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A-413-74
Lawrence Francis, Benny Roundpoint, John Shar- row, William Francis, Gerald Sharrow, Francis Sam, Angus Mitchell, Mike Adams, James Lazore, Louis Sunday, Jake Adams, tous étant, en août 1972, conseillers de la bande indienne de Saint -Regis, des réserves indiennes de l'île de Cornwall ou de Saint -Regis réservées à l'usage de
ladite bande (Requérants) c.
Le Conseil canadien des relations du travail (Intimé)
et
L'Alliance de la Fonction publique du Canada et le sous-procureur général du Canada (Mis-en-
cause)
Cour d'appel, le juge en chef Thurlow, les juges Heald et Le Dain—Ottawa, 8 et 9 avril et 30 mai
1980.
Examen judiciaire Relations du travail Demande tendant à l'examen et à l'annulation d'une ordonnance du Conseil canadien des relations du travail Les employés de l'unité de négociation en cause étaient membres d'un conseil de bande indienne Il échet de déterminer si le Conseil canadien des relations du travail est incompétent en l'espèce parce qu'il n'aurait pas la compétence pour statuer sur l'emploi d'Indiens dans le cadre de réserves indiennes ou, subsidiairement, parce que l'employeur ne serait pas le conseil de bande, mais la bande, et que le conseil de bande ne pourrait pas être un employeur au sens de l'art. 107 du Code canadien du travail Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, art. 2b),i), 107(1), 108, 118p), 119 Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, c. I-6, art. 2(1), 20, 24, 25, 34, 37, 39, 58, 59, 60, 64, 66, 69, 74, 81 Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.) (S.R.C. 1970, Appendice II, 5j, art. 91(24), 92(10)a) Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. 1-23, art. 14 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10, art. 28.
Demande d'examen et d'annulation d'une ordonnance d'ac- créditation du Conseil canadien des relations du travail accrédi- tant le syndicat à titre d'agent négociateur d'une unité de négociation comprenant tous les employés d'un conseil de bande. La réserve mise de côté à l'usage de la bande se trouve en partie en Ontario et en partie au Québec. Le Conseil a rejeté une demande tendant à la révision et à l'annulation de l'ordon- nance d'accréditation. Il s'agit de déterminer si le Conseil est incompétent en l'espèce parce qu'il n'aurait pas la compétence pour statuer sur l'emploi d'Indiens dans le cadre de réserves indiennes ou, subsidiairement, parce que l'employeur ne serait pas le conseil, mais la bande, et que le conseil ne pourrait pas être un employeur au sens de l'article 107 du Code canadien du travail.
Arrêt: il est fait droit à la demande fondée sur l'article 28 et l'ordonnance d'accréditation est annulée.
Le juge en chef Thurlow: Le conseil de bande n'est pas l'employeur des employés à l'égard desquels a été rendue l'ordonnance d'accréditation. Le conseil de la bande n'est pas une personne au sens de l'article 118p) du Code canadien du travail. Ni le conseil ni la bande n'est une personne morale. Ni l'un ni l'autre n'a la capacité, si ce n'est la capacité de ses membres en tant qu'individus, de devenir ou d'être un employeur. Les pouvoirs et les fonctions que peuvent exercer ces individus en tant que conseil résultent de l'application de la Loi sur les Indiens et se limitent à ceux qui sont conférés au conseil par cette Loi. Les membres du conseil n'ont pas le pouvoir, en tant que conseillers ou en tant qu'individus, pour représenter les membres de la bande et pour agir en leur nom aux fins d'une demande d'accréditation ni aux fins de négocia- tions collectives. Il est nécessaire de trouver et d'identifier l'employeur avant qu'il ne puisse être déterminé si l'activité est de compétence fédérale.
Le juge Heald: Le Conseil n'avait pas compétence pour rendre l'ordonnance d'accréditation qui fait l'objet du présent examen. La «compétence fédérale exclusive» en matière de relations de travail vise principalement les relations de travail relatives aux entreprises, services et affaires qui, compte tenu du critère fonctionnel de la nature de leur exploitation et de leur activité normale, peuvent être qualifiés d'entreprises, de services ou d'affaires de compétence fédérale. Il est donc néces- saire, aux fins de l'application du critère fonctionnel, de déter- miner la nature du travail exécuté. Les fonctions de cette unité se rapportent à l'administration de la bande; elles sont de nature gouvernementale et relèvent de la Loi sur les Indiens. L'administration de la bande se rapporte au statut et aux droits et privilèges des Indiens de la bande. Les relations de travail en l'espèce font «partie intégrante de la compétence fédérale prin- cipale sur les Indiens ou les terres réservées aux Indiens», établissant ainsi la compétence législative fédérale en vertu des dispositions du paragraphe 91(24) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867. La compétence législative fédérale peut également être fondée sur les dispositions de l'article 92(10)a) en ce sens que l'unité d'employés en question travaille à un ouvrage ou à une entreprise reliant une province à une autre, étant donné que certaines parties de la réserve se trou- vent au Québec et d'autres en Ontario. Le Parlement a occupé le champ au moyen des dispositions du Code canadien du travail. L'administration de la bande est un «ouvrage, entre- prise ou affaire» «fédéral» puisque les activités sont exercées en vertu de la Loi sur les Indiens. En outre, l'alinéa b) de la définition de «entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale» à l'article 2 du Code s'applique aux faits de l'espèce puisque cet ouvrage ou entreprise relie l'Ontario au Québec. Enfin, les dispositions de l'alinéa i) de cette définition à l'article 2 du Code s'appliqueraient également à cette activité puis- qu'elle ne ressortit manifestement pas au pouvoir législatif exclusif des législatures provinciales. Le conseil de bande n'étant pas une «personne» au sens du paragraphe 107(1) et n'ayant pas la capacité juridique expresse pour «employer» des employés, il ne peut donc être considéré comme un «employeur» au sens du paragraphe 107(1) du Code. La Loi sur les Indiens ne prévoit aucune définition expresse du mot «personne». Aucune disposition de la Loi n'indique qu'on ait voulu conférer au conseil de bande le statut de personne juridique. En l'ab-
sence d'une extension expresse du sens normal et ordinaire, le terme «personne» employé dans la Loi sur les Indiens désigne une personne physique, c.-à-d., un être humain. La «personne» décrite comme un «employeur» au paragraphe 107(1) du Code canadien du travail doit être une «personne» au sens ce terme est employé dans la Loi sur les Indiens.
Le juge Le Dain dissident en partie: Les activités auxquelles s'adonnent les employés en question sont des activités qui relèvent de la compétence législative du fédéral relativement aux «Indiens et les terres réservées pour les Indiens» aux termes du paragraphe 91(24) de l'Acte de l'Amérique du Nord britan- nique, 1867 et constituent un ouvrage, entreprise ou affaire de compétence fédérale au sens des articles 2 et 108 du Code canadien du travail. Le Conseil n'a pas outrepassé les limites de sa compétence en considérant le conseil de la bande comme l'employeur aux fins de l'accréditation. Il n'est pas clair qui, du strict point de vue des critères juridiques, pourrait être consi- déré comme l'employeur, compte tenu de la question de la personnalité juridique et du pouvoir de conclure des contrats au nom d'une autre personne. Pourtant il existe clairement une situation des personnes ont le statut d'employés. Il devrait être décidé que le Conseil a compétence pour considérer le conseil de la bande comme employeur aux fins du Code.
