Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-666-76
Lawrence H. Mandel (Appelant)
c.
La Reine (Intimée)
Cour d'appel, les juges Urie et Ryan et le juge suppléant MacKay—Toronto, le 30 mai; Ottawa, le 26 octobre 1978.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions .Allocation du coût en capital Une société a acheté un film pour un prix d'achat égal au coût de production vérifié Le prix d'achat était payable en un acompte de $150,000, le solde devant être payé sur les bénéfices L'appelant était-il en droit de réclamer, à titre d'allocation du coût en capital, sa part du prix total stipulé ou seulement sa part de l'acompte?
L'appelant a formé avec onze autres associés une société ainsi qu'une compagnie à cet effet. La société a acheté en 1971 un film ayant atteint un stade avancé de production. Le prix d'achat du film était égal au coût de production vérifié à la date d'achat et était payable en un acompte de $150,000, le solde devant être payé sur les bénéfices. Il s'agit de savoir si l'appe- lant était en droit de réclamer, à titre d'allocation du coût en capital pour 1971, sa part du prix total stipulé ou seulement sa part de l'acompte, compte tenu du fait que le solde ne devait être acquitté que sur les bénéfices éventuels. La solution dépend de la question de savoir s'il fallait voir dans l'obligation de payer le solde du prix un passif «réel» ou un passif éventuel.
Arrêt: l'appel est rejeté. Les acquéreurs ont contracté l'obli- gation de payer et l'acompte et le solde. Toutefois, l'obligation de paiement du solde n'était pas une obligation qui deviendrait exigible simplement à l'expiration d'un délai déterminé ou à la survenance d'un événement certain ou voire vraisemblable. Cette deuxième obligation des acquéreurs (dont ils ne pou- vaient certes pas se libérer unilatéralement) dépendait d'un événement qui n'était pas du tout certain. Il s'agissait donc d'une obligation éventuelle. Le coût en capital du film est le prix de revient du film pour les contribuables et non les dépenses engagées par les vendeurs pour le produire ou les obligations qu'ils ont contractées en vue d'obtenir le finance- ment. La méthode appropriée pour déterminer le coût en capital pour les contribuables consiste à inclure l'acompte et à exclure le passif éventuel, les paiements ultérieurs, le cas échéant, étant comptés quand ils auront été effectués.
Distinction faite avec l'arrêt: Winter and Others (Execu- tors of Sir Arthur Munro Sutherland (deceased)) c. Inland Revenue Commissioners [1963] A.C. 235.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
D. K. Laidlaw, c.r. et P. H. Harris pour l'appelant.
G. W. Ainslie, c.r. et W. Lefebvre pour l'intimée.
PROCUREURS:
Perry, Farley & Onyschuk, Toronto, pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE RYAN: Il s'agit d'un appel d'un juge- ment rendu le 9 août 1976 par la Division de première instance [[1977] 1 C.F. 673] qui a débouté l'appelant de son recours contre une nou- velle cotisation d'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1971. En première instance, ce recours a été entendu conjointement avec onze autres sur preuve commune, les points de droit en cause étant identiques dans chaque cas, et naturel- lement les onze autres recours ont été également rejetés. Pourvoi en appel est aussi formé dans les onze autres causes et, les questions en litige étant de nouveau identiques, tous les appels seront jugés sur la base des arguments présentés dans la pré- sente espèce et un exemplaire des présents motifs sera versé au dossier d'appel des autres causes'.
Le litige porte sur une allocation du coût en capital. L'appelant a formé avec onze autres asso- ciés une société ainsi qu'une compagnie à cet effet. La société a acheté en 1971 un film ayant atteint un stade avancé de production. Le prix d'achat du film était égal au coût de production vérifié à la date d'achat, soit $577,892, payable en un acompte de $150,000, le solde devant être payé sur les bénéfices.
