Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-1243-79
Dantex Woollen Co. Inc. (Requérante) c.
Le ministre de l'Industrie et du Commerce, C. D. Arthur, H. R. Wilson, Borys Budny et Millie Thompson (Intimés)
Division de première instance, le juge Addy— Ottawa, les 3, 4 et 11 avril 1979.
Brefs de prérogative Demande d'injonction interdisant aux intimés de faire obstacle à l'importation de certaines marchandises ou, â titre subsidiaire, de mandamus enjoignant aux intimés d'octroyer les licences d'importation La requé- rante importe des marchandises visées à l'art. 47 de la Liste de marchandises d'importation contrôlée Cet article de la Liste de, marchandises d'importation contrôlée ne prévoit aucune limite en matière de portée, de quantité ou de durée Il s'agit de savoir si le gouverneur en conseil a omis d'exercer le pouvoir de décision et de surveillance ainsi qu'il en est requis par le Parlement Dans l'affirmative, il s'agit de savoir si cet article a été incorrectement et illégalement inclus dans la Liste de marchandises d'importation contrôlée Loi sur les licences d'exportation et d'importation, S.R.C. 1970, c. E-17, art. 5(1),(2), 6 Liste de marchandises d'importation contrôlée, DORS/70-359 modifié par DORS/79-380, art: 47.
La requérante demande en l'espèce une injonction interdisant aux intimés de faire obstacle à l'importation, par la requérante, de certains vêtements pour hommes en provenance des Philippi- nes, savoir habits, vestons ou blazers de qualité, ou, à titre subsidiaire, un bref de mandamus enjoignant aux intimés d'oc- troyer les licences d'importation afférentes à ces marchandises, conformément à la Loi sur les licences d'exportation et d'im- portation. La requérante avait rempli toutes les formalités pour l'obtention des licences nécessaires à l'importation de ces mar- chandises, énumérées à l'article 47 de la Liste de marchandises d'importation contrôlée en vertu du pouvoir que le gouverneur en conseil tient de l'article 5(2)a) de la Loi. L'importation des marchandises énumérées à l'article 47, pour autant qu'elle est assujettie à un décret du gouverneur en conseil, n'a jamais été limitée quant à la portée, la quantité ou la durée. La première question qui se pose est la suivante: puisqu'on n'a pas men- tionné dans quelle mesure et pour quelle période l'importation des marchandises serait limitée, peut-on conclure que le gouver- neur en conseil a omis d'exercer le pouvoir de décision et de surveillance que le Parlement lui aurait enjoint d'exercer en vertu de l'article 5(2) de la Loi et que, par suite de cette omission, l'article 47 a été incorrectement et illégalement inclus dans la Liste de marchandises d'importation contrôlée et, qu'en conséquence, les marchandises en cause échappent au contrôle de l'importation.
Arrêt: la requête est accueillie et une injonction sera décer- née. Le Parlement a tenté de restreindre l'exercice du pouvoir de légiférer qu'il a délégué au gouverneur en conseil dans ce domaine. Toute délégation, par le gouverneur en conseil au Ministre, du pouvoir législatif de décider de la durée et de l'étendue des mesures de restriction et de contrôle de l'importa- tion de tout article est ultra vires et de nul effet. Même si l'on
ne conclut pas à une délégation implicite de ce pouvoir, il reste que le gouverneur en conseil n'a pas inclus l'article 47 dans la Liste de marchandises d'importation contrôlée conformément au sens, à l'objet et aux instructions expresses de la législation habilitante. Par conséquent, il faut considérer cet article comme n'ayant pas été validement inscrit sur la Liste. Il y a également, de la part des intimés, une usurpation du pouvoir législatif que le Parlement a délégué au gouverneur en conseil et que ce dernier ne peut déléguer à une autre autorité. Dès que le décret pris en vertu de l'article 5(2) aura établi la quantité de marchandises que l'on peut importer ou la méthode par laquelle ces quantités seront calculées, et déterminé la durée des diver- ses restrictions ou toute autre condition touchant le contrôle de l'importation pour la période en cause, alors le Ministre pourra naturellement décider combien d'articles les différents importa- teurs peuvent, au besoin, introduire sur le territoire canadien, toujours à l'intérieur des limites imposées par le décret.
