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T-4673-73
La Reine (Demanderesse)
c.
Perry J. Rhine (Défendeur)
Division de première instance, le juge Cattanach— Ottawa, le 16 mars 1979.
Pratique Demande de jugement pour défaut de plaider Aucune défense n'a été déposée Les lettres s'opposant à la requête en jugement pour défaut contiennent les éléments d'une défense si les allégations étaient établies Il s'agit de savoir s'il y a lieu d'accorder un jugement pour défaut de plaider Règles 324, 402(2) de la Cour fédérale.
Dans le cadre d'une action intentée par la demanderesse en vue de recouvrer des paiements anticipés faits au défendeur en application de la Loi sur les paiements anticipés pour le grain des Prairies, il s'agit de se prononcer sur sa demande de jugement pour défaut de plaider. Une demande antérieure de même nature avait été abandonnée, et la demande en instance fait suite à une décision de la Cour d'appel qui a infirmé la décision de la Cour de céans, laquelle avait rejeté la demande au motif qu'elle n'avait pas compétence pour entendre l'action. Bien que le défendeur n'ait jamais déposé une défense confor- mément aux exigences matérielles des plaidoiries, il a allégué de façon constante dans les lettres adressées à la Cour, un ou des faits qui, s'ils étaient établis, constitueraient une défense contre la réclamation de la demanderesse.
Arrêt: la demande est rejetée. Bien qu'aucune défense telle que normalement rédigée par un avocat compétent n'ait été déposée et que le défendeur n'ait même pas déposé un semblant de défense dans les trente jours de la déclaration à lui faite conformément à la Règle 402(2), le défendeur a soumis par écrit des représentations pour s'opposer à la requête en juge- ment pour défaut de plaider. Dans les lettres adressées à la Cour, le défendeur affirmait ne rien devoir à la demanderesse; à titre subsidiaire, il alléguait que la Commission n'avait pas respecté l'entente, ce qui donnait lieu à son avis à compensa tion; mais il se déclarait en même temps prêt à payer en versements adaptés à son budget. Le pouvoir de rendre un jugement pour défaut de plaider est un pouvoir discrétionnaire. Etant donné que le défendeur n'a cessé de répéter qu'il ne doit rien à la Commission, il ne serait pas raisonnable d'accorder un jugement pour défaut dans les circonstances.
DEMANDE fondée sur la Règle 324. PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
demanderesse.
Perry J. Rhine pour son propre compte.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: La demanderesse, par voie de déclaration datée le 7 novembre 1973 et
déposée le 13 novembre 1973, cherche à recouvrer du défendeur la somme de $417 et les intérêts y afférents, ainsi que les dépens de cette action intentée par suite d'un paiement anticipé fait au défendeur, un céréaliculteur, conformément à sa demande présentée en vertu de la Loi sur les paiements anticipés pour le grain des Prairies, S.R.C. 1970, c. P-18.
Le défendeur n'ayant pas produit de défense, la demanderesse, par voie d'avis de requête en date du 12 décembre 1974, a demandé qu'un jugement pour défaut de plaider soit prononcé contre lui.
La requête a été signifiée au défendeur qui y a répondu par une lettre non datée, adressée au greffe de la Cour, et dont le cachet d'oblitération portait la date du 5 mars 1977. Cette lettre est parvenue au greffe le 10 mars 1977 8 h 36. Elle se lit comme suit:
[TRADUCTION] Veuillez faire part de la présente défense à la Commission canadienne du blé l'attention de M. Thiessen) ou au juge.
Je n'ai pas vraiment refusé de payer ce compte étant donné qu'en 1969 et 1970 la Commission du blé ou la Commission sur l'assistance à l'agriculture devait verser $10.00 l'acre «pour la culture du foin». C'est ce que j'ai fait, mais on ne m'a versé que $5.00 l'acre pour une superficie de 110 acres de foin.
