A-642-79
La Reine (Requérante)
c.
L'Institut professionnel de la Fonction publique du
Canada (Intimé)
Cour d'appel, les juges Heald et Urie, le juge
suppléant Kerr—Ottawa, 9 et 13 juin 1980.
Examen judiciaire — Fonction publique — Exclusion de
gestionnaires — Il échet d'examiner si la Commission des
relations de travail dans la Fonction publique est habilitée à
désigner des fonctionnaires exclus visés à l'alinéa a) de la
définition — Il échet d'examiner si les fonctionnaires exclus le
sont par l'effet de la Loi — Compétence de la Commission
pour nommer un enquêteur chargé de vérifier le statut de
fonctionnaires visés à l'alinéa a) de la définition — Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c.
P-35, art. 2, 18 — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e
Supp.), c. 10, art. 28.
Demande fondée sur l'article 28 et tendant à l'examen et à
l'annulation d'une décision de la Commission des relations de
travail dans la Fonction publique qui a nommé, en application
de l'article 18 de la Loi sur les relations de travail dans la
Fonction publique, un enquêteur pour vérifier les fonctions et
responsabilités d'un employé qui, selon la requérante, occupe
un poste de confiance auprès de l'agent administratif en chef
d'un élément de la Fonction publique et qui, de ce fait, tombe
dans le champ d'application de l'alinéa a) de la définition de
«personne préposée à la gestion ou à des fonctions confidentiel-
les» figurant à l'article 2 de cette Loi. La requérante s'oppose à
la nomination de l'enquêteur en faisant valoir que les personnes
visées par l'alinéa a) ne sont pas exclues par l'effet d'une
décision mais par l'effet de la Loi et, ni l'employeur ni la
Commission n'ayant le pouvoir d'exclusion, il n'y a pas de droit
d'opposition correspondant. La requérante convient qu'en vertu
des alinéas c) à g), la Commission est expressément habilitée à
déterminer le statut des préposés à la gestion ou à des fonctions
confidentielles lors d'une demande d'accréditation d'un agent
négociateur, et conformément à ses règlements en cas d'opposi-
tion formulée par l'agent négociateur. Dans les cas où l'agent
négociateur ne formule pas d'objections, l'employeur peut pro-
céder à la désignation. Cependant, la requérante soutient qu'il y
a une différence entre les alinéas a) et b) d'une part, et les
alinéas c) et g) d'autre part. Il faudrait en déduire que les
personnes tombant dans le champ d'application des alinéas a)
et b) doivent être reconnues telles, qu'il y ait ou non opposition
de l'agent négociateur, et que la Commission n'a pas compé-
tence pour enquêter sur l'exclusion des personnes visées par les
alinéas a) et b). La requérante soutient également que la
décision attaquée est purement déclaratoire et, de ce fait,
échappe à la compétence de la Commission, telle qu'elle est
prévue par l'article 18 de la Loi.
Arrêt: la demande fondée sur l'article 28 est rejetée. Le fait
que les alinéas c) à g) accordent des pouvoirs spécifiques et
qu'ils édictent des procédures aussi spécifiques n'a pas pour
conséquence de supprimer le pouvoir de se prononcer au besoin
quant aux alinéas a) et b). Il y a nécessité pratique pour la
bonne administration de la Loi que la Commission ait la
compétence de se prononcer en vertu des alinéas a) et b).
Adopter la solution contraire aurait pour effet de reconnaître
que l'employeur a le droit de trancher la question de façon
unilatérale par la seule affirmation de sa part qu'un employé
donné tombe dans le champ d'application de l'alinéa a) ou de
l'alinéa b). Il n'est pas possible que le législateur donne à la
Commission les pouvoirs étendus de l'article 18 tout en la
restreignant dans ses opérations au point d'en venir à un
résultat aussi absurde. La décision attaquée n'était pas une
décision purement déclaratoire. Elle portait sur la question de
compétence et constituait un préalable à l'instruction de la
question dont la Commission était saisie.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
W. L. Nisbet, c.r. pour la requérante.
M. Wexler pour l'intimé.
J. E. McCormick pour la Commission des
relations de travail dans la Fonction publique.
L. M. Joyal, c.r. pour l'Alliance de la Fonc-
tion publique du Canada.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
requérante.
L'Institut professionnel de la Fonction publi-
que du Canada, Ottawa, pour son propre
compte.
La Commission des relations de travail dans
la Fonction publique, Ottawa, pour son
propre compte.