REQUÊTE. AVOCATS:
Y. A. George Hynna et Emilio S. Binavince
pour la requérante.
B. Bierbrier pour les intimés.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE ADDY: La requérante importe des complets et autres articles de textile. Les intimés sont tous chargés d'octroyer des licences d'impor- tation. La demande en cause, engagée par avis de requête introductif d'instance, vise l'obtention d'une injonction qui interdirait aux intimés de faire obstacle à l'importation, par la requérante, de certains vêtements pour hommes en provenance des Philippines, savoir des habits, vestons et bla zers de qualité. La requérante sollicite, à titre subsidiaire, un bref de mandamus qui enjoindrait aux intimés d'octroyer les licences d'importation afférentes à ces marchandises, conformément à la Loi sur les licences d'exportation et d'importa- tion'.
Un redressement de la nature d'une injonction doit être demandé sous forme d'action introduite de la façon habituelle, c'est-à-dire par le dépôt d'une déclaration. Une requête visant l'obtention
1 S.R.C. 1970, c. E-17, dans sa forme modifiée.
d'une injonction provisoire ou interlocutoire peut, bien entendu, être entendue avant l'instruction de l'action. L'avis de requête peut être signifié en même temps que la déclaration ou postérieurement à cette dernière. En cas d'urgence, la requête en injonction provisoire peut être présentée avant le début de l'action, mais le tribunal, en temps normal, ne connaîtra de cette requête que si la requérante s'engage à produire, sans délai, une déclaration appuyant la requête.
En l'espèce, aucune action n'a été intentée. L'avocat des intimés n'a pas inscrit d'opposition lorsque la requête a été appelée. A la fin de l'exposé de la requérante présenté à l'appui de la demande d'injonction, la Cour a appelé l'attention des avocats des deux parties sur le fait qu'aucune action n'avait été introduite; sur ce, l'avocat des intimés a déclaré que même s'il n'y consentait pas formellement, il ne s'opposait pas à ce que la requête soit entendue au fond et tranchée de façon définitive, sans l'introduction d'une action. Vu les circonstances, les avocats de la requérante ont demandé que l'avis de requête introductif d'ins- tance soit considéré comme une déclaration aux fins de l'injonction qui y est sollicitée, que soient écartées toutes les procédures précédant l'instruc- tion et que la présente audition soit considérée principalement comme l'instruction d'une action visant l'obtention d'une injonction finale suivant une preuve par affidavit et subsidiairement comme une requête visant l'obtention d'un bref de mandamus.
Une requête semblable mettant en cause les mêmes parties a été présentée quelques semaines auparavant et retirée une fois l'affaire réglée, le tout avant l'audition effective de la demande. Toute la preuve présentée dans le cadre de cette requête, y compris les contre-interrogatoires por- tant sur les affidavits, a été reprise en l'espèce. Il est clair qu'aucune autre preuve, orale ou autre, n'a été nécessaire et que les parties ont consenti à ce que l'affaire soit entendue et tranchée d'après cette preuve par affidavits et ces contre-interroga- toires. On a également amplement prouvé l'ur- gence d'instruire la cause sans délai vu les engage ments contractuels intervenus entre la requérante et Simpsons-Sears qui s'était engagée à acheter la cargaison au complet. Un autre facteur est égale- ment en cause: en effet, la requérante sollicite en
outre, à titre subsidiaire, une ordonnance de man- damus; or, les procédures visant l'obtention d'un bref de mandamus, à l'instar de celles visant l'ob- tention d'un bref de certiorari, de prohibition et d'autres redressements de la nature d'un bref de prérogative, doivent être engagées sous forme d'une demande à la Cour présentée par avis de requête introductif d'instance et non par la voie d'une action engagée par déclaration.
