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A-52-79
La Reine du chef du Canada (Requérante)
c.
M. Lefebvre et autres (Intimés)
et
L'Institut professionnel de la Fonction publique du Canada et la Commission des relations de travail dans la Fonction publique (Mis-en-cause)
Cour d'appel, les juges Pratte, Ryan et Le Dain— Ottawa, 6 décembre 1979 et 1" février 1980.
Examen judiciaire Fonction publique Cotisations professionnelles Le travail effectué par les intimés comme employés du gouvernement fédéral était réservé par la loi provinciale aux membres de la corporation professionnelle La convention collective prévoit le remboursement des cotisa- tions versées à une association professionnelle lorsque leur versement est indispensable à l'exercice continu des fonctions de l'emploi L'employeur a rejeté la demande de rembourse- ment au motif que l'appartenance à l'association profession- nelle n'était pas indispensable à l'exercice des fonctions des intimés Demande d'examen et d'annulation de la décision de l'arbitre qui a accueilli la demande de remboursement Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10, art. 28 Code des professions, L.Q. 1973, c. 43 Loi des chimistes professionnels, L.R.Q. 1964, c. 265.
Demande faite en vertu de l'article 28 et dirigée contre la décision d'un arbitre agissant en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique. En 1978, les intimés, qui étaient employés comme chimistes par le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, exerçaient leurs fonctions au Québec et ils avaient payé la cotisation que leur avait réclamée leur corporation professionnelle, l'Ordre des Chimistes du Québec. Selon les lois québécoises, le travail effectué par les intimés comme préposés de la Couronne fédé- rale était réservé aux membres de l'Ordre des Chimistes du Québec, lequel prétend que les intimés étaient tenus d'être membres de l'Ordre, malgré le fait qu'ils étaient préposés de la Couronne fédérale. Les intimés fondaient leur demande de remboursement de ces cotisations sur un article de la conven tion collective qui régissait leurs conditions de travail, lequel article prévoit le remboursement des cotisations payées par un employé à une association ou à un conseil d'administration lorsque leur versement est indispensable à l'exercice continu des fonctions de l'emploi qu'il occupe. La demande a été renvoyée à l'arbitrage après avoir été rejetée par l'employeur au motif que l'appartenance à l'Ordre des Chimistes du Québec n'était pas indispensable à l'exercice des fonctions des intimés. L'arbitre a fait droit au grief et c'est sa décision que la requérante attaque en l'espèce.
Arrêt: la demande est accueillie. Le paiement des cotisations dont les intimés réclament remboursement n'était pas «indis- pensable» à l'exercice de leurs fonctions. Le fait que l'on ait pu croire, au moment l'on a convenu de l'article 32.01, que le paiement de certaines cotisations était indispensable n'a pas eu
pour effet de rendre ce paiement indispensable si, en réalité, il ne l'est pas. Les parties se sont peut-être trompées sur l'utilité de la clause qu'elles inséraient dans la convention collective, mais cela n'a pas pour effet d'en modifier le sens. Le pouvoir de réglementer l'engagement de ses fonctionnaires, comme celui de réglementer leurs conditions de travail, appartient exclusive- ment au Parlement fédéral. C'est pourquoi des lois comme le Code des professions et la Loi des chimistes professionnels ne peuvent s'appliquer aux préposés de la Couronne fédérale en raison des actes qu'ils accomplissent dans l'exécution de leurs fonctions.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
R. Cousineau pour la requérante.
M. Wexler pour les intimés M. Lefebvre et autres et pour le mis-en-cause Institut profes- sionnel de la Fonction publique du Canada.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la requérante.
L'Institut professionnel de la Fonction pu- blique du Canada, Ottawa, pour les intimés M. Lefebvre et autres et pour son propre compte.
La Commission des relations de travail dans la Fonction publique, Ottawa, pour son propre compte.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE PRATTE: Cette demande faite en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, est dirigée contre la décision d'un arbitre agissant en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction pu- blique, S.R.C. 1970, c. P-35.
