que les langues ne sont ni des «équipements» ni des «systèmes» de communica tion. Le seul problème est celui de savoir si la langue est bien, comme l'a décidé le premier juge, une «méthode» de communication.
Les appelants affirment dans leur mémoire que
Dans le contexte de l'article 104K du Règlement de l'air, les mots «méthode de communications» signifient «façon d'effec- tuer la communication», c'est-à-dire, soit par signaux visuels, tels que lumières ou drapeaux, soit par écriture, soit par
3 DORS/69-627, Gazette du Canada du 24 décembre 1969.
signaux sonores, tels que morse ou autres formes de langage (ce qu'on appelle la communication en phonie).
Au soutien de cette prétention, leur avocat a d'abord dit que l'expression «méthodes de commu nication» a, en droit aérien international, un sens précis qui exclut la langue; il a cependant été incapable d'établir le bien-fondé de cette affirma tion. Il a aussi soutenu qu'il faut interpréter la Loi de façon à ne pas accorder au Ministre le droit de réglementer la langue des communications en aéronautique parce qu'on ne peut présumer que le législateur ait voulu habiliter le Ministre à modi fier la coutume qui, bien avant la Loi sur les langues officielles, a fait du français une langue officielle au Québec. Cet argument ne me convainc pas. Prenant pour acquis que l'avocat des appe- lants ait raison de dire que la coutume a depuis longtemps fait du français une langue officielle au Québec, je ne vois aucune contradiction entre ce statut coutumier de langue officielle et la possibi- lité que l'usage du français, pour des raisons de sécurité, soit prohibé en aéronautique. Du seul fait qu'une langue soit officielle, il ne s'ensuit pas nécessairement, à mon avis, qu'on puisse l'utiliser en toutes circonstances.
L'expression «méthodes de communication» est générale. Les appelants admettent que la parole ainsi que le vocabulaire sont des méthodes de communication; cela étant, je ne vois pas comment ils peuvent nier que la langue utilisée pour commu- niquer fasse, elle aussi, partie des méthodes de communication. A mon avis, le premier juge a eu raison de rejeter ce premier moyen des appelants.
II—L'Ordonnance et la Loi sur les langues officielles
Les appelants prétendent que l'Ordonnance du ministre des Transports est illégale en ce qu'elle contrevient à la Loi sur les langues officielles entrée en vigueur le 7 septembre 1969. L'essentiel de leur argumentation sur ce point peut être facile- ment résumé. L'article 2 de la Loi sur les langues officielles proclame que le français et l'anglais jouissent d'un statut égal au Canada; l'Ordon- nance contredit ce principe puisqu'elle prohibe l'usage du français en certains cas et ne prohibe pas l'usage de l'anglais. Les deux langues ne jouis- sent pas d'un statut égal, disent les appelants, s'il est permis de parler l'une alors qu'on ne peut
utiliser l'autre sans commettre une offense pénale. 4
Cet argument, frappant au premier abord, ne résiste pas à l'examen.
L'article 2 de la Loi sur les langues officielles ainsi que le sous-titre qui le précède se lisent comme suit:
DÉCLARATION DU STATUT DES LANGUES
2. L'anglais et le français sont les langues officielles du Canada pour tout ce qui relève du Parlement et du gouverne- ment du Canada; elles ont un statut, des droits et des privilèges égaux quant à leur emploi dans toutes les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada.
La notion de «langue officielle» est assez impré- cise. Elle se réfère à la langue utilisée par l'admi- nistration dans ses relations avec le public. Dire que l'anglais et le français sont langues officielles, c'est tout simplement affirmer que ces deux lan- gues sont celles qui sont normalement utilisées dans les communications entre l'État et les citoyens. L'Ordonnance attaquée, à mon avis, ne contredit pas la première partie de l'article 2 de la Loi sur les langues officielles parce que, comme je l'ai déjà dit, une langue peut être officielle dans un pays même si, pour des motifs de sécurité, son usage est prohibé en certaines circonstances exceptionnelles.
