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T-1908-72
Davie Shipbuilding Limited et Canada Steamship Lines Limited (Demanderesses)
c.
La Reine (Défenderesse)
et
Robert Morse Corporation Limited et Colt Indus tries (Canada) Ltd. (Tierces parties)
Division de première instance, le juge Gibson— Ottawa, le 20 juin et le 17 juillet 1978.
Droit maritime Compétence Contrat de construction de navire Le constructeur a conclu un autre contrat avec la tierce partie en vue de la construction, de la fourniture et de l'installation des moteurs et autres équipements Dans sa demande reconventionnelle, le propriétaire du navire poursuit le constructeur pour inexécution du contrat Si la demande reconventionnelle est accueillie, il faudra examiner la récla- mation fondée sur une allégation d'inexécution du contrat intervenu entre le constructeur et la tierce partie La ques tion se pose de savoir si la demande reconventionnelle et les procédures relatives à tierce partie relèvent du «droit maritime canadien» et de la compétence de la Cour Règle 474 de la Cour fédérale.
Il s'agit en l'espèce d'une requête fondée sur la Règle 474 et visant à une décision préliminaire sur une question de droit. La demanderesse Davie Shipbuilding Limited a conclu un contrat avec la Couronne pour lui construire un navire. Aux fins d'exécution du contrat, la demanderesse Davie a conclu un autre contrat avec la tierce partie Robert Morse pour cons- truire, fournir et installer les moteurs et autres installations dans le navire. Dans sa demande reconventionnelle, la Cou- ronne poursuit, en sa qualité de propriétaire du navire, Davie en tant que constructeur du navire, pour inexécution de contrat. Si cette demande reconventionnelle est accueillie, il faudra exami ner une réclamation que comporte la déclaration dans les procédures relatives à tierce partie, fondée sur une allégation d'inexécution du contrat intervenu entre la demanderesse Davie et la tierce partie Robert Morse. La question de droit à trancher consiste à déterminer si la demande reconventionnelle et les procédures relatives à tierce partie relèvent de la compé- tence de la Cour et, plus spécifiquement, si elles relèvent du «droit maritime canadien».
Arrêt: la Cour fédérale est compétente pour entendre et trancher les points litigieux soulevés dans la demande reconven- tionnelle et dans les procédures relatives à tierce partie. Il ne faut pas appliquer le critère auquel renvoie le juge Collier dans Alda Enterprises Limited c. La Reine [1978] 2 C.F. 106, à la page 110. La Cour devrait plutôt déterminer sa compétence en statuant que celle-ci fait partie de la compétence subsidiaire de la Cour ou en appliquant le principe de compétence subsidiaire. Ce dernier principe serait alors applicable à l'objet de la demande reconventionnelle et à celui des procédures relatives à tierce partie en l'espèce.
Arrêts appliqués: Benson Bros. Shipbuilding Co. (1960) Ltd. c. Mark Fishing Co. Ltd. (1978) 21 N.R. 260; Hawker Industries Ltd. c. Santa Maria Shipowning and Trading Company, S.A. [1979] 1 C.F. 183. Distinction faite avec l'arrêt: Alda Enterprises Ltd. c. La Reine [1978] 2 C.F. 106. Arrêts examinés: McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine [1977] 2 R.C.S. 654; Le »Sparrows Point» c. Greater Vancouver Water District [1951] R.C.S. 396; Bow, McLachlan & Co., Ltd. c. Le »Camosun» [1909] A.C. 597.
DEMANDE. AVOCATS:
G. B. Maughan pour les demanderesses.
D. T. Sgayias pour la défenderesse.
G. P. Barry pour les tierces parties.
PROCUREURS:
Ogilvy, Montgomery, Renault, Clarke, Kirk-
patrick, Hannon & Howard, Montréal, pour
les demanderesses.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
McMaster, Meighen, Montréal, pour les tier- ces parties.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE GIBSON: Cette requête vise à obtenir une décision préliminaire sur une question de droit en vertu de la Règle 474, savoir si cette cour est compétente pour se prononcer sur la demande reconventionnelle et les procédures relatives à tierce partie en l'espèce.
La demande reconventionnelle découle de trois allégations essentielles de la défense, à savoir les paragraphes 1 c),d) et e) dont voici le libellé:
[TRADUCTION] c) Le 18 décembre 1969 ou vers cette date, la demanderesse Davie a livré ledit navire à la défenderesse et celle-ci lui a versé le montant entier convenu dans le contrat pour ce navire.
d) Le 29 juin 1970 ou vers cette date, alors que ledit navire effectuait une mission désignée, dans des conditions normales de croisière, le moteur principal bâbord intérieur (n° 2) est tombé entièrement en panne, par suite de quoi un incendie a éclaté à bord.
e) La panne du moteur principal mentionnée à l'alinéa d) ci-dessus était entièrement due à une malfaçon antérieure à la livraison dudit navire à la défenderesse par la demanderesse Davie. En application de la clause 9 du contrat, cette dernière était obligée de réparer ou de remplacer le moteur entièrement à ses frais.
C'est la demanderesse qui a entamé les procédu- res relatives à tierce partie. Le paragraphe 14 de la déclaration sur ce point invoque les clauses de garantie et d'indemnisation du contrat conclu entre la demanderesse et la tierce partie, dont voici le libellé:
[TRADUCTION] 14. Ladite commande 663-5231-1 de la demanderesse Davie Shipbuilding Limited a renvoyé au cahier des charges y attaché pour l'achat des moteurs et équipements, pour la spécification, inter alfa, de la clause de garantie dont voici le libellé:
6. GARANTIE
Toutes installations fournies par le vendeur, que celui-ci les ait ou non fabriquées, sont garanties contre tout défaut de conception et contre toute malfaçon, pour une période de douze (12) mois à compter de la date de réception du navire par le propriétaire.
et ladite commande spécifiait également que les «conditions d'achat» de Davie Shipbuilding Limited qui y étaient jointes étaient applicables à la commande, lesquelles conditions com- prenaient une clause de «garantie» ainsi rédigée:
7. GARANTIE
Le fournisseur garantit que les fournitures livrées et dési-
gnées ci-après:
a) ne comportent aucune défectuosité dans la conception et l'exécution, ni dans les matériaux utilisés,
b) sont neuves et de la qualité qui convient le plus, chacune dans son genre, à leurs fins respectives,
c) sont conformes aux spécifications, dessins, échantillons ou autres descriptions applicables,
d) conviennent aux fins auxquelles elles sont destinées,
e) sont en état d'être livrées au commerce.