Honeywell, Wotherspoon, Ottawa, pour l'Al-
liance de la Fonction publique du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Il s'agit ici d'une demande
fondée sur l'article 28 tendant à l'examen et à
l'annulation d'une décision rendue par la Commis
sion des relations de travail dans la Fonction pu-
blique (ci-après appelée «la Commission») le 5
novembre 1979. Les faits sont les suivants. La
requérante à l'instance soutient qu'un certain M.
G. Clennett, Directeur (étranger) au Bureau de
l'inspecteur général des banques, au ministère des
Finances du gouvernement du Canada, occupe un
poste de confiance auprès de l'inspecteur général
des banques, lequel est le fonctionnaire adminis-
tratif en chef de cet élément de la Fonction pu-
blique connu sous le nom de Bureau de l'inspecteur
général des banques, ministère des Finances, et
que, par conséquent, il tombe sous le coup de
l'alinéa a) de la définition que donne de l'expres-
sion «personne préposée à la gestion ou à des
fonctions confidentielles» l'article 2 de la Loi sur
les relations de travail dans la Fonction publique,
S.R.C. 1970, c. P-35'. L'intimé à l'instance a avisé
la Commission qu'il n'était pas convaincu que M.
Clennett était ainsi préposé et a demandé à la
Commission la nomination d'un enquêteur qui
vérifierait les fonctions et responsabilités de M.
Clennett. La requérante a refusé de donner suite à
cette demande. Elle soutient en effet que les per-
sonnes visées au susmentionné alinéa a) de l'article
2 ne sont pas exclues par l'effet d'une décision
mais par l'opération de la Loi et que, puisque ni
' Cette définition est ainsi conçue:
2. Dans la présente loi
«personne préposée à la gestion ou à des fonctions confiden-
tielles» désigne toute personne qui
a) occupe un poste de confiance auprès du gouverneur
général, un ministre de la Couronne, un juge de la Cour
suprême ou de la Cour fédérale du Canada, le sous-chef
d'un ministère ou d'un département ou le fonctionnaire
administratif en chef de tout autre élément de la Fonction
publique; ou
b) est employée en qualité de conseiller juridique au
ministère de la Justice,
et comprend toute autre personne employée dans la Fonc-
tion publique qui, relativement à une demande d'accrédita-
tion d'un agent négociateur d'une unité de négociation, est
désignée par la Commission, ou qui, chaque fois qu'un
agent négociateur d'une unité de négociation a été accré-
dité par la Commission, est désignée de la manière pres-
crite par l'employeur, ou par la Commission lorsque
l'agent négociateur s'y oppose, pour être une personne
c) qui a des fonctions et des responsabilités de direction en
ce qui a trait à l'établissement et à l'application des
programmes du gouvernement,
d) dont les fonctions comprennent celles d'un administra-
teur du personnel ou qui, par ses fonctions, est directement
impliquée dans le mécanisme de la négociation collective
pour le compte de l'employeur,
e) qui est tenue, en raison de ses fonctions et de ses
responsabilités, de s'occuper officiellement, pour le compte
de l'employeur, d'un grief présenté selon la procédure
applicable aux griefs, établie en vertu de la présente loi,
j) qui occupe un poste de confiance auprès de l'une des
personnes décrites aux alinéas b),c),d) ou e), ou
g) qui n'est pas autrement décrite aux alinéas c),d),e) ou j)
mais qui, de l'avis de la Commission, ne devrait pas faire
partie d'une unité de négociation en raison de ses fonctions
et de ses responsabilités envers l'employeur;
l'employeur ni la Commission n'ont de pouvoir
d'exclusion, il n'y a pas de droit d'opposition. La
Commission a cependant jugé que l'article 18 de la
Loi sur les relations de travail dans la Fonction
publique 2 l'autorisait à nommer un enquêteur et
elle a donc chargé un agent de la Commission de
[TRADUCTION] « ... vérifier les fonctions et res-
ponsabilités de M. Clennett et faire rapport à la
Commission.» En vertu de l'article 25 de cette
même Loi, la requérante a demandé à la Commis
sion d'examiner de nouveau cette décision. La
Commission a examiné de nouveau sa décision,
mais a refusé de l'annuler ou de la modifier de
quelque façon que ce soit. Plus tard, l'enquêteur
ainsi nommé a accompli sa mission et a soumis un
rapport à la Commission, rapport dont copie a été
transmise aux deux parties à la présente affaire.
