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T-453-80
Maple Lodge Farms Limited (Requérante) c.
Le gouvernement du Canada et le ministre du Développement économique chargé de l'Industrie et du Commerce (Intimés)
Division de première instance, le juge Dubé— Toronto, 4 février; Ottawa, 13 février 1980.
Brefs de prérogative Mandamus Requête en manda- mus pour obliger le Ministre à accorder des licences supplé- mentaires en vue de l'importation d'une plus grande quantité de poulets que la quantité autorisée par le quota d'importation prévue par la Liste de marchandises d'importation contrôlée Le bref de mandamus n'est accordé qu'à l'égard d'une obligation impérative et non d'un pouvoir discrétionnaire Il échet d'examiner si le Ministre délivre les licences en vertu d'une obligation ou d'un pouvoir discrétionnaire Le pouvoir discrétionnaire du Ministre est confirmé par les art. 5 et 10 de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation La Cour n'est pas convaincue du caractère déraisonnable ou arbi- traire de la décision du Ministre Requête rejetée Loi sur les licences d'exportation et d'importation, S.R.C. 1970, c. E-17, art. 5(1)a.1), 8, 10, 12 Liste de marchandises d'im- portation contrôlée, C.R.C. 1978, Vol. VI, c. 604, modifiée, 19 Règlement sur les licences d'importation, DORS/79-5, art. 3a) à k), 4.
REQUÊTE. AVOCATS:
D. K. Laidlaw, c.r. et A. J. Lenczner pour la
requérante.
J. Scollin, c.r. pour les intimés.
PROCUREURS:
McCarthy & McCarthy, Toronto, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE DUBÊ: La requérante sollicite de la Cour la délivrance d'un bref de mandamus ordon- nant au Ministre de lui accorder les licences sup- plémentaires d'importation qui lui permettraient d'importer quatre millions de livres de poulets vivants de moins de cinq livres.
Dans l'affidavit qu'il a produit à l'appui de la requête, Robert J. May, secrétaire-trésorier de la
requérante, déclare que Maple Lodge Farms Limi ted exerce son entreprise de conditionnement de la volaille depuis 1956 et occupe quelque cinq cent quarante employés. Jusqu'en février 1979, le poulet ne figurait pas parmi les marchandises assu- jetties aux dispositions de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation' et de ses règle- ments d'application. Le 5 janvier 1979, un Règle- ment [DORS/79-70] restreignant la quantité et le nombre de poulets pouvant être importés au Canada fut cependant adopté en vertu de la Loi concernée. Par la suite, les importateurs ont été informés, au moyen d'un avis aux importateurs, que le poulet au Canada serait soumis à un contin- gentement d'importation à compter du 22 octobre 1979. En raison de ce quota, la requérante ne pouvait importer que 1,775,997 livres de poulet éviscéré pour le reste de l'année civile.
Pour l'année 1980, le quota d'importation est fixé à 48 millions de livres environ et la portion de ce quota à laquelle la requérante a droit est de 9,448,306 livres. Les conditions et procédures ré- gissant la délivrance des licences supplémentaires d'importation était annexée audit avis.
Prévoyant que cela serait insuffisant, la requé- rante a, à plusieurs reprises, demandé des licences supplémentaires d'importation. Ses demandes n'ont été accueillies qu'en partie. De nouvelles demandes ont été formulées en décembre 1979 et en janvier 1980 mais le Ministre les a refusées.
L'auteur de l'affidavit fait valoir que, à moins qu'elle ne reçoive sur-le-champ des licences supplé- mentaires d'importation, la requérante ne sera pas en mesure d'approvisionner ses clients habituels et qu'elle perdra, à court terme, des bénéfices et, à long terme, des débouchés stables. Elle se verra dans l'obligation de licencier plusieurs membres de son personnel, avec tout ce que cela entraîne pour ceux-ci.
Comme je l'ai indiqué au début de l'audition, la délivrance d'un bref de mandamus relève du pou- voir discrétionnaire de la Cour et n'est accordée que s'il y a un droit précis et qu'il n'existe aucun autre recours. Par conséquent, la Cour doit être convaincue du droit de la requérante à l'exécution par le Ministre d'une obligation légale. De plus,
' S.R.C. 1970, c. E-17.
l'objet du bref doit être clair et l'acte dont on demande l'exécution doit être un devoir et non un pouvoir discrétionnaire.
