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A-9-77
Robert W. Blanchette, Richard C. Bond et John McArthur, tous en qualité de fiduciaires des biens de Penn Central Transportation Company, Nor- folk and Western Railway Company, Thomas F. Patton et Ralph S. Tyler, Jr., tous deux en leur capacité de fiduciaires des biens de Erie Lack- awanna Railway Company, Illinois Central Gulf Railroad Company et Missouri Pacifie Railroad Company (Appelants) (Demandeurs)
c.
Canadien Pacifique Limitée (Intimée) (Défende- resse)
et
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, Grand Trunk Western Railroad Company et Central Vermont Railway Inc. (Mis-en-cause)
Cour d'appel, le juge Urie et les juges suppléants MacKay et Kerr—Ottawa, les 18 novembre et 13 décembre 1977.
Compétence Pratique Chemins de fer Appel contre une ordonnance enjoignant la radiation de la déclaration Matériel de chemin de fer en location par les appelants mais utilisé par l'intimée qui paie le locateur Augmentation du tarif L'intimée avise que le nouveau tarif est acceptable, mais continue à payer le tarif réduit Appelants obligés de payer la différence au locateur et cherchent à recouvrer ce montant Le redressement demandé relève-t-il des disposi tions de la Loi sur les chemins de fer? Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2, art. 2, 262, 263, 265, 269(4), 288, 301.
Il s'agit d'un appel contre une ordonnance de la Division de première instance enjoignant l'annulation de la déclaration des appelants pour défaut de compétence. Toutes les parties au procès se livrent au trafic ferroviaire, en qualité de transpor- teurs publics. Les appelants ont pris en location une grande partie du matériel ferroviaire et l'intimée payait le locateur pour l'utilisation du matériel loué fourni par les appelants. Après une augmentation de tarif décidée par le locateur, l'inti- mée a continué à payer les appelants suivant le tarif antérieur plus bas, alors même qu'elle les avait avisés que le tarif modifié était acceptable. Les appelants ont été obligés de payer au locateur la différence entre ces deux tarifs et cherchent à la recouvrer de l'intimée. La seule question qui se pose consiste à déterminer si le redressement demandé par les appelants se fonde sur la seule loi fédérale applicable, en l'espèce, la Loi sur les chemins de fer.
Arrêt: l'appel est rejeté. Rien dans la Loi sur les chemins de fer ne reconnaît à une compagnie de chemin de fer le droit de poursuivre une autre compagnie de chemin de fer pour le recouvrement de taxes non autorisées et prétendument non payées pour l'utilisation de matériel. Ces taxes ont été fixées
par suite d'un accord ou arrangement privé entièrement indé- pendant de tout pouvoir émanant de la Loi sur les chemins de fer et toute obligation de payer ces taxes découle, non pas de la loi, mais d'un accord ou arrangement privé entre les parties.
Arrêts appliqués: Quebec North Shore Paper Co. c. Cana- dien Pacifique Ltée [1977] 2 R.C.S. 1054; McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine [1977] 2 R.C.S. 654.
APPEL. AVOCATS:
J. B. Claxton, c.r., et D. H. Tingley pour les
appelants.
M. S. Bistricky pour l'intimée.
P. Sevigny-McConomy pour le mis-en-cause
CN.
PROCUREURS:
Lafleur, Brown, de Grandpré, Montréal, pour les appelants.
Canadien Pacifique Ltée, Service du conten- tieux, Montréal, pour l'intimée.
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, Service du contentieux, Montréal, pour le mis-en-cause CN.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Les appelants (demandeurs), dont chacun est, par lui-même ou par l'intermé- diaire d'un fiduciaire désigné, exploitant de chemin de fer ou d'autres ouvrages et entreprises aux États-Unis et, dans quelques cas, au Canada, sont demandeurs dans une action introduite contre les défenderesses nommées dans l'intitulé de cause. L'intimée (défenderesse) Canadien Pacifique Limitée a demandé l'annulation, en ce qui la con- cerne, de la déclaration des demandeurs, pour défaut de compétence ratione materiae de la Divi sion de première instance, et ladite demande a été accueillie par une ordonnance en date du 10 décembre 1976 [[1977] 2 C.F. 431, sub. nom. Blanchette c. La Compagnie de chemins de fer nationaux du Canada]. Le présent appel a été interjeté contre ladite ordonnance.
