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A-362-76
Value Development Corp. (Demanderesse) (Appe- lante)
c.
La Reine (Défenderesse) (Intimée)
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain et le juge suppléant Hyde—Montréal, les 20 et 23 septembre 1977.
Couronne Contrat Bail Clause d'échelle mobile relative à l'augmentation des loyers et des taxes foncières municipales Erreur dans le bail relativement à l'année de base servant au calcul de l'augmentation L'intimée doit-elle payer des augmentations calculées sur la base de la clause convenue ou de la clause du bail écrit et signé?
Le bail à long terme entre l'appelante et l'intimée contenait une clause d'échelle mobile prévoyant que l'intimée paierait toutes taxes dépassant de vingt pour cent celles de l'année de base. Le document intitulé "Instructions aux soumissionnaires" indiquait 1969 comme année de base, mais le bail indiquait, par erreur, 1968 comme année de base. Dans une poursuite intentée par l'appelante pour des sommes qu'elle prétendait dues en vertu de la clause d'échelle mobile, le premier juge a conclu que 1969 était l'année de base convenue entre les parties. L'appe- lante allègue maintenant que le premier juge a fait une erreur de droit en prenant pour acquis que les termes du bail étaient fixés, non par l'écrit signé par les parties, mais par l'offre faite par l'appelante lorsqu'elle a soumissionné. Elle allègue égale- ment que le premier juge a mal apprécié la preuve.
Arrêt: l'appel est rejeté. Le fait que le premier juge a pu être trop laconique ne signifie pas nécessairement qu'il a mal appré- cié la preuve et que sa décision est mauvaise. Le premier juge n'a pas voulu dire que les dispositions du contrat conclu entre les parties avaient été définitivement déterminées par l'offre de l'appelante, mais plutôt que, dans la mesure la soumission de l'appelante était conforme aux "Instructions aux soumissionnai- res", elle révélait les conditions auxquelles les parties étaient disposées à contracter. A moins d'indications claires sur la question de savoir si les parties ont modifié leur convention entre l'offre de l'appelante et la signature du bail, on a peine à croire qu'une clause qui semblait tout à fait raisonnable ait été modifiée de façon à devenir absurde. Une clause protégeant le propriétaire contre les hausses imprévues de taxes est raisonna- ble, mais elle devient absurde si elle force le locataire à payer toutes les augmentations de taxes.
APPEL. AVOCATS:
Jack Greenstein, c.r., pour l'appelante. Jack Ouellet pour l'intimée.
PROCUREURS:
Geoffrion, Prud'homme, Chevrier, Cardinal,
Marchessault, Mercier & Greenstein, Mont- réal, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Voici les motifs du jugement prononcés en fran- çais à l'audience par
LE JUGE PRATTE: L'appelante est propriétaire d'un édifice à Outremont qu'elle a loué à l'intimée pour une durée de vingt ans à compter du 1" décembre 1968. Le bail signé par les parties pré- voit, entre autres, que le propriétaire paiera les taxes foncières et .que le locataire devra, cepen- dant, les années ces taxes excéderont de plus de 20 pour cent les taxes de l'année 1968, payer au propriétaire un montant égal à cet excédent.
En 1975, l'appelante a poursuivi l'intimée pré- tendant que celle-ci lui devait plus de $68,000 en conséquence de l'augmentation des taxes foncières depuis le début du bail.' L'intimée a plaidé que, par suite d'une erreur, le bail signé par les parties ne reflète pas le contrat qu'elles ont conclu suivant lequel les sommes additionnelles auxquelles l'appe- lante a droit en conséquence de l'augmentation du montant des taxes foncières doivent être calculées par référence aux taxes de 1969 et non à celles de 1968. L'intimée a conclu sa défense en reconnais- sant devoir à l'appelante la somme de $14,237.87 (qui fut payée avant l'instruction de l'affaire) et en demandant que l'erreur commise soit corrigée par le jugement à intervenir. Le premier juge a rejeté, sauf pour les frais, l'action de l'appelante et a fait droit à la demande de rectification de l'intimée. C'est contre ce jugement qu'est dirigé le pourvoi.
Les faits essentiels de cette affaire sont établis par une preuve documentaire facile à résumer.
A la fin de 1967 ou au début de 1968, le ministère des Travaux publics sollicita des soumis- sions pour la location à l'intimée d'un édifice devant servir de bureau de poste à Outremont. Les conditions auxquelles ces soumissions devaient se
' L'importance de la somme réclamée s'explique facilement lorsque l'on sait que l'édifice loué n'a été construit qu'à la fin de 1968 de sorte que les taxes foncières pour cette année-là étaient calculées en ayant égard à la seule valeur du terrain nu.