Le fournisseur garantit aussi que les fournitures seront fabri- quées ou construites de façon à fonctionner de manière satisfaisante suivant les spécifications.
La présente garantie s'appliquera à l'acheteur, à ses succes- seurs et cessionnaires, à ses clients, et aux utilisateurs des fournitures couvertes par cette commande.
Toute garantie doit s'interpréter comme conditions et garan- ties de la commande et ne doit pas avoir de caractère exclusif.
Le fournisseur convient de remplacer ou réparer prompte- ment, à ses propres frais, toute fourniture ne répondant pas aux exigences précitées, sur avis de l'acheteur donné dans les 12 mois qui suivent l'acceptation définitive de la fourniture par le client de l'acheteur. Si le fournisseur, avisé des défauts, ne répare pas ou ne remplace pas les fournitures suivant les exigences susmentionnées, l'acheteur peut, sans autre avis, faire réparer ou remplacer lesdites fournitures, et le fournis- seur convient de rembourser l'acheteur de tous frais ainsi encourus.
Aucun contrôle, aucun test, aucune approbation de quel genre que ce soit, y compris l'approbation de la conception par l'acheteur, ne modifie l'obligation du fournisseur, en vertu du présent article, de livrer des fournitures répondant à toutes les exigences de rendement de fragilité et à d'autres qualités de fonctionnement.
Aucune fourniture rejetée ne doit être subséquemment pré- sentée pour acceptation, sauf lorsqu'une indemnisation a été versée pour le rejet antérieur et lorsque réparation a été faite, et lesdites fournitures ainsi réparées ou remplacées seront assujetties aux dispositions du présent article dans la même mesure que les fournitures originales, et la période de garan- tie commencera à courir à partir de la date de livraison la plus récente.
La demanderesse Davie a conclu un contrat avec la défenderesse, la Couronne du chef du Canada, pour lui construire un navire. Aux fins d'exécution de ce contrat, elle a conclu un autre contrat avec la tierce partie Robert Morse pour construire, fournir et installer des moteurs et autres installations dans le navire.
Dans sa demande reconventionnelle, la défende- resse, la Couronne, poursuit, en sa qualité de propriétaire du navire, la demanderesse Davie en tant que constructeur du navire, pour inexécution de contrat. Si cette demande reconventionnelle est accueillie il faudra examiner une réclamation que comporte la déclaration dans les procédures relati ves à tierce partie, fondée sur une _ allégation d'inexécution du contrat intervenu entre la deman- deresse Davie et la tierce partie Robert Morse.
La demande reconventionnelle est donc essen- tiellement une action intentée par un propriétaire de navire contre un constructeur de navire relative- ment à la construction de ce. navire, et la réclama- tion concernant la tierce partie est aussi une action relativement à la construction d'un navire intentée par un constructeur de navire contre un sous-trai- tant.
Un exposé conjoint des faits a été déposé en vertu d'une ordonnance de cette cour en date du 30 mai 1978 pour l'inscription de la requête.
La question de droit à trancher relativement à cette requête consiste à déterminer si la demande reconventionnelle et les procédures relatives à tierce partie relèvent de la compétence de cette cour et, plus spécifiquement, si elles tombent dans le domaine du «droit maritime canadien» suivant la définition donnée à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, qui, en vertu de l'article 42, constitue la compétence de cette cour en droit maritime canadien.
Suivant la définition de l'article 2, cette cour a «compétence illimitée en matière maritime et d'amirauté».
Récemment, plusieurs affaires se sont présentées relativement à des objets différents, qui •consis- taient à déterminer s'il s'agissait de matières mari time et d'amirauté relevant de la compétence de cette cour.
Dans la présente requête, les avocats ont pré- senté des plaidoiries exhaustives avec des citations de jurisprudence et de doctrine qui ont beaucoup aidé à la détermination de la compétence de façon générale, et tout particulièrement dans la présente affaire. La plaidoirie de M. Barry, avocat de la tierce partie, a été très utile. Une partie de sa plaidoirie et des autorités citées est reproduite en annexe aux présents motifs.
En ce qui concerne l'objet de la demande recon- ventionnelle et des procédures relatives à tierce partie dans la présente action, cette cour est, à mon avis, compétente pour les entendre et les juger, sur le fondement des décisions rendues par la Division d'appel de cette cour dans Benson Bros. Shipbuilding Co. (1960) Ltd. c. Mark Fishing Co. Ltd.' et Hawker Industries Limited c. Santa Maria Shipowning and Trading Company, S.A. 2
Il ressort de la jurisprudence précitée que le contenu et la source du droit substantif canadien en matière maritime ne se trouvent pas dans la common law. Il faut plutôt les chercher dans le droit appliqué par les cours d'amirauté de l'Europe occidentale, dont la Cour d'Amirauté de Grande- Bretagne. Dans Hawker Industries Limited (supra) le juge en chef Jackett s'est ainsi prononcé aux pages 187 et 188:
a) il existait„ au début, un ensemble de droit maritime ou «droit de la mer» qui régissait les questions de navigation, de marine marchande et de commerce international, et qui faisait partie du droit en vigueur dans la plupart des nations maritimes, dont l'Angleterre,
b) les premiers textes législatifs qui interdisaient à la Court of Admiralty d'Angleterre d'exercer sa compétence en certaines matières n'abolissaient aucune partie de ce droit, bien que, pendant l'application de ces interdictions, certaines parties dudit droit n'aient pas eu l'occasion d'être appliquées,
c) au fur et à mesure que les interdictions étaient levées, et dans la mesure elles l'étaient, ces parties du droit .d'ami- rauté, dans leur forme modifiée par une législation de fond, sont de nouveau entrées en vigueur,
d) ce droit d'amirauté a été introduit au Canada en tant qu'élément du droit anglais et de fait, on y a eu recours, dans sa forme modifiée par une législation de fond, dans la mesure
' (1978) 21 N.R. 260. 2 [1979] 1 C.F. 183.
les tribunaux maritimes canadiens étaient compétents en la matière, au cours des différentes périodes de l'histoire du Canada,
e) ce droit maritime ou droit de la mer ressortit d'une loi «fédérale» et non provinciale et le Parlement, en vertu de l'article 101, peut donner à une cour compétence relativement à ce droit,
f) ce droit maritime, (Je ne veux pas laisser entendre qu'indé- pendamment des modifications de fond apportées par des textes de loi, le droit maritime n'a pas évolué au rythme des événe- ments et du temps, à l'instar de la common law anglaise.) dans sa forme modifiée par une législation de fond, fait partie du droit que l'article 42 de la Loi sur la Cour fédérale a maintenu en vigueur (édicté) en 1971.