Vu ces circonstances spéciales, la Cour a permis que l'affaire suive son cours, cette requête devant, à toutes fins que de droit, être également considé- rée comme une instruction visant à régler de façon immédiate et définitive la question de l'opportunité d'accorder une injonction.
Toutefois, en accordant cette autorisation, j'ai "clairement indiqué aux avocats de la requérante qu'il ne fallait pas interpréter cette décision comme un précédent établissant qu'une injonction finale est normalement accordée par voie de requête non fondée sur une action. Cette façon de procéder ne doit pas être adoptée sauf circons- tances extraordinaires. Elle ne doit pas être suivie lorsqu'un intimé fait valoir formellement son oppo sition car ce dernier, en temps normal, a le droit de déposer une plaidoirie, de recevoir communication des documents de l'autre partie avant l'instruction et de présenter une preuve orale avant que l'affaire ne soit définitivement tranchée.
La demande a trait au refus des intimés de délivrer une licence d'importation pour quelque 36,290 vestons, habits et blazers que la requérante souhaite importer des Philippines. Ces articles constituent le solde d'une première commande qui comprenait 41,330 articles dont 5,040 ont déjà été introduits au Canada aux termes de licences d'im- portation octroyées le 15 février 1979.
La Loi sur les licences d'exportation et d'im- portation prévoit l'obligation d'obtenir une licence autorisant l'importation au Canada de toutes mar- chandises incluses dans une liste désignée sous le nom de «Liste de marchandises d'importation con- trôlée» établie conformément aux dispositions de cette loi. Si des marchandises que l'on souhaite importer ne figurent pas sur cette liste, il n'est pas nécessaire d'obtenir une licence; il suffit simple- ment de les dédouaner en versant les droits exigi- bles. Toutefois, les marchandises figurant sur la
Liste de marchandises d'importation contrôlée ne passent pas en douane tant que les intimés n'ont pas octroyé la licence y afférente.
Malgré l'abondance de la preuve, il n'y a, à vrai dire, aucun fait contradictoire. Il y a eu, toutefois, certaines divergences d'opinions très sérieuses sur la façon d'interpréter la preuve et, plus spéciale- ment, les contre-interrogatoires des auteurs des affidavits.
La requérante a rempli toutes les formalités prescrites pour l'obtention des licences. Les parties conviennent de la description des marchandises incluses dans la Liste de marchandises d'importa- tion contrôlée [DORS/70-359 dans sa forme modifiée par DORS/79-380] sous l'article 47 dont voici le libellé:
47. Habits et vestons de qualité pour hommes, y compris les vestons sports et blazers, qu'ils soient fabriqués entièrement ou en partie.
Les parties reconnaissent également que l'article 47 est réputé avoir été inclus dans la Liste par un décret du gouverneur en conseil conformément à l'article 5(2)a) de la Loi. L'article 5(2) de cette loi, adopté en 1971 à titre de modification, se trouve dans les S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 32. Il se lit comme suit:
s....
(2) Lorsque à un moment quelconque le gouverneur en conseil est convaincu, sur rapport du Ministre établi en application
a) d'une enquête effectuée par la Commission du textile et du vêtement relativement à l'importation d'articles de textile et d'habillement tels qu'ils sont définis dans la Loi sur la Commission du textile et du vêtement, ou
b) d'une enquête effectuée en vertu de l'article 16.1 de la Loi antidumping par le Tribunal antidumping relativement à des marchandises autres que les articles de textile et d'habille- ment définis par la Loi sur la Commission du textile et du vêtement
que des marchandises de tout genre sont importées ou seront vraisemblablement importées au Canada à des prix, en quanti- tés et dans des conditions portant ou menaçant de porter un préjudice sérieux aux producteurs canadiens de marchandises semblables ou directement concurrentes, toutes marchandises du même genre peuvent, par décret du gouverneur en conseil, être incluses dans la liste de marchandises d'importation con- trôlée afin de limiter l'importation de ces marchandises dans la mesure et pour la période nécessaires, de l'avis du gouverneur en conseil, pour empêcher ce préjudice ou y remédier. [C'est moi qui souligne.]
