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T-894-78
Elizabeth Lodge, Carmen Hyde, Eliza Cox, Elaine Peart, Rubena Whyte, Gloria Lawrence, Lola Anderson (Requérantes)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (Intimé)
Division de première instance, le juge Mahoney— Toronto, le 2 mars; Ottawa, le 3 mars 1978.
Immigration Requérantes sous le coup d'ordonnances d'expulsion Plainte déposée à la Commission canadienne des droits de la personne Doit-on interdire à l'intimé d'exécuter les ordonnances d'expulsion tant qu'il ne sera pas statué sur la plainte? Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, c. 33, art. 2, 3, 4 et 5.
Les requérantes, toutes Jamaïquaines de race noire, qui n'ont pas dit la vérité dans leur demande pour être reçues comme immigrantes, ont fait l'objet d'ordonnances d'expulsion et ont épuisé toutes les procédures d'appel. Avant l'exécution des ordonnances, les requérantes ont toutefois déposé une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne et demandent maintenant à la Cour une ordonnance qui interdi- rait à l'intimé d'exécuter ces ordonnances.
Arrêt: les demandes sont rejetées. En vertu de l'article 4, la Commission a le pouvoir d'enquêter et d'intervenir si un acte discriminatoire défini aux articles 5 à 13 est commis. Si l'acte n'est pas discriminatoire, il n'est pas sujet à l'action de la Commission même s'il est fondé sur un motif de distinction illicite. L'article 5 est le seul article invoqué par les requérantes qui définit un acte discriminatoire et, à supposer que tout ce qui est allégué dans la plainte est véridique, elle ne révèle aucun acte discriminatoire défini à l'article 5. Le fait pour l'intimé de faire observer la Loi sur l'immigration ne signifie pas qu'il prive les requérantes «de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public».
DEMANDE. AVOCATS:
J. W. I. Lockyer et C. Roach pour les requé- rantes Lodge, Hyde, Cox, Peart, Whyte et Anderson.
J. M. Wainberg, c.r., pour la requérante Lawrence.
G. R. Garton et P. J. Evraire pour l'intimé.
R. G. Juriansz, pour la Commission cana- dienne des droits de la personne (observa- teur).
PROCUREURS:
Charles Roach, Toronto, pour les requérantes Lodge, Hyde, Cox, Peart, Whyte et Ander- son.
Wainberg & Associates, Toronto, pour la requérante Lawrence.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
R. G. Juriansz, Commission canadienne des droits de la personne, Ottawa, pour la Com mission canadienne des droits de la personne (observateur).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Les requérantes sont toutes des ressortissantes de la Jamaïque; toutes sont noires; ce sont des femmes et toutes deman- dent à être reçues au Canada comme immigrantes. Si elles avaient dit la vérité, elles n'auraient pas été reçues. Une ordonnance d'expulsion a été pronon- cée contre elles et elles ont épuisé toutes les procé- dures d'appel. Les dates d'expulsion des requéran- tes Cox, Lawrence et Anderson n'ont pas été fixées; Elaine Peart devait être expulsée le 24 mars 1978, Rubena Whyte le 10 mars, Elizabeth Lodge et Carmen Hyde le 3 mars. A la suite de la signification d'un avis de requête déposé le 2 mars, l'intimé a suspendu l'exécution des ordonnances d'expulsion en attendant de connaître le sort de la requête.
La Commission canadienne des droits de la personne, créée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne,' a ouvert ses portes, pour ainsi dire, le ler mars 1978. Ce jour-là, les requé- rantes ont déposé une plainte devant la Commis sion, conformément au paragraphe 32(1) de la Loi. Elles demandent à présent à la Cour d'émet- tre une ordonnance interdisant à l'intimé d'exécu- ter les ordonnances d'expulsion tant que le sort de la plainte ne sera pas connu. La requête, sur autorisation d'avis sommaire, a été entendue le 2 mars. L'intimé ayant volontairement suspendu l'exécution des ordonnances d'expulsion, la Cour a pu ainsi déposer des motifs de jugement.
Le but de la Loi canadienne sur les droits de la personne, ci-après appelée «la Loi», est énoncé à l'article 2; en voici la partie pertinente:
' S.C. 1976-77, c. 33, art. 21.
2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne actuelle en donnant effet, dans le champ de compé- tence du Parlement du Canada, aux principes suivants:
a) tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considéra- tions fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, la situation de famille ....
Les motifs de distinction illicite sont prévus à l'article 3 et la Commission tire son pouvoir d'in- tervention de l'article 4.
3. Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinc tion illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, la situation de famille ou l'état de personne graciée et, en matière d'emploi, sur un handicap physique.
4. Les actes discriminatoires prévus aux articles 5 à 13 peuvent faire l'objet d'une plainte en vertu de la Partie III et toute personne reconnue coupable de ces actes peut faire l'objet des ordonnances prévues aux articles 41 et 42.
L'acte discriminatoire évoqué par les requérantes dans leur plainte est celui qui est défini à l'alinéa 5a).
5. Constitue un acte discriminatoire le fait pour le fournis- seur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'héber- gement destinés au public
a) d'en priver, ou
b) de défavoriser, à l'occasion de leur fourniture, un individu, pour un motif de distinction illicite.
Les requérantes sont toutes de même race, de même origine nationale, de même couleur et de
même sexe. Elles affirment dans leur plainte:
[TRADUCTION] Les plaignantes croient que le véritable motif de leur expulsion tient au fait qu'elles sont noires et que leur pays d'origine est la Jamaïque. Les plaignantes ont des raisons de croire que depuis 1975, circulent au ministère de l'Emploi et de l'Immigration des directives internes ou des normes tacites de distinction illicite, spécialement et particulièrement dirigées contre les femmes jamaïquaines comme groupe. Et que l'appli- cation de ces directives internes et de ces normes tacites leur a été préjudiciable.
En l'espèce, je me sens obligé de dire expressé- ment que les documents qui m'ont été soumis n'étayent pas la proposition qu'on a ordonné l'ex- pulsion des requérantes à cause de leur race, de leur couleur, de leur origine nationale ou ethnique ou de leur sexe, mais parce qu'elles avaient menti afin d'être reçues comme immigrantes. A propos
du programme de contrôle des immigrants de l'Inde orientale, il me semble que lorsque les res- sortissants d'un pays donné cherchent systémati- quement à contourner la loi canadienne sur l'im- migration, il est aisé de comprendre que l'on doive soumettre à des mesures spéciales l'admission des requérants de ce pays. Cela ne peut être associé au mot «distinction illicite» employé péjorativement. De même, si un nombre démesuré de membres du mouvement rastafarien manifestent les tendances précitées, les Canadiens peuvent probablement s'attendre à ce que les fonctionnaires à l'immigra- tion accordent une attention spéciale aux deman- des d'admission au Canada présentées par des Rastafariens. Cette attente n'est pas fondée sur une antipathie envers les ressortissants jamaï- quains, mais sur une antipathie envers les crimi- nels. Il est certainement possible, à partir de cita tions choisies, de tracer un tableau de pratiques fondées sur la discrimination raciale ou autre qui résultent des directives données par le ministère de l'Immigration à ses fonctionnaires au sujet des Indiens de l'est et des Rastafariens. Mais, pris dans leur ensemble, ces documents tracent un tableau dénué de préjugés, sauf contre ceux dont on s'aperçoit qu'ils ont contrevenu à la loi. Que cette perception soit bien claire est une autre question.
Ceci dit, supposons, pour les besoins de la pré- sente demande, que tout ce qui est allégué dans la plainte soit véridique. Dans cette hypothèse, plu- sieurs des motifs de distinction illicite définis à l'article 3 de la Loi sont établis. Cependant, en vertu de l'article 4, la Commission a le pouvoir d'enquêter et d'intervenir si un acte discrimina- toire défini aux articles 5 à 13 est commis. Si l'acte n'est pas discriminatoire, il n'est pas sujet à l'ac- tion de la Commission même s'il est fondé sur un motif de distinction illicite.
L'article 5 est le seul article invoqué par les requérantes qui définit un acte discriminatoire et si je suppose encore une fois que tout ce qui est allégué dans la plainte est véridique, je ne constate l'existence d'aucun acte discriminatoire défini à l'article 5. Si j'avais eu quelque doute à ce sujet, j'aurais été entièrement prêt à chercher en vertu de quel pouvoir j'aurais pu émettre une ordonnance ayant l'effet désiré. Cependant, le fait pour l'in-
timé de faire observer les dispositions de la Loi sur l'immigration 2 ne signifie pas qu'il prive les requé- rantes «de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public». Cela ne constitue pas un acte discriminatoire et le motif d'application, même s'il est établi qu'il est répré- hensible, comme le prétendent les requérantes, ne peut en faire ce qu'il n'est pas.
ORDONNANCE La requête est rejetée avec dépens.
2 S.R.C. 1970, c. I-2.
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