T-1706-79
General Bearing Service Ltd. (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Cattanach—
Ottawa, les 17 et 21 septembre 1979.
Brefs de prérogative — Jugement déclaratoire — Taxe de
vente ou de consommation perçue sous le régime de la Loi sur
la taxe d'accise — La demanderesse importait des marchandi-
ses pour la revente — Rejet de la demande de remboursement
de la taxe — Il échet d'examiner si la taxe de vente était
payable et, plus précisément, si les marchandises en cause ont
été sorties d'entrepôt «pour la consommation» au sens de l'art.
27(1)b) de la Loi sur la taxe d'accise — Loi sur la taxe
d'accise, S.R.C. 1970, c. E-13, art. 27(1)b), 58 — Loi sur les
douanes, S.R.C. 1970, c. C-40, art. 80(1).
La demanderesse cherche à obtenir un jugement déclarant
qu'une taxe de consommation perçue par le ministère du
Revenu national en vertu de l'article 27(1)b) de la Loi sur la
taxe d'accise, a été indûment perçue et doit être remboursée.
La demanderesse a importé des États-Unis des pièces d'accou-
plement, les a sorties de l'entrepôt de douane aux fins de
revente et a acquitté la taxe de vente ou de consommation. Par
la suite, la demanderesse a réclamé un remboursement que la
défenderesse a refusé au motif que la demanderesse n'était pas
un marchand en gros muni d'une licence. Il échet d'examiner si
la taxe de vente était payable par la demanderesse lorsqu'elle a
sorti les marchandises de l'entrepôt de douane et, plus précisé-
ment, si de ce fait, elle a sorti ces marchandises d'entrepôt
«pour la consommation» au sens de l'article 27(1)b) de la Loi
sur la taxe d'accise.
Arrêt: la demande est rejetée. Toute interprétation d'une loi
doit en respecter l'esprit. Lorsque l'objet principal de la loi est
sans équivoque, il serait très grave de s'en écarter par suite de
l'utilisation d'une expression malheureuse. Bien entendu, l'es-
prit d'une loi se dégage de l'ensemble de celle-ci. Il ne faut
interpréter séparément ni l'article 27(1)b) de la Loi sur la taxe
d'accise, ni la Loi sur la taxe d'accise. Il faut considérer la Loi
sur la taxe d'accise et la Loi sur les douanes comme s'expli-
quant réciproquement et constituant un système unique. Selon
l'article 80(1) de la Loi sur les douanes, toute marchandise
entreposée est importée soit pour l'exportation, soit pour la
consommation intérieure. Il n'y a pas d'autre possibilité. La
demanderesse n'a pas importé ses marchandises pour l'exporta-
tion. Elle les a donc importées pour la consommation intérieure
et c'est ainsi qu'il faut interpréter l'expression «pour la consom-
mation» figurant à l'article 27(1)b) de la Loi sur la taxe
d'accise. «Consommation intérieure» signifie que les marchandi-
ses sont sorties pour servir aux fins pour lesquelles elles ont été
importées au Canada.
DEMANDE.
AVOCATS:
P. Dioguardi pour la demanderesse.
D. Sgayias pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Quain, Dioguardi, Kennedy, Watt, Barnes &
Sam mon, Ottawa, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: Par son action, la
demanderesse cherche à obtenir la déclaration
qu'une taxe de consommation que l'a obligée à
acquitter, en vertu de l'article 27(1)b) de la Loi
sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, c. E-13, le
ministère du Revenu national (dirigé par le minis-
tre du Revenu national et son adjoint légitime, le
sous-ministre du Revenu national pour les douanes
et accise, lequel, ainsi que l'indique son titre, est
chargé du contrôle, de la réglementation, de l'ad-
ministration et de la surveillance des taxes impo
sées par la Loi sur la taxe d'accise) a été indûment
perçue et doit être remboursée.
L'article 27(1)b) de la Loi susmentionnée est
ainsi rédigé:
27. (1) Est imposée, prélevée et perçue une taxe de consom-
mation ou de vente de douze pour cent sur le prix de vente de
toutes marchandises,
b) importées au Canada, payable par l'importateur ou le
cessionnaire qui sort les marchandises d'entrepôt pour la
consommation, à l'époque où les marchandises sont impor-
tées ou sorties d'entrepôt pour la consommation;
Préalablement au procès, les parties se sont
mises d'accord sur l'énoncé des faits que voici:
[TRADUCTION] 1. La demanderesse est une personne morale
constituée en société sous le régime des lois du Canada.
