T-250-77
La Reine (Demanderesse)
c.
Georges E. Lemay (Défendeur)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, 3 mars; Ottawa, 6 mars 1980.
Pratique — Dépens — Appels en matière d'impôt sur le
revenu — Sens de l'expression .tous les frais raisonnables et
justifiés», dans l'art. 178(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu
— Intention du législateur lors de l'adoption de l'art. 178(2)
— Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, art.
178(2) — Règles de la Cour fédérale, Tarifs A et B.
Distinction faite avec les arrêts: R. c. Creamer [ 1977] 2
C.F. 195; R. c. Lavigueur 73 DTC 5538.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
G. Du Pont pour la demanderesse.
J. Delage pour le défendeur.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
demanderesse.
Monet, Hart, Saint-Pierre & Des Marais,
Montréal, pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: La demanderesse forme appel
de la taxation des dépens, estimés, le 13 février
1980, $2,727.17. Un appel semblable a été formé
à l'égard de la taxation des dépens, pour une même
somme, dans l'affaire La Reine c. Docteur Claude
Leclerc, n° du greffe: T-249-77. En réalité les
dépens avaient été taxés pour le double de cette
somme puis partagés également au profit de
chacun des deux défendeurs, la défense ayant été
la même dans chaque espèce. Quoique jugement
ait été rendu en faveur de la demanderesse,
accueillant les appels dans chaque espèce, celle-ci
doit payer aux défendeurs leurs «frais raisonnables
et justifiés» conformément à l'article 178(2)a) de
la Loi de l'impôt sur le revenu que voici:
178....
(2) Lorsque, sur un appel interjeté par le Ministre, autre-
ment que par voie de contre-appel, d'une décision de la Com
mission de révision de l'impôt, le montant
a) du remboursement d'impôt ou du montant payable en
vertu du paragraphe 196(2) (dans le cas d'une cotisation ou
d'une détermination, selon le cas) qui fait l'objet du litige ne
dépasse pas $2,500, ou
la Cour fédérale, en statuant sur l'appel, doit ordonner que le
Ministre paie tous les frais raisonnables et justifiés du contri-
buable afférents à l'appel.
Le montant d'impôt litigieux dans l'espèce Lemay
était de $1,325 et dans l'espèce Leclerc de
$1,324.94.
L'intéressante question que pose ces appels est
de savoir qu'est-ce qui constitue des «frais raison-
nables et justifiés» dans les cas de ce genre. Il est
clair que l'article ne se borne pas à accorder la
taxation que prévoit le tarif, ni n'exige-t-il une
taxation sur la base procureur-client quoiqu'une
allocation des frais raisonnables et justifiés se rap-
proche probablement de cette dernière vu que dans
un appel impliquant moins de $2,500 d'impôt, il
soit improbable que les sommes qu'accorde le tarif
indemnisent adéquatement l'intimé des véritables
frais de justice qu'il aura eu à engager pour s'op-
poser à l'appel du Ministre. Une telle disposition
est exceptionnelle; manifestement on a cherché à
protéger le contribuable qui doit engager des frais
considérables pour contester l'appel que forme le
Ministre contre une décision lui étant favorable de
la Commission de révision de l'impôt, que cet
appel du Ministre soit couronné de succès, comme
en ces espèces, ou non.
En ces espèces la Couronne en en appelant de la
taxation ne met pas en cause le temps passé par
l'avocat des intimés à préparer et à plaider les
appels, dont l'audition a pris deux jours, ni le taux
facturé pour ce temps; elle fait valoir qu'il n'est
pas raisonnable ni justifié que le temps alloué à
une affaire puisse en droit dépasser en valeur les
sommes en litige à moins bien entendu que ne soit
en jeu un principe important susceptible d'influer
sur des affaires ultérieures, ce qui n'était pas le cas
en ces espèces, le seul objet de litige ayant été la
valeur à attribuer à la portion amortissable du bien
que les intimés avaient acheté. La Couronne, qui
prévoyait se' voir réclamer le paiement des frais
raisonnables des intimés avait appelé l'attention de
leur avocat sur ce fait, avant même que ne soit
fixée la date de l'audience, par lettre du procureur
du ministère de la Justice, datée du 19 juin 1979,
où le fait était mentionné ainsi qu'une référence à
l'affaire La Reine c. Creamer [1977] 2 C.F. 195.
Dans cette affaire Creamer le montant total d'im-
pôt en litige, fédéral et provincial, n'était que de
$160 environ mais le compte d'honoraires fondé
sur le temps consacré à l'affaire, que le juge
Mahoney, dans son jugement, considéra équitable,
s'élevait à $3,921.35. Contrairement à l'instance
présente la décision devait avoir un effet sur ce que
l'éminent juge appela les dizaines de milliers d'in-
dividus peut-être, similairement employés à livrer
les marchandises de leurs employeurs, de sorte que
le principe en jeu importait à la Couronne en
formant l'appel et si le défendeur ne l'avait pas
contesté, la décision de la Commission de révision
de l'impôt aurait constitué un précédent que tous
auraient invoqué dans leurs déclarations d'impôt
futures. A la page 206 de son jugement, le juge
Mahoney dit:
Mais si, pour des raisons financières, on ne doit pas empêcher
un contribuable de présenter une défense, ou ne lui donne pas
par ailleurs, pas plus qu'à ses conseillers juridiques, carte
blanche pour piller les fonds publics. L'avocat qui requiert de
son client des honoraires raisonnables compte tenu du temps
passé sur l'affaire peut s'attendre à ce que des fonds soient
fournis à son client pour le payer ou à ce que ce dernier, les
ayant acquittés, puisse se faire rembourser. Si les honoraires
sont exorbitants, ils peuvent tous deux se trouver dans une
situation délicate compte tenu des accords qu'ils ont conclus et
de la capacité de payer du client.
