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A-222-77
Canadien Pacifique Limitée (Appelante)
c.
Travailleurs unis des transports (Intimé)
Cour d'appel, les juges Heald, Urie et Ryan- Ottawa, le 15 décembre 1977 et le 21 mars 1978.
Compétence Relations du travail Contrat de travail relatif aux chemins de fer Contrat soumis à la Loi de 1973 sur le maintien de l'exploitation des chemins de fer L'action relève-t-elle de la compétence de la Cour sur le fondement du Code canadien du travail et de la Loi de 1973 sur le maintien de l'exploitation des chemins de fer ou porte-t-elle simple- ment sur l'interprétation du contrat en vertu de la législation provinciale ou encore le contrat a-t-il attribué compétence exclusive à l'arbitre par suite de l'effet conjoint de la clause d'arbitrage et de l'art. 155 du Code canadien du travail? Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 23 Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, art. 154, 155 Loi de 1973 sur le maintien de l'exploitation des chemins de fer, S.C. 1973-74, c. 32, art. 13(2), 15, 16.
L'appelante interjette appel contre un jugement rendu par la Division de première instance rejetant l'action intentée par cette compagnie, au motif que la Cour n'était pas compétente. Il s'agit d'une action relative à des relations de travail dans un travail ou entreprise reliant plusieurs provinces ou s'étendant au-delà des limites d'une province. L'appelante allègue que sa demande a été faite en vertu du Code canadien du travail ou de la Loi de 1973 sur le maintien de l'exploitation des chemins de fer. L'intimé répond, cependant, que l'action porte simplement sur l'interprétation de conventions collectives intervenues entre des sujets, et que ce domaine du droit des contrats ne relève pas de celui couvert par l'expression «lois du Canada». A titre subsidiaire, l'intimé allègue que la clause d'arbitrage, lue de concert avec l'article 155 du Code canadien du travail, a attribué compétence exclusive à l'arbitre.
Le 25 juin 1971, les parties ont conclu deux conventions collectives pour la région de l'Ouest et la région de l'Est, ces conventions devant venir à expiration le 31 décembre 1972. La révision des conventions a fait l'objet d'un rapport rendu par la Commission de conciliation en août 1973. Par suite de la grève déclenchée par certains employés de l'appelante, le Parlement a adopté la Loi de 1973 sur le maintien de l'exploitation des chemins de fer qui a prorogé les conventions collectives pendant la période allant du Zef janvier 1973 à la mise en vigueur des nouvelles conventions collectives ou au 31 décembre 1974, selon la première de ces deux dates. La Loi a également prévu la désignation d'un arbitre pour résoudre les litiges.
A la suite du rapport prévu par l'arbitre en janvier 1974, les parties ont conclu des conventions collectives en laissant la question, parmi d'autres, de la «composition de l'équipe» à la détermination de l'arbitre. L'arbitre a rendu sa décision le 3 décembre 1974, mais n'a rendu publiquement sa sentence sur la «composition de l'équipe» que le 8 janvier 1975. L'intimé a demandé à la Cour d'appel de réviser et d'annuler cette sen tence, par application de l'article 28, mais la Cour a rejeté sa demande pour le motif que les points litigieux soulevés sont purement théoriques parce que l'effet de la sentence a été
épuisé. Depuis cette date, les parties ont conclu des conventions collectives couvrant la période du 1e" janvier 1976 au 31 décembre 1977, mais sans réviser la «composition de l'équipe» ni y faire des renvois.
Arrêt: l'appel est rejeté. Aux fins de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale, les réclamations faites dans la présente action l'ont été en vertu d'une loi du Parlement du Canada parce qu'elles ont été intentées relativement à des conventions collec tives tirant leur caractère juridique du Code canadien du travail. Ce conflit relatif à la «composition de l'équipe» a soulevé un problème immédiat d'interprétation, et, comme tel, relève de la Convention d'arbitrage des chemins de fer cana- diens. C'était bien une question à soumettre directement à l'arbitre, conformément à la procédure prévue dans la Conven tion d'arbitrage même. Le choix fait dans ce cas par les parties, à savoir l'arbitrage comme moyen de règlement définitif, cons- titue une attribution spéciale de compétence pour déterminer les litiges soulevés dans la présente action. En l'espèce, il s'agit de conventions collectives de travail, non de contrats commer- ciaux, et le Code canadien du travail prévoit en cas de conflits survenus à l'occasion desdites conventions, leur règlement défi- nitif par voie d'arbitrage ou autrement, selon la convention intervenue entre les parties, ou par décision rendue sur demande par le Conseil canadien des relations de travail. Les parties ont choisi l'arbitrage. Dans ses dispositions pertinentes relatives au règlement des conflits survenus par suite des con ventions collectives, le Code canadien du travail donne des principes directeurs qui, à la différence de ceux applicables aux contrats commerciaux, s'opposent à ce que les parties fassent échec à la compétence des tribunaux par des clauses de règle- ment par arbitrage.
Distinction faite avec les arrêts: Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée [1977] 2 R.C.S. 1054; McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine [1977] 2 R.C.S. 654; Howe Sound Co. c. International Union of Mine, Mill and Smelter Workers (Canada), Local 663 [1962] R.C.S. 318; McGavin Toastmaster Ltd. c. Ainscough [1976] 1 R.C.S. 718.
APPEL. AVOCATS:
C. R. O. Munro, c.r. et T. J. Maloney pour l'appelante.
M. W. Wright, c.r. et J. L. Shields pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le contentieux, Canadien Pacifique Limitée, Montréal, pour l'appelante.
Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady, Morin, Ottawa, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE RYAN: Il s'agit d'un appel interjeté par l'appelante Canadien Pacifique Limitée (ci-après appelée «Canadien Pacifique») contre un jugement rendu par la Division de première instance [[ 1977 1 2 C.F. 712] le ler avril 1977 rejetant l'action intentée par cette compagnie contre l'intimé Tra- vailleurs unis des transports (ci-après appelé «le Syndicat»), et ce au motif que la Cour n'était pas compétente.