conformer étaient énoncées dans un document inti- tulé [TRADUCTION] «Instructions aux Soumission- naires» qui fut remis à tous ceux qui, comme l'appelante, voulaient soumissionner. Ce document prévoyait que le loyer convenu ne varierait pas pendant la durée du bail sous cette seule réserve que le propriétaire aurait le droit d'être indemnisé par le locataire les années les taxes foncières excéderaient de plus de 20 pour cent les taxes imposées pendant [TRADUCTION] «la première année civile complète du bail». Le 21 février 1968, l'appelante faisait parvenir à l'intimée une soumis- sion qui référait explicitement aux termes des [TRADUCTION] «Instructions aux Soumissionnai- res». Le 25 avril 1968, par une lettre adressée au ministère des Travaux publics, l'appelante modi- fiait sa soumission: elle diminuait le prix de loca tion mais exigeait, en retour, qu'on insère dans le bail une clause la garantissant contre une hausse de plus de 20 pour cent des frais annuels d'exploi- tation de l'immeuble. Le 31 mai, le ministère des Travaux publics écrivait à l'appelante pour la pré- venir que sa soumission avait été acceptée. Cette lettre informait d'abord l'appelante que la signa ture du bail projeté avait été approuvée par le Conseil du Trésor; elle résumait ensuite les stipula tions du bail et ce résumé se terminait par le paragraphe suivant:
[TRADUCTION] Si, au cours d'une année d'imposition, les taxes foncières municipales augmentent et dépassent 120% de la taxe imposée pendant l'année de base (1968), la Couronne paiera à votre corporation, en plus du loyer, la fraction du total des taxes excédentaires, correspondant au rapport entre la superfi- cie des lieux occupés par la Couronne en vertu du présent bail et la superficie totale de l'édifice. Cette clause s'applique également aux frais d'exploitation.
Un peu plus tard, à une date que la preuve ne permet pas de préciser, le président de l'appelante signa le projet de bail. Ce projet contenait une clause d'échelle mobile relative aux taxes foncières et une autre relative aux frais d'exploitation; l'une et l'autre faisaient référence à une même année de base: 1968.
Au mois d'avril 1969, le projet de bail qu'avait signé le président de l'appelante fut examiné par un monsieur Wolfe, un fonctionnaire du ministère des Travaux publics. Wolfe était le supérieur immédiat d'un monsieur Charlebois qui était chargé de toutes les négociations relatives au bail. En examinant le projet, Wolfe remarqua quelques erreurs et, notamment, la référence à l'année 1968
plutôt qu'à l'année 1969 dans les deux clauses d'échelle mobile. Il écrivit alors à Charlebois lui soulignant ces erreurs, lui demandant de les corri- ger et de lui retourner ensuite le dossier. Charle- bois reçut cette lettre et y inscrivit, en marge, des annotations difficiles à comprendre mais pouvant laisser croire que, à son avis, l'erreur soulignée relativement aux deux clauses d'échelle mobile ne devait pas être corrigée. 2 Charlebois retourna le projet de contrat à Wolfe après avoir effectué certaines seulement des corrections demandées. Dans sa version corrigée, la clause relative à l'aug- mentation des frais d'exploitation référait à l'année 1969 comme année de base; la clause relative à l'augmentation des taxes foncières, par contre, référait toujours à l'année 1968. Lorsque le dossier lui fut retourné, Wolfe négligea de vérifier si Charlebois avait bien exécuté ses directives; il transmit tel quel le projet de bail à ses supérieurs pour signature. C'est ainsi que le contrat signé par les parties contient la clause suivante sur laquelle l'appelante fonde sa réclamation:
[TRADUCTION]
1. Si, au cours d'une année d'imposition, les taxes foncières augmentent et dépassent 120% de la taxe imposée pendant l'année de base, le preneur paiera au bailleur, en plus du loyer, la fraction du total des taxes excédentaires, correspon- dant au rapport entre la superficie des lieux occupés par la Couronne en vertu du présent bail et la superficie totale de l'édifice.
2. Aux fins du paragraphe (1):
a) «Année de base» désigne l'année d'imposition qui com mence le 1«' janvier 1968 et se termine le 31 décembre 1968.
b) «Taxes excédentaires» désigne les taxes dont le montant est supérieur à 120% des taxes perçues au cours de l'année de base.
c) L'expression «taxes foncières» n'inclut pas les frais appli- cables à l'amélioration des lieux.
Si le premier juge a fait droit aux conclusions de la défense de l'intimée, c'est qu'il a considéré que c'est à la suite d'une erreur que la clause précitée réfère à l'année 1968 et que les parties avaient convenu, en fait, que l'année de base dont parle cette clause serait l'année 1969, qui était [TRA- DUCTION] «la première année civile complète du bail».
Cette décision, l'appelante l'attaque parce qu'elle serait fondée sur une erreur de droit et, aussi, sur une fausse appréciation de la preuve.
