T-661-79
Goodyear Tire & Rubber Company (Requérante)
c.
Le commissaire des brevets et le ministre de la
Consommation et des Corporations (Intimés)
Division de première instance, le juge Mahoney—
Toronto, le 20 février; Ottawa, le 23 février 1979.
Brefs de prérogative — Mandamus — Dessin industriel
Compétence — Demande de mandamus pour enjoindre aux
intimés d'enregistrer un dessin industriel — L'intimé commis-
saire des brevets a exigé la réponse aux questions sur la
validité de l'enregistrement ainsi que des détails concernant la
publication — Il s'agit de savoir si le Ministre est habilité à
décider si le dessin peut être enregistré et s'il a fait l'objet
d'une publication il y a plus d'un an — Les intimés contestent
la compétence de la Cour — Loi sur les dessins industriels,
S.R.C. 1970, c. I-8, art. 14(1), 22(1) — Règle 702(2),(7) de la
Cour fédérale.
La requérante a demandé un bref de mandamus pour enjoin-
dre aux intimés d'enregistrer un dessin industriel sur demande
faite par la requérante conformément aux dispositions de la. Loi
sur les dessins industriels, à moins que les intimés ne jugent
que le dessin en cause est identique à un autre déjà enregistré
ou qu'il lui ressemble au point qu'il peut y avoir confusion.
L'examinateur chargé d'instruire la demande a refusé d'y
donner suite tant qu'il n'aurait pas reçu des réponses satisfai-
santes à certaines questions. Les cinq premières questions
étaient fondées sur la jurisprudence qui a étudié la validité de
tel ou tel enregistrement et la sixième portait sur le début du
paragraphe 14(1) de la Loi concernant la publication. Il s'agit
de savoir si la Loi autorise le Ministre à décider si le dessin peut
ou non être enregistré et s'il a fait l'objet d'une publication il y
a plus d'un an. Les intimés ont invoqué la Règle 702(2),(7) des
Règles de la Cour fédérale et le paragraphe 22(1) de la Loi sur
les dessins industriels pour contester la compétence de la Cour.
Arrêt: la requête est accueillie. Les intimés constituent par
définition un office, une commission ou quelque autre tribunal
fédéral exécutant les fonctions que lui attribue cette loi. La
Cour est donc compétente pour connaître de la procédure en la
forme où elle a été engagée et pour rendre l'ordonnance deman-
dée. Toute l'économie de la Loi va à l'encontre de l'hypothèse
voulant que le Ministre ait l'obligation de procéder à une
enquête approfondie et exhaustive, donc coûteuse, avant de
répondre à une demande. Le législateur a voulu qu'il limite sa
recherche aux domaines que visent expressément les articles 4,
5 et 6. Les questions que l'examinateur a posées n'ont rien à
voir avec les matières que doit examiner le Ministre pour
décider si le requérant a ou non droit à l'enregistrement de son
dessin. Le refus de donner suite à la requête litigieuse ne
constitue pas une décision pouvant faire l'objet d'un appel sur le
fondement du paragraphe 22(1) de la Loi, même si on présume
qu'une «omission ... d'une inscription sur le registre» peut
s'entendre du rejet d'une demande d'enregistrement d'un
dessin. Attendu qu'il s'agit d'une procédure fondée sur l'article
18 de la Loi sur la Cour fédérale et non sur la Loi sur les
dessins industriels, les arguments des intimés quant à l'applica-
bilité de la Règle 702 ne sont pas valides.
Distinction faite avec l'arrêt: Continental Oil Company c.
Le commissaire des brevets [1934] R.C.É. 118.
REQUÊTE.
AVOCATS:
D. F. Sim, c.r. pour la requérante.
H. Erlichman pour les intimés.
PROCUREURS:
Donald F. Sim, c.r., Toronto, pour la
requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MAHONEY: Les présents motifs sou-
tiennent l'ordonnance, rendue sur le siège à la
clôture de l'instruction, que voici:
[TRADUCTION] il y a lieu à délivrance d'un bref de mandamus
enjoignant aux intimés, conjointement et individuellement,
d'enregistrer comme dessin industriel, conformément aux dispo
sitions de la Loi sur les dessins industriels, S.R.C. 1970, c. I-8,
le dessin de la requérante, visé dans la demande n° 14-06-78-12,
à moins qu'ils, conjointement ou individuellement, ne jugent
que ledit dessin est identique à un autre déjà enregistré ou qu'il
y ressemble au point qu'il puisse y avoir confusion.