Le gouverneur en conseil a changé, dans une certaine mesure, la description des articles. Les
intimés font valoir que ce changement a été effec- tué conformément à l'article 6 de la Loi:
6. Le gouverneur en conseil peut révoquer, modifier, changer ou rétablir toute liste de pays visés par contrôle, liste de marchandises d'exportation contrôlée ou liste de marchandises d'importation contrôlée.
Il ressort clairement de la preuve que l'importa- tion des marchandises énumérées à l'article 47, pour autant que cette importation est assujettie à un décret du gouverneur en conseil, n'a jamais été limitée quant à la portée, la quantité ou la durée. Par conséquent, la première question qui se pose est la suivante: puisqu'on n'a pas mentionné dans quelle mesure et pour quelle période l'importation des marchandises serait limitée, peut-on conclure que le gouverneur en conseil a omis d'exercer le pouvoir de décision et de surveillance que le Parle- ment lui aurait possiblement enjoint d'exercer en vertu de l'article 5(2) de la Loi? Deuxièmement, peut-on dire que, par suite d'une telle omission, l'article 47 a été incorrectement et illégalement inclus dans la Liste de marchandises d'importa- tion contrôlée et, qu'en conséquence, les marchan- dises visées échappent au contrôle de l'importa- tion? En d'autres termes, la requérante fait valoir que lorsqu'un article est inclus dans la Liste con- formément à l'article 5(2), il est absolument essen- tiel que le décret indique dans quelle mesure et pour quelle période l'importation des marchandises figurant dans cet article sera limitée et, qu'à défaut de ce faire, l'article doit être considéré comme n'ayant pas été inclus dans la Liste parce que le gouverneur en conseil n'en a pas limité correctement l'importation comme il y était tenu par le Parlement.
Il importe, à ce stade, d'examiner l'historique de la législation en cette matière. Pendant de nom- breuses années, avant l'adoption en 1971 de l'arti- cle 5(2), les seules fins pour lesquelles une liste de marchandises d'importation contrôlée pouvait être établie étaient celles énumérées à l'article 5 (main- tenant l'article 5(1)). Cet article se lisait comme suit:
5. Le gouverneur en conseil peut établir une liste de mar- chandises, appelée «liste de marchandises d'importation contrô- lée», comprenant tout article dont, à son avis, il est nécessaire de contrôler l'importation pour l'une quelconque des fins sui- vantes, savoir:
a) assurer, selon les besoins du Canada, le meilleur approvi- sionnement et la meilleure distribution possibles d'un article
rare sur les marchés mondiaux ou soumis à des régies gouvernementales dans les pays d'origine ou à une répartition par arrangement intergouvernemental;
b) mettre à exécution toute mesure prise selon la Loi sur la stabilisation des prix agricoles, la Loi sur le soutien des prix des produits de la pêche, la Loi sur la vente coopérative des produits agricoles, la Loi sur l'Office des produits agricoles ou la Loi sur la Commission canadienne du lait, ayant pour objet ou pour effet de soutenir le prix de l'article; ou
c) mettre en œuvre un arrangement ou un engagement intergouvernemental;
et lorsque des marchandises sont incluses dans la liste en vue d'assurer l'approvisionnement ou la distribution de marchandi- ses sujettes à répartition par arrangement intergouvernemental ou pour donner suite à un arrangement ou engagement inter- gouvernemental, un exposé de l'effet ou un sommaire de l'ar- rangement ou engagement, s'il n'a pas été antérieurement présenté au Parlement, doit l'être à l'époque le décret du gouverneur en conseil faisant entrer ces marchandises dans la liste est présenté au Parlement selon la Loi sur les règlements.