La détermination d'un litige relatif à la compé- tence dépend de la question de savoir si l'action a été intentée en vertu de la compétence conférée à la Division de première instance par l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale', S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10, et si, dans l'affirmative, la compé- tence de la Cour n'a pas été écartée par le dernier membre de phrase dudit article 23 ainsi rédigé: «sauf dans la mesure cette compétence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale».
L'action met en cause l'interprétation ou, comme aurait dit l'appelante, le contenu de certai- nes conventions collectives conclues entre les par ties dont l'une, Canadien Pacifique, est un trans- porteur interprovincial. Il s'agit ainsi d'une action relative à des relations de travail dans un travail ou entreprise reliant plusieurs provinces ou s'étendant au-delà des limites d'une province. Canadien Paci- fique a allégué que sa demande de redressement a été faite en vertu du Code canadien du travail 2 ou en vertu du Code et de la Loi de 1973 sur le maintien de l'exploitation des chemins de fera (parfois appelée dans ces motifs la «Loi spéciale»). Le Syndicat a répondu que l'action porte simple
1 Voici le libellé de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale:
23. La Division de première instance a compétence concur- rente en première instance, tant entre sujets qu'autrement, dans tous les cas une demande de redressement est faite en vertu d'une loi du Parlement du Canada ou autrement, en matière de lettres de change et billets à ordre lorsque la Couronne est partie aux procédures, d'aéronautique ou d'ou- vrages et entreprises reliant une province à une autre ou s'étendant au-delà des limites d'une province, sauf dans la mesure cette compétence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale.
2 S.R.C. 1970, c. L-1 modifié.
3 S.C. 1973-74, c. 32.
ment sur l'interprétation de conventions collectives intervenues entre des sujets, le conflit étant suscep tible de résolution par l'application des principes et des règles du droit des contrats, lequel ne relève pas du domaine couvert par l'expression «lois du Canada» suivant l'avis de la Cour suprême du Canada dans ses décisions récentes'. A titre subsi- diaire, le Syndicat a allégué que, même si la réclamation était intentée en vertu d'une loi du Canada, la compétence relative à ladite réclama- tion avait, par la clause d'arbitrage des conven tions collectives en question, lue de concert avec l'article 155 du Code canadien du travail, fait l'objet d'une attribution spéciale: elle avait été attribuée exclusivement à l'arbitre.
Les circonstances de fait de la présente action sont plutôt compliquées.
Le 25 juin 1971, Canadien Pacifique et le Syn- dicat ont conclu deux conventions collectives, l'une relative aux chemins de fer de la région du Pacifi- que et de l'Ouest, l'autre aux chemins de fer de la région de l'Atlantique et de l'Est. Ces conventions devaient venir à expiration le 31 décembre 1972. La révision des accords pour la période commen- çant le ler janvier 1973 faisait l'objet de concilia tion, et la Commission de conciliation a rendu son rapport en août 1973. Par la suite, certains employés de Canadien Pacifique se sont mis en grève, mais ceux représentés par le Syndicat n'ont pas cessé le travail. Le chemin de fer a suspendu ses activités. Le Parlement a adopté la Loi de 1973 sur le maintien de l'exploitation des chemins de fer. Canadien Pacifique était requise de reprendre ses opérations, et ses employés leur travail. Les conventions collectives conclues entre Canadien Pacifique et le Syndicat et venues à expiration ont été prorogées pour englober la période allant du ler janvier 1973 à la mise en vigueur des nouvelles conventions collectives ou au 31 décembre 1974, selon la première de ces deux dates'.
4 Quebec North Shore Paper Company c. Canadien Pacifi- que Limitée [1977] 2 R.C.S. 1054 et McNamara Construction (Western) Limited c. La Reine [1977] 2 R.C.S. 654.
5 Voici le libellé du paragraphe 13(2) de la Loi de 1973 sur le maintien de l'exploitation des chemins de fer,
13. ...
(2) La durée de chaque convention collective visée par la présente Partie est prorogée de façon à comprendre la
La Loi autorisait le gouverneur en conseil à désigner un arbitre et à le saisir, par décret, des questions relatives à la modification ou à la révi- sion des conventions collectives faisant l'objet d'un conflit au moment de l'établissement du décret 6 . Toute décision rendue par l'arbitre est réputée incorporée dans les conventions collectives con- clues entre Canadien Pacifique et le Syndicat, et lesdites conventions, ainsi modifiées, s'appliquent à toute période prenant fin au plus tôt le 31 décem- bre 1974, suivant la détermination de l'arbitre'.
L'honorable Emmett M. Hall a été nommé arbi- tre. Parmi les sujets de conflit survenus entre Canadien Pacifique et le Syndicat et dont l'arbitre a été saisi, il y avait celui communément appelé la question de [TRADUCTION] «composition de l'équipe». Canadien Pacifique a «demandé» au
période commençant le 1" janvier 1973 et se terminant soit à la date entre en vigueur une nouvelle convention collective la modifiant ou la révisant, soit le 31 décembre 1974, si cette dernière date est antérieure à l'autre.
6 Voici le libellé des paragraphes 16(1) et (2) de la Loi:
16. (1) Sur réception, par le ministre du Travail, d'un rapport de médiateur prévu au paragraphe 15(4), ou lorsque le ministre du Travail ne nomme pas de médiateur en vertu des paragraphes 15(1), (2) ou (3), le gouverneur en conseil peut, sur la recommandation du ministre du Travail nommer un arbitre.
(2) Le gouverneur en conseil peut, par décret, saisir un arbitre nommé en vertu du paragraphe (1) de toutes les questions, relatives à la modification ou à la révision d'une convention collective visée par la Partie I, II ou III, qui, au moment de l'établissement du décret, font l'objet d'un conflit entre les parties à cette convention et prévoir la forme dans laquelle toute décision de l'arbitre doit être rendue.
L'article 15 de la Loi autorise le ministre du Travail à nommer des médiateurs.
7 Voici le libellé du paragraphe 16(4) de la Loi:
16. ...
(4) S'il est nommé un arbitre en vertu du paragraphe (1) et que l'arbitre tranche une question non encore réglée, au moment de sa décision, entre les parties à une convention collective visée par la Partie I, II ou III, selon le cas, cette convention collective est réputée modifiée par l'incorporation de cette décision dans ladite convention et la convention collective ainsi modifiée constitue dès lors une nouvelle con vention collective modifiant ou révisant la convention collec tive visée par la Partie I, II ou III, selon le cas, qui est en vigueur pendant la période prenant fin au plus tôt le 31 décembre 1974 que l'arbitre peut fixer.