Ni l'une ni l'autre n'a mis en doute l'exactitude du
rapport et il s'ensuit que les deux parties accep-
tent, comme fait prouvé, la conclusion de l'exa-
minateur que M. Clennett occupe le poste de
Directeur (étranger) au Bureau de l'inspecteur
général des banques au ministère des Finances. La
requérante à l'instance a cependant contesté à
nouveau la compétence de la Commission, aux
termes de l'article 18 susmentionné, à juger si M.
Clennett appartient à la catégorie de personnes
définies à l'alinéa a) précité. La Commission a
tenu une audience le 19 juin 1979 et, le 25 octobre
1979, a rendu la décision attaquée, décision où elle
déclare avoir compétence pour se prononcer sur la
situation de M. Clennett à l'égard de l'alinéa a).
Elle a de plus donné instruction à son secrétaire-
greffier de communiquer avec les parties afin de
fixer une audience où elle pourrait entendre toute
la preuve pertinente au litige. Cette audience n'eut
pas lieu vu la présente demande en vertu de l'arti-
cle 28 contestant à la Commission la compétence
de tenir l'audience.
L'avocat de la requérante invoque la distinction
dans l'article des définitions de la Loi sur les
2 L'article 18 susmentionné est ainsi formulé:
18. La Commission applique la présente loi et exerce les
pouvoirs et fonctions que celle-ci confère ou impose ou qui
sont accessoires à la réalisation des objets de la présente loi, y
compris, sans restreindre la généralité de ce qui précède,
l'établissement d'ordonnances exigeant l'observation des dis
positions de la présente loi, de tout règlement édicté en vertu
de la présente loi ou de toute décision rendue à l'égard d'une
question soumise à la Commission.
relations de travail dans la Fonction publique
entre les personnes visées aux alinéas a) et b)
d'une part, et celles visées aux alinéas c) à g)
d'autre part. Il souligne qu'en vertu des alinéas c)
à g) la Commission est expressément habilitée à
décider de la situation à l'égard des fonctions de
gestion ou des fonctions confidentielles lors d'une
demande d'accréditation d'un agent négociateur,
et conformément à ses règlements en cas d'opposi-
tion de l'agent négociateur. Dans les cas où l'agent
négociateur ne formule pas d'opposition, l'em-
ployeur peut procéder à la désignation. Donc selon
cette thèse, puisque ces pouvoirs sont expressément
limités aux alinéas c) à g), il faut en déduire que
les personnes assujetties aux alinéas a) et b) doi-
vent être reconnues comme telles qu'il y ait ou non
opposition de l'agent négociateur. Il faut aussi en
déduire que la Commission n'a pas compétence
pour examiner la désignation des personnes visées
aux alinéas a) et b).
Je ne souscris pas à cette thèse. Pour résoudre la
question en litige, il est utile à mon avis, de
s'arrêter à l'économie et aux objectifs de la Loi sur
les relations de travail dans la Fonction publique.
Le titre complet de ce texte est «Loi concernant les
relations entre employeur et employés dans la
Fonction publique du Canada». L'article 3 rend la
Loi applicable à tous les éléments de la Fonction
publique. L'article 6 accorde à tout employé le
droit d'être membre d'une association d'employés
et celui de participer aux activités légitimes de
l'association d'employés dont il est membre.
«Employé» désigne dans cette Loi la personne
employée dans la Fonction publique, à l'exception
de celle appartenant à l'une des classes précisées.
L'une de ces classes est celle objet du présent
litige, soit celle des personnes préposées à la ges-
tion ou à des fonctions confidentielles.
Les pouvoirs et fonctions de la Commission sont
définis aux articles 18 25 de la Loi. L'avocat de
l'intimé, celui de l'intervenante et celui de la Com
mission ont tous soutenus que l'article 18 de la Loi
confère à la Commission les pouvoirs nécessaires
de juger de l'observance de la Loi, ceux d'appli-
quer la Loi et ceux de surveiller son application
par les parties. Je suis de cet avis. La question en
litige ici est de déterminer si M. Clennett répond à
la définition de l'alinéa a) cité plus haut. L'em-
ployeur soutient que oui, le syndicat soutient que
ce n'est pas certain. La réponse dépend des faits
entourant l'emploi de M. Clennett en regard de la
définition portée à la Loi. L'article 18 fait obliga
tion à la Commission d'appliquer la Loi et, pour
permettre la réalisation des objets de la Loi,
accorde à la Commission des pouvoirs accessoires
nécessaires à cette fin. Le fait que les alinéas c) à
g) accordent des pouvoirs spécifiques et qu'ils édic-
tent des procédures aussi spécifiques n'a pas à mon
avis pour conséquence de supprimer le pouvoir de
se prononcer au besoin quant aux alinéas a) et b).