L'objet de la demande reconventionnelle et des procédures relatives à tierce partie peut aussi rele- ver de la compétence de cette cour à un autre titre: l'action principale en l'espèce relève de la compé- tence de cette cour. Comme la demande reconven- tionnelle et les procédures relatives à tierce partie sont en réalité subordonnées à l'objet de l'action principale, cette cour est donc compétente. Le juge en chef Laskin s'est ainsi exprimé dans McNama- ra Construction (Western) Limited c. La Reine' à la page 664:
Je tiens toutefois à souligner que si la Cour fédérale avait eu compétence, il est assez vraisemblable que les demandes de contributions ou d'indemnités auraient été recevables, du moins entre les parties, dans la mesure la législation fédérale pertinente s'appliquait aux questions soulevées en l'espèce.
Dans Le «Sparrows Point» c. Greater Vancou- ver Water District', le juge Kellock, aux pages 402 à 404, et le juge Rand, à la page 411, se sont ainsi prononcés:
[TRADUCTION] Dans la plaidoirie, on a soulevé la question de savoir si la Cour d'Amirauté était compétente pour connaî- tre d'une action que le Water District intentait contre le Conseil des ports. Il est clair, je pense, que la compétence de la Cour ne peut pas dépasser celle qui lui est conférée par la loi; c. 31 des statuts de 1934; Bow McLachlan and Co. c. Le navire «Camosun» ([1909] A.C. 597). La loi a depuis été modifiée mais le principe reste applicable. La réponse dépend du sens donné aux mots «dommages causés par un navire» qui figurent à l'art. 22(1)(iv) de l'annexe A à la loi de 1934 qui reprend l'art. 22 du Supreme Court of Judicature Consolidation Act (1925) c. 49; il se lit ainsi: «réclamations pour dommage causé par un navire». Un certain nombre de décisions ont été rendues depuis l'adoption de la loi de 1861, 24 Vic. c. 10, art. 7.
Dans les arrêts «Uhla», ((1867) Asp. M.C. 148) et «Excel- sior», ((1868) L.R. 2 A. & E. 268), la Cour se déclara compétente pour juger du dommage qu'un navire avait causé à
3 [1977] 2 R.C.S. 654.
4 [1951] R.C.S. 396.
un quai, ainsi que dans l'arrêt Mayor of Colchester c. Brooke ((1845) 7 Q.B. 339), la Cour se déclara compétente dans une affaire de dommage causé à des parcs à huîtres.
Dans l'affaire «Bien» ((1911) P. 40), le demandeur, locataire d'un parc à huîtres, poursuivait les conservateurs de la rivière Medway et le propriétaire d'un navire pour les dommages qu'un navire répondant aux ordres d'un capitaine de port avait causés à son parc à huîtres. Cette affaire fut, bien sûr, jugée après les Judicature Acts alors que la compétence de la Division d'amirauté ne se limitait plus à celle antérieurement détenue par la Cour d'Amirauté. Les circonstances de la présente affaire sont analogues. Si l'action contre le Conseil des ports ne peut pas être instruite par la Cour d'Amirauté, il s'ensuit que le Water District aurait intenter deux poursuites: la première contre le navire en la juridiction d'amirauté de la Cour de l'Échiquier; la seconde devant une autre juridiction.
A mon avis, dans un cas de ce genre, la loi qui, à première vue, a attribué compétence à la Cour d'Amirauté, devrait aussi être interprétée comme confirmant sa juridiction au moins dans un cas le navire est partie au procès. On ne nous a cité aucune jurisprudence contraire et je n'ai pas pu en trouver; les considérations pratiques militent dans le sens de l'existence d'une telle compétence.
Dans l'arrêt «Zeta» ([1893] A.C. 468), lord Herschell, se référant à l'art. 7 de la Loi de 1861, s'est ainsi exprimé à la page 478:
Il suffit de dire que la proposition selon laquelle la Loi de 1861 s'applique aux dommages causés par un navire à des personnes ou à des choses autres que des navires a été bien établie par une jurisprudence abondante dont je n'ai aucun motif pour douter de la sagesse.
En ce qui concerne la Loi de 1840 (dommages à un navire), il s'est ainsi exprimé à la page 485:
Même si elle a pour effet, lorsqu'on donne aux mots leur sens habituel, d'élargir la compétence de la Cour d'Amirauté en cas de dommages causés à un navire en haute mer, rien dans le texte législatif n'indique que telle n'a pas été l'inten- tion de la législature, quoique, certainement, son principal but ait pu être d'élargir la compétence, déjà existante en cas de dommages aux navires en haute mer, aux dommages occasionnés dans le ressort d'un comté. Elle ne prévoit pas en termes précis une extension de la compétence sur les domma- ges causés en haute mer à ceux causés dans le ressort d'un comté; mais elle accorde compétence dans certains cas, «que le navire ait été dans le ressort d'un comté ou en haute mer».