Par conséquent, j'estime qu'ils me doivent $550.00, plus les intérêts au taux annuel de 6 p. 100, soit $701.64 au total. Par conséquent, je ne crois pas devoir la somme qu'on me réclame. Je ne possède en ce moment aucun bien mobilier ou immobilier et je n'ai pas de travail régulier. Vous aurez donc beaucoup de difficulté à percevoir cette somme d'une personne aussi dépour- vue que moi, et comptez-vous chanceux que je ne sois pas prestataire du bien-être social comme il en est de plusieurs personnes que je connais, mais peut-être que cela viendra.
Je suis désolé de ce que vous ayez refusé de me verser ce qui m'est dû; alors pourquoi devrais-je vous rembourser puisque les montants s'équivalent ou presque?
Vous disposez actuellement de tout l'argent des producteurs et la plupart d'entre nous sommes sans le sou. Je suis prêt à verser la somme originale de $417.00 mais à raison de $25.00 par mois, car je ne peux verser davantage.
Le défendeur était bien fondé de s'opposer à l'action de la demanderesse en présentant ses observations écrites en vertu de la Règle 325, mais il a cependant omis d'en adresser une copie à la partie adverse, tel que le requiert cette règle. Tou- tefois, un fonctionnaire du greffe a fait part de ces observations à la demanderesse.
Le greffe a également informé les avocats de la demanderesse qu'on ne pouvait aller de l'avant
avec l'avis de requête étant donné que la demande- resse avait omis de déposer certains documents essentiels.
Finalement, la demande du 12 décembre 1974 a été abandonnée et elle a été remplacée par un nouvel avis de requête, en date du 4 février 1977, présenté aux mêmes fins, ces deux événements se produisant quelque trois années plus tard.
Le montant présentement réclamé, par voie d'un jugement pour défaut de plaider, a augmenté à la suite de l'accumulation des intérêts.
J'ai entendu l'affaire aux termes de la Règle 324 qui traite de l'audition d'une cause hors la pré- sence de l'avocat de la demanderesse. J'ai soulevé la question de la compétence de cette cour relative- ment à cette affaire et j'ai invité l'avocat de la demanderesse à faire ses représentations qu'il m'a d'ailleurs soumises.
Dans un jugement en date du 10 mai 1977 [[1978] 1 C.F. 356], j'en suis venu à la conclusion suivante [aux pages 364 et 365] pour les motifs y exprimés:
... la Couronne en l'espèce n'a aucun fondement légal et par conséquent, la demande de jugement contre le défendeur pour défaut de plaider doit être rejetée parce que ... j'estime que la présente cour n'a pas compétence pour connaître de la déclaration.
En outre, à cette même date, j'ai rendu juge- ment en ces termes:
[TRADUCTION] La demande présentée en vue d'obtenir contre le défendeur un jugement pour défaut de plaider, est rejetée.
Une lettre du 22 janvier 1978, émanant du défendeur et adressée «A la Cour fédérale du
Canada, à l'attention de Monsieur le juge Catta- nach» a été reçue au greffe de la Cour, le 1 er février 1978,à 8h16.
L'essentiel de cette lettre se lit comme suit:
[TRADUCTION] Le 10 mai 1977, vous avez rejeté la demande de jugement présentée contre moi par la Commission cana- dienne du blé en vue du recouvrement d'un paiement anticipé.
Aujourd'hui, elle tente encore d'obtenir un jugement, mais j'estime que je ne lui dois rien.
Elle affirme que je n'ai pas livré de blé, mais cela est faux, et je suis en mesure de le prouver.
Également, la Commission sur l'assistance à l'agriculture ne m'a pas encore versé la somme de $550.00, plus les intérêts annuels de 6 p. 100 y afférents, soit $1037.00 au total. Je sais qu'il s'agit de différents services du ministère de l'Agriculture; par conséquent, je suis toujours d'avis que je ne leur dois rien.
Cette lettre contenait aussi d'autres détails dans ses annexes, mais ils ne sont pas pertinents au litige.