Ce n'est d'ailleurs pas sur la première partie de l'article 2 que l'avocat des appelants a fondé son argumentation, mais bien sur la seconde partie de cette disposition qui affirme l'égalité des deux langues. A ce sujet, il faut remarquer que l'égalité proclamée par l'article 2 ne peut être une égalité absolue qui supposerait nécessairement, entre autres choses, que les deux langues soient utilisées aussi fréquemment l'une que l'autre. Cette égalité est, à mon sens, une égalité relative qui exige seulement que les deux langues soient, dans des circonstances identiques, traitées de même façon. Si, comme certains le prétendent, il était plus dangereux d'utiliser le français que l'anglais dans les communications aériennes au Canada et au Québec, il me semble que l'on pourrait, sans con- tredire le principe d'égalité consacré par l'article 2,
4 Les appelants ont aussi prétendu, encore qu'ils n'aient pas insisté sur ce moyen à l'audience, que l'Ordonnance attaquée contrevient à l'article 10 de la Loi sur les langues officielles. Le premier juge a rejeté cette prétention et je ne crois pas qu'il y ait lieu de rien ajouter à ce qu'il a dit sur ce point.
prohiber l'usage du français dans ce genre de communications. Car, le fait qu'il soit plus dange- reux de parler français qu'anglais dans l'air serait une circonstance qui autoriserait à traiter les deux langues de façons différentes. Pour ces raisons, je ne pense pas que l'Ordonnance attaquée, du seul fait qu'elle interdise l'usage du français et per- mette l'usage de l'anglais, contrevienne à l'article 2 de la Loi sur les langues officielles.
J'ajouterai qu'à mon avis, même si l'Ordon- nance venait en conflit avec l'article 2, il ne s'en- suivrait pas qu'elle soit illégale. A ne considérer que la Loi sur l'aéronautique, le Ministre avait le pouvoir d'édicter cette ordonnance. Si les appe- lants avaient raison de dire qu'il n'en est plus ainsi depuis l'adoption de la Loi sur les langues officiel- les, ce serait nécessairement parce que cette der- nière loi aurait eu pour effet de limiter le pouvoir conféré par l'article 6 de la Loi sur l'aéronautique d'établir les règlements «jugés nécessaires pour la navigation sûre et convenable des aéronefs au Canada». Or, à mon sens, ce pouvoir réglementaire (dans la mesure son exercice est dicté par des impératifs de sécurité) est demeuré, après la mise en vigueur de la Loi sur les langues officielles, ce qu'il était auparavant. Je ne peux croire que le Parlement, en proclamant l'égalité du français et de l'anglais «dans toutes les institutions du Parle- ment et du gouvernement du Canada», ait entendu limiter le pouvoir du ministre des Transports d'édicter les règlements qu'il jugeait nécessaires pour assurer la sécurité de la navigation aérienne.
III—Le Ministre a-t-il utilisé son pouvoir pour des fins autres que celles prévues par la Loi?
L'Ordonnance attaquée, au dire des appelants, a été édictée par le Ministre pour satisfaire aux exigences de la Canadian Air Traffic Control Association Inc. (CATCA) et de la Canadian Air Line Pilots Association (CALPA) qui refusaient de mettre fin à la grève qui paralysait alors le trafic aérien au pays à moins que le Ministre n'empêche, au moins temporairement, que l'usage du français ne se généralise dans les communica tions aériennes au Québec. Ce faisant, le Ministre, prétendent les appelants, s'est rendu coupable de détournement de pouvoir puisqu'il a utilisé dans le but de mettre fin à une grève un pouvoir que la Loi lui accordait pour lui permettre d'assurer la sécu- rité de la navigation aérienne.