Arrêt appliqué: Four B Manufacturing Ltd. c. Les Tra- vailleurs unis du vêtement d'Amérique [1980] 1 R.C.S. 1031. Arrêt suivi: Le Conseil canadien des relations du travail c. La ville de Yellowknife [1977] 2 R.C.S. 729. Arrêt mentionné: The Pharmaceutical Society c. The London and Provincial Supply Association, Ltd. (1879-80) 5 App. Cas. 857.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
James O'Reilly et William Grodinsky pour
les requérants.
Y. A. George Hynna pour l'intimé.
L. M. Joyal, c.r. et G. H. Robichon pour les
mis-en-cause.
PROCUREURS:
O'Reilly & Grodinsky, Montréal, pour les
requérants.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour l'intimé.
Honeywell, Wotherspoon, Ottawa, pour les mis-en-cause.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: J'ai lu et étudié les motifs de M. le juge Heald. Je suis d'accord avec sa conclusion voulant que le conseil de la bande indienne de Saint -Regis n'est pas l'em- ployeur des employés à l'égard desquels a été
rendue l'ordonnance d'accréditation attaquée en l'espèce et que, pour ce motif, l'ordonnance devrait être annulée.
A mon avis, le Conseil canadien des relations du travail ne pouvait conclure, d'après les faits, que le conseil de la bande indienne de Saint -Regis était l'employeur de ces employés.
Le Conseil a compétence en vertu de l'article 118p) du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, modifiée par S.C. 1972, c. 18, art. 1, pour trancher toute question quant à savoir si une per- sonne est un employeur. Mais il n'a pas le pouvoir de reconnaître le statut de personne à un orga- nisme qui ne l'a pas. A mon avis, le conseil de la bande indienne de Saint -Regis n'est pas une per- sonne au sens de l'article 118p). Ni le conseil ni la bande n'est une personne morale. Ni l'un ni l'autre n'a la capacité, si ce n'est la capacité de ses membres en tant qu'individus, de devenir ou d'être un employeur.
Je suis d'avis que le conseil de la bande indienne de Saint -Regis est un groupement de membres de la bande indienne de Saint -Regis qui, en vertu de leur élection au conseil, sont habilités par la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, c. I-6, à exercer certains pouvoirs et certaines fonctions. A certains égards ils semblent ressembler aux dirigeants d'as- sociations sans personnalité morale. Mais cette ressemblance n'est que superficielle et ne résiste pas à l'examen. Les pouvoirs et les fonctions que peuvent exercer ces individus en tant que conseil ne leur sont pas conférés par les membres de la bande et ne découlent pas des principes du droit relatifs au mandat. Ils résultent de l'application de la Loi sur les Indiens et se limitent à ceux qui sont conférés au conseil par ladite Loi. Il n'est aucune autre activité qu'une autorisation fédérale, sous forme de loi ou autrement, leur permette, en tant que conseil de bande, d'exercer ou de prétendre exercer.
Dans les circonstances de l'espèce, qui sont exposées dans les motifs de M. le juge Heald, il se peut que les employeurs des employés en cause soient les membres de la bande pris individuelle- ment. Il se peut également que les membres du conseil de la bande pris individuellement soient du nombre de ces employeurs. Toutefois, ni le Conseil ni la Cour ne peut arriver à l'une ou l'autre de ces
conclusions avant la présentation d'une demande d'accréditation les désignant comme employeurs et avant qu'ils n'aient eu la possibilité, en tant qu'in- dividus, d'être entendus en réponse à une telle demande.
Il y a peut-être des cas la mention du conseil de bande peut être considérée comme une façon concise et commode d'identifier les personnes qui composent ce conseil et, par conséquent, comme une allusion aux individus mêmes. Si tel était le cas en l'espèce, la désignation du conseil de la bande indienne de Saint -Regis comme employeur, tant dans la demande d'accréditation que dans l'ordonnance d'accréditation, pourrait peut-être être considérée comme une simple question de forme pouvant être corrigée, si nécessaire, en nom- mant, au lieu du conseil, ses membres pris indivi- duellement. Mais je ne crois pas que ce soit le cas. J'estime qu'il s'agit en l'espèce d'une question de fond plutôt que de forme. Si, comme je le pense, le conseil de la bande n'a pas, en tant que conseil, la capacité d'engager des personnes et de devenir leur employeur, il est évident que le conseil en tant que tel n'est pas l'employeur. En outre, ses membres n'ont pas le pouvoir, en tant que conseillers ou en tant qu'individus, pour représenter les membres de la bande et pour agir en leur nom aux fins d'une demande d'accréditation ni aux fins de négocia- tions collectives.
Comme il n'a pas été allégué dans la demande que les membres du conseil, en tant qu'individus, étaient les employeurs ni que la bande d'Indiens qu'ils représentaient, en tant qu'individus, étaient les employeurs, ils n'ont eu ni la possibilité ni l'occasion de répondre à de telles allégations. Ni le Conseil a-t-il eu la possibilité d'examiner de telles allégations.
Il me semble en outre être au moins douteux que les membres du conseil pris individuellement, même si l'on pouvait les considérer comme employeurs des employés en cause, puissent sans plus, être considérés comme un employeur d'em- ployés dans le cadre d'un ouvrage, d'une entreprise ou d'une affaire de compétence fédérale. Dans une situation comme celle qui nous occupe, il est néces- saire, selon moi, de trouver et d'identifier l'em- ployeur (ce qui, à mon avis, n'a pas encore été fait) et d'examiner en vertu de quel pouvoir il exerce l'activité à laquelle participent les employés avant
qu'il ne puisse être déterminé, en appliquant les critères mentionnés dans l'arrêt Four B Manufac turing Limited c. Les Travailleurs unis du vête- ment d'Amérique', si l'activité est de compétence fédérale en ce sens qu'elle serait une entreprise fédérale faisant exception à la règle générale qui prévoit que les relations de travail relèvent de la compétence provinciale.
Je suis d'accord avec le dispositif proposé par M. le juge Heald.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Cette demande, présentée en vertu de l'article 28, tend à l'examen et à l'annula- tion d'une ordonnance d'accréditation rendue par l'intimé, le 29 août 1972, accréditant le syndicat mis-en-cause en l'espèce à titre d'agent négocia- teur d'une unité de négociation composée d'em- ployés de la réserve indienne de Saint -Regis.
La réserve mise de côté à l'usage de la bande indienne de Saint -Regis se trouve en partie en Ontario et en partie au Québec. En vertu de l'ordonnance d'accréditation mentionnée ci-dessus, l'intimé a accrédité ledit syndicat à titre d'agent négociateur d'une unité de négociation composée d'employés du «Conseil de la bande d'Iroquois de Saint -Regis, Cornwall (Ontario)» comprenant tous les employés dudit conseil de bande à l'exclusion de certains cas précis ([TRADUCTION] «l'adminis- trateur de la bande, le secrétaire de l'administra- teur de la bande, les agents de la paix, les employés à temps partiel (emploi d'été), et autres personnes non incluses dans la définition d'em- ployés à l'article 107 du Code»).
Dans sa demande d'accréditation attaquée en l'espèce, le syndicat mis-en-cause désigne l'em- ployeur comme suit: «Le conseil de la bande indienne de Saint -Regis, Cornwall (Ontario)». Il décrit également en termes généraux la nature de l'entreprise de l'employeur comme suit: «la gestion et l'administration de la réserve indienne de Saint - Regis». Au cours des procédures menant à l'accré- ditation, ni les requérants en l'espèce ni le conseil de la bande ne sont intervenus pour s'opposer à la demande d'accréditation et n'ont déposé aucune
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observation à cet égard. Une fois l'accréditation accordée, toutefois, le conseil de la bande refusa de se conformer aux mises en demeure de négocier.
