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A-289-77
Le procureur général du Canada (Requérant)
c.
C. Gray (Intimé)
Cour d'appel, les juges Pratte, Heald et Urie— Ottawa, les 3 et 7 octobre 1977.
Examen judiciaire Fonction publique Relations du travail Contrat «Mise en disponibilité» à cause de la grève d'autres employés Applicabilité des dispositions rela tives à !'«indemnité de cessation d'emploi» de la convention collective Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2» Supp.), c. 10, art. 28 Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-32, art. 29 Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, art. 91 Règlement sur les conditions d'emploi dans la Fonction publi- que, DORS/67- 118, art. 2j) Groupe des opérations postales (non-dirigeants), Levée du courrier à l'extérieur et Services de distribution, art. 30.01, 30.02, 30.03.
L'intimé, facteur, a été «mis en disponibilité» par suite d'une grève d'autres employés des postes. La Commission des rela tions de travail dans la Fonction publique a donné raison à l'allégation de l'intimé qu'il a droit à une «indemnité de cessa tion d'emploi» prévue dans la convention collective. Le requé- rant présente une demande en vertu de l'article 28 contre la décision de la Commission.
Arrêt: l'appel est accueilli.
Par le juge Pratte: Quoique, dans le langage commun, l'ex- pression «mise en disponibilité» n'implique pas nécessairement une suppression d'emploi, le litige consiste à déterminer le sens qu'elle a dans la convention collective. La législation applicable à la Fonction publique montre clairement qu'on ne peut pas dire qu'un fonctionnaire est mis en disponibilité lorsque son emploi n'a pas été supprimé. Les parties à la convention collective impliquées dans la présente espèce doivent être cen- sées bien connaître la terminologie de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique. Lorsque l'expression «mise en disponibi- lité» est utilisée dans la convention collective, la Cour a le droit de présumer, en l'absence d'indication en sens contraire, qu'il s'agit d'une suppression d'emploi.
Par le juge Heald: Telle qu'elle est utilisée dans l'article 30, la «mise en disponibilité» doit être examinée dans le contexte de la convention collective dans son ensemble, et plus particulière- ment en tenant compte de la position de l'article dans la convention dont il fait partie. Une analyse de cet article, qui figure sous le titre «Indemnité de cessation d'emploi», montre clairement que les parties, lorsqu'elles entendent attribuer des indemnités de cessation d'emploi à certains ouvriers, entendent aussi que, seuls ceux des ouvriers dont l'emploi est supprimé «de façon permanente» peuvent en recevoir.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
Peter T. Mclnenly pour le requérant. Maurice W. Wright, c.r., pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.
Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady & Morin, Ottawa, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATFE: La présente requête, faite en vertu de l'article 28, est dirigée contre une décision de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique accueillant un grief qui a été renvoyé à l'arbitrage par l'intimé, en application de l'article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35.'
L'intimé est un employé du ministère des Postes, travaillant comme facteur à Toronto. Le 23 octo- bre 1975, lui-même et ses collègues apprirent de leurs surveillants que, par suite d'une grève d'au- tres employés du Ministère, ils n'avaient plus de travail à faire et qu'ils ne recevraient plus aucun salaire aussi longtemps que cette situation conti- nuerait. On leur dit également qu'ils seraient infor més par leur employeur de «la date de leur retour au travail», et qu'en attendant, ils pourraient demander des prestations d'assurance-chômage. L'intimé est resté sans travail pendant environ cinq semaines, pendant lesquelles il a reçu l'assurance- chômage. Durant cette période, l'employeur, sans payer ses salaires à l'intimé, continuait à verser des contributions au Régime d'assurance-maladie de l'Ontario, au Régime de pensions du Canada et à la Pension de retraite de la Fonction publique. Le 3 décembre 1975, l'intimé reprit son travail ordi- naire comme facteur.