Une action semblable a été intentée par d'autres demandeurs contre les mêmes défenderesses, en plus d'une autre, sous le numéro du greffe T-2002-76. Dans cette dernière action, Canadien Pacifique Limitée a également obtenu une ordon-
nance prononçant l'annulation de la déclaration pour le même motif. A la suite d'un accord, l'appel [A-8-77] contre cette ordonnance a été entendu en même temps car les points litigieux sont les mêmes.
Toutes les parties au présent procès se livrent, entre autres choses, en qualité de transporteurs publics, au trafic ferroviaire requis par le pacte de l'automobile, à la suite du pacte canado-américain de l'automobile signé en 1966. Les demandeurs et les défenderesses utilisent des wagons plats spécia- lement équipés pour le transport des véhicules automobiles et de leurs pièces détachées, fabriqués soit au Canada soit aux États-Unis, du pays de fabrication à l'autre pays, ou d'un endroit à un autre dans les pays de fabrication.
Les demandeurs et les défenderesses se livrent également, entre autres choses, en qualité de trans- porteurs publics, au trafic ferroviaire connu sous le nom de transport de remorques et de porte-conte- neurs sur wagons plats (trafic TOFC-COFC) com- portant le transport, par plus d'un réseau de chemin de fer, de camions de transport avec remorques et de fret conteneurisé, des Etats-Unis au Canada ou vice versa, ou d'un endroit à un autre dans l'un de ces deux pays.
Une grande partie des appareils du matériel ferroviaire qu'utilisent les demandeurs dans le pacte de l'automobile aussi bien que dans le trafic TOFC-COFC appartient à Trailer Train Com pany, compagnie ayant sa principale place d'affai- res à Chicago (Illinois). Les paragraphes 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33 et 34 de la déclaration allèguent que:
[TRADUCTION] 27. Les demandeurs, en tant que membres usagers du matériel ferroviaire fourni par Trailer Train Com pany, sont tenus par contrat de payer à cette dernière les frais de location de wagons, conformément au tarif publié (le «tarif de Trailer Train») et, de plus, ils sont responsables de tous les frais afférents au matériel de Trailer Train Company pendant qu'il est sur les lignes des demandeurs et pendant qu'il demeure sur des lignes de transporteurs non-membres, tels que les défenderesses, avec qui cet équipement a été échangé.
28. Les défenderesses ont payé à Trailer Train, au nom des demandeurs, le tarif de Trailer Train pour l'usage du matériel fourni par les demandeurs depuis l'entrée en vigueur du pacte de l'automobile en 1966 jusqu'en décembre 1970.
29. En octobre 1970 Trailer Train Company a avisé les deman- deurs et les défenderesses d'un changement dans le tarif et publié un nouveau tarif qui est entré en vigueur le 1®' janvier 1971.
30. En 1971, les défenderesses ont avisé les demandeurs et Trailer Train Company que ledit tarif modifié était acceptable pour l'utilisation du matériel de Trailer Train.
31. Subséquemment, en 1971, les défenderesses ont retiré cet avis et fait savoir qu'elles continueraient à faire leurs paiements d'après le tarif de Trailer Train en vigueur antérieurement au ler janvier 1971, et les défenderesses, sauf Canadien Pacifique qui commença en janvier 1975 à payer d'après le tarif courant de Trailer Train, ont toujours payé Trailer Train d'après ledit tarif antérieur, pour le compte des demandeurs et malgré les oppositions de ces derniers.
32. Subséquemment, le tarif de Trailer Train a été augmenté suivant les pourcentages énumérés ci-dessous et aux dates respectives suivantes:
a) ler février 1972: 5%;
b) 1" avril 1973: 4.76%;
c) ler avril 1974: 5%;
d) 1" décembre 1974: 8%;
e) 1" août 1975: 7%; l'augmentation effectivement annoncée variant suivant le genre de wagons et de matériel accessoire y afférents; les défenderes- ses ont toutes reçu avis de ces augmentations.
33. Nonobstant lesdites augmentations de tarifs, les défende- resses ont continué à refuser de payer d'après le nouveau tarif tout en avisant, en même temps, les demandeurs, qu'elles étaient prêtes à payer un tarif raisonnable pour l'utilisation du matériel de Trailer Train fourni par les demandeurs.
34. Les demandeurs, en qualité d'usagers du matériel de Trail er Train tel qu'il est allégué plus haut au paragraphe 27, ont été tenus et le sont toujours de verser à Trailer Train Company la différence entre le tarif de Trailer Train en vigueur avant janvier 1971 et les différents taux en vigueur de temps à autre par la suite.
Il faudrait remarquer que nul n'a allégué que Trailer Train Company est une compagnie de chemin de fer et, autant que je sache, il est reconnu qu'elle ne l'est pas.