Il s'agit de savoir si l'appelant était en droit de réclamer, à titre d'allocation du coût en capital pour 1971, sa part du prix total stipulé ou seule- ment, comme le soutient le Ministre, sa part de
' Les autres appels sont:
Ralph O. Howie c. La Reine, A-667-76
Sigmund J. Vaile c. La Reine, A-668-76
Robert W. Macaulay c. La Reine, A-669-76
Kenneth E. Howie c. La Reine, A-670-76
Keith Munro Gibson c. La Reine, A-671-76
Donald Lilly c. La Reine, A-672-76
Ian W. Outerbridge c. La Reine, A-673-76
William P. Rogers c. La Reine, A-674-76
Frank A. Rush c. La Reine, A-675-76
James M. Farley c. La Reine, A-676-76
V. R. E. Perry c. La Reine, A-677-76
l'acompte, compte tenu du fait que le solde ne devait être acquitté que sur les bénéfices éventuels. Il ressort des témoignages des experts en compta- bilité que tout dépend de la question de savoir s'il fallait voir dans l'obligation de payer le solde du prix un passif «réel» ou un passif éventuel.
La loi et les règlements de l'impôt sur le revenu applicables en l'espèce sont ceux en vigueur pour l'année d'imposition 1971.
Les faits ne sont pratiquement pas contestés. Ils sont clairement énoncés dans le mémoire soumis par l'appelant. Je vais donc en citer en entier les paragraphes 4 à 18, à l'exception des paragraphes 13 et 16 qui sont réfutés par l'intimée. J'omets les numéros des paragraphes ainsi que les renvois aux pages des pièces du dossier, en apportant, pour cette raison, quelques petits changements de ponctuation.
[TRADUCTION] Le 14 septembre 1971, Topaz Production Limited, Niagara Television Limited, Robert Lawrence Pro ductions (Canada) Limited et John T. Ross ont passé un contrat en vue de la production d'un film intitulé «Mahoney's Estate» pour lequel était prévu un budget de $653,000. La production devait être terminée le 31 décembre 1971.
Topaz a vendu à Niagara 25 p. 100 de tous ses droits sur le film, ne gardant plus ainsi qu'une participation de 75 p. 100. Aux termes du contrat, Topaz devait recevoir $20,000 comme indemnité différée et 25 p. 100 des bénéfices. Robert Lawrence Productions devait recevoir $15,000 comme indemnité différée et 8 p. 100 des bénéfices et était chargée de pourvoir au financement de tous les frais de production en excédent de
$375,000, l'exclusion des frais différés. Niagara a avancé $125,000 remboursables sur les recettes. Une fois le film ter- miné, la firme de comptables agréés Deloitte, Haskins & Sells devait procéder à une vérification des comptes pour déterminer le coût total de production. Les bénéfices nets en excédent des dépenses devaient être répartis de la façon suivante: 20 p. 100 à la Société de développement de l'industrie cinématographique canadienne, 22 p. 100 Niagara, 8 p. 100 Robert Lawrence Productions, 25 p. 100 Topaz, 7 p. 100 Harvey Hart, 1.5 p. 100 Harvey Hart, 1.5 p. 100 Maud Adams, 1.5 p. 100 à Sam Waterston, et les 15 p. 100 restants aux personnes dési- gnées conjointement par Topaz et Robert Lawrence Produc tions ou, à défaut de désignation, partagés à égalité entre ces deux compagnies.
Aux termes d'un second contrat daté du 14 septembre 1971, la Société de développement de l'industrie cinématographique canadienne a convenu avec Topaz et Niagara en tant que propriétaires, avec Topaz en tant que producteur et avec John T. Ross en tant que producteur délégué, d'avancer $250,000 moyennant une participation de 20 p. 100 aux bénéfices nets.
Aux termes d'un contrat conclu le 31 août 1971 entre Topaz et Niagara en tant que concédants d'une part, et International Film Distributors Limited, en tant que distributeurs d'autre part, la distribution du film se ferait moyennant un pourcentage des recettes brutes.
