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T-4537-78
Oxford Shopping Centres Ltd. (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge en chef adjoint Thurlow—Edmonton, 11 septembre; Ottawa, 30 novembre 1979.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions La demanderesse avait payé à la ville une somme d'argent au lieu et place d'éventuelles taxes d'amélioration locale Le Ministre a refusé la déduction de cette somme mais a autorisé la déduction de 5% de ce montant à titre de déduction admissible en application de l'art. 14 de la Loi de l'impôt sur le revenu Il échet d'examiner si le montant en cause est une dépense de capital ou une dépense déductible S'il s'agit d'une dépense déductible, il échet d'examiner si la demande- resse est obligée de l'amortir sur un certain nombre d'années et de n'en déduire qu'une partie appropriée dans l'année d'impo- sition dont s'agit Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970- 71-72, c. 63, art. 14.
Appel fondé sur la Loi de l'impôt sur le revenu contre une nouvelle cotisation d'impôt pour 1973. Le Ministre a refusé la déduction, au motif qu'il s'agissait d'une dépense de capital, d'une somme que la demanderesse avait payée à la ville de Calgary aux termes d'un contrat, mais a autorisé la déduction de 5% de ce montant qu'il a déclaré admissible en vertu de l'article 14 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cette somme avait été payée à la Ville au lieu et place des taxes d'améliora- tion locale faisant suite au réaménagement des rues qui a ajouté à la valeur du centre commercial de la demanderesse. Il échet d'examiner (I) si le montant en cause est une dépense de capital ou une dépense déductible dans le calcul du revenu aux fins de l'impôt, et (2) à supposer que ce montant soit déductible à titre de dépense, si la demanderesse est tenue de l'amortir sur un certain nombre d'années et de n'en déduire qu'une partie appropriée dans l'année d'imposition dont s'agit.
Arrêt: l'appel est accueilli. C'est la nature de l'avantage à gagner qui, plus que toute autre caractéristique en l'espèce, permettra de classer les dépenses visées en dépenses de capital ou dépenses de revenu. La dépense est afférente et accessoire à l'entreprise de la demanderesse plutôt qu'aux biens immobiliers servant à l'exploitation de celle-ci. Elle a été engagée pour répondre à l'un des nombreux besoins qui surgissent lorsqu'on fait marcher une entreprise et qui, pour que celle-ci réussisse, doivent être comblés à même ses revenus. Le rapport, si rapport il y a, consisterait dans l'accroissement de la valeur locative par suite du réaménagement des rues. La nature de l'avantage à gagner indique qu'il s'agit d'une dépense de revenu, alors que le paiement en trois montants forfaitaires dénote une dépense de capital. Il est plus juste, du point de vue pratique et commercial et compte tenu des critères prédominants, de classer la dépense comme dépense de revenu. Il est vrai que les principes de comptabilité admettent la méthode que la demanderesse a adoptée lorsqu'elle a chosi d'amortir ce montant pour des fins commerciales, et qu'une déduction de la totalité du montant en 1973 dénaturerait les bénéfices pour cette année-là, mais il
ressort de la jurisprudence que ce montant, représentant une dépense en cours qui n'est liée à aucun poste du revenu, est déductible seulement dans l'année il a été payé. Le «principe de rapprochement» ne s'applique pas aux dépenses en cours d'une entreprise. Par conséquent, le Ministre n'a pas le droit d'insister que la demanderesse amortisse la dépense ou l'étale sur un certain nombre d'années.
Arrêts appliqués: British Columbia Electric Railway Co. Ltd. c. Le ministre du Revenu national [1958] R.C.S. 133; Le ministre du Revenu national c. Algoma Central Rail way [1968] R.C.S. 447; Canada Starch Co. Ltd. c. Le ministre du Revenu national [1969] 1 R.C.E. 96. Arrêts examinés: B.P. Australia Ltd. c. Commissioner of Taxa tion of the Commonwealth of Australia [1966] A.C. 224; Sun Newspapers Ltd. c. The Federal Commissioner of Taxation (1938-39) 61 C.L.R. 337; Commissioner of Taxes c. Nchanga Consolidated Copper Mines Ltd. [1964] A.C. 948; Ounsworth c. Vickers, Ltd. [1915] 3 K.B. 267; Le ministre du Revenu national c. Tower Investment Inc. [1972] C.F. 454; Le ministre du Revenu national c. Canadian Glassine Co., Ltd. [1976] 2 C.F. 517; Associated Investors of Canada Ltd. c. Le ministre du Revenu national [1967] 2 R.C.E. 96.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
N. W. Nichols et R. Miller pour la demanderesse.
W. Lefebvre et H. Gordon pour la défende- resse.
PROCUREURS:
Milner & Steer, Edmonton, pour la demande- resse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT THURLOW: Il s'agit ici d'un appel au titre de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, interjeté par la demanderesse contre une nouvelle cotisation que le Ministre a établie pour son année d'imposition 1973 et dans laquelle il a refusé la déduction d'un montant de $490,050 que la demanderesse a payé à la ville de Calgary aux termes d'un contrat, parce qu'il s'agissait, selon lui, d'une dépense de
capital. A la place, le Ministre a autorisé une déduction d'environ 5% de ce montant qu'il a déclaré admissible en vertu de l'article 14 de la Loi précitée.
Les points litigieux de l'appel sont les suivants: (1) le montant est-il une dépense de capital ou une dépense déductible dans le calcul du revenu aux fins de l'impôt et (2) si le montant est déductible comme dépense, la demanderesse était-elle obligée de l'amortir sur un certain nombre d'années et de n'en déduire qu'une partie appropriée dans ladite année d'imposition? Personne ne conteste que le montant a été dépensé en vue de gagner ou de produire un revenu tiré de biens ou d'une entreprise.
Le contrat a été passé le 21 décembre 1972. Depuis quelques années précédant cette date, la demanderesse, qui s'appelait alors Chinook Shop ping Centre Limited, possédait et exploitait un grand centre commercial situé sur un terrain de forme rectangulaire dans la ville de Calgary. Ce centre était borné à l'est par la rue MacLeod, au sud par la rue Glenmore, à l'ouest par le chemin Meadow View et au nord par la 60e avenue. De l'autre côté de la 60e avenue, il y avait un autre centre commercial, le Southridge Shopping Centre, qui était exploité par Chinook-Ridge Expansion Limited et Oxlea Investment Limited. Ce centre occupait un terrain borné au sud par la 60e avenue et à l'ouest par le 5e rue s.-o. Le tracé de cette dernière était en forme de «S». Toutefois, sa partie nord était en ligne directe avec le prolon- gement vers le nord du chemin Meadow View. Les rues MacLeod et Glenmore étaient toutes deux de grandes artères et les encombrements qui se pro- duisaient à leur intersection et à celle du chemin Meadow View et de la rue Glenmore étaient source de problèmes pour la Ville et la demanderesse.