Voici le libellé du paragraphe a) des conclusions de la déclaration:
[TRADUCTION] a) Qu'il soit déclaré que les défenderesses doivent aux demandeurs la différence entre le tarif de Trailer Train en vigueur avant le 1" janvier 1971 et le tarif de Trailer Train occasionnellement en vigueur depuis le 1" janvier 1971.
Le reste des conclusions de la requête énonce les détails des réclamations contre chacune des défen- deresses par chacun des demandeurs.
Le savant juge de première instance s'est basé sur le jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans Quebec North Shore Paper Com pany c. Canadien Pacifique Limitée [1977] 2 R.C.S. 1054, pour conclure qu'il faut accueillir la requête de l'intimée demandant la radiation de la déclaration en ce qui la concerne.
Parmi les citations provenant des motifs du jugement rendus par le juge en chef Laskin dans Quebec North Shore, et auxquelles renvoie le juge de première instance, les passages suivants, trouvés aux pages 1063 et 1064 du recueil, fournissent le double critère auquel il faut satisfaire pour que la Cour fédérale soit compétente en vertu de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale.'
Le juge Addy [le juge de première instance] n'a pas étudié l'effet de l'art. 101 de l'Acte de l'Amérique du Nord britanni- que sur l'art. 23 de la Loi sur la Cour fédérale. Il semble avoir présumé qu'il avait compétence si l'entreprise prévue dans l'accord relevait du pouvoir législatif fédéral. Comme je l'ai déjà souligné, il lui fallait d'abord conclure que la demande de redressement était faite «en vertu d'une loi du Parlement du Canada ou autrement». [C'est moi qui souligne.]
Et voici ce qu'a dit le juge en chef Laskin à la page 1065:
Il y a compétence en vertu de l'art. 23 si la demande de redressement relève du droit fédéral existant et non autrement.
Nous sommes d'accord avec le savant juge de première instance [p. 436] pour dire que «Que ce soit à la suite d'un contrat ou autrement, il est clair pour moi que le redressement recherché dans cette action ne l'est pas aux termes d'une loi fédérale précise.»
Les appelants ont allégué que cette conclusion du juge de première instance est erronée et que la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2, constitue le fondement de leur demande de redres- sement. Les parties ont renvoyé à un certain nombre d'articles à l'appui de leurs allégations respectives.
Dans le contexte de la présente action, la défini- tion de «compagnie» dans l'article 2 signifie «com- pagnie de chemin de fer» et, comme je l'ai indiqué précédemment, Trailer Train Company n'est pas une «compagnie de chemin de fer» au sens de cette définition.
1 23. La Division de première instance a compétence concur- rente en première instance, tant entre sujets qu'autrement, dans tous les cas une demande de redressement est faite en vertu d'une loi du Parlement du Canada ou autrement, en matière de lettres de change et billets à ordre lorsque la Couronne est partie aux procédures, d'aéronautique ou d'ouvrages et entre- prises reliant une province à une autre ou s'étendant au-delà des limites d'une province, sauf dans la mesure cette compé- tence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale.
Les articles 262, 263 et 265 exigent qu'une compagnie de chemin de fer, et l'intimée est incluse dans cette expression, fournisse des instal lations pour la réception et le chargement des marchandises et des facilités pour le raccordement avec d'autres lignes de voie ferrée. L'article 288 interdit à une compagnie de chemin de fer d'empê- cher le transport des marchandises de l'endroit de l'expédition jusqu'à celui de la destination.
Les appelants font ressortir que ces articles, sans spécifier les moyens par lesquels les compagnies de chemin de fer fournissent le matériel et les instal lations, ont cependant prévu des sanctions en cas de manquement à ces obligations, en habilitant la Commission canadienne des transports à rendre des ordonnances administratives. En conséquence, ainsi que le fait ressortir la déclaration, les compa- gnies de chemin de fer satisfont aux exigences de la loi par la répartition du fardeau de fournir une partie du matériel nécessaire pour chaque année- modèle, parmi les compagnies de chemin de fer engagées dans le pacte de l'automobile de l'endroit d'origine à celui de la destination finale. Le maté riel n'est pas ainsi mis en commun dans le trafic TOFC-COFC, mais il est envoyé d'un réseau de chemin de fer à un autre, ainsi que l'exige l'article 288.
L'article 274 renvoie aux «tarifs des taxes» qu'une compagnie est autorisée à émettre en vertu de la Loi. Il n'a pas été allégué qu'il y ait des tarifs applicables en l'espèce.
