A-554-78
La Reine (Requérante)
c.
J. Beaulieu et al. (Intimés)
et
Le Syndicat des postiers du Canada et la Commis
sion des relations de travail dans la Fonction
publique (Mis-en-cause)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge Le
Dain et le juge suppléant Hyde—Montréal, le 22
février; Ottawa, le 14 mars 1979.
Examen judiciaire — Fonction publique — Vacance dans un
bureau de poste nécessitant des heures additionnelles de tra
vail — L'employeur embauchant des aides occasionnels au
lieu de donner le travail supplémentaire aux employés régu-
liers — Griefs par les employés réguliers — L'arbitre con-
cluant que le «surplus de courrier» nécessitait des heures
additionnelles de travail des employés réguliers — Violation
des stipulations de la convention collective — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 28.
Il s'agit d'une demande présentée en vertu de l'article 28
visantà faire annuler la décision d'un arbitre agissant confor-
mément à la Loi sur les relations de travail dans la Fonction
publique. Une vacance survenue dans un bureau de poste n'a
pas été comblée du fait de son caractère conditionnel et, par
suite, des personnes de l'extérieur ont été engagées pour de
courtes périodes. Les griefs des intimés tenaient au fait que
durant certains jours au cours de ces périodes, l'employeur ne
leur a pas offert ce travail auquel ils avaient droit conformé-
ment à leur convention collective. L'arbitre a conclu que la
vacance a donné lieu à un «surplus de courrier» qui nécessitait
des heures additionnelles de travail au sens de la convention
collective et que les intimés avaient droit à réparation puisque
l'employeur avait violé la convention collective en omettant de
leur offrir l'occasion de faire du travail supplémentaire. La
requérante conteste cette conclusion.
Arrêt: la demande est rejetée. Le fait de ne pas combler la
vacance tenait à une décision de la direction qui a apparem-
ment eu comme conséquence de réduire le personnel (pendant
la vacance) à un nombre insuffisant d'employés pour le volume
de travail prévu. Par conséquent, il n'y a rien à répondre au
raisonnement de l'arbitre qui, lisant l'article 39.07 de concert
avec les dispositions qui le précèdent, a conclu que la réduction
du «regular ... staff» ou du nombre d'«employés» (sans aucune
réduction quant au volume prévu de courrier) peut entraîner un
«surplus de courrier» au sens de cette disposition, comme c'est le
cas lorsqu'il y a une augmentation du volume de courrier par
rapport au volume prévu et que le «regular ... staff» ou le
nombre d'«employés» demeure le même.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
J. C. Demers pour la requérante.
P. Lesage pour les intimés.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
requérante.
Trudel, Nadeau, Létourneau, Lesage &
Cleary, Montréal, pour les intimés.
J. E. McCormick, Commission des relations
de travail dans la Fonction publique, Ottawa,
pour la mise-en-cause.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit d'une
demande présentée en vertu de l'article 28 visant à
faire annuler la décision d'un arbitre agissant con-
formément à la Loi sur les relations de travail
dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35.
Par cette décision, l'arbitre reconnaissait aux inti-
més le droit d'obtenir réparation en raison de la
violation par l'employeur d'une disposition de leur
convention collective: en effet, l'employeur n'a pas
offert aux intimés l'occasion de faire du travail
supplémentaire pendant un certain nombre de
jours alors qu'ils étaient disponibles à cette fin.
Le litige découle d'une situation survenue en
1976 au service des postes de St-Jérôme (Québec).
Voici les données du problème: un commis des
postes nommé Grondin, qui était affecté au quart
de jour au bureau de St-Jérôme, a été muté à
Montréal contre son gré. Ayant présenté un grief
contre cette mutation, il était possible qu'il soit
réintégré dans son poste à St-Jérôme. Vu l'état des
choses, son poste a été attribué à un nommé
Gauthier qui était affecté au quart de nuit au
bureau de St-Jérôme, étant entendu, semble-t-il,
que si Grondin était réintégré dans son poste', il
serait alors réinstallé dans le sien, au quart de nuit.
Dans les circonstances, on n'a prévu aucun
arrangement semblable assorti de modalités identi-
ques pour combler le poste de Gauthier; on a
' J'emploie en l'espèce le terme «poste» au sens d'«affectation»
de responsabilités et non au sens purement juridique de «pou-
voir d'embaucher» ni au sens où l'entendent les services de
personnel, savoir «poste» avec numéro figurant sur l'organi-
gramme d'une entreprise.
plutôt embauché des personnes en dehors du ser
vice, savoir Dicaire et Jetté, pour de courtes pério-
des pendant tout au moins une partie du temps
nécessaire pour régler l'affaire Grondin. Ces pério-
des s'étendaient respectivement du 5 au 19 août
1976 et du 3 septembre au 24 décembre 1976.
Les griefs des intimés tiennent au fait que l'em-
ployeur ne leur a pas offert d'effectuer durant
certains jours au cours de ces périodes le travail en
cause alors qu'ils en avaient le droit en vertu de la
convention collective parce qu'ils étaient des
«employés réguliers disponibles pour accomplir des
heures additionnelles et/ou supplémentaires». Les
périodes qui font l'objet des griefs (selon l'arbitre)
portent sur les quarts de nuit suivants:
le 11 août (Côté)
le 16 août (Raymond)
le 18 août (Desnoyers)
le 13 septembre (Raymond)
le 25 septembre (Beaubien)
le 4 octobre (Raymond)
le 6 octobre (Desnoyers)
le 16 octobre (Desnoyers)
le 20 octobre (Raymond)
le 23 octobre (Castonguay)
le 30 octobre (Raymond),
le 2 novembre (Castonguay)
Avant d'examiner les dispositions pertinentes de
la convention collective, il faut noter que la Loi sur
les relations de travail dans la Fonction publique
prévoit des dispositions en matière de négociation
collective dans la Fonction publique à l'intention
des «employés» (article 26) et que le terme
«employé» désigne (article 2) une personne
employée dans la Fonction publique, sauf,
notamment,
2....