Il est clair que ces fins étaient très limitées et que, sauf pour contrôler les articles rares sur les marchés mondiaux et par là, vraisemblablement éviter que certains pays en soient indûment privés (cf. l'alinéa a) précité), ou sauf pour protéger nos réserves alimentaires (cf. alinéa b) précité), la Liste devait être limitée à des marchandises faisant l'objet d'arrangements ou d'engagements intergou- vernementaux spéciaux (voir les alinéas a) et c) précités). Dans ce dernier cas, toutefois, le gouver- neur en conseil devait, au moment de l'adoption du décret, présenter au Parlement un exposé de l'effet des arrangements ou un sommaire des arrange ments ou des engagements dans lequel y auraient sans aucun doute été mentionnés l'étendue, la durée et l'objet des mesures de contrôle qui seraient, sur-le-champ, minutieusement, étudiés par le Parlement.
Malgré l'existence, à cette époque, de l'article 6 (précité), il est très évident que le pouvoir du gouverneur en conseil de modifier, changer ou rétablir une liste de marchandises d'importation contrôlée était limité aux fins énumérées à l'article 5. En ce sens, il est intéressant de noter que, même si, à mon avis, rien, de fait, n'en dépend, le verbe «augmenter» n'est pas inclus dans le libellé de l'article qui confère le pouvoir de «révoquer, modi fier, changer ou rétablir» une liste.
Par l'adoption, en 1971, de l'article 5(2) (pré- cité), toutes les marchandises sont devenues assu-
jetties aux dispositions de la Loi, peu importe tout arrangement international les visant ou le fait qu'elles soient des denrées alimentaires. Ce même paragraphe n'exige plus la présentation au Parle- ment d'un rapport sur les articles figurant dans la liste. Cependant, d'autres dispositions de contrôle ont été adoptées. Mentionnons, en premier lieu, que les articles de textile et les vêtements ne peuvent être inclus dans la Liste qu'après la pré- sentation d'un rapport rédigé aux termes d'une enquête tenue par la Commission du textile et du vêtement (alinéa a)) ou, pour ce qui est de toutes les autres marchandises, par le Tribunal antidum- ping (alinéa b)). Le rapport doit conclure que des marchandises sont importées ou seront vraisembla- blement importées à des prix ou en quantités, ou dans des conditions menaçant de porter un préju- dice sérieux aux producteurs canadiens de mar- chandises semblables ou directement concurrentes. De plus, les marchandises ne doivent figurer dans la Liste que «dans la mesure et pour la période nécessaires, de l'avis du gouverneur en conseil, pour empêcher ce préjudice ou y remédier». Enfin, le paragraphe en cause accorde le pouvoir de limiter et non d'interdire l'importation de certaines marchandises. A mon avis, le pouvoir de limiter quelque chose implique la nécessité d'en détermi- ner les frontières. Par ailleurs, les termes «limiter» ou «limitation» n'apparaissent pas dans l'article 5(1) qui traite du contrôle de l'importation. On pourrait ainsi très bien faire valoir que le pouvoir de contrôler l'importation, contrairement au pou- voir de la limiter, peut comprendre le pouvoir de l'interdire.
La Commission du textile et du vêtement a tenu deux enquêtes et a présenté, à l'issue de ces derniè- res, un rapport provisoire et un rapport final. La Commission a, en premier lieu, recommander l'im- portation limitée d'habits de confection en prove nance de pays spécifiques (autres que les Philippi- nes). Mais le décret publié à la suite de ces recom- mandations visait tous les habits de qualité pour hommes sans restriction quant au pays d'origine. Les enquêteurs ont toutefois recommandé, dans leur second rapport, de limiter uniquement l'im- portation d'habits de qualité. On s'est élevé, à plusieurs reprises, contre la façon dont ces enquê- tes auraient été menées et contre les inexactitudes qui auraient été commises en matière d'avis, etc. Je ne suis pas porté à croire que ces présumées
irrégularités sont à ce point sérieuses qu'elles enta- cheraient ces enquêtes d'illégalité ou de nullité. Quoi qu'il en soit, la validité de ces dernières n'est pas en cause en l'espèce. Par conséquent, si l'on admet, pour l'instant, la validité de ces enquêtes et des conclusions qui ont suivi, rien ne nous permet de conclure que le gouverneur en conseil a, d'une façon ou d'une autre, étudié et défini l'étendue des mesures de contrôle ou la période pendant laquelle elles seraient en vigueur.