L'avocat des appelants a soutenu que non seule- ment la Loi sur les chemins de fer exige de façon impérative la fourniture de services d'échange entre les réseaux que nous venons de mentionner, laquelle exigence reconnaît, au moins par déduc- tion, le droit à indemnisation pour le matériel, les installations et les services, mais prévoit le recou- vrement des taxes devant la Division de première instance de cette cour en vertu de l'article 301 et de la définition de «cour» donnée à l'article 2(1):
301. Lorsque quelqu'un refuse ou néglige de payer sur demande une taxe ou partie de taxe légalement exigible, le recouvrement peut en être poursuivi devant toute cour compétente.
2. (1) ...
«cour» ou «tribunal» signifie une cour supérieure de la province ou du district, et, lorsque cette expression est employée au sujet de procédures qui ont pour objet
a) la fixation ou le paiement, soit à la personne qui y a droit, soit par consignation en cour, d'indemnités pour terrains pris ou pour l'exercice de pouvoirs conférés par la présente loi, ou
b) la mise en possession de terrains ou l'anéantissement de résistance à l'exercice de pouvoirs, après paiement ou offre d'indemnité,
elle comprend la cour de comté dans le ressort de laquelle les terrains sont situés; et les désignations «cour de comté» et «cour supérieure» doivent être interprétées selon la Loi d'interprétation;
L'avocat de l'intimée a pour sa part allégué que, pour que l'article 301 s'applique, il faut que la «taxe légalement exigible» en question soit une taxe édictée par une compagnie de chemin de fer dûment autorisée en vertu de la Loi sur les che- mins de fer. Le paragraphe 269(4), dont voici le libellé:
269. .. .
(4) Sauf autorisation contraire découlant de la présente loi, la compagnie ne doit pas imposer de taxes à l'exception des taxes spécifiées dans un tarif qui a été déposé à la Commission et est en vigueur.
dispose manifestement que, pour être légalement exigibles, les taxes doivent être «spécifiées dans un tarif qui a été déposé à la Commission et est en vigueur.» A notre connaissance, les parties recon- naissent qu'il n'y a pas de tarifs semblables appli- cables aux frais de Trailer Train Company.
La seule question qui se pose consiste, nous semble-t-il, à déterminer si le redressement demandé par les appelants se fonde sur la seule loi fédérale applicable, en l'espèce, la Loi sur les chemins de fer. C'est le premier des deux critères à satisfaire, suivant l'arrêt Quebec North Shore 2 , pour déterminer la compétence de la Division de première instance en vertu de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale.
A notre avis, rien dans la Loi sur les chemins de fer ou dans quelque autre loi fédérale existante, à laquelle référence a été faite, ne reconnaît à une compagnie de chemin de fer le droit de poursuivre une autre compagnie de chemin de fer pour le
2 Depuis que cette décision a été rendue, surtout depuis que la Division de première instance a rendu sa décision, la Cour suprême du Canada a encore eu l'occasion de traiter de la compétence de cette cour dans McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine [1977] 2 R.C.S. 654, et elle a rappelé que la compétence de cette cour à juger une action doit être fondée sur une cause d'action relevant d'un loi fédérale existante.
recouvrement de taxes non autorisées et prétendu- ment non payées pour l'utilisation de matériel. Les appelants ont acquis ce matériel, ainsi qu'il appert manifestement des plaidoiries, conformément à un arrangement privé entre eux et Trailer Train Com pany qui, comme je l'ai déjà dit, n'est pas une compagnie de chemin de fer au sens de la Loi sur les chemins de fer. La nature privée de cet arran gement ressort du fait que les appelants engagent des poursuites pour la différence entre les taxes levées par Trailer Train Company, à une date ou des dates précises, et celles que cette compagnie qui n'exploite pas de chemin de fer a jugé bon d'exiger à des dates ultérieures. Ces taxes ont été fixées par suite d'un accord ou arrangement privé entièrement indépendant de tout pouvoir émanant de la Loi sur les chemins de fer. Toute obligation de payer ces taxes découle, non pas de la loi, mais d'un accord ou arrangement privé entre les parties. En conséquence, nous convenons avec le juge de première instance que la Division de première instance n'est pas compétente pour se prononcer sur ces réclamations. L'appel devrait donc être rejeté.
Tenant compte de la décision ainsi rendue sur l'appel, il ne nous sera pas nécessaire de nous prononcer sur le point litigieux soulevé par les parties relativement à la compétence de la Cour fédérale du Canada au sens des articles 2 et 301 de la Loi sur les chemins de fer.
* *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: Je souscris.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT KERR: Je souscris.
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