Selon moi, la situation est ici semblable à celle
qu'a étudiée le juge Le Dain dans l'affaire Inter-
provincial Pipe Line Limited c. L'Office national
de l'énergie 3 . Comme dans cette affaire, il y a ici
aussi, je crois, nécessité pratique pour la bonne
administration de la Loi que la Commission ait la
compétence de se prononcer en vertu des alinéas a)
et b). Adopter la solution contraire aurait pour
effet de reconnaître que l'employeur, dans des
situations de ce genre, a le droit de trancher la
question de façon unilatérale par la seule affirma
tion de sa part qu'un employé donné tombe sous le
coup de l'alinéa a) ou de l'alinéa b). Il n'est pas
possible que le législateur donne à la Commission
les pouvoirs étendus de l'article 18 tout en restrei-
gnant celle-ci dans ses opérations au point d'en
venir à un résultat aussi absurde. Je suivrai le
passage tiré de 36 Halsbury, 3 e édition, vol. 36,
page 436, paragraphe 657, que le juge Le Dain a
lui-même suivi dans l'affaire Interprovincial déjà
mentionnée, et dont voici le texte [à la page 608]:
[TRADUCTION] Les pouvoirs accordés par une loi habilitante ne
comprennent pas seulement les pouvoirs accordés expressément,
mais également par implication tous les pouvoirs raisonnable-
ment nécessaires pour atteindre l'objectif visé.
A mon avis, il est «raisonnablement nécessaire» que
la Commission soit investie du pouvoir de détermi-
ner qui est et qui n'est pas visé par les exclusions
de la définition du mot «employé» énoncées aux
alinéas a) et b) précités.
La requérante a aussi soutenu que la décision
attaquée était purement déclaratoire et que la
Commission n'avait pas la compétence de la pren-
dre en vertu de l'article 18 de la Loi déjà cité. Je
ne suis pas d'avis que la décision visée aux présen-
tes a été une décision purement déclaratoire. Cette
décision en était une de compétence et constituait
3 [1978] 1 C.F. 601, aux pp. 606 et 607.
un préalable à la détermination de la question
soumise. Si la Commission avait jugé qu'elle était
incompétente, la conséquence pratique aurait été
de laisser M. Clennett exclu de l'état d'employé au
sens de la Loi. Il ne bénéficierait pas des droits que
l'article 6 donne à un employé. Au contraire, les
interdictions faites aux personnes préposées à la
gestion ou à des fonctions confidentielles par les
articles 8 et 9 de la Loi lui seraient applicables. La
décision de compétence n'est donc ni purement
déclaratoire ni gratuite. Elle était nécessaire à
l'exercice par la Commission de ses devoirs et elle
comporte des conséquences très nettes pour la
personne concernée. La requérante a invoqué la
décision de cette Cour dans l'affaire L'Alliance de
la Fonction publique du Canada c. La Commis
sion des relations de travail dans la Fonction
publique 4 . A mon avis, les faits de cette affaire
diffèrent sensiblement de ceux de l'affaire qui nous
occupe; le syndicat y demandait en effet une décla-
ration en vertu de l'article 18 de la Loi. La Cour a
alors statué que «Il ne faut pas déduire le pouvoir
de rendre une décision purement déclaratoire
d'une disposition juridique imposant à un orga-
nisme l'obligation d'appliquer une loi, ou d'une
disposition le requérant d'exercer tout pouvoir
nécessaire à la réalisation de ses objectifs; ... ».
Pour les motifs déjà donnés, j'en suis venu à la
conclusion que la décision attaquée n'était pas
«purement déclaratoire». En conséquence, l'arrêt
de la Cour dans l'affaire L'Alliance de la Fonction
publique du Canada déjà mentionnée, savoir que
la Commission n'a pas compétence pour rendre
une décision purement déclaratoire en vertu de
l'article 18, ne s'applique pas dans l'affaire devant
nous, où la décision de la Commission a des consé-
quences immédiates et sérieuses.
Par ces motifs, je rejetterai cette demande
fondée sur l'article 28.
* * *
LE JUGE URIE: Je souscris.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT KERR: Je souscris.
4 [1979] 2 C.F. 599, la p. 619.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.