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T-4368-76
Logistec Corporation (Demanderesse)
c.
Le navire Sneland (Défendeur)
Division de première instance, le juge Marceau— Montréal, les 18 et 19 avril; Ottawa, le 3 mai 1978.
Droit maritime Contrats Action en recouvrement du prix des matériaux et services fournis pour le chargement du navire Contrat d'arrimage intervenu uniquement entre la demanderesse et les agents des affréteurs Clause du contrat d'arrimage selon laquelle les services ne seraient fournis que sur le crédit du navire La demanderesse fait valoir que les affréteurs avaient le pouvoir de lier le navire loué vu certaines dispositions du contrat d'affrètement permettant de penser que les propriétaires avaient prévu la possibilité qu'un lien soit créé La clause contenue dans le contrat d'arrimage crée- t-elle un lien sur le navire?
ACTION. AVOCATS:
Pierre Tourigny et Normand Hébert pour la
demanderesse.
Jacques Laurin pour le défendeur.
PROCUREURS:
Langlois, Drouin, Roy, Fréchette & Gau- dreau, Québec, pour la demanderesse. McMaster, Minnion, Patch, Hyndman, Legge, Camp & Paterson, Montréal, pour le défendeur.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE MARCEAU: La demanderesse tente de recouvrer par action intentée in rem contre le navire M/V Sneland—qui fut saisi par mandat de cette cour le 4 novembre 1976—le prix des maté- riaux et services qu'elle a fournis pour le charge- ment dudit navire à Québec, entre le 9 août et le 2 septembre 1976.
La demanderesse a admis formellement (Règle 468 des Règles de cette cour) que le navire Sne- land avait été affrété par ses propriétaires Rich. Amlie & Company a/s de Haugesund, Norvège, à Al Patra Trading and Contracting pour une période de 7 à 9 mois, commençant le ou vers le 1 er août 1976 (charte-partie produite sous la cote
D-1); et que les agents d'Al Patra Trading and Contracting étaient Surface Air Multimodal Corp. et Canadian Middle East Consulting Co., cette dernière compagnie étant celle avec laquelle est intervenu le contrat d'arrimage en vertu duquel furent rendus les services dont le prix est ici réclamé. La demanderesse a admis également que toutes les instructions pour le chargement, l'arri- mage, le transport de la marchandise lui avaient été données par les affréteurs et leurs agents, en particulier Canadian Middle East Consulting Co.; et que les services pour lesquels elle réclame ont été rendus à la seule demande des affréteurs ou de leurs mandataires, spécialement Canadian Middle East Consulting Co., aucun lien contractuel n'étant intervenu entre les propriétaires du navire et elle-même. Il fut au surplus établi en preuve que le capitaine du navire n'avait jamais été impliqué dans les procédures ou conditions du chargement ni dans le chargement lui-même autrement qu'en sa qualité de commandant du navire responsable de sa sécurité; que la demanderesse connaissait au moment du contrat et de son exécution le statut et la qualité de son cocontractant, Canadian Middle East Consulting Co., et qu'elle n'avait jamais, avant la signification de l'action, eu quelque com munication ou rapport que ce soit avec les proprié- taires du navire ou leurs agents.
La demanderesse cependant fait valoir que l'une des clauses de son contrat d'arrimage avec Cana- dian Middle East Consulting Co. stipulait que:
[TRADUCTION] Il est expressément convenu que les services concernant le chargement et le déchargement des autres appro- visionnements nécessaires du navire doivent être exécutés sur le crédit du navire, qu'il soit ou non affrété à temps en faveur de la Compagnie, et que les entrepreneurs auront un privilège contre le navire pour en garantir le paiement, nonobstant les modalités de toute charte-partie. Tous les travaux exécutés par suite du présent contrat seront la responsabilité de la Compa- gnie, y compris ce qui est imputable à d'autres parties, comme les retards dus à un équipement défectueux du navire, le déchargement et(ou) le chargement de cargaison dont les frais sont payables par les destinataires et(ou) les expéditeurs, le surtemps pour le compte d'autres parties, etc.