L'intimé soutient, et la Commission lui a donné raison, que, par suite de sa «mise en disponibilité», il a droit à l'«indemnité de cessation d'emploi»
Il faut préciser que la compétence de la Commission pour rendre une telle décision n'a pas été mise en doute, et que, pour cette raison, il n'est pas nécessaire d'exprimer mon avis sur ce point. de ne peux, cependant, m'empêcher de faire remarquer que la Commission ne semble pas, au moins à première vue, avoir le pouvoir de statuer sur un grief renvoyé à l'arbitrage. En application de l'article 94(2)c) de la Loi, lorsqu'un grief a été renvoyé à l'arbitrage, l'arbitre en chef doit «renvoyer l'affaire devant un arbitre choisi par lui»; en application de l'article 96, c'est à l'arbitre, et non pas à la Commission, de se prononcer sur ledit grief.
prévue à l'article 30 de la convention collective applicable. Voici la partie pertinente de cette clause de la convention:
INDEMNITÉ DE CESSATION D'EMPLOI
30.01 Mise en disponibilité
Un employé ayant un an ou plus d'emploi continu qui est mis en disponibilité a droit à une indemnité de cessation d'emploi au moment de sa mise en disponibilité.
30.02 Dans le cas d'un employé qui est mis en disponibilité pour la première fois après le 9 août 1968, le montant de l'indemnité de cessation d'emploi est égal à la somme de deux (2) semaines de salaire pour la première année et d'une (1) semaine de salaire par année subséquente complétée d'emploi continu, diminué de toute période pour laquelle il a bénéficié de la part de l'employeur d'une indemnité de cessation d'emploi, d'un congé de retraite ou d'une gratification en espèces en tenant lieu, mais le montant total de l'indemnité de cessation d'emploi gui peut être versé en vertu de la présente clause ne doit pas dépasser vingt-huit (28) semaines de salaire.
30.03 Dans le cas d'un employé qui est mis en disponibilité une deuxième fois ou plus, survenant après le 9 août 1968, le montant de l'indemnité de départ [sic] est d'une (1) semaine de salaire pour chaque année complétée d'emploi continu, diminué de toute période pour laquelle l'employé a bénéficié de la part de l'employeur d'une indemnité de cessation d'emploi, d'un congé de retraite ou d'une gratification en espèces en tenant lieu, mais le montant total de l'indemnité de cessation d'emploi qui peut être versé en vertu de la présente clause ne doit pas dépassér vingt-sept (27) semaines de salaire.
L'article 30 prévoit aussi le paiement d'indemnité de cessation d'emploi en cas de démission, de retraite et de décès.
Il faut tout d'abord faire ressortir que, lorsqu'il est devenu évident qu'il n'y avait pas de travail pour l'intimé, l'employeur aurait pu supprimer son emploi en vertu de l'article 29 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-32. 2 Si l'employeur l'avait fait, aucun prob- lème ne se serait posé, car c'est un principe de base que l'intimé aurait alors eu droit à une indemnité de cessation d'emploi. L'employeur n'eut, cepen- dant, pas recours à l'article 29 dans la présente espèce, et l'emploi de l'intimé n'a pas été autre- ment supprimé, d'après les conclusions non contes- tées de la Commission. C'est justement l'origine
2 L'article 29 est libellé comme suit:
Mise en disponibilité
29. (1) Lorsque les services d'un employé ne sont plus requis, soit faute de travail, soit par suite de la suppression d'une fonction, le sous-chef peut, en conformité des règlements de la Commission, mettre l'employé en disponibilité.
(2) Un employé cesse d'être un employé lorsqu'il est mis en disponibilité en vertu du paragraphe (1).
du problème que la décision de la Commission a résolu en faveur de l'intimé: celui-ci avait-il droit à une indemnité de cessation d'emploi par suite de sa «mise en disponibilité» en dépit du fait que son emploi n'était pas supprimé?