Le 9 décembre 1971, la Banque de Montréal a consenti un prêt de $100,000, moyennant une participation de 2.5 p. 100 aux bénéfices nets. Ce prêt a été fait à un taux d'intérêt de 2.5 p. 100 supérieur au taux préférentiel et le remboursement devait commencer trois mois après l'achèvement de la production.
Les arrangements financiers susmentionnés étaient considé- rés en 1971 comme des contrats normaux de financement dans l'industrie du cinéma.
Le 22 décembre 1971, l'étude d'avocats Thomson, Rogers (dont faisaient partie onze des demandeurs) a écrit à Topaz et à Niagara, propriétaires du film, pour confirmer qu'elle avait réuni $150,000 en vue d'acquérir le film le 31 décembre 1971 pour le compte d'une société en commandite, à condition que Niagara avance $125,000 exempts d'intérêts et remboursables aux mêmes conditions que les $250,000 avancés par la Société de développement de l'industrie cinématographique canadienne. Le solde du prix d'achat devait être réglé par la prise en charge de toutes les obligations du producteur concernant le paiement notamment des sommes que celui-ci s'était engagé à payer aux termes de tous les accords, contrats et arrangements existants ou à conclure en vue de terminer le film, ou le remboursement notamment de toutes les sommes avancées par la Société de développement de l'industrie cinématographique canadienne et par Niagara. Les remboursements seraient effectués avec les fonds provenant des recettes.
Dans le but d'acquérir le film en question, les intéressés avaient décidé de former et ont formé une société en comman- dite ainsi qu'une compagnie à constituer, celle-ci devant être le gérant et eux-mêmes les commanditaires. La compagnie a été constituée sous le nom de «One Flag Under Ontario Invest ments Limited» tandis que la société en commandite était désignée sous le nom de «One Flag Under Ontario Investments Limited and Film Associates». La participation de chaque associé était en fonction de son apport.
Le 30 décembre 1971, l'accord définitif a été conclu entre Topaz, Niagara, la Société de développement de l'industrie cinématographique canadienne, Robert Lawrence Productions, John T. Ross et One Flag, cette dernière étant représentée par son gérant. Les 15 p. 100 des bénéfices nets, dont il était prévu qu'ils reviendraient aux personnes désignées par Topaz et Robert Lawrence, iraient dans la proportion de 12.5 p. 100 aux acheteurs et 2.5 p. 100 la banque, les pourcentages des autres parties demeurant inchangés.
Par ailleurs, il a été prévu que la firme Deloitte, Haskins & Sells procéderait à une vérification des comptes pour détermi- ner le coût total de production au 31 décembre 1971. A la suite de cette vérification, il a été établi que les frais de production et d'acquisition s'élevaient à $577,892 cette date.
La même firme devait aussi déterminer le montant définitif des frais de production, mais aux fins de l'année d'imposition 1971 et du prix d'achat, les comptes à vérifier étaient arrêtés au 31 décembre 1971 et les frais certifiés comme ci-dessus.
Sur ce chiffre de $577,892, les demandeurs ont versé $150,- 000, le solde devant être acquitté sur les recettes conformément au contrat susmentionné.
A la date d'achat, le film était pratiquement achevé, restait seulement le montage.
Il ressort d'un contrat conclu le le' février 1973 entre la Société de développement de l'industrie cinématographique canadienne, Amaho Limited (désignée comme le cessionnaire), Topaz Productions Limited, Niagara Television Limited, Robert Lawrence Productions Limited, John T. Ross, One Flag Under Ontario Investments Limited & Film Associates et Alexis Kanner, que Niagara, qui a contribué pour $125,000 au financement du film et pour quelque $10,000 son achève- ment, cède tous ses droits à Amaho Limited (le cessionnaire), à l'exclusion de ses droits sur les $10,000. Quant à la Société de développement de l'industrie cinématographique canadienne, elle cède, moyennant $1.00, tous ses droits au remboursement, à prélever sur une partie des bénéfices réalisés par le film, des sommes qu'elle a avancées et les parties renoncent à toute réclamation contre elle concernant le solde non versé ($3,420) des $250,000 qu'elle s'était engagée à avancer.