En rendant jugement le juge Mahoney cita celui
que j'avais eu à rendre dans l'affaire La Reine c.
Lavigueur', où le montant d'impôt en litige n'était
que de $222.19 mais où les implications fiscales
pour les années ultérieures étaient elles substan-
tielles. Dans cette espèce je jugeai que l'expression
«frais raisonnables et justifiés» s'appliquait aux
honoraires facturés par l'avocat à son client en sus
des frais judiciaires taxables. Rendant jugement, je
dis:
J'estime que, dans l'affaire présente, si l'on applique l'article
178(2), on doit limiter les frais raisonnables et justifiés du
contribuable à ceux qui seraient raisonnables dans une affaire
où l'impôt en jeu est inférieur à $2,500. Toutefois, compte tenu
de la difficulté de la question, ces frais raisonnables et justifiés
seront supérieurs aux simples frais taxables accordés pour les
actions de classe I dont cette action relève; ils doivent néan-
moins rester dans des limites raisonnables et ne pas dépasser les
frais justifiés entre procureur et client que le défendeur pourrait
raisonnablement s'attendre à payer lui-même, si ce n'était de
l'application de l'article 178(2), dans une action où le montant
en cause ne dépasse pas $2,500.
' 73 DTC 5538.
Pour résumer brièvement les faits en cause,
MM. Lemay et Leclerc avaient acheté quelque
bien de quatre vendeurs pour un prix de $650,000
dont $350,000 étaient imputés par la convention à
l'élément amortissable que bien évidemment les
vendeurs avaient avantage à voir fixé aussi bas, que
possible de façon à réduire au minimum la déduc-
tion pour amortissement récupérable et qu'inverse-
ment les acheteurs, les intimés en cause, avaient
tout intérêt à voir fixé aussi haut que possible afin
d'en réclamer déduction pour amortissement par le
fait de l'achat. Le Ministre, imposant toutes les
parties, fixa cette valeur à $429,000, les vendeurs
ayant utilisé le $350,000 stipulé au contrat et les
acheteurs, les intimés, employés le chiffre de
$450,000 dans leurs déclarations d'impôt. La
Commission de révision de l'impôt accueillit l'ap-
pel des acheteurs, le docteur Leclerc et M. Lemay,
et renvoya les cotisations au Ministre pour qu'il en
établisse de nouvelles en prenant $450,000 comme
valeur de l'élément amortissable. Après avoir ins-
truit l'affaire, je déboutai les vendeurs de leurs
appels, le chiffre dont se servit le Ministre, $429,-
000, étant accepté. En conséquence les appels du
Ministre formés contre l'évaluation des acheteurs,
soit $450,000, furent accueillis. Comme il est dit
dans les motifs du jugement, la différence entre le
chiffre que la Couronne avança, $429,000, et celui
des acheteurs, $450,000, n'est pas très grande si
l'on prend en compte que ces évaluations ne sont
jamais tout à fait exactes. Il n'était d'ailleurs jugé
au détriment des acheteurs que parce qu'ils
n'avaient pu établir, la preuve étant à leur charge,
que l'évaluation de la Couronne, de $429,000,
n'était pas raisonnable.
Contrairement aux espèces Creamer et Lavi-
gueur donc, aucun droit futur des contribuables en
cause, ni de d'autres contribuables, n'était en jeu.
On aurait pu d'ailleurs penser que si les vendeurs
n'en avaient pas appelé de la décision de la Com
mission de révision de l'impôt, qui avait fixé cette
valeur à $450,000, afin de la faire réduire
à $350,000, forçant par là la Couronne à s'oppo-
ser, celle-ci pourrait fort bien ne pas avoir interjeté
appel de la décision de la Commission, décision
favorable aux intimés en cause présentement, M.
Lemay et le docteur Leclerc, vu le montant relati-
vement minime de l'impôt en cause et le fait
qu'aucun principe n'ait été en jeu.
Dans ces circonstances et bien que le temps
dévolu par l'avocat desdits intimés à cette affaire
ne puisse prêter le flanc à la critique, ni ses
honoraires, on ne peut les considérer justifiés lors-
que est pris en compte le montant de l'impôt en
litige, et il s'ensuit que le compte ne peut être jugé
raisonnable et justifié au sens de l'article 178(2)a)
de la Loi. Comme l'impôt en litige n'est approxi-
mativement que de $1,325 dans chaque espèce, je
statue qu'au maximum la taxation ne devrait
accorder que $1,250, plus les déboursés dans
chaque espèce, et en conséquence j'accueille l'ap-
pel formé contre les taxations. Ce jugement
importe aux appelants qui l'invoqueront lors de
taxations futures en vertu dudit article de la Loi.
Les dépens des appels actuels seront donc à leur
charge aucun n'étant mis à celle des intimés.
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