T-2967-78
Thomas J. Lipton, Limited (Appelante)
c.
Salada Foods Ltd. (Intimée)
Division de première instance, le juge Addy—
Ottawa, le 10 avril et le 20 septembre 1979.
Marques de commerce — Description claire ou description
fausse et trompeuse — Le registraire a conclu que la marque
«LIPTON CUP.A.TEA» devant servir à la commercialisation du
thé comportait «la connotation soit d'une description claire
soit d'une description fausse et trompeuse des marchan-
dises ...» — Appel contre le refus du registraire d'enregistrer
la marque projetée — Loi sur les marques de commerce,
S.R.C. 1970, c. T-10, art. 12(1)b), 34, 37(2)b),d).
L'appelante fait appel du refus du registraire des marques de
commerce d'enregistrer la marque «LIPTON CUP.A.TEA» aux
fins d'utilisation avec le thé. En tant que requérante, elle a
renoncé à l'exclusivité du terme «tea», mais n'a pas été requise
de renoncer à l'usage du terme «cup». Le registraire a conclu
que la marque projetée comportait la connotation soit d'une
description claire soit d'une description fausse et trompeuse des
marchandises pour lesquelles la requérante projetait de l'utili-
ser, et il a statué que la marque n'était pas enregistrable
compte tenu des dispositions de l'article 12(1)b) de la Loi. Le
registraire ne s'est pas prononcé sur le deuxième motif d'opposi-
tion, savoir que la marque projetée n'était pas distinctive.
Arrêt: l'appel est accueilli. Qu'une marque constitue une
description claire ou une description fausse et trompeuse des
marchandises qui en font l'objet, voilà une question de fait à
déterminer judiciairement. Une «suggestion ou implication spé-
cifique» ou une «implication ou suggestion claire» qu'une
marque soit une description claire ou une description fausse et
trompeuse ne suffit pas à la rendre non enregistrable par
application de l'article 12(1)b). S'agissant de description, les
mots claire et fausse et trompeuse sont des éléments essentiels.
La conclusion faite par le registraire que «La marque de
commerce projetée ... comporte une connotation descriptive
spécifique ...» est manifestement entachée d'un vice de fond,
car il n'a aucunement constaté que le terme constituait soit une
description claire soit une description fausse et trompeuse. Pour
déterminer si un terme constitue une description claire ou une
description fausse et trompeuse de certaines marchandises, il ne
faut pas l'envisager à part mais par rapport à l'ensemble de la
marque de commerce et aux marchandises que vise la marque.
Il s'agit de l'impression que le mot, dans ce contexte, ferait sur
l'esprit d'une personne normale. Dans la marque «LIPTON
CUP.A.TEA» destinée à la commercialisation du thé, le mot
«cup» ne peut être considéré comme se rapportant directement à
la marchandise elle-même et, de ce fait, ne peut être considéré
comme constituant une description claire ou une description
fausse et trompeuse de cette marchandise. Par ailleurs, la
marque, considérée dans son ensemble, est distinctive.
Arrêt appliqué: Benson & Hedges (Canada) Ltd. c. St.
Regis Tobacco Corp. [1968] R.C.E. 22. Arrêts mention-
nés: Kellogg Company of Canada Ltd. c. Le registraire des
marques de commerce [1940] R.C.E. 163; Globetrotter
Management Ltd. c. General Mills Inc. [1972] C.F. 1187;
Sous-procureur général du Canada c. Jantzen of Canada
Ltd. [1965] 1 R.C.E. 227; In the Matter of an Application
by Evans Sons Lescher and Webb Limited for the regis
tration of a Trade Mark (1934) 51 R.P.C. 423.
APPEL.
AVOCATS:
R. G. McClenahan, c.r. et R. S. Jolliffe pour
l'appelante.
S. Anissimoff pour l'intimée.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour l'appe-
lante.
MacBeth & Johnson, Toronto, pour l'intimée.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE ADDY: L'appelante fait appel du refus
du registraire des marques de commerce d'enregis-
trer la marque «LIPTON CUP.A.TEA» aux fins d'uti-
lisation en rapport avec le thé. En tant que requé-
rante, elle a renoncé, sur la réquisition qui lui en
avait été faite en application de l'article 34 de la
Loi, à toute prétention à l'exclusivité quant à
l'usage du terme «tea». On n'a cependant pas exigé
d'elle une telle renonciation quant à l'usage du
terme «cup».