En 1969, la Ville a élaboré des plans préliminai- res pour construire à l'intersection MacLeod-Glen - more un échangeur en trèfle qui, s'il avait été réalisé, aurait absorbé une grande partie du terrain de stationnement de la demanderesse. Cela aurait contraint cette dernière à trouver une solution de rechange car elle s'était engagée vis-à-vis de ses locataires à fournir un terrain de stationnement suffisant. La demanderesse s'est donc opposée au
projet et ce, pour plusieurs motifs, dont notam- ment le besoin d'assurer à la clientèle du Chinook Shopping Centre la sécurité de l'accès et de la sortie. Elle a réussi à convaincre la Ville de se
joindre à elle pour faire faire une étude de la situation par des conseillers techniques en circula tion. A la suite de cette étude, le projet de l'échan- geur en trèfle a été abandonné et remplacé par celui d'un échangeur en «losange resserré».
Les plans initiaux préparés par la Ville pré- voyaient en outre la construction d'un «saut-de- mouton» destiné à faciliter, sur la rue Glenmore, la circulation se dirigeant vers l'est et tournant à gauche sur le chemin Meadow View, pour ensuite accéder au centre commercial. Puisque personne ne s'était opposé à la construction de ce «saut-de- mouton», il faisait encore partie des plans d'ensem- ble au moment de la signature du contrat. La Ville projetait également de redresser la 5e rue s.-o. en vue de la relier au chemin Meadow View, ainsi que de fermer et de céder aux propriétaires des centres commerciaux (lesquels étaient, à l'époque, contrô- lés par Oxlea) la plus grande partie de la 60e avenue s.-o. et la partie courbe au sud de la 5e rue s.-o., afin de faciliter l'expansion du centre com mercial et de son terrain de stationnement.
L'entente en vertu de laquelle le montant pré- sentement en cause a été payé, ne consiste pas en
un seul document, mais en six contrats qui ne forment qu'une seule transaction relative aux modifications projetées. Le premier déclare, entre autres, ceci:
[TRADUCTION] ET ATTENDU QUE Chinook, Chinook-Ridge et Oxlea désirent agrandir et relier entre eux les centres commerciaux et ont besoin à cette fin de certains terrains appartenant à la Ville;
ET ATTENDU QUE la Ville désire élargir la rue Glenmore, redresser la 5e rue sud-ouest et construire un échangeur, le tout tel que précisé ci-dessous, et a besoin à cette fin de certains terrains appartenant à Chinook et à Oxlea;
Le contrat prévoit ensuite que la demanderesse, Chinook-Ridge et Oxlea vendront à la Ville au prix convenu de $85,000 l'acre, les parties de leurs terrains dont cette dernière a besoin pour élargir et transformer les rues, et que la Ville vendra à la demanderesse et à Oxlea, au même prix l'acre, les parties de la 60e avenue s.-o., de la 5e rue s.-o. et d'une ruelle située au nord de la 60e avenue s.-o., qui ne seront plus requises comme rues. La Ville
s'engage également à redresser` la 5e rue s.-o. et à construire l'échangeur à l'intersection MacLeod- Glenmore.
Un autre contrat stipule que la demanderesse
démolira une station-service située sur ses terrains et en construira une autre ailleurs moyennant un montant de $235,000 que la Ville lui versera. Un autre contrat vise le «saut-de-mouton». Il autorise la demanderesse, pendant une période d'option, à obliger la Ville à construire le «saut-de-mouton» et à appliquer relativement à cette construction les modalités convenues aux paiements qui incombent à ladite demanderesse. Un autre contrat confère à
la Ville l'option d'acheter à la demanderesse, à un prix convenu l'acre égal à celui du premier contrat, l'un de ses terrains dont elle a besoin pour cons- truire le «saut-de-mouton». Enfin, dans un autre contrat, Oxlea accepte de faire don à la Ville d'une parcelle de terrain, qui sera située à l'ouest de la 5e rue s.-o. lorsque celle-ci aura été redressée.
J'en viens maintenant au dernier contrat, dont les parties sont la demanderesse, Chinook-Ridge, Oxlea et la Ville. Il est rédigé dans les termes
suivants:
[TRADUCTION] ATTENDU Qu'en vertu d'un contrat passé à la même date entre les mêmes parties, Chinook et Oxlea ont vendu à la Ville et la Ville a vendu à Chinook et à Oxlea certains terrains en vue d'élargir la rue Glenmore, de redresser la 5e rue s.-o. et de construire un échangeur, le tout comme il est précisé ci-dessous, et qu'en conséquence, la Ville, à la demande de Chinook, de Chinook-Ridge et d'Oxlea, a accepté d'apporter certaines modifications aux terrains et aux voies contiguës aux centres commerciaux Chinook et Southridge, de manière à faciliter l'utilisation de ces terrains et l'expansion projetée, comme il est précisé ci-après;
ET ATTENDU QUE le coût des modifications susmentionnées peut avoir pour résultat de rendre Chinook et Oxlea débitrices envers la Ville de taxes d'amélioration locale découlant de ces modifications, lesdites corporations ont décidé de payer à la Ville, au lieu et place de ces taxes, les montants prévus ci-après aux dates prévues ci-après;
ET ATTENDU QUE la Ville a accepté de verser à Chinook certaines sommes pour l'aider à défrayer une partie des frais que la construction de l'échangeur lui occasionnera;
Les dispositions de ce contrat stipulent que:
[TRADUCTION] 2. La Ville, en contrepartie des sommes que Chinook et Oxlea doivent lui verser en lieu et place des taxes d'amélioration locale découlant des travaux et améliorations
qu'elle a entrepris:
a) procédera au redressement prévu au nord de la 60° avenue, tel que l'indique le plan de la ville de Calgary, dossier DD -3-14;
b) procédera au redressement prévu au sud de la 60° avenue et défraiera les coûts afférents à la construction d'une voie d'accès au centre commercial Chinook, tel que l'indique le plan de la ville de Calgary, dossier DD -3-14;
c) construira une voie d'accès ou une entrée pour le centre commercial Chinook, qui facilitera les virages des véhicules circulant dans les deux directions sur la rue MacLeod en face de la 61° avenue sud-ouest, et y installera des feux de circulation, le tout comme l'indique le plan de la ville de Calgary, dossier DD -4-03;
d) procédera à certaines améliorations sur la rue MacLeod, entre la rue Glenmore et la 60° avenue sud-ouest, tel que l'indique le plan de la ville de Calgary, dossier DD -4-03, sauf que les améliorations à la 60° avenue sud-ouest ne seront apportées qu'à une date susceptible de convenir à Chinook, à Oxlea et à la Ville.