On trouve un exposé plutôt détaillé de l'histori- que et du contexte de cette question dans les motifs de la décision du Conseil intimé datés du 10 novembre 1978, motifs qui, avec les annexes A à J inclusivement jointes à ceux-ci, font partie des éléments d'après lesquels il doit être statué sur la présente demande; ceci, en vertu d'une ordonnance de la Cour au début de l'audition de la présente demande et avec le consentement de toutes les parties ayant comparu devant la Cour à cette audition. Je ne crois pas nécessaire de reprendre cet exposé dans les présents motifs. Après avoir fait ledit exposé, le Conseil a déclaré que la requé- rante qui lui avait soumis la demande (appelé, dans l'intitulé de la cause en tête des motifs du Conseil: «Bande iroquoise de Saint -Regis») lui demandait, en vertu des dispositions de l'article 119 du Code canadien du travail 2 de reviser l'or- donnance d'accréditation datée du 29 août 1972.
Le Conseil résuma comme suit les moyens invo- qués par la requérante à l'appui de sa demande de révision visée à l'article 119 [33 di 451, la page 478]:
Le manque de compétence du Conseil est la raison fondamen- tale qu'invoque la requérante pour obtenir l'annulation de ladite ordonnance d'accréditation. La requérante soutient que le Conseil n'a pas la compétence pour statuer sur l'emploi des Indiens dans le cadre des Réserves indiennes.
En second lieu, la requérante soutient que l'employeur n'est pas le Conseil de Bande, mais la Bande, puisqu'à son avis, le Conseil de Bande ne peut pas être un employeur selon l'article 107 du Code.
Ensuite le Conseil rejeta en ces termes la demande de révision la même page]:
Le Conseil ne peut ignorer les intentions avouées des deux parties principales à la présente affaire, qui sont de soumettre cette question de compétence devant les plus hautes Cours du pays, quelle que soit la décision à laquelle arrive le Conseil, non plus qu'il ne dédaigne la déclaration de l'Alliance de la Fonc- tion publique du Canada selon laquelle cette question est devenue primordiale et qu'elle a beaucoup plus d'importance que le sort de l'unité de négociation concernée.
2 L'article 119 est ainsi rédigé:
119. Le Conseil peut reviser, annuler ou modifier toute décision ou ordonnance rendue par lui et peut entendre à nouveau toute demande avant de rendre une ordonnance relative à cette dernière.
En conclusion, le Conseil rejette la requête. Il n'y a rien dans la preuve ni dans la jurisprudence invoquée qui incite le Conseil à annuler l'ordonnance rendue par son prédécesseur.
Par ailleurs, le Conseil conclut que le difficile problème consis- tant à définir le statut exact du Conseil de Bande est résolu du fait qu'il ne trouve pas de raison sérieuse qui l'induise à modifier la description de l'unité de négociation en substituant comme employeur le nom de la Bande à celui du Conseil de Bande.
A l'audition, l'avocat des requérants a soulevé essentiellement les deux mêmes questions que celles qui avaient été soulevées devant le Conseil intimé. A l'appui de sa première prétention, l'avo- cat des requérants s'est surtout fondé sur les motifs du jugement majoritaire prononcés par le juge Beetz dans l'arrêt récent de la Cour suprême du Canada intitulé Four B Manufacturing Limited c. Les Travailleurs unis du vêtement d'Amérique 3 . Four B était une société ontarienne dont l'activité consistait à coudre des empeignes en vertu d'un contrat conclu avec une société de fabrication de souliers, les activités de la société étant installées dans une réserve indienne habitait une bande d'Indiens. Toutes les actions émises de la société étaient détenues par quatre frères, tous membres de la bande. La société n'était en aucune façon la propriété ou sous le contrôle du conseil de bande, qui ne participait pas à ses bénéfices. La question en litige soumise à la Cour suprême du Canada était de savoir si la Commission des relations de travail de l'Ontario avait compétence pour accrédi- ter un agent négociateur relativement aux employés de l'usine de la société se trouvant dans la réserve et pour rendre une autre ordonnance enjoignant à cette même société de réintégrer quatre de ses employés.
La partie des motifs du jugement du juge Beetz sur laquelle se fonde l'avocat des requérants en l'espèce est ainsi rédigée [aux pages 1045 à 1052]:
La question en litige est de savoir si The Labour Relations Act s'applique à "activité de Four B et à ses employés et si la Commission était compétente pour rendre les deux décisions en cause.
À mon avis, les principes établis pertinents à cette question peuvent être résumés très brièvement. En ce qui a trait aux relations de travail, la compétence législative provinciale exclu sive est la règle, la compétence fédérale exclusive est l'excep- tion. L'exception comprend, principalement, les relations de travail relatives aux entreprises, services et affaires qui, compte tenu du critère fonctionnel de la nature de leur exploitation et
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de leur activité normale, peuvent être qualifiés d'entreprises, de services ou d'affaires de compétence fédérale: Toronto Electric Commissioners v. Snider ([1925] A.C. 396); Dans l'affaire d'un renvoi relatif à la validité de la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail ([1955] R.C.S. 529); Dans l'affaire d'un renvoi relatif à l'ap- plication de la Loi du salaire minimum de la Saskatchewan à un employé d'un bureau de poste à commission ([1948] R.C.S. 248); Commission du Salaire minimum c. Bell Canada ([1966] R.C.S. 767); Agence Maritime Inc. c. Conseil Cana- dien des Relations Ouvrières ([1969] R.C.S. 851); Union des facteurs du Canada c. Syndicat des postiers du Canada ([1975] 1 R.C.S. 178); Le Conseil canadien des relations du travail, l'Alliance de la Fonction publique du Canada c. La ville de Yellowknife ([1977] 2 R.C.S 729); Construction Montcalm Inc. c. La Commission du salaire minimum ([1979] 1 R.C.S. 754).
Rien dans l'affaire ou l'exploitation de Four B ne pourrait permettre de la considérer comme une affaire de compétence fédérale: la couture d'empeignes sur des souliers de sport est une activité industrielle ordinaire qui relève nettement du pou- voir législatif provincial sur les relations de travail. Ni la propriété de l'entreprise par des actionnaires indiens, ni l'em- bauchage par cette entreprise d'une majorité d'employés indiens, ni l'exploitation de cette entreprise sur une réserve indienne en vertu d'un permis fédéral, ni le prêt et les subven- tions du fédéral, pris séparément ou ensemble, ne peuvent avoir d'effet sur la nature de l'exploitation de cette entreprise. Donc, compte tenu du critère fonctionnel et traditionnel, The Labour Relations Act s'applique aux faits de l'espèce et la Commission a compétence.
On prétend au nom de l'appelante qu'on a voulu réglementer en l'espèce les droits civils des Indiens sur une réserve; que cette question relève du pouvoir exclusif du Parlement de légiférer sur «les Indiens et les terres réservées aux Indiens» en vertu du par. 91.24 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867; que la loi provinciale est inapplicable à cette question même en l'absence d'une loi fédérale pertinente; et, subsidiairement, que ce champ est occupé par les dispositions prépondérantes du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1. On fait valoir que le critère fonctionnel est inapproprié et devrait être écarté lorsque la compétence législative est attribuée non pas en des termes se rapportant à des objets matériels, à des choses ou à des systèmes, mais à des personnes ou groupes de personnes comme les Indiens ou les aubains.
Je ne peux accepter ces prétentions.