Le 11 février 1974, Topaz Productions Limited et British Lion Films Limited ont conclu un contrat aux termes duquel les deux parties conviennent que les prises de vues du film sont terminées, mais qu'un financement complémentaire est néces- saire pour terminer la production et pour apprêter le film aux fins de projection, financement que Lion a accepté d'assurer contre les droits de distribution internationale.
L'appelant a revendiqué une allocation du coût en capital pour l'année d'imposition 1971, basée sur sa part du prix stipulé du film, y compris le montant total du solde à acquitter sur les bénéfices éventuels. Le Ministre a établi une nouvelle cotisa- tion pour l'appelant en soutenant que le coût en capital se limitait en 1971 pour les acquéreurs du film à l'acompte de $150,000. L'appelant a inter- jeté appel devant la Cour fédérale. Le juge de première instance l'a débouté en statuant que le coût en capital du film en 1971 pour les acqué- reurs était l'acompte et ne saurait recouvrir le solde du prix dont l'obligation d'acquitter consti- tuait, à son avis, un passif éventuel.
L'appelant soutient que le savant juge de pre- mière instance a commis une erreur en concluant que son allocation du coût en capital ne pouvait se calculer sur la base du prix total établi par les vérificateurs comptables, soit $577,892, et, en par- ticulier, en statuant que l'excédent sur l'acompte de $150,000 constituait un passif éventuel.
En première instance, l'appelant a cité comme expert-comptable, M. Robert Fraser. De son côté, l'intimée a cité M. Bonham, un autre expert-comp- table. De l'avis du juge de première instance, ces deux témoins étaient des «... experts hautement qualifiés ...».
Il y avait certainement lieu en l'espèce de rechercher l'avis des experts en comptabilité pour déterminer si, eu égard aux circonstances, le solde non acquitté du prix pouvait, à juste titre, être compté dans le coût en capital du film dans l'année d'achat. Rien dans la loi ni dans les règlements applicables ne limite la portée normale de tels témoignages.
Si je ne me trompe, les deux experts ont reconnu que le solde non acquitté devait être compté s'il s'agissait d'un passif «réel», mais exclu s'il s'agis- sait d'un passif éventuel. De toute évidence, c'était également l'avis du juge de première instance.
Selon l'expert Fraser, l'obligation des acqué- reurs d'acquitter le solde constituait un passif «réel» et non, aux fins qui nous intéressent, un passif éventuel. Le paiement était certes condition- nel, mais à son avis, l'obligation contractuelle de verser le montant précis était, à proprement parler, «réelle».
M. Bonham n'était pas de cet avis. Il faut noter ici qu'au moment de lui demander son opinion avant l'ouverture du procès, l'intimée a formulé certaines hypothèses sur lesquelles son opinion devait se baser. Ainsi donc, son affidavit reçu en preuve était fondé sur ces hypothèses dont en voici une:
[TRADUCTION] Dans l'acquisition du film en question, les obligations contractées par One Flag [la société en commandite acquéreuse] étaient:
a) inconditionnelles en ce qui concerne le versement des $150,000, et
b) conditionnelles ou éventuelles en ce qui concerne le paie- ment de toutes autres sommes jusqu'à concurrence du maxi mum de $427,892 établi au 31 décembre 1971 (ce qui donne un prix total maximum de $577,892 cette date), la condi tion étant l'existence préalable de recettes provenant de l'exploitation du film conformément aux contrats y afférents.
A l'interrogatoire tout comme lors du contre- interrogatoire, M. Bonham a déclaré sans équivo- que qu'à son avis, cette condition a pour effet, aux fins des considérations de comptabilité qui nous
intéressent, de rendre éventuelle l'obligation d'ac- quitter le solde du prix 2 .