A mon avis, le premier juge a eu raison de rejeter cet argument. Tout ce que révèle le dossier c'est que le Ministre, en établissant l'Ordonnance attaquée, a cédé aux pressions qu'exerçaient la CATCA et la CALPA. Or, on ne peut, de cela seulement, conclure qu'il y ait eu détournement de pouvoir. Il arrive chaque jour que des autorités investies de pouvoirs réglementaires obéissent, dans l'exercice de leurs pouvoirs, aux pressions de l'opinion publique. Les actes qu'elles posent alors n'en sont pas moins valides encore qu'il soit permis, souvent avec raison, d'en critiquer la sagesse et l'opportunité.
IV—L'Ordonnance est une mesure discriminatoire qui contrevient à la Déclaration canadienne des droits
Le dernier argument des appelants, qu'ils n'ont pas fait valoir en première instance, est que l'Or- donnance est discriminatoire et, à cause de cela, contraire au principe de «l'égalité devant la loi» que consacre l'article 2 de la Déclaration cana- dienne des droits. L'Ordonnance est discrimina- toire, suivant les appelants, en ce qu'elle permet aux anglophones de toujours utiliser leur langue maternelle alors qu'elle refuse le même droit aux francophones.
Je ne comprends pas cet argument. Une loi est discriminatoire et contraire au principe de l'égalité devant la loi, si, sans raison valable, elle prescrit que des personnes qui sont dans des situations identiques soient traitées de façons différentes. Rien de tel n'existe ici. L'Ordonnance traite de même façon francophones et anglophones: les uns et les autres sont autorisés, dans les cas que l'Or- donnance détermine, à parler français et la. pres cription suivant laquelle, hors ces cas, l'anglais est la seule langue autorisée, s'adresse aux uns comme aux autres.
En réalité, ce que les appelants reprochent à l'Ordonnance c'est précisément de traiter de façon identique des personnes qui, parce qu'elles sont de langues différentes, devraient être traitées de façons différentes. Je n'ai pas à dire si ce reproche est fondé car, même s'il l'était, l'Ordonnance n'en serait pas pour autant discriminatoire et ne contre- dirait pas, à cause de cela, le principe de l'égalité devant la loi qui, il ne faut pas l'oublier, assure l'égalité des personnes, non celle des langues.
Pour tous ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Le principal motif d'attaque contre la validité de l'Ordonnance sur les normes et méthodes des communications aéronautiques, laquelle interdit l'utilisation de la langue française dans le contrôle du trafic aérien, sauf dans une certaine mesure définie et limitée, est que l'Ordon- nance serait en contradiction avec l'article 2 de la Loi sur les langues officielles, dont voici le libellé:
2. L'anglais et le français sont les langues officielles du Canada pour tout ce qui relève du Parlement et du gouverne- ment du Canada; elles ont un statut, des droits et des privilèges égaux quant à leur emploi dans toutes les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada.
Suivant mon interprétation de l'article 2, celui-ci est plus qu'une simple déclaration de principe ou l'expression d'un but ou d'un idéal général. Il l'est par rapport à la Loi sur les langues officielles dans son ensemble—l'expression de l'esprit princi pal de la Loi auquel d'autres dispositions de la Loi se réfèrent—mais il est également l'affirmation du statut officiel des deux langues et du droit strict d'employer le français, tout comme l'anglais, dans les institutions du gouvernement fédéral. D'autres articles de la Loi, tels que les articles 9 et 10, réglementent les modalités d'application afin d'en faire un droit effectif et une réalité pratique. Le principal problème consiste à fournir des employés bilingues en nombre suffisant dans la fonction publique pour veiller à ce que, suivant le libellé de l'article 9, «le public puisse communiquer avec eux et obtenir leurs services dans les deux langues officielles. D'autres dispositions de la Loi impo- sent des obligations spécifiques aux institutions du gouvernement du Canada pour donner effet au statut officiel des deux langues, mais l'article 2 paraît être la seule disposition de laquelle peut découler un droit d'employer le français ou l'an- glais comme langue de travail et comme langue de service dans le gouvernement fédéral. A mon humble avis, l'article 2 est, à ce titre, plus qu'une simple disposition introductive, il est plutôt le fon- dement juridique de l'emploi du français, comme de l'anglais, dans la fonction publique du Canada, que ce soit comme fonctionnaire ou comme
membre du public traitant avec lui. Bien entendu, la mise en application pratique nécessaire afin d'en faire un droit effectif est une toute autre histoire. C'est la principale raison d'être du bureau du Commissaire aux langues officielles à qui il incombe de veiller au respect de la Loi. Les rap ports annuels du Commissaire montrent que la mise en application est un processus long et difficile.