Le critère fonctionnel est une méthode particulière d'applica- tion d'une règle plus générale, savoir, que la compétence fédé- rale exclusive en matière de relations de travail n'existe que si l'on peut établir qu'elle fait partie intégrante de sa compétence principale sur une autre matière fédérale: l'arrêt Stevedoring.
Vu cette règle générale, et si l'on présume, pour les besoins de la cause, que le critère fonctionnel n'est pas décisif en l'espèce, la première question à laquelle il faut répondre pour se prononcer sur les prétentions de l'appelante est de savoir si le pouvoir de réglementer les relations de travail en question fait partie intégrante de la compétence fédérale principale sur les Indiens et les terres réservées aux Indiens. La seconde question est de savoir si le Parlement a occupé le champ par les dispositions du Code canadien du travail.
A mon avis il faut répondre à ces deux questions par la négative.
Je crois que dire que la question à régler en l'espèce est celle des droits civils des Indiens est une simplification excessive. La question est plus vaste et plus complexe: elle met en cause les droits des Indiens et des non-Indiens de s'associer entre eux à des fins de relations de travail, fins qui sont sans rapport avec la quiddité indienne; elle met en cause leurs relations avec les Travailleurs unis du vêtement d'Amérique ou quelque autre syndicat qui n'ont rien de proprement indien; elle met en cause finalement leur convention collective avec un employeur qui se trouve être une compagnie ontarienne appartenant à titre privé à des Indiens, mais qui n'a rien non plus de spécifiquement indien; la bande a expressément refusé d'en assumer l'exploita- tion et a décidé de lui retirer son nom.
Mais même si l'on examine la situation du seul point de vue des employés indiens et comme si l'employeur était un Indien, cela ne met en jeu ni le statut d'Indien ni des droits si intimement liés au statut d'Indien qu'ils devraient en être considérés comme des accessoires indissociables comme, par exemple, la possibilité d'être enregistré, la qualité de membre d'une bande, le droit de participer à l'élection des chefs et des conseils de bande, les privilèges relatifs à la réserve, etc. Pour cette raison je conclus que le pouvoir de réglementer les rela tions de travail en question ne fait pas partie intégrante de la compétence fédérale principale sur les Indiens ou les terres réservées aux Indiens. La question de savoir si le Parlement pourrait les réglementer dans l'exercice de ses pouvoirs acces- soires est une question que nous n'avons pas à résoudre sauf dans la mesure sa solution est utile pour déterminer en théorie la portée ultime d'une suprématie fédérale potentielle.
L'attribution au Parlement de la compétence législative exclusive de faire des lois relatives à certaines catégories de personnes ne signifie pas que la totalité des droits et obligations de ces personnes relève de la compétence fédérale principale à l'exclusion des lois provinciales d'application générale. Dans Union Colliery Company of British Columbia v. Bryden ([1899] A.C. 580), la British Columbia Coal Mines Regula tions Act, 1890 prévoyait que [TRADUCTION] «aucun garçon de moins de douze ans et aucune femme ou jeune fille, quel que soit son âge, ne pourront travailler, ou être placés dans le but d'effectuer un travail sous terre, dans une mine à laquelle la présente loi s'applique». La disposition a été modifiée pour y ajouter les mots [TRADUCTION] «et aucun Chinois» après les mots «et aucune femme ou jeune fille, quel que soit son âge». La modification a été jugée ultra vires de la province parce qu'elle portait sur la naturalisation et les aubains. Mais on n'a jamais prétendu que l'interdiction générale d'embaucher des garçons de moins de douze ans, des femmes et des jeunes filles, quel que soit leur âge, dans une mine ne s'appliquait pas aux personnes naturalisées et aux aubains y compris ceux d'origine chinoise.
Un raisonnement semblable doit prévaloir relativement à l'application des lois provinciales aux Indiens, en autant que ces lois ne visent pas uniquement les Indiens ni ne prétendent leur imposer une réglementation en tant qu'Indiens, et à la condition aussi qu'elles ne soient pas supplantées par une loi fédérale valide. A ce propos, il faut souligner qu'alors que la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. I-6, réglemente certains droits civils des Indiens, comme le droit de faire un testament et la distribution des biens ab intestat, elle ne prévoit pas la régie-
mentation des relations de travail des Indiens entre eux ou avec des non-Indiens. Comme nous le verrons plus tard, il en est de même du Code canadien du travail. Par conséquent, ces rela tions de travail demeurent assujetties aux lois d'application générale en vigueur dans la province tel que le prévoit l'art. 88 de la Loi sur les Indiens:
88. Sous réserve des dispositions de quelque traité et de quelque autre loi du Parlement du Canada, toutes lois d'ap- plication générale et en vigueur, à l'occasion, dans une province sont applicables aux Indiens qui s'y trouvent et à leur égard, sauf dans la mesure lesdites lois sont incompa tibles avec la présente loi ou quelque arrêté, ordonnance, règle, règlement ou statut administratif établi sous son régime, et sauf dans la mesure ces lois contiennent des dispositions sur toute question prévue par la présente loi ou y ressortissant.
L'avocat de l'appelante a également fait valoir que les droits civils en question ne sont pas uniquement les droits civils des indiens, mais les droits civils indiens exercés sur une réserve. Le sens de cette prétention, si je comprends bien, est que le caractère exclusif de la compétence fédérale est d'une certaine façon renforcé parce qu'il découle de deux chefs connexes de compétence fédérale et non d'un seul, la compétence fédérale sur les Indiens et sur les terres réservées aux Indiens.
À mon avis, cette prétention cherche à faire renaître, dans une version modifiée, la théorie de l'enclave des réserves: les lois provinciales ne s'appliqueraient pas aux Indiens sur les réserves bien qu'elles puissent s'appliquer à d'autres. Cette Cour a rejeté la théorie de l'enclave dans l'arrêt Cardinal c. Procureur général de l'Alberta ([1974] 1 R.C.S. 695) et je ne vois aucune raison de la faire renaître même dans une forme limitée. Le paragraphe 91.24 de l'Acte de l'Amérique du Nord britanni- que, 1867 attribue au Parlement compétence sur deux matières distinctes, les Indiens et les terres réservées aux Indiens, non pas les Indiens sur les terres réservées aux Indiens. Le pouvoir du Parlement de faire des lois relatives aux Indiens est le même, que les Indiens soient sur une réserve ou à l'extérieur d'une réserve. Il n'a pas plus de force parce qu'il vise des Indiens sur une réserve qu'il n'est amoindri parce qu'il vise des Indiens à l'extérieur d'une réserve. (Voir Kenneth Lysyk, «The Unique Constitutional Position of the Canadian Indiana> (1967), 45 R. du B.Can. 513,àlap.515.)
J'accorde peu d'importance au permis en vertu duquel Four B occupe les locaux. Four B ne pouvait pas violer le droit de propriété ni ailleurs. Il aurait fallu une autorisation ou un permis de Sa Majesté pour occuper des terres de Sa Majesté à l'extérieur d'une réserve. Il est vrai que le permis peut être annulé et qu'il ne peut être renouvelé sans le consentement du conseil de bande. Mais, dans cette éventualité, il n'est pas inconcevable que Four B déménage son usine à quelques pieds hors de la réserve et, avec les mêmes employés, poursuive l'exploitation de la même entreprise avec globalement le même but et le même effet. Je suis porté à croire que si cela s'était produit au départ, aucun problème constitutionnel ou juridic- tionnel ne se serait posé.
Je n'accorde pas non plus beaucoup de valeur à l'argument fondé que Four B a reçu des subventions du fédéral. Le gouvernement du Canada subventionne de très nombreuses industries sans que le Parlement acquière par le fait même le pouvoir de réglementer leurs relations de travail.