2. Le, ou vers le, 8 décembre 1978, la demanderesse a importé,
des États-Unis au Canada, des pièces d'accouplement de fer ou
d'acier (ales marchandises en question»).
3. Les marchandises en question sont entrées au Canada sans
dédouanage et ont été placées dans un entrepôt de douane à
Ottawa.
4. Les marchandises en question ont été déclarées au bureau
d'Ottawa sous le numéro 017040. L'annexe 1 des présentes est
une copie de cette déclaration, et l'annexe 2 des copies des
factures afférentes.
5. Le, ou vers le, 18 décembre 1978, la demanderesse a sorti les
marchandises en question de l'entrepôt de douane.
6. Le, ou vers le, 19 décembre 1979*, le ministère du Revenu
national a réclamé, et la demanderesse a payé, une taxe de
* Il s'agit là d'une erreur dans l'énoncé commun des faits; il
faudrait lire: 1978.
consommation ou de vente d'un montant de $63.77, ainsi qu'il
appert à l'annexe 1 des présentes.
7. Les marchandises en question ont été importées et sorties de
l'entrepôt de douane aux fins de revente au Canada à une date
ultérieure.
8. Le, ou vers le, 28 février 1979, la demanderesse a réclamé au
ministère du Revenu national le remboursement de la somme
de $63.77 versée à titre de taxe de consommation ou de vente
pour les marchandises en question. L'annexe 3 des présentes est
une copie de la demande de remboursement de la demanderesse
datée du 28 février 1979.
9. Le, ou vers le, 15 mars 1979, cette demande de rembourse-
ment a été rejetée. L'annexe 4 est la copie de la lettre adressée
à la demanderesse par l'agent de remboursement du ministère
du Revenu national.
Je n'ai pas cru devoir reproduire les annexes de
l'énoncé commun des faits, parce qu'à l'exception
de l'annexe 4, elles ne sont que des documents cités
à l'appui de cet énoncé. Mais il ressort clairement
du deuxième paragraphe de la déclaration qu'une
demande de remboursement de la taxe perçue a
été faite par la demanderesse et que le ministère
du Revenu national a rejeté cette demande au
motif que la demanderesse n'était pas un mar-
chand en gros muni de licence. Ces points sont
admis du reste au deuxième paragraphe de la
défense, même si aucun agent du ministère du
Revenu national n'a écrit à la demanderesse.
J'estime que les faits ainsi que l'objet du litige
ont été déterminés dans les plaidoiries, de sorte
que l'énoncé commun des faits ne fait que résumer
les faits allégués et admis dans ces dernières.
Je ne pense pas, non plus, que les dépositions
verbales étaient nécessaires, mais je les ai reçues
parce que, dans leur demande conjointe de procès,
les procureurs des parties avaient précisé que la
demanderesse ferait entendre un témoin.
Ce témoin, le président de la société demande-
resse, a simplement déclaré que les pièces d'accou-
plement importées par celle-ci n'ont jamais été
utilisées aux fins pour lesquelles elles avaient été
conçues. C'est là une restriction à la preuve rece-
vable, compte tenu des aveux faits dans les plaidoi-
ries. Suivant les allégations des plaidoiries, les
marchandises en question ont été mises dans les
locaux de la demanderesse, au cas où quelqu'un
manifesterait le désir d'acheter, pour quelque fin,
une pièce d'accouplement.
Le litige entre les parties porte sur le point de
savoir si la taxe de consommation ou de vente,
imposée par l'article concerné sur le prix de vente
des marchandises importées au Canada par la
demanderesse, était payable par celle-ci lorsqu'elle
a sorti ces marchandises de l'entrepôt où elles se
trouvaient.
Plus précisément encore, il s'agit simplement de
déterminer si la demanderesse a sorti les marchan-
dises de l'entrepôt «pour la consommation».
Tout dépend du sens qu'a l'expression «pour la
consommation» dans cet article.
L'avocat de la demanderesse allègue que celle-ci
a sorti les marchandises de l'entrepôt, non pour la
consommation mais pour la revente.
L'avocat de la défenderesse allègue par contre
que même si la demanderesse a sorti les marchan-
dises pour la revente, elle les a néanmoins sorties
«pour la consommation» au sens de l'article
concerné.