Syndicat d'inclure dans les conventions collectives une clause procédurale aux fins de déterminer dans des cas spécifiques si le nombre d'employés dans les fourgons des trains de marchandises devait être réduit de deux à un. Le Syndicat s'y est opposé.
L'honorable Hall a rédigé un rapport en date du 16 janvier 1974. En ce qui concerne la composition de l'équipe, il a dit qu'il faudrait faire quelques essais de fonctionnement à personnel réduit avant qu'il arrive à une décision en la matière. Il s'est ainsi prononcé:
[TRADUCTION] Jusqu'au 30 juin, je m'abstiendrai de me prononcer au sujet de ce changement de règle, tout comme je l'ai fait relativement à la question de sécurité de l'emploi. Après le 1°r juillet 1974, je fixerai la date et le lieu de l'audition des représentants et je rendrai une ordonnance ou sentence, sous réserve des circonstances du moment. En attendant, il n'y aura aucun changement.
Canadien Pacifique et le Syndicat ont conclu le P r février 1974 des conventions mettant à exécu- tion la sentence rendue le 16 janvier par le juge Hall; l'une de ces conventions était relative à la région de l'Atlantique et de l'Est, et l'autre à celle des Prairies et du Pacifique. Les deux étaient identiques à tous les points de vue pertinents. Chacune d'elles contenait la clause suivante:
[TRADUCTION] Réduction de l'équipe dans toutes les catégories de services de marchandises
La demande de la Compagnie (réduction de l'équipe dans toutes les catégories de services de marchandises) doit être réglée de la manière spécifiée dans le rapport de l'arbitre (arbitrage des chemins de fer 1973) en date du 16 janvier 1974.
Comme il l'a indiqué, le juge Hall a, pendant l'été de 1974, entendu d'autres doléances relatives à la composition de l'équipe. Les événements sur- venus postérieurement à ces auditions ont été détaillés dans la convention passée entre les parties relativement aux faits; ladite convention avait été préparée aux fins du présent procès. En voici un extrait (les références à la demanderesse et au défendeur concernent, respectivement, Canadien Pacifique et le Syndicat):
[TRADUCTION] Le 3 décembre 1974, l'honorable Emmett M. Hall, que les plaidoiries mentionnent comme arbitre dans le présent procès (ci-après appelé «l'arbitre») a rendu une décision sur les quatre matières réservées dans sa sentence du 16 janvier
1974, savoir: la sécurité de l'emploi, l'application du pro gramme de sécurité de l'emploi aux employés du quai, la renonciation à certaines dispositions des conventions par
entente préalable, et la composition de l'équipe. Il a rendu sa sentence à cet effet et l'a envoyée au ministère du Travail Canada aux fins de communication aux parties.
Vers le 3 décembre 1974, un fonctionnaire du ministère du Travail a informé des dirigeants du défendeur que ladite sen tence était plus favorable aux chemins de fer qu'au Syndicat.
Au début de novembre 1974, les négociations en vue de la conclusion de nouvelles conventions entre le défendeur et les principales compagnies canadiennes de chemins de fer, y com- pris la demanderesse, ont atteint le stade de conventions provi- soires relatives à leurs modalités, sous réserve seulement de ratification par les adhérents. Le défendeur procédait alors à un scrutin référendaire parmi ses adhérents dans tout le Canada, relativement à ladite ratification.
Vers le 5 décembre 1974, un dirigeant du défendeur s'est déclaré, à la fois auprès de l'arbitre et d'un fonctionnaire du ministère du Travail, préoccupé parce que la publication d'une sentence défavorable, en particulier à ce moment, pourrait avoir un effet malheureux sur le résultat du scrutin de ratifica tion, et a suggéré d'éviter ledit effet en retardant la publication de la sentence jusqu'à la fin du vote. Par suite de ces doléances du défendeur à l'arbitre, celui-ci a consulté le ministère du Travail, et l'arbitre et le Ministère se sont mis d'accord pour décider de diviser la sentence du 3 décembre 1974 en deux parties, celle relative à la sécurité de l'emploi, à l'application du programme de sécurité de l'emploi aux employés du quai et à la renonciation à certaines dispositions des conventions par entente préalable, devant être publiée en temps prévu, et l'au- tre, relative à la composition de l'équipe, devant l'être au début de la nouvelle année.
En conséquence, une sentence portant la date du 9 décembre 1974 a été publiée vers cette date, en ce qui concerne les trois premiers problèmes, et une sentence séparée, relative à la composition de l'équipe et portant la date du 8 janvier 1975, a été publiée vers cette date.
La sentence portant la date du 8 janvier 1975 était, à tout point de vue, la même que celle non publiée et portant la date du 3 décembre 1974 et aurait été publiée avec celle portant la date du 9 décembre 1974, si des doléances n'avaient pas été présen- tées à l'arbitre comme on l'a dit.
Le juge Hall a rendu sa sentence sur la question de composition de l'équipe le 8 janvier 1975. Elle permet à Canadien Pacifique de réduire, dans certains cas, le personnel des trains de marchandi- ses. Des règles pratiques ont été prévues pour les autres cas.
Il faut noter ici que le 11 décembre 1974, Cana- dien Pacifique et le Syndicat stipulent ce qui suit sous le titre DURÉE DE LA CONVENTION:
[TRADUCTION] La présente convention entre en vigueur le 1" janvier 1975, et remplace toutes conventions, décisions ou interprétations antérieures en contradiction avec elle. Elle res- tera en vigueur jusqu'au 31 décembre 1975 et après cette date, jusqu'à ce qu'elle soit révisée ou remplacée, sous réserve d'un
préavis de trois mois donné par l'une des parties postérieure- ment au 30 septembre 1975.