En l'espèce, le litige ne porte pas réellement sur la mise en application de la Loi—fournir des employés bilingues en nombre suffisant pour per- mettre le contrôle du trafic aérien en français comme en anglais dans la province de Québec—il s'agit plutôt du droit strict à employer le français dans le contrôle du trafic aérien. Il est interdit aux contrôleurs et aux pilotes d'employer le français, sauf dans la mesure permise par l'Ordonnance. Dans ses articles 3 à 6 inclus, l'Ordonnance définit les circonstances dans lesquelles l'emploi du fran- çais est permis. Voici le libellé de l'article 7:
7. Sauf les cas d'autorisation des articles 3 à 6, il est interdit à quiconque exploite une station aéronautique de radio au Canada de transmettre des services consultatifs, des autorisa- tions, instructions ou méthodes du contrôle de la circulation aérienne, ou d'y répondre, dans une autre langue que l'anglais.
C'est précisément la disposition attaquée, parce qu'elle serait en contradiction avec l'article 2 de la Loi sur les langues officielles. Dans la mesure l'article 7 de l'Ordonnance refuse le droit strict d'employer le français dans la division du gouver- nement fédéral qui assure le service public de contrôle du trafic aérien, en toute déférence je ne vois pas comment on pourrait le réconcilier avec l'article 2 de la Loi. A mon avis, il me paraît en contradiction avec le droit strict reconnu par ce dernier article. Il s'agit de savoir si cette contradic tion rend l'Ordonnance nulle.
En l'espèce, l'Ordonnance ne peut être valide que si elle s'appuie sur un texte de loi indépendant qui n'est pas affecté par la Loi sur les langues officielles. Ainsi que le montre le préambule, l'Or- donnance a été rendue conformément au paragra- phe 6(2) de la Loi sur l'aéronautique et à l'alinéa 104k) du Règlement de l'Air. Voici le libellé du paragraphe 6(2):
6....
(2) Tout règlement édicté en vertu du paragraphe (1) peut autoriser le Ministre à établir des ordonnances ou des directi-
ves, concernant les matières tombant sous le présent article, ainsi que les règlements peuvent le prescrire.
Les paragraphes 6(1) et 6(2) sont les mêmes que les paragraphes 4(1) et 4(2), respectivement, de la Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1952, c. 2. Le Règlement de l'Air a été édicté en 1960 (DORS/ 61-10, Gazette du Canada, Partie II, 11 janvier 1961). L'article 104 du Règlement a été adopté le 8 novembre 1969 comme l'une des diverses modifi cations apportées au Règlement édicté conformé- ment à l'article 4 de la Loi alors en vigueur. Il faisait ainsi partie du Règlement édicté en vertu du paragraphe (1) de ce qui était alors l'article 4 et est devenu l'article 6, et il se couvre ainsi de l'autorité du paragraphe (2) dudit article. Il faut remarquer que l'article 104 constitue une autorisa- tion générale couvrant un certain nombre de matières relevant du paragraphe 6(1), et non pas une autorisation d'établir des ordonnances ou des directives concernant des matières régies par un article spécial ou une partie du Règlement. Le Règlement renferme par ailleurs d'autres autorisa- tions de ce genre. On n'a toutefois pas laissé entendre dans l'argumentation que le caractère général et étendu de l'article 104 ferait de cet article une partie moins valable d'un règlement édicté en vertu de ce qui est à présent le paragra- phe 6(1) de la Loi. Je fais ces remarques parce que le paragraphe 6(2) n'a évidemment pas pour objet de fournir un moyen de se soustraire à l'exigence de l'approbation par le gouverneur en conseil de tout règlement édicté par le Ministre conformé- ment au paragraphe 6(1), mais on n'a pas fait une telle objection à l'article 104. Voici le libellé de l'alinéa k) dudit article qui sert de fondement à l'ordonnance:
104. Le Ministre peut établir des ordonnances ou des directi ves qui prescrivent des normes relatives à la surveillance et au contrôle de l'aéronautique, ainsi qu'aux conditions dans lesquel- les les aéronefs immatriculés en vertu du présent règlement peuvent être exploités et, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, il peut établir des ordonnances ou des directives qui prescrivent des normes et des conditions relativement à ce qui suit:
k) la normalisation des équipements, systèmes et méthodes de communications employés en navigation aérienne; ...