Il est vrai qu'on a statuç que l'art. 7 de la Loi initiale ne permet pas de poursuivre un pilote devant la Cour d'Amirauté, mais il s'agit de décisions issues du jugement du Dr Lushington dans l'affaire «Urania» ((1861) 10 W.R. 97), aucune expli cation n'a été donnée pour une interprétation semblable. Dans l'arrêt subséquent «Alexandria» ((1872) L.R. 3 A & E 574), Sir Robert Philimore, tout en s'estimant lié par la décision antérieure, a dit que, si la question avait été res integra, il aurait considéré une action contre un pilote comme relevant de la loi. La Cour d'appel a suivi ces décisions dans La Reine c. The Judge of the City of London Court ((1892) L.R. 1 Q.B. 273). A son tour, cette décision a été approuvée par lord
Macnaghten dans l'arrêt «Zeta» ([1893] A.C. 468), mais, dans cet arrêt, la majorité de leurs Seigneuries n'a pas exprimé d'avis sur ce point, ainsi que l'a dit lord Herschell à la page 486:
Dans cette affaire comme dans d'autres affaires relatives à des poursuites instituées par suite de la négligence des pilo- tes, l'accent a été mis sur certaines considérations qui n'ont rien à voir avec les circonstances examinées par vos Seigneuries.
Ces considérations, comme l'a dit le Maître des rôles ((1892) L.R. 1 Q.B. 273) dans (1892) 1 Q.B. à la page 298, sont qu'un pilote, poursuivi devant cette cour d'amirauté relativement à un abordage occasionné par sa négligence, ne pourrait pas invo- quer la négligence contributive comme moyen de défense permis en common law, et qu'à l'origine, la responsabilité du pilote devant la Cour d'Amirauté était illimitée alors même que les propriétaires du navire n'avaient qu'une responsabilité limitée.
Ces considérations nes'appliquent pas en l'espèce. Quant à l'effet de la constatation d'une négligence contributive, le lord Chancelier Herschell a fait ressortir, dans l'arrêt «Zeta», que la règle relative au partage des dommages-intérêts en matière d'amirauté s'applique seulement en cas d'abordage entre navi- res. En l'espèce, si le Conseil des ports nationaux était poursuivi devant des tribunaux ordinaires, il semble que la négligence contributive du demandeur pourrait être invoquée comme moyen de défense. En vertu de sa loi constitutive, 1 Ed. VIII c. 42, art. 3(2), le Conseil est une corporation et, à, toutes fins de la Loi un mandataire de Sa Majesté. En vertu du paragraphe (3), il est habilité à contracter et à ester en justice en son propre nom. En vertu de l'art. 10, tous biens acquis ou détenus par le Conseil sont dévolus à Sa Majesté. Tenant compte de ces dispositions, je pense que l'existence d'une action en responsabi- lité délictuelle doit être régie par les mêmes principes que ceux applicables en cas d'action en responsabilité délictuelle contre la Couronne. Un pont dévolu à la Couronne et exploité par un de ses mandataires est un «ouvrage public» au sens de l'art. 19c) de la Loi sur la Cour de l'Échiquier et, comme une cause d'action pour négligence d'un préposé de la Couronne exploi- tant un ouvrage public est et a été susceptible d'être écartée pour motif de négligence contributive, bien avant l'adoption en 1925 du British Columbia Contributory Negligence Act, l'issue devant les tribunaux provinciaux serait la même en l'espèce. La considération relative à la responsabilité limitée des pilotes n'est pas pertinente.
Par contre, toutes les demandes déposées à la suite des dommages causés par un naviredevraient être réglées par une seule action afin d'éviter le scandale possible de jugements différents rendus pour une même affaire. Je considère donc qu'il faut interpréter cette loi comme conférant à la Cour de l'Échiquier, en sa juridiction d'amirauté, la compétence nécessaire.
Dans ce genre d'affaire, la compétence de la Cour de l'Échi- quier est la même que la compétence d'amirauté de la Haute Cour d'Angleterre. Si l'action avait été intentée contre le Conseil des ports pour un acte délictuel à titre personnel, les conséquences auraient pu être redoutables; mais, comme dans l'affaire Le «Koursk» ([1924] P. 140); l'action est seulement intentée contre les coauteurs d'un dommage. En effet, les
responsables du navire et le Conseil participaient ensemble à la direction et au contrôle des manoeuvres du navire dans le port; ce n'était qu'un seul acte avec des coauteurs. Dans une telle affaire, une décision rendue contre une des parties réunit la cause d'action et tranche en même temps l'action intentée contre l'autre partie devant un autre tribunal.
La Water Authority a un recours en amirauté à la fois contre le navire, in rem, et contre les propriétaires du navire, in personam; le droit applicable serait la législation d'amirauté. Limiter l'étendue du recours afin d'interdire l'adjonction du Conseil des ports reviendrait à priver la Water Authority d'un de ses recours dans l'hypothèse elle voudrait aussi intenter une action contre le Conseil. Des considérations pratiques autant que la justice même militent en faveur d'un système une seule cause d'action doit être réglée sous une seule branche du droit et par une procédure au cours de laquelle le deman- deur peut invoquer tous les recours auxquels il a droit: toute autre solution irait à l'encontre du but des dispositions législati- ves. La demande porte sur le dommage causé «par un navire»; les recours in personam sont contre les responsables du fait du navire. Selon mon interprétation des dispositions législatives, les coauteurs d'un dommage peuvent être adjoints dans une action régulièrement intentée.
Cette dernière affaire a été tranchée avant que ne soit soulevé le litige constitutionnel dans McNamara (supra); mais en substance ces juge- ments abordent la question de compétence de la même manière.
Il ressort de la décision rendue dans «Sparrows Point» (supra), que Bow, McLachlan & ,Co., Lim ited c. Le «Camosun» 5 n'a aucune application pratique en l'espèce.
En ce qui concerne ce fondement de la compé- tence, il ne faut pas, à mon humble avis appliquer le critère auquel renvoie le juge Collier dans Aida Enterprises Limited c. La Reine 6 :
Un critère parfois utile pour trancher une question de compé- tence consiste à se demander si la Cour serait compétente si l'action était intentée contre un seul des défendeurs au lieu d'être greffée à une action contre d'autres défendeurs qui sont à bon droit soumis à la compétence de la Cour. (Voir McGregor c. La Reine [1977] 2 C.F. 520, à la p. 522.)
A mon avis, la Cour devrait plutôt déterminer sa compétence sur ce fondement en statuant qu'elle fait partie de la compétence subsidiaire de la Cour ou en appliquant le principe de compétence subsi- diaire. A mon avis, ce dernier principe serait alors applicable à l'objet de la demande reconvention- nelle et à celui des procédures relatives à tierce partie en l'espèce.