Les conventions contiennent des dispositions relati ves à des matières telles que le taux des salaires, les congés annuels, le personnel des gares de triage, les congés payés, la santé et le bien-être. Elles ne comportent aucune disposition spéciale relative à l'arbitrage et à la composition de l'équipe. Il appert évidemment que les conventions en vigueur immédiatement avant la conclusion de celles du 11 décembre 1974 devaient le rester jusqu'en 1975 comme modalités des nouvelles conventions, sauf dans la mesure des modifications apportées par ces dernières. Canadien Pacifique soutient que la sen tence rendue par le juge Hall au début de décem- bre 1974 et publiée le 8 janvier 1975 est devenue partie intégrante des conventions collectives en vigueur en 1974, au moment a été rendue la sentence sur la composition de l'équipe. Selon Canadien Pacifique, il en est ainsi par application du paragraphe 16(4) de la «Loi spéciale». La clause concernant la composition de l'équipe est restée valable dans les conventions de 1975 parce qu'elle n'était pas en contradiction avec les modali- tés des conventions conclues le 11 décembre 1974 et mises en vigueur le Zef janvier 1975.
Après que le juge Hall ait rendu sa sentence sur la composition de l'équipe en janvier 1975, le Syndicat a demandé à la Cour d'appel fédérale d'annuler ladite sentence, par application de l'arti- cle 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Les événe- ments survenus relativement à cette demande faite en vertu de l'article 28 ont été énoncés de la façon suivante dans la déclaration convenue des faits (dans ladite demande, le requérant est bien entendu le Syndicat et les intimées sont Canadien Pacifique et la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada):
[TRADUCTION] La demande a été entendue les 8 et 9 juillet 1975. Le requérant (défendeur dans la présente action) n'a pas invoqué, dans son mémoire des plaidoiries ou dans les plaidoi- ries faites par son avocat, le fait que la date et la publication de la sentence soient postérieures au 31 décembre 1974, mais le second jour de l'instance dans sa réponse à l'avocat du Syndi- cat, la Cour ex proprio motu s'est exprimée dans les termes suivants:
La Cour n'a pas l'impression que la décision arbitrale atta- quée dans les présentes procédures ait une incidence sur l'exploitation des chemins de fer ou sur les conventions collectives y afférentes postérieures à la fin de 1974. Son
effet, si elle en a eu un, semble épuisé. La Cour n'est donc nullement convaincue que les points litigieux soulevés soient autres que purement théoriques et qu'elle puisse y apporter un quelconque redressement.
Sur ce, à la demande de l'avocat du requérant, la matière a été ajournée, quitte au requérant ou aux intimées d'en saisir de nouveau le tribunal pour audition supplémentaire. L'avocat du requérant a immédiatement attiré l'attention de l'arbitre sur cette situation.
Après des consultations entre l'avocat du requérant et celui des intimées dans ladite demande faite en vertu de l'article 28, la matière a été évoquée le 3 septembre 1975 pour audition supplémentaire, et l'avocat du demandeur (l'intimé dans ladite demande), avec l'accord de l'avocat du requérant, a essayé de déposer plusieurs documents, dont des copies des pièces 12, 13, 22, 23, 27 et 28 et les pièces jointes à la pièce 24 dans l'interrogatoire préalable mentionné au paragraphe A des présentes.
La Cour d'appel fédérale a refusé d'admettre ou d'examiner les documents présentés et a répété les observations antérieurement faites, à savoir que les points litigieux de la demande faite en vertu de l'art. 28 étaient purement théoriques, et lorsqu'elle a fait appel à l'avocat du requérant pour exprimer son point de vue sur ce sujet, il a donné son accord au rejet de la demande. A la suite de quoi, la Cour a rejeté la demande faite en vertu de l'article 28.
Après ce rejet de ladite demande requérant l'an- nulation de la sentence arbitrale sur la composition de l'équipe, Canadien Pacifique et la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada ont avisé le Syndicat de leur intention d'appliquer la sen tence, au motif que le susdit rejet signifiait qu'il fallait considérer la sentence comme ayant été valablement rendue. On comprend que le Syndicat ait rejeté cette hypothèse. Les compagnies ont aussi soutenu que les conventions collectives de 1975, conclues par les parties le 11 décembre 1974, englobaient les modalités de la sentence arbitrale relative à la composition de l'équipe. Il était soutenu que, même si du point de vue juridi- que la sentence cessait de s'appliquer à la fin de 1974, elle avait été adoptée par les parties en tant que clause contractuelle et était ainsi devenue partie intégrante des conventions collectives de 1975. Dans une lettre du 12 septembre 1975, le Syndicat a, par l'intermédiaire de son avocat, rejeté cette allégation, et a déclaré s'opposer à l'application de la sentence par les compagnies des chemins de fer.
Canadien Pacifique a intenté le 5 novembre 1975 devant la Division de première instance, la présente action visant à faire déclarer que les
modalités de la sentence relative à la composition de l'équipe faisaient partie intégrante des conven tions alors en vigueur entre Canadien Pacifique et le Syndicat.
De nouvelles conventions, conclues le 21 juillet 1976, stipulaient que les conventions collectives en vigueur devaient être révisées conformément aux nouvelles modalités, et que les conventions con- clues en conséquence devaient entrer en vigueur le ler janvier 1976. Comme dans les accords anté- rieurs, il était stipulé que lesdites conventions rem- placeraient toutes conventions antérieures qui leur seraient contraires; que les nouvelles conventions resteraient en vigueur jusqu'au 31 décembre 1977 et, postérieurement à cette date, jusqu'à leur révi- sion ou remplacement, sous réserve d'un préavis donné par l'une des parties du 30 septembre 1977. Avant le commencement du procès, la déclaration a été modifiée pour tenir compte des deux nouvel- les conventions s'appliquant du ler janvier 1976 au 31 décembre 1977.
L'action a été rejetée et le présent appel introduit.
L'appelante a soutenu que l'action visant à faire déclarer que la sentence relative à la composition et des conventions subséquentes, demandait un redressement ou une réparation en vertu d'une loi du Parlement du Canada parce que les conventions collectives faisant l'objet de ladite action tiraient du Code canadien du travail leur caractère d'actes juridiques. Ainsi l'action a été pertinemment inten- tée en vertu des pouvoirs conférés à la Division de première instance par l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale.