Il va de soi que je n'ai pas correspondu avec le défendeur, mais j'ai demandé au préposé au greffe de répondre à sa lettre. Il lui a adressé une lettre- réponse le 2 février 1978 et une copie de celle-ci a été transmise à l'avocat de la Commission cana- dienne du blé.
Dans son accusé de réception, l'avocat de la Commission a déclaré qu'aucune mesure n'avait été prise pour assurer l'exécution du paiement à la suite de ma décision rendue le 10 mai 1977, sauf l'appel interjeté de cette décision.
Il est évident que l'avis de cet appel a été signifié au défendeur qui (avec raison d'ailleurs) l'a inter- prété comme une nouvelle tentative de recouvre- ment de la somme qu'on lui réclamait, ce qui l'a incité à envoyer sa lettre du 22 janvier 1978 dont je viens de citer certains extraits.
L'appel interjeté par la demanderesse a été entendu par la Cour d'appel fédérale à Toronto (Ontario) le mardi 9 janvier 1979. Le jugement [(1979) 26 N.R. 526] a été rendu à Ottawa (Onta- rio) le 8 mars 1979.
Le prononcé du jugement de la Cour d'appel fédérale se lit comme suit:
[TRADUCTION] L'appel est accueilli; le jugement de la Division de première instance est infirmé. Puisque la Division de pre- mière instance a compétence pour entendre l'affaire, celle-ci lui est renvoyée pour un nouvel examen.
Je suis lié par cette décision de la Cour d'appel fédérale et ce, jusqu'à ce qu'un tribunal d'instance supérieure ne l'infirme. Mais il est peu probable que le défendeur ou des tiers dans la même situa tion ne portent la question devant un tribunal d'instance supérieure. Il appert de sa correspon- dance que le défendeur a eu à endurer [TRADUC- TION] «les coups et les revers d'une injurieuse fortune», mais il a accepté son sort avec résigna- tion, cherchant réconfort dans la parole divine.
Sa résignation s'explique lorsqu'on sait que, fort de citations bibliques, il est persuadé que le grand livre de Saint-Pierre garde trace avec une terri- fiante exactitude des torts infligés par une per- sonne à une autre, et il reste inébranlable dans sa conviction qu'il ne doit rien à la demanderesse,
qu'il a livré du blé à la Commission canadienne du blé en contrepartie des paiements anticipés reçus, contrairement aux allégations contenues dans la déclaration de la demanderesse, et qu'il peut prou- ver ses allégations. Je ne doute nullement qu'il est préoccupé de faire coïncider ses comptes terrestres, et particulièrement ses comptes avec la Commis sion canadienne du blé, avec ses comptes célestes.
Selon l'ordonnance de la Cour d'appel, je dois réexaminer cette affaire en présumant que j'ai compétence pour ce faire.
J'accepte ces directives et j'entends m'y confor- mer.
Il s'agit donc d'étudier la demande introduite par la demanderesse en vue d'obtenir, contre le défendeur, un jugement pour défaut de plaider.
Il est évident que le défendeur n'a pas déposé de défense conformément aux exigences matérielles des plaidoiries dictées à la Règle 407, mais il a allégué de façon constante un fait ou des faits qui, s'ils étaient établis, constitueraient une défense contre la réclamation de la demanderesse.
Le défendeur prétend qu'il ne doit rien à la demanderesse et qu'il peut le prouver. Subsidiaire- ment, il se pourrait qu'il ait prétendu ne pas devoir le plein montant que la demanderesse lui réclame. Si le défendeur réussissait à établir cette dernière prétention, cela constituerait une défense contre une partie de la réclamation déposée contre lui. A cet égard, le défendeur ajoute que la demanderesse est débitrice envers lui d'une somme supérieure à celle qu'il doit à la Commission, de sorte qu'il y a, selon lui, compensation. Cela pourrait certes cons- tituer le fondement de la prétention du défendeur selon laquelle il ne doit rien à la Commission, ou encore constituer le fondement d'une demande reconventionnelle.