Il reste un dernier point, savoir, si le Code canadien du travail occupe ce champ. Les dispositions-clé sont le par. 108(1) et l'art. 2 dont voici le texte:
108. (1) La présente Division s'applique aux employés dans le cadre d'une entreprise fédérale, aux patrons de ces employés dans leurs rapports avec ces derniers, ainsi qu'aux organisations patronales et aux syndicats composés de ces patrons ou de ces employés respectivement.
2. Dans la présente loi
«entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale» ou «entreprise fédérale» signifie tout ouvrage, entreprise ou affaire ressortissant au pouvoir législatif du Parlement du Canada, y compris, sans restreindre la généralité de ce qui précède:
a) tout ouvrage, entreprise ou affaire réalisé ou dirigé dans le cadre de la navigation (intérieure ou maritime), y compris la mise en service de navires et le transport par navire partout au Canada;
b) toutchemin de fer, canal, télégraphe ou autre ouvrage ou entreprise reliant une province à une ou plusieurs autres, ou s'étendant au-delà des limites d'une province;
c) toute ligne de navires à vapeur ou autres, reliant une province à une ou plusieurs autres ou s'étendant au-delà des limites d'une province;
d) tout service de transbordeurs entre provinces ou entre une province et un pays autre que le Canada;
e) tout aéroport, aéronef ou ligne de transport aérien;
f) toute station de radiodiffusion;
g) toute banque;
h) tout ouvrage ou entreprise que le Parlement du Canada déclare (avant ou après son achèvement) être à l'avantage du Canada en général, ou de plus d'une province, bien que situé entièrement dans les limites d'une province; et
i) tout ouvrage, entreprise ou affaire ne ressortissant pas au pouvoir législatif exclusif des législatures provinciales;
À mon avis, le Code canadien du travail ne prévoit pas ce cas-ci. En vertu du critère fonctionnel, Four B n'est pas une entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale au sens du Code canadien du travail. Mais, si nous devions résoudre le problème sur le fondement proposé par l'appelante, savoir, que les Indiens sont «des personnes fédérales», j'adopterais le pas sage suivant des motifs du juge Morden de la Cour divisionnaire:
[TRADUCTION] Par ses termes, l'art. 108 du Code vise des activités, des opérations ou des fonctions fédérales et non la situation de personnes, ou d'une catégorie de personnes, qui pourraient être considérées comme des personnes «fédérales», ni leurs relations. Ce dernier point n'est, pas l'objet de l'article, (comparer avec la façon de définir le champ d'appli- cation de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-35, qui vise «tous les éléments de la Fonction publique» (art. 3), et, également, l'art. 109 du Code applicable «à toute corporation établie pour accomplir quelque fonction pour le compte du gouvernement du Canada ainsi qu'aux employés d'une telle corporation»).
Il ressort des motifs précités du juge Beetz que la «compétence fédérale exclusive» en matière de relations de travail vise principalement «des rela tions de travail relatives aux entreprises, services et affaires qui, compte tenu du critère fonctionnel de la nature de leur exploitation et de leur activité normale, peuvent être qualifiés d'entreprises, de services ou d'affaires de compétence fédérale ...». Il est donc nécessaire, d'après moi, aux fins de l'application du critère fonctionnel adopté par le juge Beetz, de déterminer la nature du travail exécuté par l'unité d'employés en question. L'an- nexe C des motifs de la décision du Conseil intimé mentionné ci-dessus semble être un organigramme qui est instructif quant à la nature du travail exécuté par l'unité d'employés en question. L'an- nexe D, une liste des employés, semble confirmer les renseignements que l'on trouve dans l'annexe C. D'après ces éléments de preuve, il est clair que les employés s'occupent d'administration en matière d'éducation, de l'administration de terres et de patrimoines d'Indiens, de l'administration du bien-être, de l'administration en matière d'habita- tion, d'administration scolaire, de travaux publics, de l'administration d'un foyer pour personnes âgées, de l'entretien des routes, de l'entretien d'écoles, de l'entretien du système d'approvisionne- ment en eau et du système sanitaire, de l'enlève- ment des ordures ménagères, etc. Ainsi les chauf feurs d'autobus, les éboueurs, les enseignants, les menuisiers, les sténographes, les préposés à l'habi- tation, les concierges et les équipes d'entretien des routes composent, entre autres, l'unité des employés en cause. J'estime qu'on peut définir les fonctions de cette unité, en termes généraux, comme se rapportant presque exclusivement à l'ad- ministration de la bande d'Indiens de Saint -Regis et dire que toutes ces fonctions sont de nature gouvernementale et relèvent de la Loi sur les Indiens. Il est également instructif de parcourir les diverses dispositions de la Loi sur les Indiens pour déterminer dans quelle mesure une bande d'In- diens et son conseil participent à l'administration des affaires d'une bande d'Indiens à laquelle, comme en l'espèce, s'applique la Loi sur les Indiens. L'article 20 prévoit qu'un Indien n'est légalement en possession d'une terre dans une réserve que si la possession lui en a été accordée par le conseil de la bande avec l'approbation subsé- quente du Ministre. L'article 24 prévoit qu'un Indien qui est légalement en possession d'une terre
dans une réserve peut, avec l'approbation du Ministre, transférer ce droit à la bande ou à un autre membre de celle-ci. L'article 25 prévoit que dans certaines circonstances, le droit d'un Indien à la possession d'une terre retourne à la bande. L'article 34 impose à la bande l'obligation d'assu- rer l'entretien des routes, ponts, fossés et clôtures dans la réserve qu'elle occupe. L'article 37 prévoit que les terres dans une réserve ne doivent être vendues, aliénées ni louées, ou qu'il ne doit en être autrement disposé, que si elles ont été cédées à Sa Majesté par la bande. L'article 39 prévoit les modalités auxquelles doit se conformer la bande pour faire une telle cession. L'article 58 autorise le Ministre, avec le consentement du conseil de la bande, à améliorer, cultiver ou louer un terrain inculte ou inutilisé. En vertu de ce même article, le Ministre peut, avec le consentement du conseil de la bande, disposer du sable, du gravier, de la glaise et des autres substances non métalliques qui se trouvent sur des terres ou dans le sous-sol d'une réserve. L'article 59 autorise le Ministre, avec le consentement du conseil de la bande, à réduire ou ajuster le montant payable à Sa Majesté relative- ment à la vente, location ou autre aliénation de terres situées dans une réserve qui sont cédées et en outre, à réduire ou ajuster le montant qu'un Indien doit payer à la bande pour un prêt consenti à cet Indien sur les fonds de la bande. L'article 60 autorise le gouverneur en conseil à accorder à la bande qui en fait la demande le droit d'exercer, sur des terres situées dans une réserve qu'elle occupe, tels contrôle et administration qu'il estime désira- bles. L'avocat nous a signalé qu'il ne subsiste aucun décret en conseil semblable pour ce qui concerne la bande d'Indiens de Saint -Regis. Les articles 61 à 69 inclusivement concernent l'admi- nistration des deniers des Indiens. En vertu de l'article 64, le Ministre peut, avec le consentement du conseil d'une bande, effectuer des dépenses de deniers au compte de capital de la bande à diverses fins: pour distribuer per capita aux membres de la bande une partie du produit de la vente de terres cédées; pour établir et entretenir des routes, ponts, fossés, cours d'eau et clôtures de délimitation exté- rieure dans les réserves; pour acheter des terrains que la bande emploiera comme réserve ou comme addition à une réserve; pour acheter pour la bande les droits d'un membre de la bande sur des terrains dans une réserve; pour acheter des animaux ou des machines agricoles pour la bande; pour établir et
entretenir des améliorations ou ouvrages perma nents dans la réserve; pour consentir des prêts aux membres de la bande; pour subvenir aux frais nécessairement accessoires à la gestion des terres situées sur la réserve et des biens appartenant à la bande; pour construire des maisons destinées aux membres de la bande et pour consentir des prêts aux membres de la bande aux fins de construction; et, généralement, pour toute autre fin qui d'après le Ministre est à l'avantage de la bande. L'article 66 autorise le Ministre, avec le consentement du conseil d'une bande, à effectuer la dépense de deniers de revenu de la bande à diverses fins. En vertu de l'article 69, le gouverneur en conseil peut permettre à une bande de contrôler, administrer et dépenser la totalité ou une partie de ses deniers de revenu. Le gouverneur en conseil a adopté, en vertu de l'article 69, des Règlements qui s'appli- quent à la bande indienne de Saint-Regis. 4 Ces Règlements autorisent cette bande, de même qu'un grand nombre d'autres bandes au Canada, à con- trôler, administrer et dépenser la totalité ou une partie de leurs deniers de revenu sous réserve des modalités prévues aux Règlements relativement aux comptes en banque, aux signataires autorisés, à la nomination de vérificateurs, etc. Aux articles 74 80 inclusivement il est question de l'élection des chefs et des conseils de bande.