Évidemment, le redressement ou réparation est demandé en vertu d'une loi si ledit redressement ou réparation a été expressément prévu dans la loi. Mais il a été soutenu qu'un redressement ou répa- ration est aussi demandé en vertu d'une loi si la cause de l'action est fondée sur des obligations juridiques tirant leur vigueur des conditions de la loi. Dans le présent cas, on cherche une réparation relative à des conventions collectives qui n'engen- dreraient aucune obligation juridique n'eût été le Code canadien du travail.
A cause de son accréditation et des droits et obligations dérivés du Code, le Syndicat a acquis
la capacité juridique de conclure des conventions collectives en tant qu'entité distincte 8 . Ces conven tions collectives ont force obligatoire pour les par ties ainsi que les employés faisant partie de l'unité de négociation en vertu de l'article 154 du Code canadien du travail, libellé en ces termes:
154. Une convention collective conclue par un agent négo- ciateur et un employeur pour une unité de négociation lie, aux fins de la présente Partie et sous réserve de celle-ci,
a) l'agent négociateur;
b) tout employé de l'unité de négociation; et
c) l'employeur.
D'autres articles du Code régissent, à certains égards, les modalités des conventions collectives et leur durée 9 .
Dans l'arrêt The Winnipeg Teachers' Association 10 , le juge en chef Laskin s'est prononcé ainsi en ce qui concerne le caractère juridique d'une Convention collective examinée séparément de la législation:
Je n'arrive pas à comprendre comment la responsabilité pour violation de convention collective peut dériver du common law qui, dans ce pays, ne reconnaît pas l'autorité juridique d'une convention collective ...
Je suis d'avis qu'aux fins de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale, les réclamations faites dans la présente action l'ont été en vertu d'une loi du Parlement du Canada parce qu'elles ont été inten- tées relativement à des conventions collectives tirant leur caractère juridique du Code canadien du travail". L'action relève aussi d'une loi du Canada, à savoir ledit Code.
8 Voir International Brotherhood of Teamsters c. Therien [1960] R.C.S. 265, spécialement à la page 277.
8 Voir par exemple le Code canadien du travail, articles 160 et 161.
10 The Winnipeg Teachers' Association No. I of the Manito- ba Teachers' Society c. The Winnipeg School Division No. I [1976] 2 R.C.S. 695, à la page 709. Le juge en chef a exprimé un avis dissident, lequel n'affaiblit cependant en rien la citation aux fins du présent procès.
" Je sais bien que l'article 23 concerne une demande de redressement «... faite en vertu d'une loi du Parlement du Canada ....» D'autre part, l'article 22 parle de demande de redressement «... faite en vertu du droit maritime canadien ou d'une autre loi du Canada en matière de navigation ...», et l'article 25 de demande de redressement «... faite en vertu du droit du Canada ....» Cependant, la version française de l'article 23 est ainsi libellée: «... une demande de redresse- ment est faite en vertu d'une loi du Parlement du Canada ....»
L'important problème suivant consiste à exami ner si les clauses d'arbitrage convenues entre les parties ont pour conséquence d'écarter la compé- tence de la Division de première instance en vertu de l'article 155 du Code canadien du travail et en vertu du dernier membre de phrase de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale.
Les parties à la présente action (et d'autres) ont créé par convention en date du ler septembre 1971 le [TRADUCTION] «Bureau d'arbitrage des chemins de fer canadiens». Je renverrai à ce document comme [TRADUCTION] «Convention d'arbitrage des chemins de fer canadiens». En voici les parties pertinentes:
[TRADUCTION] BUREAU D'ARBITRAGE DES CHEMINS DE FER CANADIENS
CONVENTION conclue le 1e` septembre 1971 pour modifier et renouveler la convention initiale en date du 7 janvier 1965 établissant le Bureau d'arbitrage des chemins de fer canadiens (modifiée et renouvelée depuis cette dernière date).
Les signataires des présentes se sont accordés sur ce qui suit:
1. Il est établi à Montréal (Canada) un Bureau d'arbitrage des chemins de fer canadiens, ci-après appelé «Bureau d'arbitrage».
4. La compétence de l'arbitre, dans chaque cas, à la demande d'une compagnie de chemins de fer ou d'un ou de plusieurs de ses employés représentés par un agent négociateur, et signatai- res à la présente convention, s'étendra et sera limitée à l'arbitrage:
(A) des différends relatifs au sens ou à la prétendue violation d'une ou plusieurs des clauses d'une convention collective valide et en vigueur entre cette compagnie et l'agent négocia- teur, y compris les réclamations relatives à ces clauses comme quoi un employé a été injustement châtié ou congé- dié; et
(B) d'autres différends qui, en vertu d'une clause d'une convention collective valide et en vigueur entre cette compa- gnie de chemins de fer et l'agent négociateur, doivent être renvoyés devant le Bureau d'arbitrage des chemins de fer canadiens pour règlement définitif et comminatoire par voie d'arbitrage,
mais cette compétence doit toujours être assujettie à la présen- tation du différend au Bureau d'arbitrage, strictement en accord avec les termes de cette convention.
5. La requête en arbitrage d'un différend est faite par dépôt d'un avis au Bureau d'arbitrage au plus tard le huitième jour du mois précédant celui od l'audition doit avoir lieu, et, le jour même dudit dépôt, copie de l'avis doit être transmise à l'autre partie du différend. La requête en arbitrage d'un différend visé au paragraphe (A) de la clause 4 doit être accompagnée d'un
exposé conjoint. La requête en arbitrage d'un différend visé au paragraphe (B) de la clause 4 doit être accompagnée de tous les documents spécialement requis par les clauses de la convention collective régissant le litige en question. Le deuxième mardi de chaque mois, l'arbitre entendra les différends ayant fait l'objet de requêtes déposées à son bureau, conformément à la procé- dure énoncée à la clause 5. Aucune requête ne sera entendue pendant le mois de congé de l'arbitre, mois qui sera déterminé à l'occasion, et aucune requête ne sera entendue durant tout autre mois si au moins deux requêtes déposées avant le hui- tième jour du mois précédent ne sont en instance d'audition, mais l'audition d'un différend ne doit pas être retardée de plus d'un mois pour cette seule raison.
6. Toujours sous réserve des dispositions de la présente conven tion, l'arbitre établira en conformité avec les dispositions de la présente convention les règlements nécessaires de l'audition des différends, et il pourra modifier ces règlements de temps en temps au besoin.