Après avoir soigneusement analysé les témoi- gnages des experts, le juge de première instance a conclu que l'obligation d'acquitter le solde du prix était, en l'espèce, une obligation éventuelle. Je suis du même avis. Il s'ensuit donc que ce solde ne devait pas, à juste titre, être compté dans le coût en capital du contribuable pour l'année d'imposi- tion en cause. Par la suite, si jamais des sommes étaient réellement versées à même les bénéfices éventuels, elles pourraient être comptées dans le coût en capital au titre des années elles seraient versées.
Comme l'a souligné le juge de première ins tance, il est évident que les acquéreurs, en s'enga- geant à acheter le film aux conditions stipulées, ont contracté l'obligation de payer et l'acompte et le solde. Toutefois, l'obligation de paiement du solde n'était pas une obligation qui deviendrait exigible simplement à l'expiration d'un délai déter- miné ou à la survenance d'un événement certain ou voire vraisemblable 3 . Cette deuxième obligation des acquéreurs (dont ils ne pouvaient certes pas se libérer unilatéralement) dépendait d'un événement qui n'était pas du tout certain. Il s'agissait donc d'une obligation éventuelle.
Cette conclusion m'a été inspirée par le juge- ment de lord Reid dans Winter and Others (Executors of Sir Arthur Munro Sutherland (deceased)) c. Inland Revenue Commissioners 4 . Il s'agissait d'une affaire de taxe successorale dans laquelle il fallait statuer si l'obligation d'une corn-
2 Il faut ajouter que M. Bonham devait, à la demande de l'intimée, tenir compte d'une autre hypothèse, à savoir:
... [TRADUCTION] «qu'à la fin de l'année financière 1971, aucun fondement raisonnable ne permettait de prédire que les perspectives commerciales de l'exploitation du film seraient telles que l'obligation conditionnelle, dont on vient de parler, deviendrait presque certainement payable. En d'autres termes, l'achat du film par One Flag a nettement été une entreprise spéculative».
Voici ce qu'a dit à ce sujet le savant juge de première instance la page 687]:
En réalité, les acheteurs ont investi $150,000 dans une entreprise commerciale fortement hasardeuse en sachant que même si elle échouait, ils bénéficieraient d'avantages fiscaux importants et que, si par hasard elle réussissait, ils bénéficie- raient de ses profits.
4 [1963] A.C. 235.
pagnie de payer un impôt sur la récupération possible du coût en capital à la cession non encore réalisée d'un actif constituait ou non un passif éventuel au sens du paragraphe 50(1) de la loi dite Finance Act de 1940. La compagnie dans laquelle le de cujus détenait une participation majoritaire, s'était prévalue, de son vivant, d'une allocation du coût en capital des navires dont elle était proprié- taire, cette déduction étant récupérable et imposa- ble si jamais le produit de la vente de ces navires excéderait leur coût non amorti. D'après la loi en question, la valeur, aux fins de la taxe successo- rale, des actions détenues par le de cujus serait calculée à partir de la valeur de l'actif de la compagnie. Dans leur évaluation de cet actif, les commissaires du fisc [TRADUCTION] «... accorde- ront une allocation sur la valeur principale de ces biens pour tous les éléments de passif de la compa- gnie (calculée pour le passif qui n'est pas échu à la date du décès en fonction de sa valeur à cette date et, pour le passif éventuel, en fonction de l'estima- tion que les commissaires jugeront raisonna- ble) ....»