3. En contrepartie des travaux et des améliorations que la Ville effectuera à la demande de Chinook et d'Oxlea, conformément à la clause 2 du présent contrat, en lieu et place des taxes d'amélioration locale découlant de ces travaux, Chinook et Oxlea paieront à la Ville la somme globale de quatre cent quatre-vingt-huit mille cinq cent soixante-quinze dollars ($488,575) aux dates et de la manière énoncées ci-dessous:
a) le 31 décembre 1972, Chinook paiera à la Ville vingt et un mille dollars ($21,000);
b) le 31 mars 1973, Oxlea paiera à la Ville trente mille dollars ($30,000);
c) le 31 mars 1973, Chinook paiera à la Ville quatre cent trente-sept mille cinq cent soixante-quinze dollars ($437,- 575).
Ces paiements seront réputés être le règlement final de toutes les taxes d'amélioration locale que Chinook et Oxlea auraient payer du fait des travaux et des améliorations effectués par la Ville, comme il est dit plus haut. Toutefois, si la Ville procède aux améliorations de la 60° avenue sud-ouest, dont il est question dans la clause 2d), Chinook lui versera une somme complémentaire de neuf mille dollars ($9,000) plus des intérêts composés au taux annuel de huit et demi pour cent (8 1 / 2 %) et calculés du 1°" janvier 1973 à la date du paiement. Ce paiement sera fait en lieu et place de toutes les taxes d'amélioration locale dont Chinook serait autrement redevable à la Ville pour les améliorations que celle-ci a effectuées.
4. II est entendu et convenu que les sommes que Chinook et Oxlea verseront à la Ville aux termes du présent contrat ne seront pas réputées viser les améliorations locales qu'elle effec- tuera ultérieurement dans le voisinage des centres commerciaux Chinook, Southridge et Chinook-Ridge.
5. Le 31 mars 1973, la Ville versera à Chinook trente-sept mille dollars ($37,000) pour l'aider.à défrayer les coûts que la construction de l'échangeur et tous les travaux connexes sont susceptibles d'entraîner pour cette dernière.
Ledit montant de $490,050 représente la somme des trois paiements énoncés au paragraphe 3, plus un ajustement de $1,475, qui provient, d'une part, des changements apportés d'un commun accord aux projets et, d'autre part, de l'arrondissement du nombre d'acres.
La demanderesse prétend que ce montant a été payé en lieu et place des taxes d'amélioration locale qui, si elles avaient donné lieu à une cotisa- tion, auraient été considérées comme une dépense de revenu, et que le montant en question est de la même nature. Son avocat a étayé cette argumenta tion en soulignant qu'aucun nouvel actif n'a été acquis en contrepartie du paiement et qu'il n'a entraîné ni changement ni amélioration dans l'or- ganisation des affaires de la demanderesse ni dans ses immeubles.
La défenderesse, elle, prétend que la dépense a été faite pour protéger les actifs immobilisés de l'entreprise (c'est-à-dire l'immeuble abritant le centre commercial) contre la menace que représen- tait le projet initial de la Ville de construire un échangeur en trèfle, ainsi que pour protéger l'acha- landage lié à l'emplacement du centre commercial. A l'appui de cette thèse, l'avocat déclare qu'il s'agit de dépenses extraordinaires et exception- nelles et non pas de dépenses faites dans le cours ordinaire des affaires de la demanderesse.
Je n'accepte entièrement aucune de ces deux argumentations.
A mon sens, de tous les projets, seul l'échangeur en trèfle menaçait la jouissance du droit de pro- priété de la demanderesse; or, au moment de la signature des contrats, ce projet avait été aban- donné en faveur d'un meilleur, en l'occurrence un échangeur en «losange resserré», tel que recom- mandé par les conseillers techniques en planifica- tion de la circulation. Ledit montant ne correspond pas aux honoraires que ceux-ci ont demandés pour l'étude à la suite de laquelle ils ont proposé un meilleur projet et supprimé par le fait même la menace que représentait le précédent. Il ne s'agit pas non plus d'une dépense engagée à cet égard. J'estime que le projet initial prévoyant la construc tion d'un échangeur en trèfle n'a rien à voir avec la question à résoudre si ce n'est qu'il fut révélateur de l'existence d'un problème de circulation auquel il a fallu trouver une solution en instituant d'abord une étude de la situation.
D'autre part, la dépense n'est pas un paiement de taxes et ne peut vraiment pas être considérée comme étant de cette nature. Bien que le contrat déclare que le montant a été versé en lieu et place des taxes afférentes aux améliorations de voirie, ce ne sont pas ces termes, selon moi, qui révèlent la véritable nature de ce montant mais la contrepar- tie que la Ville a offerte en retour, c'est-à-dire la promesse de procéder à des améliorations et la promesse implicite de ne pas cotiser la demande- resse pour les taxes d'amélioration locale découlant de ces travaux. Si, pour quelque raison, la Ville ne les avait jamais exécutés, l'autre partie aurait eu le droit de recouvrer ledit montant pour défaut d'exé- cution de la contrepartie. Ce droit n'est pas carac- téristique d'un paiement de taxes. D'autre part, les $490,050 ne représentent pas le coût des améliora- tions apportées aux rues ni le versement du prix d'achat de ces améliorations. Bien que sur ce point, la preuve soit inexistante ou tout au moins très vague, il paraît probable que le montant ne repré- sente qu'une partie du coût des améliorations. Par conséquent, j'estime qu'il faut le considérer comme une contribution aux coûts que supportera la Ville.
Je passe maintenant aux critères qu'il convient de retenir pour résoudre la question. Dans British Columbia Electric Railway Company Limited c. M.R.N.', le juge Abbott s'est réclamé en ces termes des anciennes dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui ne diffèrent pas sensible- ment des dispositions pertinentes actuellement en vigueur:
[TRADUCTION] L'objectif essentiel présumé de toute entre- prise commerciale étant la recherche d'un profit, toute dépense consentie «en vue de gagner ou de produire un revenu» s'inscrit dans le cadre de l'art. 12(1)a), qu'il s'agisse d'une dépense de revenu ou d'une dépense de capital.