7. Aucun différend décrit au paragraphe (A) de la clause 4 ne peut être renvoyé à l'arbitre à moins qu'il n'ait été examiné jusqu'au dernier stade de la procédure de grief prévue par la convention collective applicable. Faute de solution définitive obtenue par suite de ladite procédure, la requête en arbitrage peut être déposée, mais seulement de la manière et durant le délai prévus à cet effet dans la convention collective en vigueur ou, si la convention collective applicable ne prévoit aucun délai concernant les différends du genre décrit au paragraphe (A) de la clause 4, dans les 60 jours à compter de la date à laquelle la décision a été rendue au dernier stade de la procédure de grief.
Aucun différend décrit au paragraphe (B) de la clause 4 ne peut être renvoyé à l'arbitre à moins qu'il n'ait été examiné au long des étapes antérieures spécifiées dans la convention collec tive applicable.
8. L'exposé conjoint du différend, mentionné à la clause 5 des présentes, doit énoncer les circonstances dudit différend et renvoyer à une ou des dispositions spécifiques de la convention collective lorsqu'il est allégué que celle-ci a été mal interprétée ou violée. Lorsque les parties ne peuvent pas s'accorder sur un exposé conjoint, l'une quelconque d'entre elles peut, sur préavis écrit de quarante-huit (48) heures donné à l'autre partie, demander à l'arbitre la permission de soumettre un exposé séparé et qu'il procède à l'audition. L'arbitre a seul pouvoir d'accueillir ou de rejeter cette demande.
12. La décision de l'arbitre doit être limitée au différend et aux questions énoncées dans l'exposé conjoint des parties ou dans des exposés séparés, selon le cas, ou, lorsque la convention collective applicable définit elle-même et limite les points liti- gieux, les conditions ou les questions soumises à l'arbitrage, la décision doit se limiter auxdits litiges, conditions ou questions.
L'arbitre doit communiquer sa décision par écrit, en même temps que ses motifs écrits, aux parties concernées, et ce dans les 30 jours suivant la clôture de l'audition, à moins que ledit délai n'ait été prorogé avec l'accord des parties, et sauf lorsque la convention collective en vigueur prévoit expressément un
délai différent, lequel serait alors applicable.
Dans tous les cas, la décision de l'arbitre ne doit rien ajouter aux stipulations de la convention collective applicable, ni les modifier, les abroger ou les écarter.
13. Toute décision rendue par l'arbitre en vertu de la présente convention est définitive et lie la Compagnie de chemins de fer, l'agent de négociation et tous les employés concernés.
Les conventions collectives elles-mêmes contien- nent des dispositions relatives au règlement des griefs. Il appert que les parties suivent la pratique d'appliquer les conventions pendant la période con- venue, quitte à les renouveler ensuite avec des modifications. En d'autres termes, une nouvelle convention n'est pas composée d'un document unique et complet, mais est faite des modalités de la convention précédente, modifiées par suite de négociations sur les demandes des parties. De temps en temps, celles-ci procèdent à une refonte de ces documents, comme il a été fait pour les conventions concernant la région des Prairies et du Pacifique. La nouvelle convention issue de la refonte a été mise en vigueur le lei janvier 1971. Voici en partie le libellé de son article 39:
[TRADUCTION] ARTICLE 39 PROCÉDURE DE GRIEF
a) Une réclamation de salaire non accueillie sera rapidement renvoyée. A défaut de renvoi à l'employé concerné dans les 60 jours civils, le salaire réclamé sera payé.
Lorsqu'une réclamation est rejetée en partie, l'employé en sera rapidement avisé avec les motifs à l'appui et la partie acceptée figurera dans la feuille de paye en cours.
b) Tout grief relatif à l'interprétation ou à la violation alléguée d'une ou de plusieurs dispositions de la présente con vention collective doit être examiné de la manière suivante:
Stade 1—Présentation du grief au surveillant immédiat
Dans les 60 jours à compter de la date de la cause du grief, l'employé ou le président de la section locale peut présenter, par écrit, le grief au surveillant immédiat désigné, lequel rendra une décision par écrit le plus tôt possible, en tout cas dans les 60 jours civils de la date d'appel.
Stade 2—Appel au surintendant
Dans les 60 jours à compter de celui la décision a été rendue au stade 1, le président de la section locale peut faire appel de la décision devant le surintendant.
L'appel doit comprendre une déclaration écrite de grief, en même temps que l'identification de la ou des dispositions de la convention collective prétendument mal interprétées ou violées. Une décision sera rendue par écrit dans les 60 jours civils de la date de l'appel.
Stade 3—Appel au directeur régional
Dans les 60 jours civils à compter du jour la décision a été rendue au stade 2, le président général peut faire, par écrit,
appel de la décision devant le directeur régional, qui rendra sa décision par écrit dans les 60 jours civils de la date de l'appel., La décision du directeur régional sera définitive et exécutoire, à moins que, dans les 60 jours civils de la date de sa décision, des procédures ne soient instituées pour soumettre le grief au Bureau d'arbitrage des chemins de fer canadiens aux fins d'obtenir une décision définitive et exécutoire sans arrêt du travail.
Dans sa dernière partie, la convention issue de la refonte contient la clause suivante:
[TRADUCTION] Règlement définitif des litiges sans arrêt du
travail
Tout désaccord entre les parties à la présente convention relatif au sens ou à la violation de celle-ci et qui ne peut être réglé d'un commun accord, doit être soumis au Bureau d'arbitrage des chemins de fer canadiens pour règlement définitif sans arrêt du travail.
La convention relative à la région de l'Est et de l'Atlantique contient des dispositions semblables. Le libellé de l'article 39 est essentiellement le même dans les deux conventions. La clause préci- tée intitulée [TRADUCTION] «Règlement définitif des litiges sans arrêt du travail» a été reprise au début de la convention relative à la région de l'Est et de l'Atlantique, mais sans son titre.
L'appelante a soutenu que les clauses d'arbi- trage ne couvrent pas l'objet de l'action, que la déclaration recherchée ne se rapporte pas au sens de la sentence arbitrale; elle devrait plutôt décider si la sentence constituait une clause des conven tions pertinentes. L'appelante a allégué que la question soulevée dans les demandes touche la nature des conventions, et non leur sens.