Le Ministre intimé a été désigné par le gouver-
neur en conseil pour assurer l'exécution de la Loi.
Le Commissaire intimé est le haut fonctionnaire à
qui cette responsabilité a été dans les faits remise.
Voici les dispositions pertinentes de la Loi:
4. Le propriétaire qui demande l'enregistrement d'un dessin
doit en remettre au Ministre une esquisse et une description, en
double, avec une déclaration portant que, à sa connaissance,
personne autre que lui ne faisait usage de ce dessin lorsqu'il en
a fait le choix.
5. Après qu'il a reçu le droit prescrit à cet égard par la
présente loi, le Ministre fait examiner le dessin dont le proprié-
taire demande l'enregistrement, pour constater s'il ressemble à
quelque autre dessin déjà enregistré.
6. Si le Ministre trouve que le dessin n'est identique à aucun
autre dessin déjà enregistré ou qu'il n'y ressemble pas au point
qu'il puisse y avoir confusion, il le fait enregistrer; et il remet
au propriétaire un double de l'esquisse et de la description en
même temps que le certificat prescrit par la présente Partie;
mais le Ministre peut refuser, sauf appel au gouverneur en
conseil, d'enregistrer les dessins qui ne lui paraissent pas
tomber sous le coup des dispositions de la présente Partie, ou
tout dessin contraire à la morale ou à l'ordre public.
La demande décrit l'objet qu'elle vise comme le
dessin d'un pneumatique. Il s'agirait en réalité de
la semelle uniquement. La requérante s'en prétend
propriétaire. Bien qu'aucune loi n'ait jamais défini
ce qu'est un «dessin», d'après la preuve adminis-
trée, il y aurait eu [TRADUCTION] «plusieurs cen-
taines au moins» d'enregistrement sur le fonde-
ment de cette loi portant sur des semelles de pneus.
Apparemment n'est impliquée aucune question
d'ordre public ou de bonnes mœurs.
Le fonctionnaire responsable de l'examen de la
demande, l'examinateur, a refusé d'y donner suite
tant que [TRADUCTION] «des réponses satisfaisan-
tes» n'auraient pas été données aux questions
suivantes:
[TRADUCTION] 1. Quel est l'objet de chacun des éléments du
dessin?
2. Identifier le cas échéant les caractéristiques ornementales
que comporterait le dessin en sus de celles nécessaires aux fins
auxquelles il est destiné.
3. L'objet possède-t-il des avantages utilitaires que n'auraient
pas ceux antérieurement destinés aux mêmes fins? Si oui, quels
sont-ils?
4. La forme de l'objet en facilite-t-elle la fabrication ou
l'utilisation?
5. Y a-t-il eu demande ou attribution de brevet concernant
l'objet en question? Si oui, en fournir des copies (demeureront
confidentielles en cas de demande pendante de brevet).
6. Existe-t-il de la documentation ou de la publicité concernant
l'objet? Si oui, la fournir.
Depuis longtemps les failles de cette loi font
l'objet des commentaires des tribunaux; je ne me
propose pas d'y ajouter ici. Il y a plus d'un demi-
siècle déjà, le président de la Cour de l'Échiquier
disait qu'elle:
[TRADUCTION] ... est difficile à interpréter dans un sens
certain. C'est une loi vague et incomplète, inadaptée à la fin à
laquelle on la destine, qui a bien besoin d'être substantiellement
révisée.'
Cette révision n'a pas encore eu lieu.