Dès qu'il est acquis qu'une dépense donnée est engagée dans le but de gagner ou de produire un revenu, il faut ensuite, pour rechercher s'il y a assujettissement à l'impôt sur le revenu, déterminer si une telle dépense constitue une dépense de revenu ou une dépense de capital. Les principes sous-jacents à une telle distinction reviennent à dire, en fait, que, le revenu aux fins de l'impôt étant calculé sur une base annuelle, une dépense de revenu est une dépense engagée dans le but de gagner le revenu au cours de l'année elle a été consentie, et elle doit être déduite du revenu brut de l'année en question. La majeure partie des dépenses en capital d'autre part, peut être amortie ou annulée en un certain nombre d'années, selon que l'actif pour lequel la dépense est consentie s'inscrit ou ne s'inscrit pas dans le cadre des règlements sur l'allocation du coût en capital prévus à l'art. 11(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
' [1958] R.C.S. 133, aux pages 137 et 138.
Les principes généraux à appliquer pour déterminer si une dépense qui serait admissible en vertu de l'art. 12(1)a) est une dépense de capital, sont maintenant bien établis. Comme le juge Kerwin (tel était alors son titre) l'a souligné dans Mon- treal Light, Heat & Power Consolidated c. Le ministre du
Revenu national [[1942] R.C.S. 89, la p. 105, [1942] 1 D.L.R. 596, [1942] C.T.C. 1, confirmé [1944] A.C. 126, [1944] 1 All E.R. 743, [1944] 3 D.L.R. 545], alors qu'il concluait à l'application du principe énoncé par le vicomte Cave dans British Insulated and Helsby Cables, Limited c. Atherton [[1926] A.C. 205, à la p. 214; 10 T.C. 155], le critère ordinaire pour déterminer si une dépense a été faite à titre de capital, est de savoir si elle l'a été «dans le but d'apporter un avantage pour le bénéfice durable de l'entreprise de l'appelante».
Dix ans plus tard, dans M.R.N. c. Algoma Central Railway 2 , le juge Fauteux (tel était alors
son titre), parlant au nom de la Cour, a exposé la question de la manière suivante [aux pages 449 et
450]:
[TRADUCTION] Le Parlement ne définit pas les expressions «dépense ... de capital» ou «dépense à compte de capital». Comme il n'y a pas de critère) législatif, appliquer ou non ces expressions à toutes dépenses particulières doit dépendre des circonstances propres à l'affaire. Nous ne pensons pas qu'un critère unique permette d'élaborer cette définition et nous approuvons l'avis exprimé dans une décision récente du Conseil privé rendue par lord Pearce dans l'affaire B.P. Australia Ltd. c. Commissioner of Taxation of the Commonwealth of Aus- tralia [[1966] A.C. 224]. En mentionnant la question de savoir si une dépense était de capital ou ordinaire, il déclarait à la page 264:
On ne peut pas trouver la solution du problème en appli- quant un critère ou une description rigide. Elle doit découler de plusieurs aspects de l'ensemble des circonstances dont certaines peuvent aller dans un sens et d'autres dans un autre. Une observation peut se détacher si nettement qu'elle domine d'autres indications plus vagues dans le sens con- traire. C'est une appréciation saine de toutes les caractéristi- ques directrices qui doit apporter la réponse finale.
Dans Canada Starch Co. Ltd. c. M.R.N. 3 , le président Jackett (tel était alors son titre), après avoir cité l'affaire Algoma, résume ainsi la
distinction:
[TRADUCTION] Aux fins d'examen de la difficulté soulevée par le présent appel, j'estime utile de me référer aux commen- taires sur «la distinction entre les dépenses et débours effectués à titre de revenu et ceux effectués à titre de capital» que fait le juge Dixon dans Sun Newspapers Ltd. et al. c. Fed. Com. of Taxation [(1938) 61 C.L.R. 337, la p. 359] il dit:
La distinction entre les dépenses à titre de capital et les dépenses à titre de revenu correspond à la distinction entre l'entité, la structure ou l'organisation commerciale établie en vue de réaliser des bénéfices et le mode de fonctionnement
2 [1968] R.C.S. 447.
3 [1969] 1 R.C.É. 96, aux pages 101 et 102.
auquel elle a recours pour toucher des recettes régulières au moyen de dépenses régulières, la différence entre ces dépen- ses et ces recettes constituant les bénéfices ou les pertes de cette entité.
En d'autres termes, si je comprends bien, de façon générale:
a) d'une part, une dépense consentie en vue de l'acquisition ou de la création d'une entité, structure ou organisation commerciale, dans le but de gagner un profit ou en vue du développement d'une telle entité, structure ou organisation, constitue une dépense à compte de capital, et
b) d'autre part, une dépense consentie au cours de l'exploita- tion d'une entité, structure ou organisation lucrative consti- tue une dépense à compte de revenu.
L'application de ce critère à l'achat ou à la création des biens ordinaires qui constituent la structure commerciale telle que créée à l'origine ou une adjonction à celle-ci, ne présente aucune difficulté. Les installations et les machines sont des actifs immobilisés et l'argent versé à cet effet constitue une dépense à titre de capital, qu'il s'agisse:
a) d'argent versé en vue de l'établissement d'une nouvelle structure commerciale;
b) d'argent versé pour une adjonction à une structure com- merciale déjà existante;
c) d'argent versé pour acheter une structure commerciale déjà existante.
Toutefois, il existe à mon avis, de ce point de vue, une différence de principe entre des biens tels que des installations et des machines, et un achalandage. Dès qu'un achalandage existe, il peut être acheté, si l'on peut dire, et l'argent versé à cette fin sera normalement considéré comme l'ayant été GA titre de capital». Toutefois, ce mode d'achat mis à part, j'estime qu'un achalandage ne peut être acheté qu'à titre d'élément accessoire à l'exploitation même d'une entreprise. L'argent n'est pas déboursé pour créer un achalandage; l'achalandage est la conséquence normale de l'exploitation d'une entreprise. Par conséquent, l'argent est déboursé pour l'exploitation de l'entre- prise: il s'agit donc d'une dépense de revenu.