5 [1909] A.C. 597.
6 [1978] 2 C.F. 106, à la page 110.
De toute façon, ma conclusion sur la question de droit soulevée en l'espèce est donc que la Cour fédérale du Canada est compétente pour entendre et trancher les points litigieux soulevés dans la demande reconventionnelle et dans les procédures relatives à tierce partie.
Les dépens suivront l'issue de la cause.
ANNEXE des MOTIFS DU JUGEMENT DAVIE SHIPBUILDING LIMITED et al. c. LA REINE et ROBERT MORSE CORPORATION LIMITED et al., Tierces parties (T-1908-72)
PLAIDOIRIES ET AUTORITÉS DES TIERCES PARTIES
I. Les articles 22(1) et 22(2)n) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, confèrent à la Cour compétence sur l'objet des deux procédures:
A. concernant la demande reconventionnelle:
1. L'intention du Parlement à déduire de la différence entre le libellé de l'art. 22(2)n) mentionnant «toute demande née d'un contrat relatif à la construction» et le libellé de l'an- nexe A de la Loi d'amirauté, 1934, S.C. 1934, c. 31, art. 22(1)a)(x) mentionnant des «Récla- mations pour construction»
Voir La Reine c. Canadian Vickers Ltd. [1978] 2 C.F. 675, le juge en chef adjoint Thurlow aux pages 686 688.
2. L'art. 22(2)e) «avarie ... d'un navire».
B. concernant les procédures relatives à tierce partie:
1. L'intention du Parlement est identique à celle susmentionnée:
Voir La Reine c. Canadian Vickers Ltd. [1976] 1 C.F. 77, le juge Addy aux pages 82 et 83.
2. L'art. 22(2)e) comme susmentionné.
C. en vertu de l'art. 22(1)b) de la Loi d'ami- rauté, 1934, annexe A, la compétence de la Cour est devenue illimitée en matières d'ami- rauté (et est confirmée par l'art. 2b) de la Loi sur la Cour fédérale).
Voir MacMillan Bloedel Limited c. Canadian Stevedoring Co. Ltd. [1969] 2 R.C.E 375, aux pages 382à 384.
Voir plus bas en ce qui concerne la compé- tence illimitée en matière d'amirauté.
H. Pour «alimenter» cette compétence, l'art. 2b) de la Loi sur la Cour fédérale constitue certaine- ment «une adoption par renvoi» du droit positif mentionné dans Quebec North Shore Paper Com pany c. Canadien Pacifique Limitée [1977] 2 R.C.S. 1054, aux pages 1058 et 1065 et dans l'ouvrage de Laskin, Canadian Constitutional Law (4° éd. rév.). (Comparer art. 3(1) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, c. C-38, «si elle était un particulier», ce qui indique une loi provinciale (comparer MacGregor c. La Reine [1977] 2 C.F. 520).)
A. On peut trouver d'autres adoptions par renvoi du même genre dans:
1. l'Acte des Cours coloniales d'Amirauté, 1890, 53 & 54 Vict., c. 27, art. 2(2) et dans l'Acte de l'Amirauté, 1891, S.C. 1891, c. 29, art. 4.
2. la Loi d'amirauté, 1934, S.C. 1934, c. 31, art. 18(1): la juridiction qui «s'exercera» est celle qui, en vertu de l'art. 22(1)b) du Administration of Justice Act 1925, est «actuellement possédée» (en 1934) par la Haute Cour de Justice en Angleterre, y com- pris toute juridiction d'amirauté antérieure, pour laquelle voir infra.
3. quant aux affaires qui surviennent au Québec, le par. 2 de l'art. 2388 du Code civil du Québec, une loi de la province du Canada (S.C. 1865, c. 41) antérieure à la confédéra- tion, cette disposition ayant été reprise dans l'art. 129 de l'A.A.N.B., à titre de loi fédérale, et confirmant l'uniformité du droit maritime canadien:
a) Voir l'opinion dissidente du juge Ritchie dans National Gypsum Company Inc. c. Northern Sales Limited [1964] R.C.S. 144;
b) Voir Circle Sales c. Le (fTarantel» [1978] 1 C.F. 269, le juge Walsh à la p. 293.
c) Quoique l'art. 2388 figure dans le chapi- tre relatif au privilège ou gage maritime, son paragraphe second est d'application générale:
(1) 7 e Rapport des codificateurs, vol. 3, pages 230, 232 art. 34, page 299 (en supplément) et les sources citées:
A la différence des débats parlemen- taires, on fait fréquemment renvoi au rapport pour interpréter le Code: voir Shawinigan Carbide c. Doucet (1910) 42 R.C.S. 281, à la page 347;
Le «Mary Jane» 1 Stuarts' V.A.R. 267 et Commission présidée par H. Black, juge à la Cour de vice-amirauté, ibid. page 367.
d) Cet article n'est pas nul en vertu de la Loi de 1865 relative à la validité des lois des colonies parce qu'il n'est certainement pas incompatible avec la loi anglaise. En rendant applicable le droit civil anglais en matière d'amirauté, il peut bien aller au- delà du droit anglais—et au-delà des inten tions des codificateurs: Shawinigan, ibid. citant Trust & Loan c. Gauthier [1904] A.C. 94. Quels qu'en aient été les effets avant l'adoption du Statut de Westminster, 1931, il est en vigueur depuis cette date à titre de législation fédérale valide.
e) Par application des principes généraux, le renvoi au rapport de la Cour de vice-ami- rauté reste valable pour les tribunaux qui l'ont remplacée, comme le prévoit l'art. 2(3) de l'Acte des Cours coloniales d'Ami- rauté, 1890.
B. Devant les cours d'instance supérieure, les tierces parties se réservent le droit d'alléguer, le cas échéant, que le droit maritime et le droit civil général applicables par suite d'une adoption par renvoi suite à l'effet combiné des articles précités, dans une action en dommages-intérêts pour inexécution de garantie contre un construc- teur de navire, sont ceux en vigueur en Angle- terre en 1925 ou 1931. En outre, elles allèguent l'existence de droit positif ancien (ayant des effets identiques) applicable en vertu des princi- pes énoncés dans Hawker Industries c. Santa Maria Trading (non publié, aux pages 6 et 7).