Les règles d'interprétation des lois sont bien
définies, mais il est toujours difficile de les appli-
quer à un cas particulier.
Ce travail d'interprétation n'est pas facile et un
texte de loi mal rédigé ne le rend pas plus aisé.
Mais le tribunal doit chaque fois appliquer les
règles d'interprétation reconnues, en évitant de
s'écarter du sens littéral des termes utilisés sans
raison suffisante ou plus qu'il n'est nécessaire,
mais en évitant aussi d'y coller servilement au
point d'aller à l'encontre de l'esprit de la loi.
L'article 27(1)b) prévoit clairement l'imposition
et la perception d'une taxe de consommation ou de
vente sur le prix de vente des marchandises impor-
tées au Canada. La taxe doit être payée par l'im-
portateur (mais non par le cessionnaire, ce qui
n'est pas le cas en l'espèce).
Il faut ensuite se demander quand l'importateur
doit payer cette taxe.
J'estime que si les marchandises ne sont pas
mises en entrepôt, la taxe est payable par l'impor-
tateur au moment de l'importation. Mais tel n'est
pas le cas en l'espèce.
La demanderesse a importé les marchandises au
Canada le 8 décembre 1978, mais elle n'en a pas
effectivement pris possession à cette date.
D'après le paragraphe 3 de l'énoncé commun
des faits, les marchandises en question sont entrées
au Canada sans dédouanage et ont été placées
dans un entrepôt de douane à Ottawa (Ontario),
qui est sans aucun doute le lieu d'entrée.
De ces faits admis, on ne peut déduire que les
marchandises ont été importées au Canada à des
fins d'entreposage. Je pencherais plutôt pour une
hypothèse mitoyenne. Ces marchandises ont été
importées sans dédouanage pour être entreposées,
et certainement pas pour être réexportées.
D'après le paragraphe 5 de l'énoncé commun
des faits, la demanderesse a [TRADUCTION] «sorti
les marchandises en question de l'entrepôt de
douane» le 18 décembre 1978, soit dix jours après
leur importation. Le 19 décembre 1978, la deman-
deresse a payé la taxe réclamée par le ministère du
Revenu national (voir le paragraphe 6 de l'énoncé
commun des faits).
Ainsi les marchandises ont été «sorties d'entre-
pôt» par la demanderesse le 18 décembre 1978.
Or en vertu de l'article 27(1)b), la taxe est
payable par l'importateur qui «sort les marchandi-
ses d'entrepôt pour la consommation, à l'époque où
les marchandises sont importées» ou «sorties d'en-
trepôt pour la consommation».
Dans les deux cas, la taxe d'accise n'est exigible
que si les marchandises sont sorties d'entrepôt
«pour la consommation». C'est à ce moment que
l'importateur doit payer la taxe.
Il est donc essentiel de déterminer le sens qu'a
l'expression «pour la consommation» dans cet arti
cle 27(1)b).
L'essentiel de la thèse de l'avocat de la deman-
deresse est simplement qu'il faut prendre le terme
«consommation» dans son sens général, car ce mot
ne relève pas du domaine de la technique, de l'art
ou de la science.
Le contexte dans lequel un mot est utilisé
n'exige pas nécessairement le sens étymologique de
ce mot, et il ne faut se référer aux dictionnaires
que pour s'assurer des significations du mot dans
le langage courant.
Ceci dit, l'avocat de la demanderesse a cherché
des éclaircissements dans ces livres, et m'a plus
spécialement renvoyé à la définition que donne du
terme «consommation» le Webster's New World
Dictionary: [TRADUCTION] «Eton. destruction de
biens ou de services par les consommateurs pour la
production d'autres biens». Cette définition du dic-
tionnaire repose sur le concept que les biens doi-
vent être «détruits» ou «rendus inutilisables» par
l'usage qui en est fait. Ainsi la mort-aux-rats est
consommée lorsque le rat la mange. La consom-
mation est l'usage ultime des marchandises.
Ainsi que l'a affirmé l'avocat de la demande-
resse, l'article 27(1)b) [TRADUCTION] «exige clai-
rement la consommation des marchandises avant
que la taxe devienne payable». Dans l'exemple
précité, la consommation ne serait sans doute pas
accomplie au moment où le rat mange le poison,
mais au moment où la personne voulant tuer le rat
met le poison en place.
C'est là, selon l'avocat, le sens courant du terme.