L'appelante n'a déposé aucune preuve devant le
registraire. La partie adverse a quant à elle déposé
un affidavit, et la décision a été prise, avec le
consentement des parties, sur la base des seuls
mémoires déposés par leurs avocats.
Lors des procédures au Bureau des marques de
commerce, l'intimée s'est opposée à l'enregistre-
ment conformément à l'article 37(2)b), en soute-
nant que la marque n'était pas enregistrable du
fait que le mot «cup» est, comme il est dit à
l'article 12(1)b), soit une description claire, soit
une description fausse et trompeuse de la nature
des marchandises. Elle a également soutenu que la
marque n'était pas enregistrable s'il n'y avait
désistement du droit à l'usage du mot «cup», con-
formément à l'article 34. Elle s'est également
opposée à la marque, en vertu de l'article 37(2)d),
au motif que celle-ci n'était pas distinctive des
marchandises.
Quant à l'opposition à l'enregistrement fondée
sur le non-désistement du droit à l'usage du mot
«cup», la question de savoir s'il y a eu ou non
désistement du droit à l'usage d'un nom projeté
n'ouvre pas droit à opposition en vertu de l'article
37(2). Il en a été ainsi jugé par le juge Heald, dans
l'affaire Canadian Schenley Distillers Ltd. c. Le
registraire des marques de commerce (1974) 15
C.P.R. (2°) 1 citée dans l'affaire Imperial Tobacco
Co. c. Philip Morris'. Je souscris entièrement à
cette interprétation de la loi. Par ailleurs, même si
la question du non-désistement du droit à l'usage
du mot «cup» a été soulevée par l'avocat de l'inti-
mée dans son mémoire au registraire, il a reconnu
spontanément lors de l'appel dont j'ai été saisi que
ce n'était pas là un motif valable d'opposition à
l'enregistrement d'une marque de commerce en
vertu de l'article 37, et il â abandonné ce motif
d'appel.
Il faut en général accorder un poids considérable
à toute décision du registraire des marques de
commerce d'accorder ou de rejeter l'enregistre-
ment d'une marque, car il s'agit d'un domaine qu'il
est censé connaître mieux que personne. Il a été
statué également dans le passé que lors d'appels de
ce genre, la Cour devrait s'en remettre entièrement
au jugement du registraire lorsque la décision atta-
quée semble avoir des fondements, et lorsqu'il n'y
a pas de vice de fond, de défaut de respecter la
procédure judiciaire, d'erreurs ou omissions mani-
festes sur des faits importants ou de fausse inter-
prétation. (Voir The Rowntree Company Limited
c. Paulin Chambers Company Limited 2 ; Benson &
Hedges (Canada) Limited c. St. Regis Tobacco
Corporation 3 ; et Record Chemical Co. Inc. c.
American Cyanamid Co. 4 ) Ce dernier principe
toutefois n'a pas été accepté par la Cour suprême
du Canada lorsque l'affaire Benson & Hedges est
venue devant elle, en appel, en 1968. (Voir [1969]
R.C.S. 192, aux pages 200 et 201.) Cette dernière
a statué alors que le point de savoir si une marque
de commerce prêtait à confusion nécessitait la
' (1977) 27 C.P.R. (2°) 205, la page 209.
2 [1968] R.C.S. 134, la page 138.
3 [1968] R.C.É. 22, la page 31.
4 (1974) 14 C.P.R. (2°) 127 (C.A.F.).
détermination judiciaire d'une question de fait ne
faisant pas appel à la discrétion du registraire, et
que la question se situait entièrement dans la
sphère de compétence de la Cour.
A mon avis, il en est de même de la question de
savoir si une marque constitue soit une description
claire, soit une description fausse et trompeuse de
marchandises données: c'est là une question de fait
à déterminer judiciairement.
Les motifs écrits de la décision conservés au
Bureau des marques de commerce révèlent que le
responsable de l'audition a bien défini les questions
qu'il avait à trancher. Il s'est exprimé en ces
termes:
[TRADUCTION] Dans les présentes procédures, les questions
sont simples. Il s'agit d'abord de savoir si la marque de
commerce LIPTON CUP.A.TEA constitue soit une description
claire, soit une description fausse et trompeuse de la nature ou
de la qualité des marchandises en rapport avec lesquelles il est
projeté de l'utiliser. Dans l'affirmative, les dispositions de l'arti-
cle 12(1)b) de la Loi en interdisent l'enregistrement.
Le deuxième moyen d'opposition invoqué est que la marque
de commerce n'est pas distinctive. Il me semble toutefois que si
la marque de commerce ne peut être enregistrée en raison de
l'article 12(1)b), elle est incapable de distinguer les marchandi-
ses du requérant pour le même motif.