III. A. En plus de toute loi adoptée, par renvoi suivant la méthode susmentionnée, la Cour, en vertu [TRADUCTION] «du principe des textes légis- latifs accessoires», applique la loi provinciale pour compléter la loi autrement applicable et souvent la modifier ou en tempérer la rigueur:
Toronto Transport Commission c. Le Roi [1949] 3 D.L.R. 161 (C.S.C.), aux pages 165
et 166, 170 et 171: redressement partiel permis en vertu de The Negligence Act de l'Ontario, dans des cas la common law aurait rejeté complètement tout redressement; Gartland Steamship Co. c. La Reine (1960) 22 D.L.R. (2 ° ) 385 (C.S.C.), aux pages 408 et 409: mêmes conclusions;
La Reine c. Murray [1965] 2 R.C.E. 663, le président Jackett, [1967] R.C.S. 262, aux pages 266 à 268: mêmes conclusions;
Stein c. Le «Kathy (1972) 2 Lloyd's Rep. 36, [1972] C.F. 585: même doctrine appliquée à une action entre sujets;
Resolute Shipping c. Jasmin Construction [1978] 1 R.C.S. 907.
Du fait que la plus grande partie du droit maritime n'a pas de fondement dans un texte législatif, la Cour peut mettre à jour les par ties jugées inadmissibles, par exemple par lord Esher, Maître des rôles, dans Le «Whitton» (1895) 8 Aspinall M.L.C. 110.
B. Il est évident que l'issue d'une cause peut en fait dépendre d'une loi «accessoire» alors que celle-ci n'a qu'un rôle «accessoire». Le critère à appliquer consiste à se demander «quelle est la nature fondamentale de la cause d'action?» par exemple quand il s'agit d'une action en domma- ges-intérêts fondée sur un contrat d'affrètement.
Le concept de «contrat distinct» appliqué dans Le «Camosun» [1909] A.C. 597 montre qu'une défense peut être invoquée en amirauté en vertu du même contrat, même si celui-ci ne concerne pas une matière de droit maritime.
C. Sous réserve de l'art. 101, la compétence exclusive des provinces concernant l'établisse- ment des tribunaux en vertu de l'art. 92(14) de l'A.A.N.B. crée l'obligation constitutionnelle absolue de limiter la compétence de la Cour fédérale à «l'exécution des lois du Canada». Cependant, dans l'exécution de ces lois, il y a aussi l'obligation constitutionnelle absolue de ne pas oublier d'appliquer la loi provinciale autre- ment applicable «parce qu'elle est en elle-même valide», Quebec North Shore Paper Company c. Canadien Pacifique Limitée [1977] 2 R.C.S. 1054, la page 1065. Il est virtuellement impos sible qu'une affaire, même essentiellement fondée sur une cause d'action relevant d'une loi fédérale, n'ait pas quelques aspects qui relèvent d'une loi provinciale «accessoire» dont peut
dépendre son issue, par exemple, l'état ou la capacité juridique d'une partie autre que la Couronne fédérale.
D. L'article 4 de la Manitoba Supplementary Provisions Act (plus tard codifiée dans S.R.C. 1927, c. 124) semble indiquer, en passant, que toutes les dispositions de la common law (incluse dans l'expression «lois d'Angleterre» relatives aux objets de compétence fédérale) sont en prin- cipe la common law fédérale.
E. Le «principe des textes législatifs accessoi- res» a été appliqué depuis longtemps en matière d'amirauté:
3 Blackstone's Commentaries (1809) p. 109 citant:
Co Rep 53 76 E.R. 1462
Spark c. Stafford 2 Hardres 183 145 E.R. 442
Ridly c. Egglesfield 2 Levinz 25 83 E.R. 436
—Smart c. Wolfe 3 T.R. 323, 343, le juge Ashurst
—L'Haidee (1860) 2 Stuarts' V.A.R. 25, 31
—Le Farewell (1881) 1 Cook. V.A.R. 282, 284
—Howell Admiralty Practice in Canada, p. 209.
F. Les décisions précitées ont fait l'objet de critiques (Laskin: Canadian Constitutional Law, éd., p. 796), mais nous alléguons que, quelle que puisse être l'interprétation antérieure à 1970, l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, renvoyant à la Loi sur l'amirauté et, par là, à l'exercice de la compétence en Angleterre, constitue une confir mation législative de cette pratique (par le moyen d'une adoption, par renvoi, de la loi, interne ou étrangère, applicable en vertu du principe des textes législatifs accessoires).
IV. Domaine couvert par les lois adoptées par renvoi en vertu de l'art. 2 attribuant à la Cour «compétence illimitée en matière maritime et d'amirauté»:
A. Comme «les matières maritimes et d'ami- rauté» sont définies par une liste des domaines de compétence, il suffit qu'il s'agisse de matières maritimes ou de matières d'amirauté.
B. «Matières d'amirauté»:
1. Toute définition de cette expression anglaise, dans un dictionnaire ou dans un texte de loi datant de moins de 600 ans, comporte vraisemblablement des nuances de limitation restreinte. La définition donnée par Story (dans De Lovio c. Boit (1817) 2 Gall. 398, (Gallison's Reports) 475) basée sur celles données par les commentateurs anglais et par ceux qui, sur le continent, appliquent le prin- cipe de compétence illimitée en matière d'amirauté, peut confondre la définition elle- même et ses effets.
2. Nous soutenons qu'en principe le vrai cri- tère doit consister à déterminer s'il s'agit de «matières valablement confiées à la compé- tence d'une cour d'amirauté» en tant que Cour d'Amirauté. Comparer «matières des cours municipales», etc.
3. Ainsi, dans l'exercice du pouvoir relatif à la navigation ou à la marine marchande ou à d'autres matières semblables, lorsque le Parle- ment confère à la Cour d'Amirauté comme telle une nouvelle compétence plus étendue relative à toute matière, en vertu de toute disposition de l'art. 22s) cette matière devient par matière d'amirauté, et, par application de l'art. 2b), une loi adoptée par renvoi devient applicable pour «alimenter la compé- tence».