L'alinéa 104k) se rapporte à des matières rele vant du paragraphe 6(1) de la Loi, comme l'exige le paragraphe 6(2) de la Loi, et plus spécialement des alinéas 6(1)d) et i) dont voici le libellé:
6. (1) Sous réserve de l'approbation du gouverneur en con- seil, le Ministre peut établir des règlements pour contrôler et régler la navigation aérienne au Canada, y compris la mer territoriale du Canada et toutes les eaux du côté de la ligne de base qui fait face à la terre, ainsi que les conditions dans lesquelles un aéronef enregistré au Canada peut être mis en service au-dessus de la haute mer ou d'un territoire qui n'est pas à l'intérieur du Canada; et, sans restreindre la généralité de ce qui précède, il peut édicter des règlements concernant:
d) les conditions dans lesquelles les aéronefs peuvent être utilisés ou mis en service;
i) l'établissement et l'application des principes de droit, règles et règlements qui peuvent être jugés nécessaires pour la navigation sûre et convenable des aéronefs au Canada, y compris la mer territoriale du Canada et toutes les eaux du côté de la ligne de base qui fait face à la terre, ainsi que des aéronefs enregistrés au Canada, en quelque endroit qu'ils se trouvent;
Après examen de l'alinéa 104k) du Règlement dans le contexte du paragraphe 6(1) de la Loi, je suis d'avis que cet alinéa comprend le pouvoir de rendre les ordonnances ou directives relatives aux communications aéronautiques jugées nécessaires pour assurer la sécurité de la navigation. Le para- graphe 6(1) de la Loi ne renvoie pas de façon explicite aux communications aéronautiques, ni à la langue employée dans ces communications, mais, à mon avis, cette matière est nécessairement englobée dans celle de la navigation aérienne, et plus spécialement celle de la sécurité de la naviga tion. Une communication efficace est essentielle à la sécurité de la navigation, et la langue utilisée est la condition essentielle pour assurer une communi cation verbale efficace. En conséquence, je suis d'avis que le paragraphe 6(1) de la Loi doit être interprété comme donnant au Ministre le pouvoir, sous réserve d'approbation par le gouverneur en conseil, de réglementer la langue à utiliser dans les communications aéronautiques dans l'intérêt de la sécurité de la navigation, et qu'il s'agit par consé- quent d'une matière pour laquelle le Ministre peut être autorisé, conformément au paragraphe 6(2), à rendre des ordonnances ou directives. Pour les motifs rendus par le juge de première instance et par mon collègue le juge Pratte, je suis aussi d'avis que l'alinéa 104k) du Règlement est libellé de façon suffisamment générale pour englober la langue employée dans les communications verba- les. Pour étayer leur interprétation des termes utilisés dans l'alinéa 104k), les appelants ont fait des renvois à la Convention de Chicago de 1944.