En 1978, les intimés étaient employés comme chimistes par le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social. Ils exerçaient leurs fonctions dans la province de Québec et ils avaient payé la cotisation que leur avait réclamée leur corporation professionnelle, l'Ordre des Chimistes du Québec. Ils ont réclamé à leur employeur le remboursement de cette cotisation. Leur demande était fondée sur l'article 32.01 de la convention collective qui régis- sait leurs conditions de travail. Le texte de cet article était le suivant:
32.01 L'employeur rembourse les cotisations de membre et les droits d'inscription payés par l'employé à une association
ou à un conseil d'administration lorsque leur versement est indispensable à l'exercice continu des fonctions de l'emploi qu'il occupe.
Le grief des intimés fut renvoyé à l'arbitrage après avoir été rejeté par l'employeur au motif que l'appartenance à l'Ordre des Chimistes du Québec n'était pas indispensable à l'exercice des fonctions des intimés. L'arbitre, lui, a fait droit au grief et c'est sa décision que la requérante attaque aujourd'hui.
Les parties sont d'accord sur les faits suivants:
1. Le travail que les intimés effectuaient dans la province de Québec comme préposés de la Cou- ronne fédérale en était un qui, suivant le Code des professions' et la Loi des chimistes profes- sionnels 2 de cette province, était réservé aux membres de l'Ordre des Chimistes du Québec;
2. l'Ordre des Chimistes du Québec prétend que les intimés, vu la nature de leurs fonctions, étaient tenus d'être membres de l'Ordre et, cela, malgré le fait qu'ils étaient préposés de la Cou- ronne fédérale;
3. les sommes dont les intimés réclament le remboursement représentent les «cotisations» qu'ils ont payer à l'Ordre des Chimistes du Québec afin d'être membres de cette corpora tion professionnelle.
A l'appui de son pourvoi, la requérante ne fait valoir qu'un moyen: le paiement des cotisations dont les intimés réclament le remboursement n'était pas indispensable à l'exécution de leurs fonctions parce que, malgré les dispositions du Code des professions et de la Loi des chimistes professionnels du Québec, ils avaient le droit de faire leur travail comme préposés de la Couronne fédérale même s'ils n'étaient pas membres de l'Or- dre des Chimistes du Québec. La requérante pré- tend, en effet, que les législatures provinciales sont impuissantes à apporter un frein à l'exercice des pouvoirs de la Couronne fédérale et qu'il s'ensuit que les dispositions du Code des professions et de la Loi des chimistes professionnels interdisant de faire le travail d'un chimiste sans être membre de l'Ordre ne peuvent s'appliquer au travail qu'ac- complissent les préposés de la Couronne fédérale dans l'exécution de leurs fonctions.
' L.Q. 1973, c. 43.
2 L.R.Q. 1964, c. 265, modifié par L.Q. 1970, c. 57 et L.Q.
1973, c. 63.
Les intimés prétendent, eux, qu'il n'est pas nécessaire pour les fins de ce litige de résoudre la question que soulève la requérante. Suivant les intimés, l'article 32.01 de la convention collective, si on l'interprète correctement, impose à l'em- ployeur l'obligation de rembourser les sommes que réclament les intimés même si ceux-ci, en vertu des principes de droit constitutionnel qu'invoque la requérante, auraient pu légalement exécuter leurs fonctions sans être membres de l'Ordre des Chi- mistes du Québec.
Il convient de s'arrêter d'abord à cet argument des intimés qui, si je l'ai bien compris, peut être exposé de la façon suivante: si on interprète l'arti- cle 32.01 la lumière de la «Directive du Conseil du trésor sur le paiement des cotisations» en date du Zef juillet 1977 on voit que l'article 32.01 a été inséré dans la convention collective dans le but d'assurer le remboursement des cotisations paya- bles à des corporations professionnelles en vertu de lois provinciales comme le Code des professions et la Loi des chimistes professionnels; il s'ensuit, toujours suivant les intimés, que si l'on veut res- pecter l'intention commune des parties à la con vention collective, il faut dire que l'employeur s'est engagé à rembourser les cotisations payées par ses employés à des corporations professionnelles sans égard au fait que, en vertu du droit constitutionnel, ces employés n'aient peut-être pas été tenus au paiement de ces cotisations.