Dans sa conclusion toutefois, à la dernière page
des motifs, il affirme simplement que [TRADUC-
TION] «La marque de commerce projetée ... com-
porte une connotation descriptive spécifique ....»,
pour conclure ensuite comme suit:
[TRADUCTION] Dans la présente affaire, j'estime que la
marque LIPTON CUP.A.TEA comporte la connotation soit d'une
description claire soit d'une description fausse et trompeuse des
marchandises pour lesquelles le requérant projette de l'utiliser.
Cette conclusion m'amène à statuer que la marque de com
merce projetée n'est pas enregistrable, compte tenu des disposi
tions de l'article 12(1)b) de la Loi.
A mon avis, le registraire s'est fourvoyé. «Con-
notation» s'entend d'une implication ou d'une sug
gestion. Même une «suggestion ou implication spé-
cifique» ou une «implication ou suggestion claire»
qu'une marque de commerce donne soit une des
cription claire soit une description fausse et trom-
peuse ne suffit pas pour la rendre non enregistra-
ble en vertu de l'article 12(1)b). Ces dispositions
n'admettent pas une simple implication ou sugges
tion. Le Parlement a utilisé les termes «claire» et
«fausse et trompeuse» après le terme «description»,
et le registraire n'a aucunement constaté que le
terme qui nous intéresse constituait soit une des-
cription claire soit une description fausse et trom-
peuse. Quant à savoir si une simple description
suggestive suffit, on peut se référer au jugement
rendu par l'ancienne Cour de l'Échiquier du
Canada dans l'affaire Kellogg Company of
Canada Limited c. Le registraire des marques de
commerce 5 .
S'agissant de description, les mots claire et
fausse et trompeuse sont des éléments essentiels.
La décision est donc manifestement entachée d'un
vice de fond. C'est pourquoi, même si la question
concernait l'exercice par le registraire d'un pouvoir
discrétionnaire, ce qui n'est pas le cas, j'aurais
toujours le devoir de déterminer, à partir des faits
devant moi, si la décision était fondée, sans perdre
de vue qu'une décision du registraire, en raison des
qualifications de ce dernier en la matière, ne
devrait pas être abordée à la légère.
Bien que l'appelante ait choisi de ne faire
aucune preuve devant le registraire, deux affidavits
remis par son avocat ont été reçus à l'audition
devant moi. Le premier contenait les définitions
que donnent du terme «cup» quatorze dictionnai-
res. Le deuxième donnait le contenu du registre
concernant le terme «Lipton» dans quelques quinze
marques de commerce de Lipton enregistrées
depuis 1916.
L'intimée n'a produit aucune preuve supplémen-
taire et s'en est remise à l'affidavit présenté à
l'origine au registraire.
Il est intéressant de noter que dans toutes les
définitions citées par l'appelante, ainsi que dans
l'extrait du dictionnaire Webster rapporté pour le
compte de l'intimée, le premier sens du terme
«cup» est celui de récipient, et que ce n'est que
subsidiairement que le terme désigne «la boisson
ou l'aliment contenus dans une tasse» comme dans
les expressions «fruit cup» ou «loving cup». Toute-
fois, la dernière définition est la seule qu'a retenue
le registraire. Il dit dans ses motifs, à la page 5:
[TRADUCTION] La pièce C relative à l'affidavit de MacKeen
est une copie d'une page du Webster's Seventh New Collegiate
Dictionary où le terme «cup» est ainsi défini:
»cup— un aliment servi dans un récipient en forme de tasse.»
5 [1940] R.C.É. 163, aux pages 170 et 171.
Il a omis de mentionner, ou peut-être même de
remarquer, que le premier sens du terme «cup»
dans cette même pièce est celui de [TRADUCTION]
«récipient ouvert en forme de bol et servant à
boire.»
Toutefois, indépendamment du fait qu'une défi-
nition se rapporte au premier ou au second sens
d'un terme, chaque fois que l'on examine si un
terme constitue soit une description claire, soit une
description fausse et trompeuse des marchandises,
celui-ci ne doit pas être envisagé en lui-même mais
par rapport à l'ensemble de la marque de corn-
merce et des marchandises à l'égard desquelles il
est projeté d'utiliser cette dernière. (Voir Globe
trotter Management Limited c. General Mills
Inc. 6 ) Il s'agit de l'impression que le mot, dans ce
contexte, ferait sur l'esprit d'une personne nor-
male. (Voir Sous-procureur général du Canada c.