En ce qui concerne le texte anglais de l'alinéa— «communications procedures used in air naviga- tion»—on peut remarquer que les recommanda- tions faites par l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) dans l'annexe 10 à la Con vention, quant à la langue à utiliser dans les télécommunications aéronautiques, figurent dans l'article 5.2 sous le titre général [TRADUCTION] «méthodes de radiotéléphonie». A mon avis, l'ex- pression «communications procedures», tout comme sa version française «méthodes de commu nication», se rapporte à la manière dont se font les communications dans la navigation aérienne, et ceci comprend nécessairement la ou les langues employées dans les communications verbales.
Étant donné donc que l'alinéa 104k) du Règle- ment autorise le Ministre à rendre l'Ordonnance sur les normes et méthodes des communications aéronautiques, cette autorisation a été accordée en vertu du pouvoir conféré par la Loi sur l'aéronau- tique, et il faut examiner les relations entre ce pouvoir et l'article 2 de la Loi sur les langues officielles. En ce qui concerne les langues, ces deux textes législatifs traitent de deux objets diffé- rents. Leur but est aussi différent. La Loi sur les langues officielles proclame la reconnaissance du français et de l'anglais comme langues officielles. La Loi sur l'aéronautique réglemente la langue employée dans les communications aéronautiques afin d'assurer la sécurité dans la navigation aérienne. Le préambule de l'Ordonnance reconnaît l'application de la Loi sur les langues officielles au contrôle du trafic aérien et exprime l'intention d'introduire progressivement le bilinguisme dans le contrôle du trafic aérien au Québec, dans la mesure il est démontré que cela peut être fait sans préjudice à la sécurité, mais la réglementation de la langue faite par l'Ordonnance va au-delà du champ des communications envisagées par la Loi sur les langues officielles pour inclure, par exem- ple, les communications entre deux pilotes, et ne se limite pas à la province de Québec, ainsi qu'il appert de l'article 7 précité de l'Ordonnance. Evi- demment, le pouvoir de déterminer la ou les lan- gues à employer dans les communications aéronau- tiques, afin d'assurer la sécurité de la navigation aérienne, doit s'appliquer à toutes communications semblables partout au Canada et à toute langue utilisée, compte tenu du caractère international de l'aéronautique. Étant donné le champ d'applica-
tion nécessaire de ce pouvoir en vertu de la Loi sur l'aéronautique, on ne peut pas déduire du libellé de la Loi sur les langues officielles que le Parle- ment a voulu que ce pouvoir soit subordonné aux dispositions de cette dernière loi: Ce serait juste- ment le cas si l'on concluait que la Loi sur les langues officielles doit s'appliquer dans le domaine du contrôle du trafic aérien sans tenir compte de l'obligation de veiller à la sécurité de la navigation aérienne en vertu de la Loi sur l'aéro- nautique. Seule une intention législative exprimée de façon parfaitement claire pourrait justifier une telle conclusion. En tirant cette conclusion, je ne retiens aucune hypothèse relativement aux consé- quences réelles du bilinguisme, dans le contrôle du trafic aérien, sur la sécurité de la navigation. Ainsi que le laissent entendre l'article 6 de l'Ordonnance et le rapport provisoire de la Commission d'en- quête établie pour examiner la question, il est fort possible qu'en certains endroits et dans certaines circonstances, le bilinguisme permette d'augmen- ter la sécurité de la navigation aérienne. Il suffit de conclure que l'Ordonnance montre des préoccupa- tions bona fide relativement à la sécurité de la navigation aérienne et constitue ainsi un exercice bona fide du pouvoir réglementaire en ce qui concerne la langue à employer dans les communi cations aéronautiques, pouvoir qui existe certaine- ment en vertu de la Loi sur l'aéronautique.
Je souscris aux motifs rendus par mon collègue le juge Pratte pour rejeter les autres allégations des appelants.
Pour ces motifs, l'appel est rejeté avec dépens.
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LE JUGE SUPPLÉANT HYDE: J'ai eu l'avantage de lire les motifs de Monsieur le juge Le Dain et je partage son opinion; en conséquence, je rejetterais l'appel avec dépens.
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