Le juge de première instance a rejeté cette allégation, avec raison selon moi. Il a dit [[1977] 2 C.F. 712, aux pages 722 et 723] que les termes de la Convention d'arbitrage des chemins de fer cana- diens sont clairs: «Ils embrassent la question actuellement portée devant cette cour, à savoir: la convention collective en vigueur inclut-elle ou non la décision arbitrale sur la `composition de l'équipe'? Il ne peut s'agir que d'un différend sur le sens d'une convention collective.»
L'appelante a fait valoir un argument supplé- mentaire qui me paraît de caractère très techni que. Si j'ai bien compris, elle soutient que l'exposé de la demande, dans la mesure il se rapporte aux conventions collectives de 1975, n'a soulevé aucun litige susceptible d'une décision arbitrale
car on vise à obtenir une déclaration relative au contenu et à l'interprétation de conventions qui ont été remplacées par celles de 1976-1977, et, en vertu de la clause 4(A) de la Convention d'arbi- trage des chemins de fer canadiens, seuls les litiges relevant des conventions collectives en vigueur sont susceptibles d'arbitrage. Il est ainsi donné à enten- dre qu'après le remplacement des conventions de 1975, tout litige relatif à leur sens, n'ayant pas été soumis à l'arbitrage, peut faire l'objet d'une action. Cette allégation, me semble-t-il, est fondée sur une interprétation étroite inadmissible de la Conven tion d'arbitrage et des conventions collectives.
Les discussions sur le sens des conventions col lectives de 1975 ont commencé en 1975 et ont continué après cette date. Les conventions du 21 juillet 1976 n'ont rien changé aux clauses d'arbi- trage des conventions collectives de 1975. Chacune des conventions commence par la phrase: [TRA- DUCTION] «La convention collective en cours doit être révisée ainsi qu'il suit ...» et finit par la même phrase que les conventions antérieures: [TRADUC- TION] «La présente convention entre en vigueur le 1" janvier 1976 et remplace toute convention anté- rieure ... contraire à ses dispositions ...» [c'est moi qui souligne]. A mon avis, il ne serait pas réaliste d'en conclure que tout litige commencé en 1975 serait écarté de la procédure d'arbitrage à moins que la procédure ait commencé avant l'en- trée en vigueur des conventions de 1976-1977. Une telle interprétation reviendrait à rejeter le principe de continuité du processus de négociation appliqué par les parties pendant de si nombreuses années. En réalité, l'allégation de l'appelante, si toutefois elle est défendable, fait penser qu'on a manqué l'occasion de recourir à la seule autorité compé- tente.
L'allégation suivante a aussi été avancée: si l'on admet que le litige est relatif au sens des conven tions collectives, l'employeur Canadien Pacifique ne pouvait pas le soumettre à l'arbitrage en vertu desdites conventions. Par application de la clause 7 de la Convention d'arbitrage des chemins de fer canadiens, ce litige ne pouvait, a-t-on soutenu, faire l'objet d'une sentence arbitrale avant d'avoir été examiné jusqu'au dernier stade de la procédure de grief prévue par les conventions collectives. L'article 39 desdites conventions s'applique seule- ment aux griefs soulevés par le Syndicat ou par un
employé. Canadien Pacifique ne peut donc pas déclencher une procédure de grief conduisant à l'arbitrage, de sorte que la Convention d'arbitrage des chemins de fer canadiens ne s'appliquerait pas à l'objet de l'action.
Une fois encore, cette interprétation de la Con vention d'arbitrage est trop étroite. Cette dernière confère compétence à l'arbitre, sur demande d'une compagnie de chemin de fer ou d'un ou de plu- sieurs de ses employés représentés par l'agent de négociation, sur les conflits relatifs, entre autres, au sens de la convention collective. Les clauses 5 et 8 de la Convention d'arbitrage prévoient la procé- dure d'introduction de la demande en cas de litige. Il me semble que le premier paragraphe de la clause 7 s'assure seulement qu'en cas de litige comportant un grief invoqué par un employé, la procédure de grief soit pleinement suivie avant de recourir à l'arbitrage. L'allégation aurait aussi pour effet d'écarter la disposition générale des conventions collectives requérant de soumettre au Bureau d'arbitrage des chemins de fer canadiens, pour règlement définitif sans arrêt de travail, tout différend relatif au sens des conventions, et qui n'a pu être réglé par accord mutuel.
A mon avis, il y a eu conflit entre Canadien Pacifique et le Syndicat relativement au sens des conventions collectives en vigueur et valables, au moins depuis l'échange de lettres entre les avocats des parties en septembre 1975. Le conflit est sur- venu du fait que les compagnies de chemin de fer ont manifesté leur intention d'appliquer la sen tence relative à la composition de l'équipe, soule- vant ainsi un problème immédiat d'interprétation. Il relevait alors, à mon avis, de la Convention d'arbitrage des chemins de fer canadiens, même si elle ne vise pas le grief présenté par un employé, qui devrait être traité suivant les stades successifs de la procédure des griefs. C'était bien une question à soumettre directement à l'arbitre, con- formément à la procédure prévue dans la Conven tion d'arbitrage même.
Comme dernière allégation, l'appelante a sou- tenu que, même si l'objet de l'action relève de la Convention d'arbitrage des chemins de fer cana- diens, la compétence de la Division de première instance n'est pas mise en échec par la disposition
de la Convention concernant le règlement définitif.
En ce qui touche cette allégation, je commence- rai par renvoyer à la clause 13 de la Convention d'arbitrage des chemins de fer canadiens, laquelle stipule qu'une décision rendue par l'arbitre sera définitive et obligatoire. Je renvoie ensuite à l'arti- cle 155 du Code canadien du travail dont voici le libellé:
155. (1) Toute convention collective doit contenir une clause de règlement définitif, sans arrêt de travail, par voie d'arbitrage ou autrement, de tous les conflits surgissant, à propos de l'interprétation, du champ d'application, de l'application ou de la présumée violation de la convention collective, entre les parties à la convention ou les employés liés par elle.