Dans le langage commun, l'expression «mise en disponibilité» n'implique pas nécessairement une suppression d'emploi. Mais le litige, en l'espèce, n'est pas relié au sens ordinaire de l'expression, ni même au sens de celle-ci dans les dictionnaires, mais à celui qu'elle a dans la convention collective. Il n'y a aucun doute, pour quelqu'un bien au courant de la législation applicable à la Fonction publique, qu'on ne peut pas dire qu'un fonction- naire est mis en disponibilité lorsque son emploi n'a pas été supprimé. 3 Je pense que les parties à la convention collective impliquées dans la présente espèce, laquelle concerne les conditions de travail des fonctionnaires, doivent être censées bien con- naître la terminologie de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique. Par conséquent, à mon avis, lorsque l'expression «mise en disponibilité» est uti lisée dans la convention collective, il faut présu- mer, en l'absence d'indication en sens contraire, qu'il s'agit d'une suppression d'emploi. Contraire- ment au plaidoyer de l'avocat de l'intimé, je ne crois pas possible de tirer des conclusions opposées à cette interprétation du fait que le sens d'autres mots, utilisés par ailleurs dans la convention, est éclairé par des renvois exprès à la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique. 4
(3) Nonobstant la présente loi, la Commission doit, dans le délai et selon l'ordre qu'elle peut fixer, étudier la possibilité de nommer, sans concours et, sous réserve des articles 30 et 37, en priorité absolue un employé mis en disponibilité à tout poste de la Fonction publique pour lequel la Commission le juge qualifié.
(4) Nonobstant le paragraphe (2), tout employé mis en disponibilité a droit, durant la période que la Commission peut fixer pour tout cas ou classe de cas, de se présenter à un concours auquel il aurait été admissible s'il n'avait pas été mis en disponibilité.
3 Voir l'article 29 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique et l'article 2j) du Règlement sur les conditions d'em- ploi dans la Fonction publique, DORS/67-118.
4 A titre d'exemple, voici une partie de l'article 10.08:
10.08 Une rupture de service est réputée s'être produite et
l'ancienneté se perd dans les cas de:
c) abandon d'un emploi au sens l'entend l'article 27 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique.
L'avocat de l'intimé a également soutenu que, dans les articles 30.02 et 30.03, l'allusion à la mise en disponibilité «pour la première fois» ou «[pour] une deuxième fois ou plus» montre que les parties n'utilisent pas l'expression «mise en disponibilité» comme impliquant nécessairement une suppression d'emploi. J'avoue ne pas comprendre cet argument parce qu'à mon avis, un employé peut être mis en disponibilité plus d'une fois, même, si l'expression «mise en disponibilité» implique une suppression d'emploi. A considérer l'article 30 dans son ensem ble, il est évident, à mon avis, que les parties n'utilisent pas l'expression «mise en disponibilité» dans le sens général proposé par l'avocat de l'in- timé. Tout d'abord, l'article 30 porte en titre «Indemnité de cessation d'emploi», ce qui, à mon avis, implique une suppression d'emploi; en second lieu, l'article 30 cite d'autres cas dans lesquels l'indemnité de cessation d'emploi est payable (démission, retraite, décès) et ce sont évidem- ment des cas de suppression d'emploi.
Pour ces motifs, j'accueille la requête et pro- nonce l'annulation de la décision de la Commis sion.
* * *
LE JUGE URIE: J'y souscris.
*
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: J'ai lu les motifs de jugement rendus par mon collègue le juge Pratte et je sous- cris à la fois auxdits motifs et à la conclusion qu'il a atteinte, à savoir que la décision en date du 19 avril 1977 examinée ici, de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique doit être annulée.