Dans l'affaire Winter, il s'agissait de savoir si la dette en cause constituait, aux fins de cette évalua- tion, un passif éventuel ou si elle devait être exclue du passif. Je me propose de citer un long extrait du jugement de lord Reid. Le problème qui se posait était évidemment l'interprétation de l'expression «passif éventuel» figurant dans la loi en question. Je pense cependant que ses observations ont une portée qui dépasse le cadre de cette loi. Voici ce qu'il a dit aux pages 247 249:
[TRADUCTION] Il ne fait aucun doute que les termes «passif» et «passif éventuel» sont plus souvent utilisés à propos des obligations contractuelles que de celles découlant de la loi. Mais je suis certain que si une loi déclare qu'une personne qui a fait quelque chose doit payer un impôt, cet impôt est un «passif» de ladite personne. Si le montant de l'impôt a été fixé et est exigible immédiatement, il constitue clairement un passif. S'il n'est exigible qu'à une certaine date ultérieure, il doit être considéré comme un passif qui «n'est pas échu à la date du `décès'» au sens l'entend l'article 50(1). Si l'on n'est pas encore certain de l'exigibilité de l'impôt ou de la date à laquelle il deviendra exigible ou du montant qui sera exigible, pourquoi alors ne s'agirait-il pas d'un passif éventuel en vertu du même article?
On dit que lorsqu'il y a un contrat, il y a une obligation, même si on doit attendre la survenance de certains événements pour voir si quelque chose devient exigible, mais dans le cas qui nous occupe, il n'y a pas d'obligation comparable. Il m'apparaît toutefois qu'il y a une grande similitude. Pour prendre la première phase, si je vois une montre dans une vitrine et songe
à l'acheter, je ne suis pas soumis à un passif éventuel face à son prix. De même, si une loi dit que je dois payer un impôt lorsque je commerce et réalise un profit, je ne suis pas soumis à un passif éventuel avant de commencer mes activités. Dans aucun des deux cas, je ne me suis engagé à quoi que ce soit. Mais, si je conviens par contrat d'accepter des allocations étant entendu que je paierai une somme si je vends plus tard quelque chose au-dessus d'un certain prix, je me suis engagé et je suis soumis à un passif éventuel face au paiement dans ce cas. C'est exactement le cas de la compagnie en question, sauf que son obligation de paiement n'est pas issue d'un contrat mais d'une loi. Je ne vois pas en quoi ce détail changerait les choses.
Il semblerait que l'expression «passif éventuel» n'ait pas de sens défini en droit anglais attendu qu'en l'espèce, le juge Danckwerts a jugé utile de recourir à un dictionnaire et que dans l'arrêt In re Duffy, (abondamment invoqué par les inti- més), la Cour d'appel estime que le sens de cette expression demeure une question ouverte à la discussion. Mais les Finance Acts sont des lois du Royaume-Uni et il existe au moins une forte présomption de signification équivalente en Écosse et en Angleterre. Une affaire exactement semblable à l'affaire pré- sente aurait pu nous venir d'Écosse et leurs Seigneuries auraient alors examiné le sens de cette expression en droit écossais. Je demande à leurs Seigneuries de m'excuser si je leur rappelle son sens en ce cas. La définition sans doute la plus claire du droit écossais se trouve dans le traité d'Erskine intitulé Institute, 3e éd. vol. 2, Livre III, titre 1, article 6, p. 586, il est écrit: «Les obligations peuvent être simples, à terme ou conditionnelles .... Les obligations à terme ... sont des obliga tions dont l'exécution est reportée à une date certaine. Dans ce genre d'obligations ... la dette existe véritablement à la date de l'obligation parce que la survenance du terme est chose cer- taine, seul l'effet ou l'exécution de l'obligation est suspendu jusqu'à l'arrivée de ce terme. Une obligation conditionnelle ou une obligation acceptée sous condition, dont l'existence est incertaine, n'a pas force obligatoire tant que la condition n'est pas réalisée; puisque la partie déclare n'avoir l'intention d'être liée par cette obligation qu'au cas cet événement survien- drait, elle n'est redevable de rien tant que cette condition n'existe pas effectivement; ainsi la condition, c'est-à-dire, l'évé- nement incertain, suspend non seulement l'exécution de l'obli- gation, mais l'obligation elle-même .... On dit d'une telle obligation, en droit romain, qu'elle crée seulement une espé- rance de dette. Le débiteur est cependant lié dans la mesure il n'a pas le droit de révoquer ou de retirer au créancier cette espérance après la lui avoir donnée.»