4. D'une façon plus générale, en vertu de l'art. 22(1), l'adoption par la loi du principe de la compétence illimitée d'une cour ayant naturellement une compétence limitée (rela- tive d'une manière quelconque à la mer ou aux eaux navigables) oblige à utiliser «l'expé- rience et non la logique» dans son interpréta- tion. Quelle que soit l'opinion du juge Holmes sur la loi de Henry V, l'examen du contexte historique des limitations imposées par la loi à la compétence d'amirauté est inévitable, et fascinant. Voir Twiss 3 Black Book lxxxi-ii. Les présentes observations et celles contenues dans II B ci-dessus signifient qu'il faut exami ner le contexte historique du champ d'applica- tion de la compétence en matière de droit maritime, mais pas nécessairement le contenu.
5. L'expression «compétence illimitée en matière maritime» renvoie nécessairement à la définition large du mot maritime: «relatif à la
mer» (et par extension en vertu de l'art. 22(3) également aux autres eaux); ainsi, «navigation et marine marchande» constituent seulement une partie de ces matières maritimes.
Ainsi, selon la signification évidente de ces mots, il faut conclure que la présomption contre les allégations superfétatoires est réfu- tée et que l'expression «navigation et marine marchande» à l'art. 22(1) a été ajoutée ex abundi cautela. La thèse inverse conduirait à une absurdité: le mot «autre» dans l'art. 22(1) signifie que tout le droit maritime canadien fait partie des lois relatives à la navigation et à la marine marchande, et non l'inverse. Si une autre interprétation prévaut: (1) seront exclues toutes lois adoptées en vertu des art. 92(10) et 91(13) et (9) de l'A.A.N.B., et (2) elle irait à l'encontre de la définition donnée à l'art. 2b).
C. Selon IV B 2 ci-dessus, l'étendue de la compétence illimitée en matière d'amirauté cou- vrait toutes causes maritimes de façon générale:
1. Pouvoirs des amiraux avant 1389:
a. John Pavely 1361 (capitaneus et ductor de la flotte, équivalent au grade d'amiral): Brown A Compendious View of the Civil Law, (1802) page 25, (en supplément) con- férant le pouvoir d'entendre et de juger [TRADUCTION] «toute chose relative à la flotte, et de prononcer des peines d'empri- sonnement ou de privation contre des con- trevenants et de les punir, et de faire toute chose relevant naturellement du capitaneus et ductor comme elle doit être faite de droit et selon le droit maritime» (Marsden: Select Pleas in the Court of Admiralty, p. xii).
b. Sir John de Beauchamp, Sir Robert Herle (1361), Earl of Arundel (1386) ibid.: [TRADUCTION] «pouvoir ... d'entendre des plaintes de tout un chacun relatives à des matières se rapportant à la fonction de l'amiral et d'entendre des procès mariti- mes».
2. The Black Book of the Admiralty:
a. No A 11: [TRADUCTION] «... comme l'amiral est le gouverneur des marins et doit leur interdire de causer préjudice à toute personne ...». Rolls Series, éd. Sir Travers Twiss, 1871, (6 vol.) vol. 1, p. 13.
b. C 35 (ibid. p. 83): [TRADUCTION] «De plus, il faut ouvrir une enquête relative à toute poursuite dirigée contre tout com- merçant, marin ou toute personne en vertu de la common law du pays au titre de tout droit ancien découlant du droit maritime ...». On peut rapprocher le libellé similaire du C 51 du supplément à l'Inquisition of Queensborough (ibid. p. 163). Ce sup- plément peut avoir été ajouté sous le règne de Henry IV ou de Henry V (Twiss, vol. 1, p. lxxi), mais l'ensemble de la Partie C, bien que son présent libellé ne soit pas antérieur à 1360 (ibid. p. xlvi), date néan- moins du règne d'Edward III (ibid., vol. III, p. xii).
D. Ce «droit maritime» et ces «affaires mariti- mes» réfèrent à l'ensemble du droit maritime en vigueur en Europe occidentale à l'époque (lequel droit maritime faisait alors partie du ius gentium)
1. De façon générale Santa Maria Trading, aux pages 6 et 7.
2. Au titre du ius gentium: 1 Holdsworth: A History of English Law, 1922, la page 26 citant:
Luke c. Lyde (1759) 2 Burr 882, la page 887, lord Mansfield;
3. En Angleterre, la common law n'était pas applicable:
a) Préambule de 13 Rich. II, c. 5: [TRA- DUCTION] «aux dépens de notre maître le Roi et de la common law du royaume»;
b) Rappel de la Commission of Oyer and Terminer de 1361 constituée pour entendre et juger une affaire de vol et de meurtre en mer parce que [TRADUCTION] «les crimes, actes illicites ou lésions corporelles survenus en haute mer ne doivent pas être jugés par nos juges de common law mais plutôt par nos amiraux conformément au droit mari time». (Marsden: Law and Custom of the Sea, aux pages 85 89 (1915));
c) Serment de l'amiral d'appliquer une procédure complète et rapide «selon loy marisme et anciennes coustumes de la mer», 1 Black Book, p. 168, D 71.
4. En Europe occidentale:
a) Scrutton: «Roman Law in the Admiral ty», 1 Select Essays in Anglo-American Legal History, 230 à 233;
b) 3 Kent's Commentaries (1892), pages 42 et 43;
c) Williams and Bruce Admiralty Juris diction, page 4.
E. Détermination des restrictions du droit maritime médiéval:
1. [TRADUCTION] «Et il convient ici de se garder de l'erreur consistant à penser que les détails énumérés dans ces différents règle- ments et ordonnances englobent et limitent tout le domaine de compétence de l'amirauté. Juridiquement, on ne peut pas les considérer autrement que comme des directives données de temps en temps à un tribunal déjà établi et investi de pouvoirs généraux, pour écarter tout doute ou pour appliquer de façon plus exacte un droit ou une obligation existants.» Le juge Story dans De Lovio c. Boit, page 405.