Dans l'affaire B.P. Australia, lord Pearce cite la page 261 ] comme [TRADUCTION] «guide utile à celui ou celle qui s'aventure dans ces régions», les commentaires suivants formulés par le juge Dixon dans l'affaire Sun Newspapers Ltd. c. The Federal Commissioner of Taxation 4 :
[TRADUCTION] A mon sens, il faut examiner trois aspects: a) la nature de l'avantage recherché (son caractère permanent peut alors entrer en ligne de compte), b) son utilisation, son importance ou la façon d'en jouir (comme pour le critère précédent, la fréquence de l'emploi peut aussi entrer en ligne de compte) et c) les moyens adoptés pour l'obtenir. Par exemple, des compensations ou des débours ont-ils été effectués périodi- quement en contrepartie de l'utilisation ou de la jouissance et pour une durée proportionnée au paiement? Ou encore, existe- t-il une clause définitive ou un paiement final qui en garantit l'utilisation ou la jouissance future?
4 (l938-39) 61 C.L.R. 337, aux pages 363 et 362.
et
la dépense doit être considérée comme une dépense de revenu lorsque son objet la fait entrer dans la catégorie très générale des choses qui, somme toute, constituent la demande qu'il faut constamment satisfaire au moyen des revenus d'un commerce ou de ses capitaux mobiles et il n'est pas nécessaire que la réelle répétition de cette dépense se produise ou soit escomptée comme probable.
Lord Pearce cite aussi la page 262] le passage suivant tiré du jugement rendu par vicomte Rad- cliffe dans Commissioner of Taxes c. Nchanga Consolidated Copper Mines Ltd. 5 :
[TRADUCTION] encore, les tribunaux ont insisté sur l'im- portance de distinguer entre les coûts afférents à la création, à l'achat ou à l'agrandissement de la structure permanente (qui ne signifie pas perpétuelle), dont le revenu doit être le produit ou le fruit, et le coût du revenu lui-même ou de l'exécution des opérations qui servent à le gagner. Sans doute s'agit-il de la distinction la plus claire que la loi par elle-même peut vraisem- blablement apporter, mais la réalité de la distinction, il faut l'admettre, n'est pas des plus faciles à appliquer, car les régimes fiscaux des différents pays permettent d'imputer de plus en plus de catégories de dépenses de capital sur les bénéfices par voie de provisions pour amortissement et, ce faisant, reconnaissent qu'en tout état de cause, l'épuisement du capital fixe entre dans les frais d'exploitation. Même alors, les opérations commercia- les peuvent être d'une grande complexité et en vérité il est parfois difficile de tirer une ligne de démarcation et d'établir des distinctions subtiles entre les bénéfices qui sont réalisés «à même les» actifs et ceux qui le sont «sur» les actifs ou «avec» les actifs.
Plus loin, lord Pearce formule dans ses motifs le commentaire que le juge Fauteux (tel était alors son titre) a repris dans l'affaire Algoma. Puis il poursuit en ces termes la page 264]:
[TRADUCTION] Bien que les dépenses de capital et les dépenses de revenu soient différentes et facilement identifiables lorsqu'il s'agit de cas évidents, la ligne de démarcation est souvent difficile à tracer dans les cas limites; et des considérations divergeantes peuvent produire une situation la réponse repose sur des questions d'importance et de degré. Cette réponse:
dépend de l'effet envisagé de la dépense d'un point de vue pratique et commercial plutôt que de la classification juridi- que des droits, s'il en est, garantis, employés ou épuisés en cours de route:
Notes du juge Dixon dans l'arrêt Hallstroms Pty. Ltd. c. Federal Commissioner of Taxation [(l946) 72 C.L.R. 634, 648]. A chaque nouvelle cause, les parties utilisent dans leur argumentation des phrases appropriées qu'elles empruntent aux jugements antérieurs; mais ces phrases ne constituent pas le facteur décisif et n'ont pas une application illimitée. Elles ne font que cristalliser les facteurs qui, dans un cas donné, peuvent faire pencher la balance après examen de tous les éléments.
5 [1964] A.C. 948, la page 960.
Lord Pearce examine ensuite les trois aspects dont a parlé le juge Dixon dans l'affaire Sun Newspapers. Tout d'abord, la nature de l'avantage recherché, notamment son caractère permanent et ,sa fréquence, ainsi que la nature du besoin ayant suscité la recherche de cet avantage. Sous cette rubrique, il examine en outre le critère servant à déterminer si la dépense fut faite à même le capital fixe ou mobile, ainsi que la manière dont il faut la traiter selon les principes ordinaires de comptabi- lité commerciale; il cherche également à détermi- ner si l'argent a été dépensé pour la structure dans laquelle les bénéfices devaient être gagnés. Puis il se penche sur le deuxième et le troisième aspect, c'est-à-dire l'utilisation projetée des bénéfices et le mode de paiement.
Si j'ai résumé tous les éléments qui précèdent, c'est parce qu'ils me semblent indiquer certaines des nombreuses facettes d'un cas complexe qu'il peut être nécessaire d'examiner et de peser avant d'en arriver à une conclusion dans un cas qui n'entre pas nettement dans une catégorie ou dans l'autre, mais qui présente des caractéristiques dont certaines sont orientées dans un sens et d'autres, dans l'autre.
En l'espèce, l'entreprise de la demanderesse, si j'en juge par les documents produits devant la Cour, consiste à louer des boutiques situées dans ses immeubles à des entreprises commerciales, à mettre des aires de stationnement à la disposition des clients de ses locataires et, possiblement, à fournir à ces derniers certains services. Les recet- tes proviennent des loyers qui sont en partie calcu- lés sur le chiffre d'affaires des locataires. Le succès de son entreprise dépend donc en grande partie de la popularité dont son centre commercial jouit parmi les clients de ses locataires.
Selon moi, dans une telle entreprise, les fonds que la demanderesse dépense pour agrandir et améliorer les locaux ou les immeubles de son centre commercial ou pour organiser la structure de son entreprise sont des dépenses de capital; mais, les dépenses annuelles afférentes aux taxes municipales (et notamment les taxes d'améliora- tion locale faisant suite à des travaux de voirie) et les dépenses consacrées à hausser la popularité du centre, que ce soit au moyen d'annonces, d'artifi- ces publicitaires ou autrement, mais qui n'entrai-
nent aucun achat d'équipement ou de machines pour l'entreprise, sont des dépenses de revenu.