Par contre, la preuve démontre amplement, en ce qui concerne l'article 47, que le soin de détermi- ner la quantité de marchandises qu'il convient d'introduire sur le territoire canadien à quelque moment que ce soit et leurs pays d'origine a été laissé entièrement et exclusivement au Ministre et à son personnel administratif qui comprend, notamment, les autres intimés. Il n'y a toutefois aucune preuve afférente, d'une part, à la durée de ce contrôle, c'est-à-dire au délai pendant lequel on prévoit laisser sur la Liste les marchandises men- tionnées à l'article 47, ni, d'autre part, à l'existence de conditions rattachées à l'inscription de ces mar- chandises sur la Liste.
Il ressort clairement des faits, et c'est ma con clusion, que le seul acte accompli par le gouver- neur en conseil a été d'inclure les marchandises visées à l'article 47 sur la Liste de marchandises d'importation contrôlée. Il a été laissé au ministre de l'Industrie et du Commerce et aux autres inti- més le soin de prendre et de mettre en oeuvre toutes les autres décisions touchant la limitation des importations de ces marchandises.
Le gouverneur n'était pas tenu de souscrire aux recommandations de la Commission qui ont fait suite aux deux enquêtes. La prétention de l'avocat des intimés selon laquelle il faille conclure du simple fait que le décret ne prévoit aucune limite quant à la durée, que le gouverneur en conseil a ainsi exercé son pouvoir discrétionnaire et imposé des mesures restrictives pour une période indéfinie, est tout à fait inacceptable: cet argument ne résiste pas à la preuve qui établit la façon dont la Liste fonctionne. De plus, si le défaut de spécifier un délai implique une période indéfinie, alors le défaut de spécifier la quantité implique une quan- tité indéterminée et équivaut à une interdiction absolue. L'une ou l'autre de ces interprétations contredit directement le libellé formel de la fin de
l'article 5(2).
Enfin, lorsqu'une loi restreint un droit fonda- mental reconnu par la common law et fait l'objet d'une double interprétation, elle doit être interpré- tée strictement, c'est-à-dire à l'encontre de la res triction et en faveur du citoyen. Puisqu'une telle règle d'interprétation s'applique aux lois adoptées par le Parlement, alors, a fortiori, doit-elle s'appli- quer aux décrets du gouverneur en conseil qui complètent une loi restrictive.
Les décrets pris en vertu de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation sont à même de restreindre sérieusement le droit fonda- mental de chaque citoyen de se lancer dans l'entre- prise commerciale légitime de son choix. L'appli- cation de ces décrets pourrait très bien, dans de nombreux cas, enlever à un importateur son seul moyen de subsistance ou lui faire subir des pertes très importantes.