En vertu de l'article 5(1) de la Loi, le gouver- neur en conseil peut établir une liste de marchan- dises, appelée «liste de marchandises d'importation contrôlée», comprenant tout article dont, à son avis, il est nécessaire de contrôler l'importation pour l'une quelconque des fins visées aux alinéas qui suivent, et notamment à l'alinéa a.1) que voici:
5. (1) ...
a.1) appuyer une mesure prise en vertu de la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme, en limi- tant l'importation sous quelque forme d'un article semblable à un article produit ou commercialisé au Canada dont les quantités sont fixées ou déterminées en vertu de cette loi;
L'article 8, qui porte sur les licences d'importa- tion, est ainsi conçu:
8. Le Ministre peut délivrer à tout résident du Canada qui en fait la demande une licence d'importer des marchandises comprises dans une liste de marchandises d'importation contrô- lée, en la quantité et de la qualité, par les personnes, des endroits ou des personnes et sous réserve des autres stipulations et conditions que décrivent la licence ou les règlements. [C'est moi qui souligne.]
L'article 12 prévoit que le gouverneur en conseil peut établir des règlements prescrivant les rensei- gnements et les engagements que doivent fournir ceux qui demandent des licences. L'un de ces règlements est la Liste de marchandises d'impor- tation contrôlée qui inclut sous le numéro 19 [DORS/79-70 devenu C.R.C. 1978, Vol. VI, c. 604, 16.11:
19. Les poulets et les chapons vivants ou évicérés, leurs parties et leurs produits dérivés.
Le Règlement sur les licences d'importation [DORS/79-51 prévoit à l'article 3 qu'un résident du Canada peut faire une demande de licence en fournissant les renseignements visés aux alinéas a) à k). L'article 4 prescrit que «La licence est dans la forme établie à l'annexe». L'avis aux importateurs du 19 octobre 1979 donne le quota d'importation de poulets, la répartition du quota et la procédure de délivrance des licences.
L'annexe jointe à l'avis décrit les conditions et procédures régissant la délivrance des licences sup- plémentaires d'importation. Elle fait connaître que [TRADUCTION] «si des besoins précis du marché canadien l'exigent, l'importation de quantités addi-
tionnelles de poulet et de produits dérivés du poulet pourra être autorisée, nonobstant le quota annuel».
L'avocat de la requérante soutient principale- ment que le Ministre n'a aucun pouvoir discrétion- naire quant à la délivrance des licences, celle-ci relevant entièrement du gouverneur en conseil; la seule fonction du Ministre consisterait à signer les licences.
Je ne partage pas cet avis. Bien que l'article 5 de la Loi autorise le gouverneur en conseil à établir une liste de marchandises d'importation contrôlée, le Ministre, aux termes de l'article 8, a la faculté et non pas l'obligation de délivrer des licences d'importation «en la quantité et de la qualité, par les personnes, des endroits ... et sous réserve des autres stipulations et conditions que décrivent la licence ou les règlements». Le pouvoir discrétion- naire du Ministre est en outre confirmé par l'arti- cle 10 qui prévoit que «Le Ministre peut modifier, suspendre, annuler ou rétablir toute licence ...». [C'est moi qui souligne.]
Si le Ministre chargé de l'application de la Loi décide de ne pas délivrer de licences, la décision d'en délivrer ou de ne pas en délivrer relevant de son pouvoir discrétionnaire, la Cour n'a pas à intervenir pour lui enjoindre d'agir autrement, à moins que sa décision ne soit déraisonnable ou qu'elle a été prise de mauvaise foi. Dans British Oxygen Co. Ltd. c. Minister of Technology 2 , la Chambre des Lords a statué que le Ministre tenait de la Industrial Development Act 1966 un pouvoir discrétionnaire et qu'il n'était pas obligé de verser une subvention à tous ceux qui rencontraient les conditions requises. Voici ce que dit lord Reid à la page 624:
[TRADUCTION] Si le Ministre qui est chargé de l'application de la Loi et qui agit pour le compte du gouvernement décide de ne pas accorder de subvention relativement à certains types de dépenses, rien ne peut, à mon avis, l'empêcher de le faire. Il existe deux raisons générales pour lesquelles on peut attaquer l'exercice d'une discrétion absolue, à savoir que le pouvoir discrétionnaire ne doit pas être exercé de mauvaise foi et d'une façon tellement déraisonnable qu'on ne saurait parler d'exercice véritable. Mais, à part cela, si le Ministre estime qu'en vue de la politique du gouvernement et d'une saine gestion, il échet d'imposer une restriction quelconque, rien ne peut, à mon avis l'empêcher d'agir ainsi.
2 [1971] A.C. 610.
La Cour n'est pas convaincue du caractère déraisonnable ou arbitraire de la décision du Ministre responsable. II agit dans les limites de ses pouvoirs et réalise le but de la Loi qui est de limiter l'importation de poulets pour protéger la production canadienne. En agissant ainsi, il ne fait qu'appuyer la mesure prévue par la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme, conformément au paragraphe 5(1)a.1). La Cour n'a certainement pas à intervenir dans l'exer- cice par le Ministre, dans l'exécution de ses fonc- tions, de son pouvoir discrétionnaire.
Bien que je sympathise avec la requérante, je me vois obligé de rejeter sa requête.
ORDONNANCE La requête est rejetée avec dépens.
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