Passons maintenant aux divers aspects à exami ner. A mon avis, c'est la nature de l'avantage à gagner qui, plus que toute autre caractéristique en l'occurrence, permettra de classer les dépenses visées en dépenses de capital ou dépenses de revenu. Il est bien évident que les paiements, abs traction faite de toute autre chose, étaient défini- tifs. Mais il en est de même pour toute chose qui, prise isolément, prend un aspect quelque peu exceptionnel. Il est aussi évident que l'on s'atten- dait à ce que l'avantage, quel qu'il soit, ait un caractère durable ou plus ou moins permanent. Ce point est peut-être celui qui donne le plus à enten- dre que les dépenses visées sont des dépenses de capital. Soulignons cependant qu'en l'espèce, l'avantage n'a pas un caractère plus permanent que celui que l'on escomptait tirer, suite à l'étude géologique, dans l'affaire Algoma. Quant à savoir «à quoi la dépense est censée servir d'un point de vue pratique et commercial», ce critère, tout en ayant un certain poids, n'apporte rien de concluant.
Car si, comme je le pense, la dépense peut et doit être considérée comme ayant été faite en vue de maintenir et peut-être de rehausser la popula- rité du centre commercial parmi les clients des locataires et de permettre à ce centre de rivaliser avec ses concurrents, tout en évitant de payer une taxe d'amélioration suite aux travaux de voirie, elle doit alors être considérée comme une dépense de revenu en dépit de la nature définitive du paiement ou du caractère plus ou moins permanent de l'avantage qu'elle entraîne.
Je ne pense pas non plus que la question puisse être résolue et la dépense cataloguée comme dépense de capital du seul fait que le contrat fait partie d'un groupe de contrats connexes, dont cer- tains prévoient des dépenses de capital et qui ne forment qu'une seule transaction complexe. S'il n'y avait eu qu'un seul contrat les dépenses n'au- raient été ni séparées ni séparables, le caractère d'actif immobilisé facilement reconnaissable dans le contenu des autres contrats aurait très bien pu servir à caractériser l'ensemble; mais je ne pense pas qu'il en soit ainsi lorsque la dépense a été
soigneusement isolée dans un seul. contrat qui en indique l'objet précis.
En outre, bien qu'il soit concevable que l'encom- brement de la circulation aurait pu avoir des effets indésirables sur la popularité du centre commer cial et sur ses chances d'en concurrencer un autre et aurait pu donner lieu à quelque autre solution comportant une dépense de capital, comme par exemple la restructuration du centre commercial, de ses immeubles ou de ses voies d'entrée et de sortie (et il se peut fort bien que l'on ait fait de telles dépenses) tel ne fut pas l'objet de celle qui nous occupe. L'argent n'a pas été versé pour modi fier ou agrandir les terrains ou les immeubles de la demanderesse ni pour structurer son exploitation, mais pour inciter la Ville à apporter des modifica tions à certains ouvrages municipaux, lesquelles auraient pour la demanderesse un effet bénéfique sur la réalisation de l'un de ses objectifs, c'est-à- dire de promouvoir ses affaires et de rehausser la popularité de son centre commercial.
Dans Ounsworth c. Vickers, Limited 6 , les faits sont assez comparables, l'on a statué que le coût de nouvelles installations construites sur un immeuble n'appartenant pas au contribuable, mais destinées à être utilisées par l'entreprise du deman- deur, était une dépense de capital. Mais en l'es- pèce, les améliorations, tout en facilitant la circu lation dans les rues contiguës au centre commercial et l'accès à celui-ci, évitant ainsi à la clientèle de ses locataires d'avoir à chercher un parcours moins achalandé pour s'y rendre, ne cons tituent pas à mon avis des améliorations destinées à être utilisées dans l'exploitation de l'entreprise de la demanderesse. Elles sont plutôt destinées à être utilisées par le public en général, c'est-à-dire par ceux qui fréquentent le centre commercial ou qui ne font que passer dans ce quartier.
J'estime que la dépense avait pour cause les effets indésirables présents et prévisibles de l'en- combrement de la circulation sur la popularité du centre commercial et sur ses chances de rivaliser avec un autre centre commercial qui devait être construit à quelque trois milles plus loin. Elle me semble donc être afférente et accessoire à l'entre- prise de la demanderesse plutôt qu'aux biens
6 [1915j 3 K.B. 267.
immobiliers servant à l'exploitation de celle-ci. Si je ne m'abuse, elle a été engagée pour répondre à l'un des nombreux besoins qui surgissent lorsqu'on fait marcher une entreprise et qui, pour que cel- le-ci réussisse, doivent être comblés à même ses revenus.
En outre, cette dépense n'entraînera jamais aucune recette si ce n'est indirectement, par suite du relèvement progressif des loyers que les amélio- rations effectuées par la Ville devraient entraîner. Ce facteur me paraît aussi militer en faveur de l'imputation de la dépense sur le capital mobile plutôt que sur le capital fixe.
Quant au traitement qui, selon les principes de comptabilité commerciale, doit être réservé à cette dépense, je ne vois aucune raison de penser que la demanderesse n'a pas respecté ces principes en l'imputant sur le revenu et en l'amortissant sur une période de quinze ans, de manière à ne pas fausser les bénéfices et les pertes pendant l'année de paie- ment, plutôt que de traiter l'avantage comme un actif et d'en imputer la dépréciation. D'ailleurs, le paiement n'a donné lieu à l'achat d'aucun bien et n'a rien rapporté à l'entreprise sinon un avantage incorporel susceptible de résulter de l'accroisse- ment de ses revenus, et dont on ne peut estimer que la durée et encore de façon imprécise. En outre, il me semble que si cet avantage incorporel figurait dans un bilan comme actif immobilisé, cela constituerait certes une inscription plutôt inu- sitée. Par conséquent, cette considération donne elle aussi à entendre que la dépense en cause en est une de revenu.
Je ne vois rien dans la façon dont on devait jouir de l'avantage (si ce n'est qu'il ne pouvait être réalisé qu'en rentrées), qui aide à classer la dépense comme dépense de capital ou dépense de revenu. Quant aux moyens par lesquels l'avantage fut obtenu, soit trois paiements forfaitaires au lieu de paiements périodiques calculés d'une quelcon- que façon en fonction de l'importance de l'avan- tage pour la période considérée, ils indiquent plutôt une dépense de capital qu'une dépense de revenu.
Suite à l'étude minutieuse de ces questions, j'es- time plus juste, du point de vue pratique et com-
mercial, et compte tenu des critères prédominants, de classer la dépense comme dépense de revenu.