Les questions du fonctionnaire examinateur, la
sixième exceptée, seraient fondées sur la jurispru
dence qui a étudié la validité de tel ou tel enregis-
trement. La question s'est posée en diverses instan
t Clatworthy & Son Limited c. Dale Display Fixtures Lim
ited [1928] R.C.E 159, la page 162.
ces, objet d'une procédure contradictoire, soit
qu'on ait directement demandé la radiation d'une
inscription 2 , soit en défense à une action en contre-
façon. 3 L'épineuse question fut traitée, des plus
exhaustivement, par le président Jackett (son titre
à l'époque) dans Cimon Limited c. Bench Made
Furniture Corporation.' Il suffit de lire le juge-
ment pour voir qu'il n'est pas facile d'y répondre.
La sixième question semble porter sur le début
du paragraphe 14(1) de la Loi que voici:
14. (1) Pour protéger tout dessin, il faut l'enregistrer dans
l'année qui suit sa publication au Canada et, l'enregistrement
fait, le nom du propriétaire doit apparaître sur l'objet auquel
s'applique son dessin, si c'est un tissu, en le marquant sur une
des extrémités de la pièce, ainsi que les lettres «Enr.» et, si le
produit est d'une autre substance, les lettres «Enr.» doivent être
marquées sur le bord ou sur tout autre endroit convenable de
l'objet avec l'indication de l'année de l'enregistrement.
On a déjà jugé que:
[TRADUCTION] Le terme «publication» s'entend de la date à
laquelle l'objet en question fut pour la première fois offert au
public ou mis à sa disposition.... 5
Le paragraphe 14(1) est libellé en des termes
destinés à fournir une défense à une action en
contrefaçon plutôt qu'à une opposition à enregis-
trement. En pratique, dans la mesure où il s'agit
d'un dessin périmé, cela peut être indifférent mais
cela prend tout son sens lorsqu'il s'agit du proces-
sus d'enregistrement, du moins dans l'idée que je
m'en fais. Je note que ni la Loi ni ses règlements
d'application 6 n'exigent d'un requérant qu'il divul-
gue la date de publication, si publication il y a eu,
dans sa demande. Si la demande présentement en
cause est typique, ce n'est alors nullement l'usage
de mentionner dans celle-ci qu'il y a eu ou non
publication.
Ce qu'il s'agit de savoir c'est si cette loi autorise
le Ministre à décider si le dessin peut ou non être
enregistré et s'il a fait l'objet d'une publication il y
a plus d'un an. A mon avis, il n'est pas autorisé à
ce faire. En tout cas on ne l'y oblige pas
2 Cf. Canadian Wm. A. Rogers, Limited c. International
Silver Company of Canada, Limited [1932] R.C.É. 63.
3 Cf. Kaufman Rubber Company, Ltd. c. Miner Rubber
Company Limited [1926] R.C.E. 26.
4 [1965] R.C.É. 811.
5 Ribbons (Montreal) Ltd. c. Belding Corticelli Ltd. [19611
R.C.E. 388, la page 402.
6 Règles régissant les dessins industriels, C.P. 1954-1853,
DORS compilation 1955, 2155.
expressément.
Si le Ministre refuse l'enregistrement, l'article 6
permet d'en appeler au gouverneur en conseil. S'il
enregistre un dessin qui, pour quelque raison, n'au-
rait pas dû l'être, c'est à la présente cour que
l'article 22 attribue compétence de radier l'inscrip-
tion. Je pense qu'il est manifeste qu'il faille préfé-
rer que des questions comme celle de savoir si un
dessin peut ou non faire l'objet d'un enregistre-
ment, ou s'il a ou non été rendu public, et à quelle
date, soient laissées à un for traditionnel. Sans
prétendre que cela ne peut se faire, je me demande
par quel mécanisme le gouverneur en conseil pour-
rait bien connaître d'un appel, semblable, par
exemple, à l'affaire Cimon, si par exemple, le
Ministre avait décidé que le dessin du sofa en litige
ne pouvait être enregistré.
Le certificat délivré lors de l'enregistrement
constitue une présomption, non une preuve con-
cluante, qu'on s'est conformé à la Loi. L'enregis-
trement est valide pour dix ans au plus. Enfin
l'article 28 dispose que:
28. Quand un dessin industriel, dont l'enregistrement est
demandé aux termes de la présente loi, n'est pas enregistré, tous
les droits versés au Ministre pour l'enregistrement sont remis
au requérant ou à son agent, moins la somme de deux dollars,
qui sont retenus pour couvrir les frais de bureau.