Je suis pareillement arrivé à la conclusion qu'en l'espèce, l'article 30 ne confère pas à l'intimé et aux autres employés s'estimant lésés le droit de recevoir les indemnités de cessation d'emploi qui y sont prévues. Lorsqu'elle est utilisée dans le voca- bulaire des relations de travail, l'expression «mise en disponibilité» est généralement définie ainsi
qu'il Suit: [TRADUCTION] «Séparation provisoire, prolongée ou définitive de l'emploi par suite du manque de travail» 5 . Ainsi, en isolant l'expression «mise en disponibilité» sans se référer au contexte de l'article 30, on pourrait bien conclure que les circonstances de l'espèce sont englobées dans cette définition. A mon avis, il n'est, cependant, pas possible d'adopter ce point de vue. Telle qu'elle est utilisée dans l'article 30, la «mise en disponibilité» doit être examinée dans le contexte de la conven tion collective dans son ensemble, et plus particu- lièrement en tenant compte de la position de l'arti- cle dans la convention dont il fait partie. La table alphabétique de la convention collective décrit l'objet de l'article 30 comme «Indemnité de cessa tion d'emploi» et l'article 30 porte bien comme titre «Indemnité de cessation d'emploi». La «mise en disponibilité» est l'un des trois sous-titres. Ainsi, il faut tenir compte du sens habituel de l'expres- sion «Indemnité de cessation d'emploi» pour déter- miner dans quelle mesure, le cas échéant, la «mise en disponibilité» est qualifiée par ladite expression. Employée dans un contexte de relations de travail, celle-ci évidemment signifie [TRADUCTION] «Un paiement global effectué par un employeur à un ouvrier dont l'emploi est supprimé de façon perma- nente, ordinairement pour des motifs qui échap- pent au contrôle de l'ouvrier.» 6 [C'est moi qui souligne.] A mon avis, il est évident que les parties, lorsqu'elles entendent attribuer des indemnités de cessation d'emploi à certains ouvriers, entendent aussi que, seuls ceux des ouvriers dont l'emploi est supprimé «de façon permanente» peuvent en rece- voir. D'après une jurisprudence bien établie dans l'interprétation des lois, les têtes de chapitres ont préséance sur les notes en marge; elles constituent une partie importante de la loi elle-même, et peu- vent être considérées comme une explication des articles immédiatement subséquents. On considère toujours ces titres comme des indications utiles de l'intention du Parlement lorsqu'il a édicté les arti cles qui suivent immédiatement'. Je n'hésite pas à appliquer ces règles d'interprétation des lois à l'interprétation des stipulations de la convention collective.
5 C.C.H. Canadian Limited, Canadian Labour Terms, 1975, 6 0 éd., (Don Mills, 1975), la page 44.
6 C.C.H. Canadian Limited, Canadian Labour Terms, 1975, 6e éd., (Don Mills, 1975), la page 69.
Voir: E. A. Driedger, The Construction of Statutes, (Toronto, 1974), aux pages 112-116.
Pour les motifs susmentionnés, j'ai conclu que l'expression «mise en disponibilité», telle qu'elle est utilisée dans l'article 30, doit être interprétée comme signifiant une suppression définitive d'em- ploi. Lorsque cette définition est appliquée à l'es- pèce, le dossier montre clairement que l'emploi de l'intimé et des autres employés s'estimant lésés n'a jamais été supprimé. Alors qu'ils ne travaillaient pas, ils continuaient à recevoir des crédits de vacances et de congé-maladie, à être protégés par le Régime d'assurance-maladie de l'Ontario et à bénéficier d'autres avantages sociaux. A mon avis, cela montre clairement que les relations d'em- ployeur à employé continuaient à exister. (Voir dossier d'appel aux pages 41-42, 48, 59, 60, 65.)
En conséquence, d'après les faits de l'espèce, il n'y a pas eu «mise en disponibilité» au sens de l'article 30 et le défendeur et les autres employés s'estimant lésés n'ont pas justifié leur droit à l'in- demnité de cessation d'emploi prévue à l'article 30. Je suis donc d'avis également que la requête faite en application de l'article 28 doit être accueillie et la décision de la Commission annulée.
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