A son avis, une telle clause a eu pour effet de créer sur le navire un «lien» garantissant le paiement de sa créance et permettant l'exercice de l'action in rem. Par cette clause, dit-elle, elle avait manifesté son intention de ne fournir ses services que sur le crédit du navire, ce qui la plaçait dans une situa tion opposée à celle se trouvaient les arrimeurs dans les deux causes Westcan Stevedoring Ltd. c.
L'«Armar» [1973] C.F. 1232, et Sabb Inc. c. Shipping Ltd. [1976] 2 C.F. 175 le recours in rem fut dénié. Au surplus, ajoute-t-elle, certaines des dispositions du contrat d'affrètement permet- tent de penser que les propriétaires avaient prévu la possibilité qu'un tel «lien» soit créé, ce qui appuierait l'idée que les affréteurs avaient le pou- voir de lier de la sorte le navire loué.
Je n'arrive pas à saisir le sens de la thèse de la demanderesse. Quelle est la nature juridique de ce «lien» qu'elle prétend avoir créé sur le navire? Il ne s'agit pas d'un privilège maritime, car il est bien établi que la Loi n'en accorde aucun pour assurer le paiement de frais d'arrimage (voir notamment: L'«Armar» ci -haut cité), ni d'une charge de la nature de celle à laquelle peut prétendre celui à qui a été attribué un droit de possession ou de rétention (voir sur ce point: Le «St. Merriel» [1963] 1 Lloyd's Rep. 63). Est-il besoin d'ajouter qu'il n'est évidemment pas question d'une hypothè- que. En parlant d'une garantie sur le crédit du navire, le procureur de la demanderesse décrit l'effet qu'il souhaite, d'ailleurs dans des termes dont le sens est pour le moins équivoque, il ne dit pas ce qui pourrait légalement permettre un tel effet.
Mes collègues, les juges Collier et Dubé, dans les deux causes ci-haut citées sur lesquelles le procureur de la demanderesse voudrait s'appuyer, ont peut-être en effet tous deux souligné, dans leurs notes, l'intention manifeste des arrimeurs dans les circonstances mises en lumière par la preuve de compter strictement sur la solvabilité des affréteurs; ils ont parlé en ce sens sans doute parce que les procès tels qu'ils s'étaient déroulés les incitaient à le faire, mais ils n'ont certes pas dit qu'il aurait suffi aux arrimeurs d'exprimer au moment du contrat leur intention de «lier» le navire pour rendre recevable l'action in rem intentée subséquemment.
D'une part, je ne crois pas qu'existe en droit un «lien» de la nature de celui que la demanderesse invoque. D'autre part, je ne vois rien dans la charte-partie qui accorde à l'affréteur le pouvoir de créer à volonté, à l'insu des propriétaires, un lien pouvant avoir l'effet désiré, à supposer qu'il fut juridiquement possible de le créer. A mon avis, hors quelques cas de privilèges maritimes spéciaux établis par la Loi, une action in rem contre un
navire n'est possible que si une action in personam contre les propriétaires du navire est recevable. Il est clair que les propriétaires du navire défendeur ici ne sauraient être tenus de répondre personnelle- ment du contrat d'arrimage intervenu entre la demanderesse et Canadian Middle East Consul ting Co., contrat auquel ils n'ont nullement parti- cipé, ni directement ni indirectement, et qui ne leur fut même jamais dénoncé avant l'institution des présentes procédures.
L'action ne saurait avoir, à mon sens, quelque fondement juridique que ce soit. Elle sera donc rejetée avec dépens et ordre sera donné que la lettre de garantie de la Banque de Montréal datée du 20 décembre 1976 fournie par les propriétaires du navire pour obtenir mainlevée de la saisie leur soit immédiatement retournée.
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