2. L'article 2b) ne mentionne pas «une com- pétence illimitée restreinte aux cas survit un précédent médiéval spécifique». Nous sou- tenons que le véritable critère consiste à se demander si le droit maritime indique qu'en principe le sujet était régi par le droit mari time et relevait donc de la compétence de l'amiral.
F. Le travail des constructeurs de navire relève de la compétence de l'amiral:
1. Black Book: C 38 (vol. 1, page 87) Supplément au Queensborough Inquisition, D 66 (ibid., p. 167)
2. Consolato del Mar, œuvre d'application générale en droit maritime la différence, par exemple, de celle de Pise et Jerusalem: Twiss, vol. 2 Black Book, p. xlvii), vol. 3, p. lxxxvi-ii.
3 Kent's Commentaries (1892) Pt. V. Lec. XLII, p. 42, Twiss (ibid.), vol. 3, p. xxvi-vii, lxxxi, vol. 4, p. xcv. Cité comme autorité dans:
Luke c. Lyde (supra), p. 289
L'Aquila 1 C. Rob. 44
Le Ceylon 1 Dods 110
Story: De Lovio c. Boit passim
Benedict: Admiralty, 5 éd., p. 94
a) Partie 1 de Consolato: Compétence des cours d'amirauté concernant les ordonnan- ces consulaires:
(1) Armement des navires, chapitre XXII, cité par Story, pages 400, 475;
(2) Contrats conclus suivant les coutu- mes de la mer (ibid.) CXXII et chap. XXXI (annexe Black Book, vol. 4, pages 473 à 475, 483).
b) Partie 2 de Consolato: Coutumes de la mer:
(1) Les contrats concernant les construc- teurs de navire sont susceptibles de rési- liation, et ces charpentiers sont responsa- bles, en cas d'exécution défectueuse, pour les conséquences de celle-ci:
Chapitre 8 vol. 3, pages 63 à 69 Chapitre 9 (exceptions) page 73 in fine
Chapitre 227, pages 525 et 526
(2) Le libellé de ces passages montre que ces derniers s'appliquent aussi à la cons truction (voir chapitre 7, vol. 3, page 63) et à la réparation: atout travail».
3. Il existe ainsi un corps important de droit positif (qu'on n'a pas signalé au juge en chef adjoint Thurlow dans Canadian Vickers Ltd.) traitant du litige faisant l'objet de la demande reconventionnelle et des procédures relatives à tierce partie en l'espèce, ainsi qu'une jurispru dence abondante statuant que les contrats concernant les constructeurs de navire sont de nature maritime. Il faut en déduire que sur ces deux points, et sur ces deux points seule- ment, son jugement, ainsi que celui rendu dans Skaarup Shipping [1978] 2 C.F. 361 et dans Delta Hydraulic ont été infirmés par Santa Maria Trading et Benson Bros. c. Le «Nemesis» (9 juin 1978) C.A.F. No A-126-77.
4. Les décisions des tribunaux américains excluant les contrats relatifs à la construction de navires:
(1) résultent d'une interprétation restric tive de la compétence d'amirauté (seuls les cas dont pouvaient connaître les cours d'amirauté en 1789); The People's Ferry Company of Boston c. Beers 20 How 393 U.S. Sup. Ct. 1857, à la page 401; cette interprétation restrictive est inapplicable devant les tribunaux canadiens. Cette inter-
prétation a été en outre écartée en principe: Le Thomas Barium (1934) A.M.C. 1417, 1434: les hypothèques, autrefois exclues, relèvent de la compétence d'amirauté en vertu de la loi;
(2) ne sont pas pertinentes en l'espèce car les cours d'amirauté américaines seront compétentes en cas d'actes délictuels, ou d'inexécution de garantie implicite, ou sur la base d'innavigabilité: décisions rappor- tées dans (1973) 47 Tulane L.R. 540 et 541 (de bonnes sources appuient l'opinion qu'en droit anglais également, l'action en garantie ne s'applique pas nécessairement en matière contractuelle: Waddams Products Liabi lity, pages 1 à 9);
5. Même si un contrat de construction de navire doit être considéré comme un acte de vente (British Shipping Laws, vol. 13, par.
138 142 et les décisions y citées):
a. il s'agit d'une catégorie spéciale de vente, régie en particulier par les dispositions pré- citées du Black Book et du Consolato;
b. la vente de navires, prise dans son ensem ble, relève de la compétence d'amirauté: Consolato (Ordonnances consulaires):
(1) Chapitre XXII Black Book, annexe, vol. 4, page 473 (ainsi que l'a fait ressortir Twiss (vol. 3, page lxxv) dans ce passage cité dans De Lovio c. Boit, page 400, l'expression [TRADUC- TION] «répartition des navires» pro- vient d'une variante italienne défec- tueuse du Consolato);
(2) La vente de navires, ou de partici pation dans un navire, (comparer la Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, c. S-9, art. 10a)) est traitée en détail dans Cus toms of the Sea (Black Book Supple ment, vol. 3):
Chapitre 2, page 50 Chapitre 10, page 75
Chapitre 11, pages 77 81
Chapitre 200, pages 409 à 413
c. même pendant une certaine période après l'adoption des lois de Richard II, les ventes continuaient à relever de la compétence de la Cour d'Amirauté:
2 Marsden: Select Pleas LX: appel en cas de vente, garantie du titre et réparations;
1 Marsden (ibid.) p. lxxiii, par. 1 et 4
résumant d'anciens procès en diffamation
devant les cours d'amirauté au 16e siècle. 6. Enfin nous soutenons que le critère défini relativement aux pouvoirs de l'amiral dans 1525 Duke of Richmond (1 Marsden: Select Pleas LXXXIII) et dans G. O. Stuart (2 Stuarts' V.A.R. 377), attribuant compétence pour des litiges entre des propriétaires de navires (en l'espèce, Davie et la Reine à des périodes différentes)—bien entendu en leur qualité de propriétaires du navire—est appli cable en l'espèce, en même temps que d'autres critères. Les modalités de ces pouvoirs, qui couvrent aussi les constructeurs de navire, pourraient paraître «extravagantes» lorsqu'on les compare aux lois de Richard II, telles que les tribunaux de common law les interprètent, à leur propre avantage, mais, en fait, ces modalités paraissent suivre de près les matiè- res énoncées dans le Black Book.
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