Je passe maintenant à la question de savoir si, dans le calcul de son revenu aux fins de l'impôt, la demanderesse était obligée de répartir la dépense de $490,050 sur un certain nombre d'années, comme elle l'a fait dans le calcul de ses bénéfices aux fins commerciales. Dans son bilan du 31 mars 1973, elle indique comme actif un poste intitulé «frais différés», qui comprend les $490,050. A cette époque, bien que le montant eût été payé à la Ville, les travaux de voirie n'avaient pas encore été commencés. Une annotation sur le bilan indique que les $490,050 devaient être amortis sur une période de quinze ans à compter de 1974; toute- fois, aux fins de l'impôt, la demanderesse a déduit la totalité de ce montant comme dépense engagée en 1973.
Elle a agi ainsi parce qu'en 1964, le Ministre avait refusé la déduction réclamée en 1961, 1962 et 1963, des parties amorties d'une dépense sem- blable (bien qu'inférieure) faite en 1961 et l'avait enjointe de calculer son revenu en opérant la déduction du plein montant dans l'année d'imposi- tion 1961. Dans l'affaire M.R.N. c. Tower Invest ment Inc. 7 , le Ministre avait adopté une position identique, mais le juge Collier n'en a pas moins conclu, relativement à des dépenses de $153,301 engagées en 1963, 1964 et 1965 pour l'insertion d'annonces publicitaires, que le contribuable n'était pas obligé de déduire le montant de la dépense dans l'année elle a été engagée et que, conformément aux principes comptables, il pouvait en reporter une fraction sur des années ultérieures.
Dans M.R.N. c. Canadian Glassine Co., Ltd. 8 , le juge Le Dain, après avoir exprimé sa dissidence, a conclu que la dépense visée était une dépense de revenu et a déclaré la page 536):
Dans l'arrêt Associated Investors of Canada Limited c. M.R.N. [1967] 2 R.C.É. 96, la page 100 (note en bas de page), le président Jackett a émis l'opinion que le principe énoncé par le président Thorson n'est pas [TRADUCTION] «ap- plicable dans n'importe quelles circonstances» et qu' [TRADUC- TION] «il existe plusieurs genres de dépenses qui sont déduc- tibles dans le calcul des bénéfices pour l'année `relativement à
7 [1972] C.F. 454.
8 [1976] 2 C.F. 517.
laquelle' elles ont été faites ou sont dues.» Dans l'affaire Tower Investment, le juge Collier a conclu [aux pages 461-462]: «A mon avis, les distinctions que fait le président Jackett s'appli- quent dans un cas comme celui de la présente affaire. Les frais de publicité engagés dans la présente affaire ne sont pas des dépenses courantes au sens usuel de cette expression. Ils ont été engagés en vue de produire des revenus non seulement dans l'année durant laquelle ils ont été faits, mais aussi dans les années à venir.»
Comme le juge de première instance, je suis d'avis que cette conclusion s'applique aussi à la dépense engagée en l'espèce. L'opinion du président Thorson n'est pas une conclusion dictée par les termes de l'article 12(1)a), mais un principe déduit [TRADUCTION] «de l'intention générale de la Loi» qui devrait être précisé afin d'éviter que, dans une affaire comme la présente, son application présente une fausse image de la situation financière du contribuable, au lieu d'en donner une image juste et raisonnable. Effectivement, l'avocat de l'appe- lant n'a pas contesté devant cette cour le droit d'appliquer le principe de «l'imputation des dépenses aux revenus correspon- dants» à la présente affaire et a supposé que la dépense en cause était déductible aux fins du calcul du revenu.
En l'espèce, la Couronne adopte la position sui- vante: si le montant n'est pas une dépense de capital, il incombe au contribuable de l'amortir sur un certain nombre d'années et de ne réclamer, chaque année, que la déduction d'une partie de celui-ci. L'avocat prétend que, sauf lorsque la Loi de l'impôt sur le revenu comporte une disposition particulière, les principes de comptabilité commer- ciale reconnus s'appliquent aux fins de déterminer le revenu tiré d'une entreprise pour l'année et que le fait de déduire la totalité dudit montant dans l'année 1973, plutôt que de l'amortir et d'en étaler la déduction sur un certain nombre d'années, déna- ture et réduit indûment le revenu de 1973. Il n'attaque pas la méthode comptable adoptée par la demanderesse qui, dans le calcul de ses bénéfices à des fins commerciales, a amorti le montant sur une période de quinze ans.
Dans Associated Investors of Canada Limited c. M.R.N. 9 , le président Jackett (tel était alors son titre) a déclaré ce qui suit dans un renvoi en bas de page:
[TRADUCTION] Il a également été plaidé que l'article 12(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui énonce:
12. (1) Dans le calcul du revenu, il n'est opéré aucune déduction à l'égard
a) d'une somme déboursée ou dépensée, sauf dans la mesure elle l'a été par le contribuable en vue de gagner ou de produire un revenu tiré de biens ou d'une entreprise du contribuable,
9 [1967] 2 R.C.É. 96, aux pages 100 et 101.