(2) Lorsqu'une convention collective ne contient pas de clause de règlement définitif ainsi que l'exige le paragraphe (1), le Conseil doit, par ordonnance, sur demande de l'une des parties à la convention collective, établir une telle clause, et celle-ci est censée être une disposition de la convention collec tive et lier les parties à la convention collective ainsi que tous les employés liés par celle-ci.
L'article 155 établit un mode de règlement défi- nitif, sans arrêt du travail, pour tout litige survenu en vertu des conventions collectives. Toute conven tion doit contenir une disposition relative au règle- ment définitif des conflits des genres spécifiés au paragraphe (1). Les parties à la convention sont ainsi tenues de prévoir des dispositions pour un règlement définitif par arbitrage ou par quelque autre moyen, faute de quoi (peut-être par suite du défaut, commis de bonne foi, de choisir une méthode), la Commission elle-même prendra ces dispositions à la demande de l'une des parties, et lesdites dispositions seront parties intégrantes des conventions collectives. C'est dans ce contexte qu'il faut déterminer l'effet du dernier membre de phrase de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédé- rale. A mon avis, le choix ( fait dans ce cas par les parties, à savoir l'arbitrage comme moyen de règlement définitif, constitue une attribution spé- ciale de compétence pour déterminer les litiges soulevés dans la présente action.
Il est vrai que les parties auraient pu choisir une autre méthode, comme elles auraient pu n'en choi- sir aucune et, en conséquence, le Conseil canadien des relations du travail aurait pu être obligé de fournir une disposition de règlement définitif à la demande d'une partie. Bien entendu, je reconnais que le Conseil n'est tenu de le faire que sur demande de l'une des parties. Cependant, le para-
graphe 155(1) requiert que toute convention col lective fournisse une méthode de règlement défini- tif sans arrêt du travail, et les parties à la convention ont choisi l'arbitrage comme méthode. Il n'est pas nécessaire de se demander ce qu'aurait été la situation si elles ne l'avaient pas fait.
L'appelante s'est fondée dans une grande mesure sur la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Howe Sound Company c. Inter national Union of Mine, Mill and Smelter Wor kers (Canada), Local 663 12 . Je ne vois, cependant, pas comment l'arrêt cité pourrait aider à la solu tion du présent procès. En ce qui nous concerne, la décision rendue dans Howe Sound est intéressante en ce qu'il y est jugé que la décision d'une commis sion d'arbitrage intervenue en vertu d'une conven tion collective prévoyant un règlement définitif par l'arbitrage, n'était pas une décision rendue par un tribunal statutaire parce que, si nous nous rappe- lons que quelque autre méthode de règlement défi- nitif aurait pu être choisie en vertu des dispositions de la loi en cause, comme elle aurait pu l'être dans la présente affaire, la méthode de l'arbitrage n'était pas statutairement requise. La décision rendue par la Commission d'arbitrage n'était donc pas susceptible d'examen par certiorari. A mon avis, il ne s'ensuit cependant pas que la méthode d'arbitrage choisie par les parties aux conventions collectives dans le présent procès comme méthode de règlement définitif des conflits, lorsqu'on l'exa- mine dans le contexte de l'article 155 du Code canadien du travail, ne constituait pas une attribu tion spéciale de compétence, relativement à l'objet de l'action, et ce aux fins de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale.
L'appelante s'est aussi fondée sur une jurispru dence bien connue établissant qu'en ce qui con- cerne les contrats commerciaux et d'autres con- trats valables en vertu du common law, une stipulation relative au règlement définitif des con- flits par l'arbitrage ne fait pas échec à la compé- tence des tribunaux, mais peut tout au plus entraî- ner la suspension des procédures si une action est intentée devant la Commission d'arbitrage. La pré- sente affaire relève, cependant, d'un article de la Loi sur la Cour fédérale qui attribue compétence à la Division de première instance de la Cour dans
12 [1962] R.C.S. 318.
une série de cas spéciaux, l'attribution étant faite sous réserve de restrictions expresses. Nous avons à interpréter ces restrictions, en tenant compte de l'article 155 du Code canadien du travail et des stipulations des conventions collectives qui en relè- vent. A mon avis, les décisions d'arbitrage rendues dans des affaires commerciales doivent être distin- guées de la présente espèce pour cette raison. En tout cas, aux fins des présentes, elles montrent seulement que dans les cas impliquant des contrats commerciaux, les principes généraux s'opposent à ce que les parties fassent échec à la compétence des tribunaux par des clauses de règlement par arbitrage. Cependant, dans ses dispositions perti- nentes relatives au règlement des conflits survenus par suite des conventions collectives, le Code cana- dien du travail donne des principes directeurs contraires.
A mon avis, il convient, pour la solution du présent litige, de se rappeler la nature des conven tions collectives. Ainsi que l'a soutenu l'appelante, et ainsi que j'ai moi-même conclu, lesdites conven tions tirent leur validité de la loi, et non du common law des contrats. Des avis judiciaires, dont certains ont été cités dans McGavin Toast master Ltd. c. Ainscough 13 , ont montré leur carac- tère distinctif. Je reconnais que, dans ce dernier cas, le litige concernait les relations entre la con vention collective et les contrats individuels des employés; je cite cependant le passage suivant pertinent au présent litige et extrait du jugement rendu par le juge en chef Laskin: «Autour des avantages et obligations qui incombent au syndi- cat, aux employés et à la compagnie liés par la convention collective gravitent les dispositions en matière de grief et d'arbitrage ....» 14
En l'espèce, il s'agit de conventions collectives de travail, non de contrats commerciaux, et le Code canadien du travail prévoit en cas de conflits survenus à l'occasion desdites conventions, leur règlement définitif par voie d'arbitrage ou autre- ment, selon la convention intervenue entre les par ties, ou, à défaut de convention, par décision rendue sur demande par le Conseil canadien des relations du travail. Dans le présent cas, les parties ont en fait choisi l'arbitrage comme méthode de
13 [1976] 1 R.C.S. 718, spécialement aux pages 724 à 727.
14 Ibid., à la page 726.
règlement définitif. Nous sommes dans une sphère tout à fait différente de celle de l'arbitrage commercial.
L'appel est rejeté avec frais.
* * *
LE JUGE HEALD: J'y souscris.
* * *
LE JUGE URIE: J'y souscris.
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