Jantzen of Canada Limited 7 .)
Dans la marque «LIPTON CUP.A.TEA», destinée à
être utilisée en association avec le thé, je ne puis
concevoir qu'une personne sensée perçoive le mot
«cup» comme désignant la marchandise qu'il est
projeté de vendre. En d'autres termes, aucun être
raisonnable n'aurait l'impression que Lipton se
propose de vendre des tasses (scups») remplies de
thé en feuilles, en sachets, ou d'une boisson prépa-
rée avec du thé. Dans ce contexte, le mot «cup»
peut s'entendre seulement du récipient dans lequel
la marchandise devrait être consommée par l'ache-
teur, et non de la marchandise elle-même. Le mot
ne pouvant normalement être directement associé
à la marchandise, il s'ensuit qu'on ne peut le tenir
comme décrivant soit de façon claire, soit de façon
fausse ou trompeuse la marchandise. Comme on
l'a déjà dit, le mot «cup» pourrait très bien, dans
un autre contexte, se rapporter à la marchandise
elle-même, c'est-à-dire à l'objet, ou à toute partie
de l'objet constituant la marchandise, ou bien
encore se rapporter à une substance vendue avec la
tasse qui la contient.
J'en conclus donc que, dans la présente affaire,
le terme «cup» ne constitue ni une description
claire ni une description fausse et trompeuse du
«thé», c'est-à-dire de la marchandise visée par la
marque de commerce «LIPTON CUP.A.TEA».
6 [1972] C.F. 1187, aux pages 1191 et 1192.
7 [1965] 1 R.C.E. 227.
Le registraire a tranché la question de savoir si
la marque de commerce était distinctive en déci-
dant qu'une marque de commerce qui constituait
soit une description claire, soit une description
fausse et trompeuse de la marchandise ne pouvait
pas être distinctive. En conséquence, nulle part
dans ses motifs il n'a examiné la marque de com
merce dans son ensemble pour déterminer si, au
cas où elle ne constituerait pas soit une description
claire, soit une description fausse et trompeuse,
elle pourrait néanmoins n'être pas susceptible d'en-
registrement pour la raison qu'elle n'est pas dis
tinctive. Il est clair que pour déterminer si une
marque de commerce est distinctive, il faut consi-
dérer celle-ci dans son ensemble. Il ne convient pas
de la disséquer. (Voir Fox, Canadian Patent Law
and Practice, troisième édition, aux pages 101 et
167, et In the Matter of an Application by Evans
Sons Lescher and Webb Limited for the registra
tion of a Trade Mark".)
Il est exact qu'en général, le contenu du registre
est un élément sans intérêt et irrecevable dans
certaines causes, par exemple pour démontrer
qu'une marque de commerce similaire ayant été
accordée antérieurement, celle dont il s'agit
devrait être accordée. Chaque cas doit être jugé en
toute objectivité et d'après la preuve fournie. Le
contenu du registre est toutefois parfaitement rece-
vable pour démontrer d'autres faits pertinents,
comme dans la présente cause, où il sert à établir
que depuis plus de 60 ans le registraire semble
estimer que le mot «Lipton» est distinctif, puisqu'il
permet son utilisation dans des marques de com
merce. Quant à la possibilité d'utiliser le registre à
certaines fins, il est fait référence à la décision
rendue en 1942 par le comité judiciaire du Conseil
privé dans l'affaire Coca-Cola Co. of Canada Ltd.
c. Pepsi- Cola Co. of Canada Ltd. 9
Je n'hésite pas à conclure que la marque de
commerce «LIPTON CUP.A.TEA», considérée dans
son ensemble, est distinctive. Cela ressort même
d'un simple examen de cette marque.
Ceci dit, l'on pourrait presque, le cas échéant,
être tenté de tenir pour établi le caractère distinctif
acquis par le terme «Lipton» dans l'industrie du
thé.
" (1934) 51 R.P.C. 423, la page 425.
9 1 C.P.R. 293, et plus spécialement à la page 299.
Comme j'ai constaté que la marque de com
merce remplissait les conditions de l'article
12(1)b) et que l'opposition fondée sur l'article
37(2)d) ne pouvait être transmise, les conclusions
du registraire des marques de commerce sur ces
points sont annulées, sa décision de refuser l'enre-
gistrement est infirmée et la demande d'enregistre-
ment lui est renvoyée pour qu'il prenne les mesures
appropriées.
L'appelante aura droit aux frais contre l'inti-
mée.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.