Je le répète, on n'a pas déposé de défense telle que normalement rédigée par un avocat compé- tent, et il est évident que le défendeur n'a même pas déposé un semblant de défense dans les 30 jours de la signification de la déclaration à lui faite, conformément à la Règle 402(2).
Le défendeur n'a déposé aucune espèce de défense, ni aucun document susceptible d'être assi- milé à une défense et ce, jusqu'à ce qu'une demande soit présentée par voie d'avis de requête
en date du 12 décembre 1974, mais à laquelle la demanderesse n'a pas donné suite.
Cependant, pour s'opposer à la requête présen- tée par la demanderesse en vue d'obtenir un juge- ment pour défaut de plaider, le défendeur a soumis par écrit les représentations citées précédemment.
Il allègue en substance que la Commission n'a pas respecté les termes de l'entente, et qu'elle a retenu $550. En fait, il allègue compensation, mais en même temps il déclare être prêt à verser la somme de $417 en versements mensuels adaptés à son budget.
Le temps s'est écoulé jusqu'à ce que la deman- deresse présente par voie d'avis de requête en date du 4 février 1977, une nouvelle demande en vue d'obtenir contre le défendeur un jugement pour défaut de plaider. Ont suivi les événements susmentionnés.
Le défendeur n'a fait aucune représentation jus- qu'à ce qu'il envoie sa lettre du 22 janvier 1978, dont on a cité un extrait.
Suite aux directives émises par la Cour d'appel, on me demande aujourd'hui de réexaminer la demande de jugement pour défaut de plaider, déposée le 4 février 1977, mais cette fois-ci, pour le montant total de $732.84, y compris le principal de $417, les intérêts qui, au 5 février 1977, s'élevaient à $139.22 et les dépens de $176.62, en présumant que la Division de première instance a compétence pour ce faire.
La demande présentée par la demanderesse en vue d'obtenir contre le défendeur un jugement pour défaut de plaider ne doit donc pas dépasser la somme de $732.84. Par conséquent, il s'agit seule- ment d'une créance liquidée, aux termes de la Règle 432.
Le pouvoir de rendre ou non un jugement pour défaut de plaider est purement discrétionnaire.
Étant donné que le défendeur n'a cessé de répé- ter qu'il ne doit rien à la Commission, il ne serait pas raisonnable d'accorder un tel jugement dans les circonstances.
Le défendeur n'a admis aucune des allégations contenues dans la déclaration de la demanderesse; toutefois, il se dit prêt à acquitter la somme de $417 en versements mensuels mais cela ne consti-
tue pas, à mon avis, une renonciation à sa créance envers la Commission. Il est clair qu'il ne pourra payer que si la Commission lui verse son dû.
La demanderesse doit donc prouver les alléga- tions énoncées dans sa déclaration, cela étant une condition préalable à l'obtention du redressement demandé. Toutefois, le défendeur a droit de répon- dre à ces allégations et d'apporter, s'il le peut, des preuves à l'appui de ses réponses.
Cela n'est possible que s'il y a audition de la cause. Bien que le défendeur n'ait pas déposé de défense dans la forme habituelle, il a quand même présenté une défense générale, niant tout simple- ment devoir quoi que ce soit à la demanderesse.
Cela me paraît être la solution à l'impasse exis- tant entre les parties, à moins que l'on puisse entrevoir une autre solution plus expéditive et moins coûteuse.
La cause peut être entendue par cette cour ou la demanderesse peut choisir de poursuivre l'affaire devant un tribunal local compétent si cela s'avère plus expéditif et moins onéreux.
C'est à la demanderesse qu'il appartient de déci- der de la prochaine étape.
Entre temps, pour les motifs déjà exprimés, la demande présentée par la demanderesse en vue d'obtenir contre le défendeur un jugement pour défaut de plaider est rejetée.
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