doit être interprété comme interdisant, dans le calcul des bénéfices tirés d'une entreprise pour une année, la déduction d'une somme qui n'a pas été déboursée ou dépensée au cours de ladite année. A l'appui de cette prétention, on a invoqué le jugement du président Thorson dans l'affaire Rossmor Auto Supply Ltd. c. M.R.N. [ 1962] C.T.C. 123, qui déclare (p. 126): «Selon l'interprétation que je donne à l'article 12(1)a), les débours ou les dépenses qui peuvent être déduits dans le calcul du revenu d'un contribuable pour l'année ... se limitent aux sommes déboursées ou dépensées par le contribuable durant l'année sur laquelle porte la cotisation» (les italiques sont de moi). Si cette interprétation était une partie essentielle de l'argumentation sur laquelle la décision rendue dans cette affaire a été basée, je me sentirais obligé de la suivre, bien qu'elle ne soit pas, à mon avis, basée sur un principe qui s'applique dans n'importe quelles circonstances. Dans ladite affaire, toutefois, il est clair que le prêt n'a pas été consenti dans le cours ordinaire des affaires de l'appelante, et c'est ce que le président a décidé. A mon avis, bien que certains genres de dépenses doivent être déduites dans l'année durant laquelle elles ont été faites ou engagées, et dans aucune autre, (par exemple, des frais de réparations, comme dans l'affaire Naval Colliery Co. Ltd. c. C.I.R. (1928) 12 T.C. 1017, ou des frais de sarclage, comme dans l'affaire Vallambrosa Rubber Co.. Ltd. c. Farmer (1910) 5 T.C. 529), il existe plusieurs genres de dépenses qui sont déductibles dans le calcul des bénéfices pour l'année «relativement à laquelle» elles ont été faites ou sont dues. (Comparer les articles 11(1)c) et 14 de la Loi.) Par exemple, la façon ordinaire de calculer les bénéfices bruts d'exploitation aboutit à un pareil résultat (produit des ventes de l'année, dont on retranche l'excédent du stock initial en début d'exercice plus les achats faits durant l'année sur le stock final en clôture d'exercice), c'est-à-dire que (hormis le cas la valeur marchande des marchandises serait inférieure au prix payé) le coût des marchandises vendues dans l'année est déduit du produit de la vente de celles-ci, même si lesdites marchan- dises ont été achetées et payées au cours d'un exercice antérieur. Il s'agit là, bien sûr, de la seule façon logique de calculer le produit des ventes faites dans l'année. Comparer le jugement du vicomte Simon dans l'affaire I.R.C. c. Gardner Mountain & D'Ambrumenil, Ltd. (1947) 29 T.C. (p. 93): «Dans le calcul des bénéfices imposables d'une entreprise ... le prix des services rendus et des marchandises livrées, lorsqu'il ne sera payé que dans une année ultérieure, ne peut pas, d'une manière générale, être considéré comme une perte pure du contribuable pour l'année durant laquelle le prix a été déboursé et, pour l'année durant laquelle le prix sera payé ou viendra à échéance, le prix desdites marchandises ne peut pas être con- sidéré comme un profit pur. En déterminant ... le montant du résultat net de l'opération, les chiffres placés du côté des recettes doivent se rapporter ... au compte des profits et pertes de la même année, et cette année sera l'année durant laquelle le service a été rendu ou durant laquelle les marchandises ont été livrées.» (Cette Cour a suivi ce raisonnement dans le jugement du juge Cameron dans l'affaire Ken Steeves Sales Ltd. c. Le ministre du Revenu national [1955] R.C.E. 108, la p. 119.) La situation est différente dans le cas des «dépenses courantes». Voir le jugement du juge Rowlatt dans l'affaire Naval Colliery Co. Ltd. c. C.!.R. précitée (p. 1027): «... et les frais de réparation, les dépenses courantes d'une entreprise et ainsi de suite ne peuvent pas être imputés directement aux postes de rentrées correspondants, et leur imputation ne peut pas être
limitée de manière à les faire correspondre, ou à essayer de les faire correspondre, aux rentrées réelles de l'année en question. Si des réparations courantes sont faites, si des lubrifiants sont achetés, il n'est évidemment pas question de procéder à une enquête pour déterminer si les réparations ont été en partie rendues nécessaires par l'usure normale d'une pièce de matériel qui a produit des bénéfices durant l'année qui a précédé ou si les réparations faites permettront à la pièce de matériel de contribuer aux profits durant l'année suivante, et ainsi de suite. Les dépenses de ce genre sont considérées, et doivent être considérées, comme des dépenses engagées dans l'exploitation de l'entreprise envisagée comme un tout chaque année, et les revenus sont les revenus de l'entreprise envisagée comme un tout pour l'année, sans essayer de rattacher chaque dépense à un poste donné des revenus. Voir également Riedle Brewery Ltd. c. Le ministre du Revenu national [1939] R.C.S. 253. En ce qui concerne la souplesse de la méthode de calcul des revenus permise par la Loi de l'impôt sur le revenu, voir le jugement du juge Cameron dans l'affaire Ken Steeves (pré- citée) aux pages 113 et 114.
Je pense qu'aux fins de l'impôt sur le revenu, il ressort de ce jugement que le «principe du rappro chement» s'applique aux dépenses afférentes à cer- tains postes de revenu et, en particulier, au calcul des bénéfices tirés de l'achat et de la vente d'un stock '°, mais par contre ne s'applique pas aux dépenses en cours de l'entreprise et ce, même si le fait de déduire un poste de dépenses en cours particulièrement important dans l'année il est payé dénature le revenu de ladite année. Or, en l'espèce, il paraît indiscutable que les principes de comptabilité admettent la méthode que la deman- deresse a adoptée lorsqu'elle a choisi d'amortir ledit montant pour des fins commerciales. De plus, il paraît non moins indiscutable que le fait de déduire la totalité du montant en 1973 dénature- rait les bénéfices pour cette année-là. Par consé- quent, puisque ledit montant représente une dépense en cours qui n'est liée à aucun poste du revenu, le renvoi à l'affaire Associated Investors et la jurisprudence à laquelle le président Jackett se réfère (et en particulier l'affaire Vallambrosa Rubber et l'affaire Naval Colliery) indiquent que ce montant est déductible seulement dans l'année il a été payé. Selon le sens du jugement dans l'affaire Tower Investment et celui des propos du juge de première instance et du juge Le Dain dans l'affaire Canadian Glassine, il semble que l'on ait seulement jugé qu'un contribuable restait libre d'étaler la déduction sur un certain nombre d'an-
1 ° Comparer avec Neonex International Ltd. c. La Reine [1978] CTC 485, la page 497.
nées. Il n'y a pas été affirmé, comme cela l'avait été dans la jurisprudence antérieure, que la dépense ne peut pas être déduite intégralement dans l'année elle a été faite. Quant à la Loi, elle ne comporte aucune disposition particulière qui interdise la déduction du plein montant dans l'an- née il a été versé. Par conséquent, je ne pense pas que le Ministre ait le droit d'insister pour que la demanderesse amortisse la dépense ou l'étale sur un certain nombre d'années.
Il existe aussi un autre aspect à considérer. La période de quinze ans que la demanderesse a choi- sie n'a guère de rapport avec la durée prévisible des améliorations de voirie, qui peut fort bien être plus longue. Ce choix s'explique donc probable- ment parce que cette période est celle que la Ville aurait retenue. Par ailleurs, s'il y a autre chose qui doit être prise en considération en l'espèce ce n'est pas la durée de ces améliorations, mais celle des avantages qui sont censés influer sur la popularité du centre commercial, compte tenu spécialement de la perspective de l'ouverture d'un autre centre commercial à quelque trois milles de distance et de la mise en oeuvre d'autres projets du même ordre susceptibles de nuire à la popularité du centre commercial de la demanderesse dans une Ville en pleine expansion. Certes il s'agit d'impondéra- bles, mais ils me confirment dans l'opinion que la totalité du montant est déductible dans l'année il a été versé.
Par conséquent, je suis d'avis d'accueillir l'appel avec dépens et de renvoyer l'affaire au Ministre pour qu'il établisse, à la lumière de ce qui précède, de nouvelles cotisations.
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