Le Parlement a estimé que $2 suffiraient à indem-
niser le bureau du Ministre des dépenses engagées
pour traiter une demande subséquemment refusée.
Même en tenant compte de l'inflation c'était là
fort peu de chose.
Toute l'économie de la Loi va à l'encontre de
l'hypothèse voulant que le Ministre ait l'obligation
de procéder à une enquête approfondie et exhaus-
, tive, donc coûteuse, avant de répondre à une
demande. Le législateur a voulu qu'il limite sa
recherche aux domaines que visent expressément
les articles 4, 5 et 6. Les questions que l'examina-
teur a posées n'ont rien à voir avec les matières que
doit examiner le Ministre pour décider si le requé-
rant a ou non droit à l'enregistrement de son
dessin.
L'avocat des intimés a fait valoir que l'ordon-
nance recherchée sortait de la compétence de la
Cour. Il s'est appuyé sur le paragraphe 22(1) de la
Loi:
22. (1) La Cour fédérale du Canada peut, sur l'information
du procureur général, ou à l'instance de toute personne lésée,
soit par l'omission, sans cause suffisante, d'une inscription sur
le registre des dessins industriels, soit par quelque inscription
faite sans cause suffisante sur ce registre, ordonner que l'ins-
cription soit faite, rayée ou modifiée, ainsi qu'elle le juge à
propos; ou elle peut rejeter la demande.
Il a aussi invoqué le paragraphe (7) de la Règle
702 de la Cour; la seule autre mention que fait la
Règle 702 de la Loi en cause se trouve au paragra-
phe (2):
Règle 702. .. .
(2) Les procédures prévues par l'article 23 de la Loi sur les
dessins industriels et les étiquettes syndicales doivent être
engagées par avis de requête introductive d'instance ou par
pétition.
(7) Les demandes faites à la Cour en vertu de l'une des lois
mentionnées dans la présente Règle, à l'exception des demandes
faisant l'objet d'une mention spéciale dans la présente Règle,
doivent être formulées par statement of claim ou par
déclaration.
Le titre de la Loi a été changé, apparemment au
cours de la refonte de 1970, non par une révision
expresse. Il ne s'agit pas ici d'une procédure enga
gée sur le fondement de l'article 23.
Le refus de donner suite à la requête litigieuse
ne constitue pas une décision pouvant faire l'objet
d'un appel sur le fondement du paragraphe 22(1)
de la Loi même si on présume qu'une «omission
... d'une inscription sur le registre», peut s'enten-
dre du rejet d'une demande d'enregistrement d'un
dessin. Cette présomption est fort discutable
compte tenu du droit d'en appeler au gouverneur
en conseil que prévoit l'article 6. De toute façon les
termes du paragraphe 22(1) ne sauraient viser le
refus de donner suite à une demande.
Quant à la Règle 702, il ne s'agit pas d'une
procédure fondée sur la Loi sur les dessins indus-
triels mais bien sur l'article 18 de ; la Loi sur la
Cour fédérale'. L'affaire Continental Oil Com
pany c. Le commissaire des brevets 8 , dans laquelle
la Cour, manifestement sans enthousiasme, estima
n'avoir pas la compétence pour délivrer un manda-
mus dans une affaire de marque de commerce, est
antérieure à l'adoption de l'article 18 et est, à mon
avis, caduque du fait de la loi à ce sujet. Ses dicta
7 S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10.
8 [1934] R.C.É. 118.
toutefois sont utiles pour leur indication des limites
appropriées à donner à une telle ordonnance, si on
présume la compétence de la rendre.
Les intimés constituent par définition un office,
une commission ou quelque autre tribunal fédéral
exécutant les fonctions que lui attribue cette loi.
La Cour est donc compétente pour connaître de la
procédure en la forme où elle a été engagée et pour
rendre l'ordonnance demandée.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.