Contrairement à certaines lois comme celles en matière de douanes et d'accise qui visent à assurer aux industries et aux producteurs locaux une pro tection plus permanente, la Loi sur les licences d'exportation et d'importation a été adoptée, et ceci ressort clairement de sa teneur, pour permet- tre la mise en oeuvre de mesures de contrôle pour une période limitée et à des fins spécifiques et très restreintes, en raison de certaines circonstances et conditions spéciales, ou en raison d'engagements ou d'arrangements internationaux qui l'emportent sur les droits de certains citoyens d'entretenir, comme ils l'entendent, des relations commerciales. Nonobstant les effets potentiellement très restric- tifs de cette loi, le Parlement a choisi, en adoptant l'article 5, de déléguer au gouverneur en conseil le pouvoir de légiférer dans ce domaine à cause du temps habituellement consacré par les deux Cham- bres du Parlement à l'adoption de règlements détaillés, des modifications constantes apportées aux arrangements et aux engagements internatio- naux et des conditions continuellement changean- tes dans la production et sur les marchés interna tional et intérieur. Le Parlement a, toutefois, tenté de restreindre ce pouvoir par les moyens susmen- tionnés. Toute délégation, par le gouverneur en conseil au Ministre, du pouvoir législatif de déci- der de la durée et de l'étendue des mesures de restriction et de contrôle touchant l'importation de
tout article, est ultra vires et de nul effet. La preuve permet de conclure qu'en l'absence d'une délégation explicite, il y a eu, à tout le moins, une délégation implicite vu le mutisme total des décrets sur les questions susmentionnées et vu les actes et les décisions du Ministre et des autres intimés dans les domaines spécifiquement réservés au gouverneur en conseil en vertu des termes de Loi. Quoi qu'il en soit, même si l'on ne conclut pas à une délégation implicite de ce pouvoir, il reste que le gouverneur en conseil n'a pas inclus l'article 47 dans la Liste de marchandises d'importation contrôlée régulièrement et conformément au sens, à l'objet et aux instructions expresses de la législa- tion habilitante. Par conséquent, il faut considérer l'article 47 comme n'ayant pas été validement inscrit sur la Liste. Il y a également, de la part des intimés, une usurpation du pouvoir législatif que le Parlement a délégué au gouverneur en conseil et que ce dernier ne peut déléguer à une autre auto- rité. (Cf. quant à une délégation ultra vires de pouvoirs: Le procureur général du Canada c. Brent 2 ; Ville de Verdun c. Sun Oil Company Ltd. 3 ; Brant Dairy Company Limited c. The Milk Commission of Ontario 4 .)
Dès que le décret pris en vertu de l'article 5(2) aura établi la quantité de marchandises que l'on peut importer ou la méthode par laquelle ces quan- tités seront calculées, et déterminé la durée des diverses restrictions ou toute autre condition tou- chant le contrôle de l'importation pour la période en cause, alors le Ministre pourra naturellement décider combien d'articles les différents importa- teurs peuvent, au besoin, introduire sur le territoire canadien, toujours à l'intérieur des limites impo sées par le décret. C'est l'article 8 de la Loi qui confère au Ministre ce pouvoir; mais cet article ne peut être appliqué que sous réserve de ces condi tions extrêmement importantes.
L'article 6, auquel je me suis reporté lorsque j'ai examiné l'article 5 tel qu'il existait avant l'adop- tion du paragraphe (2), n'est d'aucun secours pour les intimés. Le pouvoir de «révoquer, modifier, changer ou rétablir toute ... liste de marchandises d'importation contrôlée» a trait nécessairement à une liste régulièrement établie en conformité du
2 [1956] R.C.S. 318.
3 [1952] 1 R.C.S. 222.
4 [1973] R.C.S. 131.
paragraphe (1) ou (2) de l'article 5. Le pouvoir conféré par l'article 6 doit être considéré à la lumière des restrictions très spécifiques mention- nées à l'article 5. Même si l'on prétend que l'arti- cle 6 donne au gouverneur en conseil le pouvoir d'«augmenter» la Liste de marchandises (une ques tion à laquelle je n'ai pas à répondre), il reste, en tout état de cause, que cet article ne donne pas le pouvoir d'augmenter la liste établie en vertu de l'article 5(2) sans en même temps préciser les restrictions qui y sont mentionnées, restrictions qui constituent une condition expresse à laquelle tout exercice de ce pouvoir délégué doit se conformer.