Les articles 81 86 inclusivement prévoient les pouvoirs du conseil de bande. L'article 81 autorise le conseil de bande à établir des statuts adminis- tratifs dans un grand nombre de domaines: la santé des habitants de la réserve; la réglementation de la circulation; l'observation de la loi et le main- tien de l'ordre; l'établissement de fourrières; l'éta- blissement et l'entretien de cours d'eau, routes, ponts, fossés, clôtures et autres ouvrages locaux; la réglementation des catégories d'entreprises permi- ses; la réglementation de la construction; la répar- tition des terres de la réserve entre les membres de la bande; l'enrayement des herbes nuisibles; l'éta- blissement et la réglementation de services d'eau; la réglementation et le contrôle de sports, courses, concours athlétiques et autres amusements; la réglementation des marchands ambulants et col- porteurs, etc.
4 Codification des règlements du Canada (1978), vol. X, c. 953, aux pp. 7463 et 7466.
L'examen des statuts administratifs de la bande de Saint -Regis déposés en preuve démontre que cette bande a effectivement établi un certain nombre de statuts administratifs en vertu de l'arti- cle 81 précité. Il ressort de la preuve que la bande de Saint -Regis est relativement nombreuse (3,950 membres au 31 décembre 1975), occupe une grande étendue et que les responsabilités adminis- tratives de la bande et de son conseil sont considé- rables. L'unité d'employés à la date de la demande d'accréditation comptait 32 personnes. L'examen des états financiers vérifiés pour l'année se termi- nant le 31 mars 1975 indique qu'il s'agit d'activités assez importantes. L'état des revenus et dépenses indique un total des revenus de plus de $1,300,000 et un total de dépenses également supérieures à cette somme. Un examen des divers postes de dépenses fait ressortir le très vaste champ adminis- tratif des activités de la bande. Voici les divers titres de dépenses: «gouvernement général (salai- res, frais d'administration, frais de vérification et frais judiciaires, frais bancaires et intérêts); main- tien de l'ordre et protection contre les incendies; travaux publics (entretien des routes, enlèvement des ordures ménagères, eau et système sanitaire etc.); services sociaux; récréation; bibliothèque, éducation; réparations et entretien des édifices que possède la bande».
D'après les pouvoirs que confère à la bande et à son conseil la Loi sur les Indiens, tel que nous venons de le voir, et d'après la preuve qui a été faite de l'exercice de ces pouvoirs par la bande et son conseil, je suis convaincu que l'unité d'em- ployés en question participe directement à des activités étroitement reliées au statut d'Indien. A la page 1048 de ses motifs dans l'arrêt Four B précité, le juge Beetz donne des exemples des catégories de droits qui devraient être considérés comme des accessoires indissociables du statut d'Indien. Il mentionne la possibilité d'être enregis- tré, la qualité de membre d'une bande, le droit de participer à l'élection des chefs et des conseils de bande et les privilèges relatifs à la réserve. A mon avis, ces exemples se rapportent directement à l'administration de la bande, compte tenu des pou- voirs conférés à la bande et au conseil en vertu de la Loi et, d'après moi, relèvent de la même catégo- rie que les pouvoirs exercés par la présente bande et son conseil comme nous l'avons vu plus haut. Toutefois, sur le plan des faits, l'arrêt Four B
(précité) est tout à fait différent de la présente affaire. Dans l'arrêt Four B, quatre Indiens de la réserve exploitaient une entreprise commerciale dans une réserve indienne. Le statut et les droits de l'unité d'employés en tant qu'Indiens et en tant que membres de la bande n'étaient aucunement touchés. En l'espèce, il est impossible de dissocier les employés de l'unité en cause du droit d'élire les conseils et les chefs, du droit de posséder des terres dans les réserves, du droit pour les Indiens de la réserve à ce que leurs enfants soient instruits dans des écoles se trouvant dans la réserve, du droit au bien-être lorsque les circonstances le justifient, du droit d'habiter dans un foyer pour personnes âgées, pourvu de remplir les conditions requises, etc. Dans son ensemble, l'administration de la bande se rapporte continuellement au statut et aux droits et privilèges des Indiens de la bande. Je suis donc fermement convaincu que les relations de travail en l'espèce font «partie intégrante de la compé- tence fédérale principale sur les Indiens ou les terres réservées aux Indiens» 5 , établissant ainsi la compétence législative fédérale en vertu des dispo sitions du paragraphe 91(24) de l'Acte de l'Améri- que du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5].
Je suis également d'avis que la compétence législative fédérale peut être fondée, en l'espèce, sur les dispositions de l'alinéa 92(10)a) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867 en ce sens que l'unité d'employés en question travaille à un ouvrage ou à une entreprise reliant une pro vince à une autre. Il est clairement établi en l'espèce que certaines parties de la réserve Saint - Regis se trouvent au Québec et que d'autres par ties se trouvent en Ontario et que des membres de la bande résident dans les deux provinces. Les employés de l'unité de négociation en question exercent leur emploi dans les deux provinces. Les activités relatives à l'ouvrage et à l'entreprise de la bande s'exercent dans les deux provinces. 6 Par conséquent, l'alinéa 92(10)a) confère en l'espèce la compétence législative au fédéral.
5 Cette citation est prise à la page 1048 des motifs du jugement du juge Beetz dans l'arrêt Four B (précité).
6 A mon avis il ne fait aucun doute que, prise dans son ensemble, l'administration de la bande de Saint -Regis est un «ouvrage et une entreprise». Comparer avec l'arrêt Le Conseil canadien des relations du travail c. La ville de Yellowknife [ 1977] 2 R.C.S. 729, le juge Pigeon, à la p. 738.
La compétence législative fédérale étant établie, il reste à considérer si le Parlement a occupé le champ au moyen des dispositions du Code cana- dien du travail. Je n'hésite pas à répondre à cette question par l'affirmative. Les dispositions impor- tantes du Code canadien du travail sont le para- graphe 108(1) et l'article 2 qui sont ainsi rédigés:
108. (1) La présente Partie s'applique aux employés dans le cadre d'une entreprise fédérale, aux patrons de ces employés dans leurs rapports avec ces derniers, ainsi qu'aux organisations patronales groupant ces patrons et aux syndicats groupant ces employés.