Autant que je sache, cette déclaration n'a jamais été mise en question depuis qu'elle a été écrite il y a deux siècles, et la jurisprudence postérieure à cette déclaration démontre claire- ment qu'obligation conditionnelle et obligation éventuelle ont le même sens. Il est donc impossible de décider qu'en droit écossais, une obligation éventuelle constitue simplement un genre particulier d'obligation existante. Il s'agit d'une obliga tion qui, en raison d'un acte du débiteur, naîtra nécessairement si un ou plusieurs événements se produisent ou ne se produisent pas. Si le droit anglais est différent—et je n'exprimerais aucune opinion à cet égard—la différence tient probablement plus à la terminologie qu'au fond même.
Je reviens maintenant aux dispositions de l'article 50(1) de la Finance Act de 1940. Aux termes de cet article, les commissai- res doivent déduire tout le passif de la compagnie, passif qui se
divise, ainsi qu'on pourrait s'y attendre, en trois catégories. Tout d'abord, lorsque la dette consiste en une somme immédia- tement exigible, nul n'est besoin de la calculer et la somme est déduite telle quelle. Dans la deuxième catégorie, la dette n'est pas encore échue: cela s'entend d'une somme qui sera exigible à une date ultérieure ou à la survenance certaine d'un événement futur, comme par exemple à la mort de A. Pour cette catégorie, les commissaires doivent prendre la valeur actualisée de la dette. La troisième catégorie correspond au «passif éventuel», c'est-à-dire certaines sommes, dont le paiement dépend d'un événement incertain, savoir, des sommes qui ne deviendront exigibles que si certaines choses arrivent et ne le seront jamais dans le cas contraire. On ne peut donc les déterminer avec certitude et les commissaires doivent faire une estimation qui leur semble raisonnable.
La dernière catégorie me semble couvrir exactement l'obliga- tion conditionnelle dont traitait Erskine dans l'extrait cité. Je souscris à la théorie des intimés lorsqu'ils affirment que cette catégorie ne peut inclure que des obligations qui, en droit, dépendent de la réalisation d'une ou plusieurs choses, et qu'elle ne peut s'appliquer à toutes les choses contre lesquelles un homme d'affaires prudent estimerait approprié de se prémunir. Cette distinction, j'ai essayé de la souligner plus haut. Je ne peux toutefois souscrire à une autre thèse présentée par les intimés selon laquelle il faut une obligation existante, une telle thèse ayant pour conséquence d'exclure au moins toutes les obligations conditionnelles du droit écossais.
J'ai souligné les passages que j'ai trouvés particu- lièrement utiles.
J'ai également trouvé utile la définition de l'ex- pression «passif éventuel» donnée par lord Guest dans la même affaire, à la page 262:
[TRADUCTION] Le passif éventuel diffère donc du passif à terme qui lie la compagnie mais qui n'est exigible qu'à une date ultérieure. Je définirais l'éventualité comme un événement qui peut se produire ou non, et le passif éventuel comme un passif dont l'existence dépend d'un événement qui peut se produire ou non. [C'est moi qui souligne.]
Il est intéressant de noter que lord Guest a lui aussi consulté le droit écossais des obligations con- ditionnelles et s'est référé en particulier à une partie du passage tiré par lord Reid du traité Erskine's Institute of the Law of Scotland et à l'ouvrage Gloag on Contract. Parlant de ce droit, il a déclaré à la page 263: [TRADUCTION] «Je ne vois pas pourquoi ces principes ne s'appliqueraient pas à une loi du Royaume-Uni. Aucune jurisprudence n'a été invoquée pour montrer qu'il en est diffé- remment dans le droit anglais.»