Si le gouverneur en conseil avait exercé le pou- voir discrétionnaire que le Parlement lui a conféré en vertu de la Loi, j'estime, à l'instar des intimés, que sa décision n'aurait pu être contestée par les tribunaux sauf possiblement dans un cas très exceptionnel et très précis il est manifeste que l'intention du Parlement a été ignorée ou frustrée. (Voir: Reference Re Regulations (Chemicals) under War Measures Act 5 ; Le procureur général du Canada c. Nolan 6 ; et Regina c. Behm 7 .)
Les intimés ont cité le jugement non publié de mon collègue le juge Marceau dans Chadon Manufacturing Ltd. c. Le receveur des douanes (Montréal) e. Même si cette affaire portait sur la Loi sur les licences d'exportation et d'importation dans la mesure elle s'applique à la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, c. C-40, il appert que les questions de savoir si la Liste d'importation a validement été établie conformément à l'article 5(2) ou s'il y a eu délégation ultra vires de pou- voirs au Ministre n'ont jamais été soulevées. Par conséquent, la Cour peut difficilement s'appuyer sur cette décision pour trancher les questions spéci- fiques soulevées devant elle.
Puisque l'article 47 n'a pas, de fait, été valide- ment inclus dans la Liste de marchandises d'im- portation contrôlée conformément aux prescrip tions de la loi, il s'ensuit qu'aucune licence d'importation n'est requise pour les marchandises en cause et que les intimés ne sont pas tenus, en
5 [1943] R.C.S. 1, à la page 12.
6 [1952] 3 D.L.R. 433.
7 [1970] 5 C.C.C. 177.
8 Motifs rendus le 27 octobre 1976. du greffe: T-4108-76.
vertu de la loi, d'en octroyer. Par conséquent, il convient en l'espèce de délivrer l'injonction visant à interdire aux intimés de faire obstacle à l'importa- tion de ces marchandises. La demande visant l'ob- tention d'un bref de mandamus qui enjoindrait aux intimés d'octroyer de telles licences est irrecevable.
On a amplement démontré la perte irréparable subie par la requérante à la suite des délais provo- qués par les intimés, délais qui ont empêché la requérante de respecter son engagement contrac- tuel de livrer à Simpsons-Sears, immédiatement après leur acquisition, les marchandises en cause, et qui ont abrégé la déjà brève période au cours de laquelle le public achète ce genre de marchandises. Par conséquent, je fais droit à l'injonction. Il est inutile de rechercher en l'espèce un équilibre entre les avantages et les inconvénients puisque les inti- més, dans les circonstances, n'ont aucun droit à faire respecter à titre personnel ou à titre représentatif.
Vu ma décision fondée sur les motifs susmen- tionnés, j'estime inutile d'étudier les multiples autres arguments présentés par les avocats de la requérante relativement à ces deux questions.
Il ne fait pas de doute que l'affaire emporte des conséquences importantes pour les intimés et pour le pays en général: en effet, il est fort probable qu'elle mette en cause la validité de l'inclusion, dans la Liste de marchandises d'importation con- trôlée, de tous les articles qui y figurent en vertu, prétendument, de l'article 5(2), avec les contre- coups sérieux que cela entraîne à l'égard des nom- breux producteurs et fabricants canadiens. Les deux parties ont, de fait, indiqué, au cours de l'audition, qu'elles interjetteraient appel s'il n'était pas fait droit à leur demande. Afin d'empêcher l'annulation de tout appel que pourraient interjeter les intimés, annulation qui découlerait d'une injonction qui prendrait effet sur-le-champ, obli- geant ainsi les intimés à donner sans délai mainle- vée des articles, et vu le congé de Pâques dans quelques jours, il sera formellement ordonné que l'injonction ne prenne effet qu'à compter de midi, le mardi 17 avril 1979 et ce, afin de donner aux intimés un délai suffisant pour présenter à la Cour toute demande qu'ils jugeront appropriée pour l'obtention d'une ordonnance aux fins de surseoir à l'injonction ou autrement.
Les frais suivront l'issue de la cause.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.