En admettant que cela soit exact, le consomma-
teur serait la personne achetant une pièce d'accou-
plement de la demanderesse (étant reconnu que
celle-ci a importé les marchandises pour les reven-
dre), et il n'y aurait pas consommation avant cet
achat.
La loi prévoyant que la taxe est payable lorsque
les marchandises sont sorties d'entrepôt pour la
consommation, elle n'est donc payable que lorsque
les marchandises sont consommées.
Si l'on admettait le raisonnement précité, il
serait pratiquement impossible pour le Ministère
de percevoir la taxe concernée.
L'avocat de la demanderesse m'a néanmoins
rappelé une règle fondamentale d'interprétation
des lois, à savoir que lorsque les dispositions d'une
loi sont claires et précises, celles-ci doivent être
appliquées quelles que puissent être les conséquen-
ces, car dans un tel cas les termes de la loi
expriment l'intention du législateur.
Mais une autre règle d'interprétation des lois
veut que l'on vérifie le sens des mots les plus clairs
en se reportant au contexte, à condition, comme on
l'a souvent répété, que le contexte soit encore plus
clair ou (ce qui revient au même) tout aussi clair
que les mots concernés.
Toute interprétation d'une loi doit en respecter
l'esprit. Lorsque l'objet principal de la loi est sans
équivoque, il serait très grave de s'en écarter par
suite de l'utilisation d'une expression malheureuse.
Bien entendu, l'esprit d'une loi ne se dégage que de
l'ensemble de celle-ci.
En l'espèce, il ne faut interpréter séparément ni
l'article 27(1)b) de la Loi sur la taxe d'accise, ni
la Loi sur la taxe d'accise.
Aux termes de l'article 58 de la Loi sur la taxe
d'accise, lorsqu'une taxe d'accise est exigible lors
de l'importation de tout article au Canada, la Loi
sur les douanes, S.R.C. 1970, c. C-40, s'applique
de la même façon et dans la même mesure que si
cette taxe était un droit de douane.
Ainsi il faut considérer la Loi sur la taxe d'ac-
cise et la Loi sur les douanes comme s'expliquant
réciproquement et constituant un système unique.
Voici donc le texte de l'article 80(1) de la Loi
sur les douanes:
80. (1) Tous les effets entreposés doivent être définitivement
retirés de l'entrepôt, soit pour l'exportation, soit pour la con-
sommation intérieure, dans les deux années à compter de la
date de leur première déclaration et mise en entrepôt.
Toute marchandise entreposée a été importée
soit pour l'exportation, soit pour la consommation
intérieure. Il n'y a pas d'autre possibilité.
La demanderesse n'a pas importé ses marchan-
dises pour l'exportation. Elle les a donc importées
pour la consommation intérieure, et c'est ainsi
qu'il faut interpréter l'expression «pour la consom-
mation» à l'article 27(1)b) de la Loi sur la taxe
d'accise.
Lorsque, le 18 décembre 1978, la demanderesse
a sorti les marchandises de l'entrepôt de douane,
elle les a retirées pour la «consommation
intérieure».
Ce qui nous amène à nous interroger sur le sens
de l'expression «consommation intérieure».
A mon avis, cette expression signifie que les
marchandises sont sorties pour être utilisées aux
fins pour lesquelles elles ont importées au Canada.
Si je me rappelle bien, l'avocat de la défende-
resse a soutenu que les marchandises ne doivent
être considérées comme «sorties... pour la con-
sommation» que lorsqu'elles sont mises sur le
marché. Ce raisonnement peut tenir dans le cas de
la demanderesse, mais n'est pas valable pour tous
les importateurs. Ainsi, une personne pourrait
importer des articles de nouveauté pour les distri-
buer comme cadeaux de Noël. Il ne s'agirait pas là
de mise en marché, et c'est pour cette raison que
l'utilisation doit être conforme aux fins pour les-
quelles l'importateur a importé les marchandises.
Il s'agit là, selon moi, d'une condition essentielle.
En l'espèce, il est admis que les marchandises
ont été importées et sorties d'entrepôt pour la
revente.
Lorsque la demanderesse a retiré les marchandi-
ses de l'entrepôt de douane, elle les a donc sorties
«pour la consommation» au sens des dispositions
qui nous intéressent.
Par ces motifs, je rejette l'action de la demande-
resse, mais, compte tenu des circonstances, je ne
mets pas les frais à sa charge.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.