La directive du Conseil du trésor à laquelle réfèrent les intimés a été publiée le 1er juillet, avant que ne soit conclue la convention collective qui nous intéresse ici. Il n'est pas nécessaire de citer ici ce long document le Conseil du trésor indique les cas le gouvernement acceptera de rembour- ser à ses employés les cotisations qu'ils auront payées à des corporations professionnelles. Il suffit de dire que, si on interprète cette directive comme le veulent les intimés, elle exprime l'opinion que des cotisations professionnelles payées par des employés de la Couronne fédérale en vertu des lois provinciales, comme la Loi des chimistes profes- sionnels, sont des cotisations que l'employeur doit rembourser à ses employés parce qu'elles sont indispensables à l'exécution de leurs fonctions. Supposant que ce soit bien ce que signifie cette directive, la seule conclusion que j'en puisse tirer, c'est que les parties à la convention collective
régissant les conditions de travail des intimés, lors- qu'elles ont convenu du texte de l'article 32.01, partageaient probablement l'opinion de l'auteur de la directive et croyaient que le paiement par un employé de la Couronne fédérale de cotisations comme celles qui nous intéressent était indispensa ble à l'exécution de ses fonctions. Je ne vois rien là, cependant, qui puisse aider les intimés et, comme ils le prétendent, modifier le sens très clair de l'article 32.01. Suivant ce texte, l'employeur doit rembourser les cotisations payées par un employé à une corporation professionnelle «lorsque leur verse- ment est indispensable à l'exercice continu des fonctions .. . qu'il occupe.» A mon avis, le fait que l'on ait pu croire, au moment on a convenu de l'article 32.01, que le paiement de certaines cotisa- tions était indispensable n'a pas eu pour effet de rendre ce paiement indispensable si, en réalité, il ne l'est pas. En d'autres mots, les parties se sont peut-être trompées sur l'utilité de la clause qu'elles inséraient dans la convention collective, mais cela n'a pas pour effet d'en modifier le sens.
Je suis donc d'opinion que l'argument des inti- més doit être rejeté; je ne puis donc éviter de me prononcer sur la prétention de la requérante que le paiement des cotisations dont les intimés récla- ment remboursement n'était pas «indispensable» à l'exercice de leurs fonctions.
Les intimés n'ont pas contesté lorsque cet appel a été entendu qu'ils étaient bien des préposés de la Couronne fédérale, nommés à leurs postes en con- formité des lois fédérales pour exécuter des tâches ressortissant de la compétence fédérale. Cela étant, la requérante soutient que les intimés pouvaient exécuter leurs fonctions sans être membres de l'Ordre des Chimistes du Québec parce que les lois adoptées par une législature provinciale ne peuvent limiter le pouvoir qu'a l'autorité fédérale de choisir comme elle l'entend les préposés par qui elle fera exécuter les tâches administratives qui relèvent de sa compétence.
Cette prétention m'apparaît bien fondée. L'exé- cution par la Couronne fédérale des tâches admi- nistratives qui sont les siennes exige qu'il y ait une Fonction publique fédérale. Le pouvoir de régle- menter l'engagement de ses fonctionnaires, comme
celui de réglementer leurs conditions de travail, 3 m'apparaît appartenir exclusivement au Parlement fédéral. C'est pourquoi, à mon avis, des lois comme le Code des professions et la Loi des chimistes professionnels ne peuvent s'appliquer aux préposés de la Couronne en raison des actes qu'ils accom- plissent dans l'exécution de leurs fonctions. S'il en était autrement, cela reviendrait à dire que cha- cune des dix provinces pourrait établir à sa guise les critères de compétence auxquels devrait se soumettre le gouvernement fédéral dans l'engage- ment de son personnel. Je ne peux accepter pareille conclusion.
Pour ces motifs, je ferais droit à la demande, je casserais la décision attaquée et je renverrais l'af- faire à l'arbitre pour qu'il la décide en prenant pour acquis que le paiement des sommes dont les intimés réclament le remboursement n'était pas indispensable à l'exercice de leurs fonctions.
* * *
LE JUGE RYAN: Je suis d'accord.
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LE JUGE LE DAIN: Je suis d'accord.
7 Voir: In the matter of a reference as to the applicability of the Minimum Wage Act of Saskatchewan to an employee of a revenue Post Office [1948] R.C.S. 248.
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