Avant de terminer, je me propose de me pencher sur un argument de l'avocat de l'appelant. Il s'agit du même argument qui a été présenté au juge de première instance qui l'a repris en ces termes la page 701]:
... puisque les acheteurs ont assumé toutes les obligations de Topaz, en plus de verser les $150,000 comptants, ils viennent en lieu et place des vendeurs et que le coût en capital du film supporté par eux est le même que ce qu'il aurait été pour les vendeurs.
Le juge de première instance s'est reporté à plusieurs précédents, notamment à l'arrêt Ottawa Valley Power Company c. M.R.N. 5 , invoqué par l'avocat, et à l'arrêt D'auteuil Lumber Co. Ltd. c. M.R.N. 6 , le président Jackett (maintenant juge en chef) a explicité les observations qu'il avait faites en rendant le premier arrêt. Le juge de première instance a alors déclaré ceci [aux pages 700 et 701]:
En procédant à l'achat, ils ont contracté l'obligation de payer le solde, mais seulement sur les recettes du film, en sorte que tant la date que l'existence du paiement étaient éventuelles et que ces montants ne devaient être réclamés que lorsqu'ils seraient payés et s'ils l'étaient. Certainement, pour employer les termes du juge en chef Jackett dans D'auteuil Lumber, «il est facile d'évaluer l'objet reçu, mais presque impossible d'évaluer la contrepartie». Toutefois, il poursuit: «Lorsque la valeur de la chose donnée en échange du bien en capital peut être détermi- née sans plus de difficulté que celle du bien en capital lui- même, je suis porté à penser que la Cour n'accepterait pas facilement que l'on recoure à l'évaluation du bien en capital lui-même plutôt qu'à celle de sa contrepartie, ou en supplément à cette dernière évaluation.» En l'espèce, il me semble que la valeur de la contrepartie pourra être déterminée avec une parfaite exactitude lorsqu'on aura finalement touché les recet- tes nettes du film et aucun texte législatif ou autre n'exige que ces recettes soient évaluées à la fin de l'année d'imposition 1971, ce que d'ailleurs il aurait été impossible de faire.
En toute déférence, j'estime que l'argument a été judicieusement tranché. Je ferais cependant une réserve quant à la facilité avec laquelle il serait possible d'évaluer le film avant la vente. Il est évident que le coût en capital en question est le prix de revient du film pour les contribuables et non les dépenses engagées par les vendeurs pour le produire ou les obligations qu'ils ont contractées en vue d'obtenir le financement. Il ressort des témoi- gnages des experts-comptables, témoignages qui ont été à juste titre admis par le juge de première instance, que la méthode appropriée pour détermi- ner le coût en capital pour les contribuables con- siste à inclure l'acompte et à exclure le passif éventuel, les paiements ultérieurs, le cas échéant, étant comptés quand ils auront été effectués. Du moment que l'avis des experts-comptables est
5 [1969] 2 R.C.E. 64.
6 [1970] R.C.E. 415.
admis, rien n'empêche de déterminer le prix de revient du film pour les contribuables, ce qui éli- mine toute nécessité d'avoir recours à une pré- somption quelconque basée sur les frais subis par des tiers ou sur quelque autre élément. En fait, j'estime qu'il serait probablement plus facile de calculer les frais subis par les vendeurs que d'éta- blir la «valeur» du film avant la vente.
En statuant sur cet appel, il n'est évidemment pas besoin d'examiner les arguments présentés à la Cour et basés sur l'hypothèse selon laquelle l'obli- gation de payer le solde du prix était une obliga tion réelle et non éventuelle.
Il n'y a pas d'appel incident.
L'appel est rejeté avec dépens. Il n'y aura cepen- dant qu'un seul décompte des frais pour tous les appels, à savoir celui-ci et ceux qui sont énumérés à la note de renvoi 1.
* * *
LE JUGE URIE: J'y souscris.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: J'y souscris.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.