J) une personne employée à titre occasionnel ou temporaire,
à moins qu'elle n'ait été ainsi employée pour une période de
six mois ou plus,
Il est clair que Dicaire et Jetté n'étaient pas des
employés au sens de cette définition et donc non
assujettis à la convention collective.
Avant d'examiner la disposition spéciale sur
laquelle l'arbitre a fondé sa décision en faveur des
intimés, il est opportun de revoir le contexte de
cette disposition. L'employeur a convenu de suivre
la politique d'embaucher un nombre suffisant
d'employés pour maintenir les besoins du service
«pour le volume prévu et les absences anticipées» et
de tenir des listes d'éligibilité pour combler au fur
et à mesure les postes vacants (articles 39.02,
39.03 et 39.06). L'employeur a également convenu
de limiter, au profit des employés réguliers, l'em-
bauche d'«aides occasionnels» nécessaire par suite
de congés annuels (article 39.04) et d'employés
surnuméraires durant la période des fêtes (article
39.05). L'article 39.07, «Surplus de courrier», sur
lequel l'arbitre a fondé sa décision, doit être lu de
concert avec ces dispositions.
[Version française]
39.07 Surplus de courrier
Lorsqu'un surplus de courrier nécessite le travail d'heures
additionnelles, l'employeur convient que ce travail sera offert
premièrement aux employés réguliers disponibles pour accom-
plir des heures additionnelles et/ou supplémentaires. Dans les
cas ou la mesure ci-haut mentionnée n'est pas suffisante- pour
rencontrer les besoins du service, des aides occasionnels seront
utilisés pour augmenter le personnel régulier.
[Version anglaise]
39.07 High Mail Volume Situation
When high mail volumes necessitate the working of extra
hours, the Employer agrees that such work will be offered first
to regular employees available to perform additional hours
and/or overtime. In instances where the action mentioned
above is not sufficient to meet service requirements, casual
employees will be used to complement the regular staff.
L'arbitre a conclu
a) que Dicaire et Jette étaient des employés
occasionnels et non des employés réguliers, au
sens de cette disposition, et
b) qu'il s'est produit un «surplus de courrier»
parce que le poste de Gauthier était devenu
vacant, surplus qui a nécessité des heures addi-
tionnelles de travail, au sens de l'article 39.07.
L'avocat de la requérante ne semble pas contes-
ter la conclusion que Dicaire et Jetté étaient des
employés occasionnels. Il fait valoir que le poste de
Gauthier n'a pas été comblé parce qu'il était
nécessaire de protéger Gauthier au cas de la réin-
tégration de Grondin dans son poste et il conteste
la conclusion qu'il y a eu surplus de courrier au
sens où l'entend l'article 39.07.
En ce qui regarde l'omission de combler le poste
de Gauthier, on ne sait pas exactement pourquoi il
n'aurait pas pu l'être comme celui de Grondin. 2
Quelle que soit la raison, cette décision a été prise
par la direction et a apparemment eu comme
conséquence de réduire le personnel (durant la
vacance) à un nombre insuffisant d'employés pour
le volume de travail prévu (article 39.02). Cela
étant, je ne trouve rien à répondre au raisonne-
ment de l'arbitre qui, en lisant l'article 39.07 de
concert avec les dispositions qui le précèdent, a
conclu, si je comprends bien, que la réduction du
«regular ... staff» ou du nombre d'«employés» 3
(sans aucune réduction quant au volume prévu de
courrier) peut entraîner un «surplus de courrier» au
sens de cette disposition, comme c'est le cas lors-
qu'il y a une augmentation du volume de courrier
par rapport au volume prévu et que le «regular .. .
staff» ou le nombre d'«employés» demeure le
même.
Je ne néglige pas la difficulté d'ordre adminis-
tratif en jeu lorsqu'on est en présence d'une
vacance qui se prolonge et qui s'accompagne de
droits dévolus à des employés réguliers en vertu
d'une disposition telle que l'article 39.07. On ne
peut toutefois ignorer une disposition semblable à
cause de cette difficulté. La réponse consiste à
prendre les mesures administratives utiles, s'il y en
a, afin d'éviter un «surplus de courrier» ou à rené-
gocier la convention collective en vue de prévenir,
par des dispositions appropriées, de telles situa
tions.
A mon avis, la demande introduite en vertu de
l'article 28 doit être rejetée.
* * *
LE JUGE LE DAIN: Je suis d'accord.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT HYDE: Je suis d'accord.
2 J'emploie encore une fois le terme «poste» au sens d'«affec-
tation». Il faut au préalable avoir acquis le pouvoir d'embau-
cher un remplaçant; la seule question est celle de savoir pour-
quoi un remplaçant n'aurait pu être embauché «pour une
période de six mois ou plus» (sous réserve de son licenciement
en cas du retour de Gauthier) et devenir ainsi un «employé»
assujetti à la convention collective.
3 Voir article 39.02a).
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