2. Dans la présente loi
«entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale» ou «entreprise fédérale» signifie tout ouvrage, entreprise ou affaire ressortissant au pouvoir législatif du Parlement du Canada, y compris, sans restreindre la généralité de ce qui précède:
a) tout ouvrage, entreprise ou affaire réalisé ou dirigé dans le cadre de la navigation (intérieure ou maritime), y compris la mise en service de navires et le transport par navire partout au Canada;
b) tout chemin de fer, canal, télégraphe ou autre ouvrage ou entreprise reliant une province à une ou plusieurs autres, ou s'étendant au-delà des limites d'une province;
c) toute ligne de navires à vapeur ou autres, reliant une province à une ou plusieurs autres, ou s'étendant au-delà des limites d'une province;
d) tout service de transbordeurs entre provinces ou entre une province et un pays autre que le Canada;
e) tout aéroport, aéronef ou ligne de transport aérien;
f) toute station de radiodiffusion;
g) toute banque;
h) tout ouvrage ou entreprise que le Parlement du Canada déclare (avant ou après son achèvement) être à l'avantage du Canada en général, ou de plus d'une province, bien que situé entièrement dans les limites d'une province; et
i) tout ouvrage, entreprise ou affaire ne ressortissant pas au pouvoir législatif exclusif des législatures provinciales;
D'après l'arrêt Yellowknife (précité), il est clair que l'administration de la bande de Saint -Regis était un «ouvrage, entreprise ou affaire». Dans l'arrêt Yellowknife (précité), le juge Pigeon, dans une analyse de la nature des activités de la corpo ration municipale de la ville de Yellowknife, dit à la page 738:
Certaines d'entre elles, tels les systèmes d'adduction d'eau et d'égouts, relèvent indubitablement du concept d'uouvrage». D'autres, tels les services de sûreté ou sanitaires, ne peuvent pas être exclus du domaine de l'«entreprise» sans dénaturer l'expres- sion, et le terme «affaire» a été défini comme [TRADUCTION] «presque tout ce qui est une occupation, par opposition à un
plaisir—n'importe quel devoir ou occupation qui exige de l'at- tentions [sic] ...» (le lord juge Lindley, dans Rolls v. Miller ((1884), 27 Ch.D.71), à la p. 88). Il va sans dire que le terme «affaire» est souvent appliqué à des activités poursuivies sans but lucratif. A mon avis, essayer d'établir une distinction dépendant du fait qu'un employeur est une compagnie privée ou une administration publique, serait contraire à tout le concept de classification des employés, à des fins de compétence, en fonction du caractère de l'entreprise.
On retrouve en l'espèce le genre d'activités décrites par le juge Pigeon dans l'arrêt Yellowknife (pré- cité) de même que d'autres activités semblables. J'adopte donc cette analyse du juge Pigeon que j'estime applicable aux faits de l'espèce. L'ou- vrage, l'entreprise ou l'affaire en l'espèce est égale- ment selon moi, un ouvrage, entreprise ou affaire «fédéral» puisque les activités sont exercées en vertu de la Loi sur les Indiens, comme nous l'avons vu ci-dessus. En outre, la définition au paragraphe 2b) du Code s'applique aux faits de l'espèce puis- que cet ouvrage ou entreprise relie l'Ontario au Québec. Enfin, les dispositions du paragraphe 2i) du Code s'appliqueraient également à cette activité puisqu'elle ne ressortit manifestement pas au pou- voir législatif exclusif des législatures provinciales. Conférer aux conseils des relations de travail du Québec et de l'Ontario la compétence pour accré- diter des syndicats différents à titre d'agents négo- ciateurs dans chaque province relativement à la même unité d'employés aboutirait à un résultat tout à fait malcommode, ce que ne visent manifes- tement pas les dispositions du Code canadien du travail. Je conclus donc que le Code canadien du travail occupe pleinement le champ et que ses dispositions s'appliquent en l'espèce. Par consé- quent, j'estime que les requérants doivent échouer dans leur première attaque contre l'ordonnance d'accréditation en l'espèce.
J'aborde maintenant le second moyen invoqué par l'avocat des requérants, c'est-à-dire, que le conseil de la bande, désigné comme employeur dans l'ordonnance d'accréditation attaquée en l'es- pèce, n'est pas un «employeur» au sens que donne à ce terme le paragraphe 107(1) du Code canadien du travail. Le terme «employeur» y est défini comme suit:
«employeur» ou «patron» désigne toute personne qui emploie un ou plusieurs employés,
L'avocat des requérants fait valoir, premièrement, que le conseil de la bande que l'ordonnance atta-
guée a voulu accréditer n'est pas «une personne» au sens dudit paragraphe 107 (1) et, en second lieu, que le conseil de la bande n'a pas la capacité juridique expresse pour «employer» des employés et n'a, d'après les faits de l'espèce, employé personne.
Je suis d'accord avec la prétention selon laquelle le conseil de la bande n'est pas une «personne» au sens de la Loi. La Loi sur les Indiens ne prévoit aucune définition expresse du mot «personne». Pour déterminer si ce terme devrait être limité aux personnes physiques, c.-à-d. aux êtres humains, ou s'il devrait lui être donné un sens plus large qui comprenne les personnes morales telles que les sociétés (ou peut-être d'autres groupes d'indivi- dus), il faut tenir compte du contexte et de l'objet de la loi en question'. Dans la Loi sur les Indiens, l'article 74 prévoit l'élection d'un chef et d'un conseiller par cent membres de la bande pour former le conseil de la bande. Cet article men- tionne également les électeurs de la bande. Le paragraphe 2(1) prévoit que les électeurs sont des personnes qui sont inscrites sur une liste de bande, ont vingt et un ans révolus et n'ont pas perdu leur droit de vote aux élections de la bande. Le para- graphe 2(1) prévoit également que membre d'une bande signifie une personne dont le nom apparaît sur une liste de bande ou qui a droit à ce que son nom y figure. Il est donc clair que le conseil de la bande n'est pas une personne mais plutôt un groupe de personnes physiques. Je n'ai trouvé aucune disposition de la Loi qui indique qu'on ait voulu conférer au conseil de bande le statut de personne juridique. Un examen des règlements adoptés en vertu de la Loi sur les indiens me renforce dans cette opinion. Dans certains de ces règlements, il n'est prévu aucune définition du terme «personne». Dans d'autres, toutefois, le terme «personne» est défini. Dans le Règlement sur l'exploitation minière dans les réserves indiennes», par exemple, le terme «personne» est défini comme suit: «... un être humain qui atteint l'âge de 21 ans ou une société inscrite au Canada ou déten-
7 Comparer: The Pharmaceutical Society c. The London and Provincial Supply Association, Ltd. (1879-80) 5 App. Cas. 857, lord Blackburn.