2 Si le sens de ces annotations n'a pu être établi au procès, c'est que monsieur Charlebois est décédé en 1970.
L'erreur de droit reprochée au premier juge est d'avoir pris pour acquis que les termes du bail étaient fixés, non par l'écrit signé par les parties, mais par l'offre faite par l'appelante lorsqu'elle a soumissionné. Cet argument, à mon avis, n'est pas fondé. Lorsqu'on replace dans leur contexte les remarques du premier juge à ce sujet, il me semble évident qu'il n'a pas voulu dire que les termes du contrat conclu par les parties avaient été définiti- vement fixés par l'offre de l'appelante. Ce qu'il a voulu dire, à mon sens, c'est que dans la mesure la soumission de l'appelante était conforme aux [TRADUCTION] «Instructions aux Soumissionnai- res», elle révélait les conditions auxquelles, à ce moment-là, les parties étaient disposées à contrac- ter et, aussi, les conditions du contrat qui, dans le cours normal des choses, interviendrait entre les parties si la soumission de l'appelante était acceptée.
L'appelante reproche aussi au premier juge d'avoir mal apprécié la preuve qui, prétend-elle, ne permettrait pas de conclure que les parties ont convenu de référer à l'année 1969 dans la clause d'échelle mobile relative aux taxes foncières. L'er- reur du premier juge sur ce point viendrait de ce que:
a) il aurait omis de considérer le contenu de la lettre du 31 mai 1968 informant l'appelante que la conclusion du bail avait été approuvée par le Conseil du Trésor;
b) il aurait omis de tirer les conclusions qui s'imposaient des annotations faites par Charle- bois sur la lettre que lui avait adressée Wolfe pour lui demander de corriger le projet de bail;
c) il aurait omis, enfin, de prendre en considéra- tion le témoignage non contredit du président de l'appelante qui avait affirmé n'avoir jamais acquiescé à ce que la clause qui nous intéresse réfère à l'année 1969.
Il eut certes été préférable que les motifs de la, décision attaquée contiennent une analyse plus poussée de la preuve et des constatations de faits plus explicites. Mais, même si le premier juge a pu être trop laconique, sa décision n'en est pas, pour cela, nécessairement mauvaise.
Lorsque l'appelante a soumissionné, elle faisait une offre à l'intimée, offre qui référait expressé- ment aux [TRADUCTION] «Instructions aux Sou-
missionnaires». L'appelante offrait donc de con- clure un bail contenant une clause d'échelle mobile relative aux taxes foncières référant, comme année de base, à [TRADUCTION] «la première année civile complète du bail». Cette «première année civile complète du bail» ne pouvait pas être l'année 1968 puisque la soumission elle-même était faite après le début de cette année-là et se rapportait à la location d'un édifice dont la construction n'était pas encore commencée. Il n'y a aucune preuve que la soumission de l'appelante ait été modifiée sur ce point lorsque, au mois de mai 1968, l'appelante a été prévenue de l'acceptation de l'intimée. L'en- tente entre les parties était donc alors complète. Il est vrai que la lettre du 31 mai référait à l'année 1968 comme année de base et non à 1969, mais, à mon sens, étant donné la teneur des [TRADUC- TION] «Instructions aux Soumissionnaires», il est évident que la mention de l'année 1968 plutôt que 1969 dans cette lettre résultait d'une simple erreur de calcul qui n'a pas empêché qu'existe à ce moment entre les parties un accord pour conclure un bail contenant une clause d'échelle mobile rela- tivement aux taxes foncières, clause qui référerait, comme année de base, à [TRADUCTION] «la pre- mière année civile complète du bail».
Il est théoriquement possible que les parties aient modifié leur convention entre le moment l'offre de l'appelante a été acceptée et celui le bail a été signé. Cependant, à moins d'indications claires à ce sujet, on a peine à croire qu'une clause de contrat qui semblait tout à fait raisonnable ait été modifiée de façon à devenir absurde. Car, si la clause d'échelle mobile est parfaitement raisonna- ble lorsqu'elle protège le propriétaire contre les hausses imprévues des taxes foncières que le bail l'oblige à payer, elle devient absurde, en revanche, si on la modifie de façon à forcer le locataire à payer toutes les taxes sur l'édifice loué. Je suis donc d'opinion que le premier juge a eu raison de considérer que la preuve ne permettait pas de croire à pareil changement d'intention de la part des parties.
On peut certes s'étonner, avec le premier juge, que cette erreur de chiffre n'ait pas été corrigée avant la signature du bail, mais, comme lui, malgré cela et malgré le mystère entourant les annotations placées par Charlebois en marge de la lettre que Wolfe lui avait adressée, je ne peux
croire que les parties aient, pendant ce temps, modifié l'intention que manifestait leur entente originaire.
Je n'ai pas encore fait état, suivant en cela l'exemple du premier juge, du témoignage du pré- sident de l'appelante. C'est que l'explication du silence du premier juge sur ce point est, à mon avis, non qu'il a ignoré ce témoignage, mais plutôt qu'il n'y a pas ajouté foi. Et je dois dire, après avoir lu cette déposition, que cette réaction ne me paraît pas dépourvue de fondement.
Pour ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens.
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LE JUGE LE DAIN y a souscrit.
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LE JUGE SUPPLÉANT HYDE y a souscrit.
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