8 Codification des règlements du Canada (1978), vol. X, c. 956, à la p. 7489.
trice d'un permis valide dans ce pays ou dans l'une quelconque de ses provinces;...». Dans le Règle- ment sur le bois de construction des Indiens°, le terme «personne» est défini comme comprenant «... une corporation, un syndicat, une firme et une société en nom collectif;...». Enfin, dans le Règlement sur le pétrole et le gaz des terres indiennes 10 , il est prévu, aux fins de ce Règlement, une définition ainsi conçue: «... «personne» dési- gne un individu majeur ou une société légalement constituée, enregistrée ou licenciée au Canada ou dans toute province afin de mener le genre d'acti- vité qu'elle entreprend ou se propose d'entrepren- dre;...». Puisque la Loi même ne contient aucune définition du terme «personne», il nous est permis, selon moi, de tenir compte de toutes les définitions de ce terme qui se trouvent dans d'autres textes législatifs qui se rapportent au même objet ", ce qui comprend les diverses définitions du terme «personne» que l'on trouve dans les règlements adoptés en vertu de la Loi sur les Indiens. Dans chacun des règlements mentionnés ci-dessus, il est donné au terme «personne» un sens large unique- ment aux fins du règlement en question. Par consé- quent, il me semble clair qu'en l'absence d'une extension expresse du sens normal et ordinaire, le terme «personne» employé dans la Loi sur les Indiens désigne une personne physique, c.-à-d., un être humain. Il me semble clair également que, d'après les faits de l'espèce, la «personne» décrite
9 Codification des règlements du Canada (1978), vol. X, c. 961, à la p. 7517.
10 Codification des règlements du Canada (1978), vol. X, c. 963, la p. 7530.
11 L'article 14 de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23 est ainsi rédigé:
14. (1) Les définitions ou les règles d'interprétation conte- nues dans un texte législatif s'appliquent à l'interprétation des dispositions de ce texte législatif qui contiennent ces définitions ou règles d'interprétation, aussi bien qu'aux autres dispositions dudit texte.
(2) Lorsqu'un texte législatif renferme un article interpré- tatif ou une disposition interprétative, l'article ou la disposi tion en question doit se lire et s'interpréter
a) comme étant applicable seulement si l'intention con- traire n'apparaît pas, et
b) comme étant applicable à tous les autres textes législa- tifs concernant le même sujet, à moins que l'intention contraire n'apparaisse.
En outre le terme «texte législatif» est défini comme suit au paragraphe 2(1) de la Loi d'interprétation:
«texte législatif» signifie une loi ou un règlement ou toute partie d'une loi ou d'un règlement.
comme un «employeur» au paragraphe 107 (1) du Code canadien du travail doit être une «personne» au sens ce terme est employé dans la Loi sur les Indiens et pour les motifs énoncés ci-dessus, qu'un conseil de bande indienne n'est pas une «personne». Je conclus donc que le Conseil intimé n'avait pas compétence pour rendre l'ordonnance d'accrédita- tion qui fait l'objet du présent examen. Cette conclusion suffit pour rendre une décision relative- ment à la présente demande fondée sur l'article 28. J'ajouterais toutefois que je suis d'accord avec la prétention des requérants selon laquelle le conseil de la bande n'a pas la capacité juridique expresse pour «employer» des employés et n'en a employé aucun en l'espèce et qu'il lui manquait donc un autre élément pour pouvoir être considéré comme un «employeur» au sens du paragraphe 107(1) précité. L'examen des articles pertinents de la Loi sur les Indiens que j'ai cités ci-dessus me convainc que le conseil de la bande n'est autorisé, ni expres- sément ni implicitement, à conclure avec quicon- que des contrats de louage de service, d'autant plus qu'il n'y a rien au dossier qui prouve qu'il l'ait fait. Les pouvoirs du conseil énumérés aux articles 81 à 86 inclusivement l'autorisent à établir des statuts relativement à diverses questions touchant au bien- être dans la réserve mais il n'y est nulle part prévu, expressément ou implicitement, le pouvoir d'enga- ger des employés. La plupart des autres articles de la Loi mentionnés ci-dessus donnent au conseil le pouvoir de faire certaines choses de concert avec le Ministre. Je suis donc d'accord avec l'avocat des requérants que c'est la bande en tant que telle qui a la capacité, quoique limitée, de posséder des biens et de conclure des contrats, et non le conseil. Je suis également d'accord que les pouvoirs du conseil sont très limités et sont soumis au pouvoir prépondérant de surveillance du Ministre ou de la bande, ou des deux à la fois.
En somme, je conclus que le fédéral a compé- tence pour légiférer relativement aux relations de travail en l'espèce, premièrement en vertu du para- graphe 91(24) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867 et deuxièmement, en vertu de l'article 92(10)a) de cette même Loi. Je conclus également que le Parlement du Canada a pleine- ment occupé ce champ en adoptant le Code cana- dien du travail. J'ai conclu toutefois que le Conseil intimé n'avait pas compétence pour accréditer un agent négociateur pour l'unité d'employés en cause
puisque l'«employeur» désigné dans l'accréditation n'est pas un «employeur» au sens du paragraphe 107 (1) du Code.
Par ces motifs, il s'ensuit, selon moi, que la demande fondée sur l'article 28 devrait être accueillie et l'ordonnance d'accréditation rendue par l'intimé en date du 29 août 1972, annulée.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN (dissident en partie): Comme le juge Heald, j'estime que, d'après les faits que nous devons considérer comme importants aux fins de la détermination des questions de compétence relativement à la présente demande fondée sur l'article 28, les activités auxquelles s'adonnent les employés en question sont des activités qui relèvent de la compétence législative du fédéral relative- ment aux «Indiens et les terres réservées pour les Indiens» aux termes du paragraphe 91(24) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867 et constituent un ouvrage, entreprise ou affaire de compétence fédérale au sens des articles 2 et 108 du Code canadien du travail. Ces activités consis tent en certaines fonctions exercées ou services fournis par le conseil de la bande ou sous sa surveillance et, pris dans leur ensemble, ils peuvent être considérés comme constituant l'administration de la réserve et des affaires de la bande. Elles se rapportent à l'organisation et au maintien de la vie collective dans la réserve. Les pouvoirs que détient le conseil de la bande à cet égard lui sont conférés par les dispositions de la Loi sur les Indiens et des règlements applicables, de même que par les approbations administratives du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien qui établit des programmes pour les réserves et fournit les ressources financières nécessaires à leur mise en oeuvre. Le conseil de la bande exerce certaines fonctions administratives qui relèvent de la compé- tence fédérale relativement aux réserves. De telles fonctions administratives, considérées comme une responsabilité globale de la nature d'un gouverne- ment local, est un ouvrage, entreprise ou affaire au sens du Code canadien du travail selon le sens large qui doit leur être donné par suite de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Ville de Yellowknife (précité).
Mais je ne peux être d'accord avec la conclusion du juge en chef et du juge Heald selon laquelle le Conseil a outrepassé les limites de sa compétence en considérant le conseil de la bande comme l'em- ployeur aux fins de l'accréditation. Il ressort du dossier qu'il y a effectivement emploi. Des person- nes sont engagées par le conseil pour exécuter certains travaux. Ils sont payés par le conseil. Si le conseil ne peut être considéré comme l'employeur au motif qu'il n'a pas la personnalité morale ou qu'il lui manque le pouvoir explicite de conclure des contrats de louage de service, c'est la même chose pour la bande. Il en résulterait une situation il y aurait emploi dans les faits, mais à cause du statut juridique incertain du conseil et de la bande, les employés seraient privés des droits que confère le Code canadien du travail. Il ne serait pas réaliste de considérer les membres qui peuvent faire partie du conseil ou de la bande à un moment donné comme les employeurs. En fait, il n'est pas clair qui, du strict point de vue des critères juridi- ques, pourrait être considéré comme l'employeur, compte tenu de la question de la personnalité juridique et du pouvoir de conclure des contrats au nom d'un tiers. Pourtant il existe clairement une situation des personnes ont le statut d'employés. Dans ces circonstances, je crois qu'il devrait être décidé que le Conseil a compétence pour considé- rer le conseil de la bande comme employeur aux fins du Code.
Par ces motifs, je rejetterais cette demande fondée sur l'article 28.
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