A-20-80
La Reine, représentée par le Conseil du Trésor,
représenté par le procureur général du Canada
(Requérante)
c.
Luc Turgeon, représenté par l'Alliance de la Fonc-
tion publique du Canada (Intimé)
Cour d'appel, les juges Pratte, Ryan et Le Dain—
Ottawa, 14 avril 1980.
Examen judiciaire — Fonction publique — Demande d'exa-
men et d'annulation de la décision de l'arbitre qui a fait droit
au grief formé contre une nouvelle suspension — Cette suspen
sion était fondée sur une condamnation pour complot de
fraude contre les fonds d'assurance-chômage — L'intimé avait
déjà contesté une première suspension et le congédiement
subséquent (antérieurs à la poursuite criminelle) — Le premier
arbitre décida que le congédiement était une mesure discipli-
naire trop sévère et devait être remplacée par une suspension
d'un an — Il échet d'examiner si le second arbitre a mal
appliqué le principe de l'autorité de la chose jugée — Il échet
d'examiner s'il y a lieu de reconsidérer toute l'affaire —
L'arbitre a eu raison de considérer que l'on ne pouvait imposer
à l'intimé une nouvelle punition pour une offense qu'il a déjà
expiée — Rien ne justifiait la suspension de l'intimé —
Décision surprenante mais non entachée d'une erreur de droit
— Requête rejetée — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2'
Supp.), c. 10, art. 28.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
Robert F. Lee pour la requérante.
J. D. Richard, c.r. pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
requérante.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour l'intimé.
Voici les motifs du jugement prononcés en fran-
çais à l'audience par
LE JUGE PRATTE: La requérante demande l'an-
nulation, en vertu de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10,
d'une décision d'un arbitre en vertu de la Loi sur
les relations de travail dans la Fonction publique,
S.R.C. 1970, c. P-35.
L'intimé est employé depuis 1972 de la Commis
sion de l'emploi et de l'immigration (qui était
autrefois la Commission d'assurance-chômage).
Au mois de septembre 1976, son employeur le
suspendait de ses fonctions parce qu'il le soupçon-
nait d'avoir été partie à un complot visant à frau-
der la Commission. Après qu'une enquête eut con
firmé que ses soupçons étaient fondés, l'employeur
décida de congédier l'intimé à compter du 18 mars
1977.
L'intimé présenta deux griefs par lesquels il
contestait sa suspension et son congédiement. Ces
griefs furent renvoyés à l'arbitrage. L'arbitre, Mc
Pierre-André Lachapelle, après avoir conclu que
l'intimé avait bel et bien participé à une fraude
contre la Commission d'assurance-chômage,
décida que, dans les circonstances, le congédie-
ment était cependant une mesure disciplinaire trop
sévère et devait être remplacée par une suspension
d'un an sans salaire. Suite à cette décision, qui fut
prononcée le 13 décembre 1977, l'intimé fut réin-
tégré dans ses fonctions.
Quelques mois plus tard, en conséquence d'une
plainte portée contre lui à la suite des événements
qui avaient motivé sa suspension, l'intimé était
trouvé coupable d'avoir comploté en vue de frau-
der la Commission et condamné à deux ans d'em-
prisonnement. Il en appela immédiatement de
cette décision. Cet appel est toujours pendant.
Le 21 juin 1979, l'employeur écrivit à l'intimé la
lettre suivante:
Nous avons été avisé qu'en date du 30 avril 1979 vous avez
été trouvé coupable en Cour criminelle d'avoir conspiré avec
d'autres personnes dans le but de frauder les fonds d'assurance-
chômage. Cette condamnation comportait une période de deux
ans d'emprisonnement et vous avez effectivement été empri-
sonné le 28 mai et relâché sous cautionnement le 12 juin dans
l'attente de l'appel de cette condamnation.
Dans ces circonstances, nous vous plaçons en suspension
indéfinie jusqu'à ce que nous connaissions les résultats de votre
appel et ladite suspension prend effet le 12 juin 1979. Si votre
appel était rejeté, des mesures seraient alors prises afin de
mettre fin à vos services auprès de la Commission.
L'intimé présenta ensuite un grief contre cette
nouvelle suspension. L'affaire fut renvoyée à l'ar-
bitrage et l'arbitre fit droit au grief. C'est cette
décision que la requérante voudrait aujourd'hui
faire annuler.
Le seul reproche que l'avocat de la requérante a
fait à la décision attaquée, c'est d'avoir fait une
mauvaise application du principe de l'autorité de
la chose jugée. La condamnation de l'intimé était,
suivant l'avocat de la requérante, un fait nouveau
qui n'avait pas été considéré par l'arbitre Lacha-
pelle lors du premier arbitrage; dans ces circons-
tances, dit l'avocat de la requérante, le second
arbitre pouvait, sans faire échec au principe de
l'autorité de la chose jugée, (c'est-à-dire sans faire
échec à l'autorité de la décision du premier arbi-
tre) reconsidérer toute l'affaire et déterminer
quelle sanction pouvait être imposée à l'intimé.
Cette argumentation est, à mon sens, mal
fondée. Il est manifeste que l'intimé a déjà été puni
pour avoir fraudé la Commission d'assurance-chô-
mage. Cela est chose du passé et l'arbitre a eu
raison de considérer que l'on ne pouvait imposer à
l'intimé une nouvelle punition pour cette offense
qu'il a déjà expiée. Ce qui est nouveau depuis la
première sentence arbitrale et ce qui a motivé la
nouvelle suspension de l'intimé, c'est qu'une con-
damnation criminelle a été prononcée contre lui.
L'arbitre avait à décider si ce fait nouveau justi-
fiait la suspension de l'intimé. A cette question,
l'arbitre a répondu négativement. Quoique cette
réponse me surprenne, je ne peux dire qu'elle soit
déraisonnable ou entachée d'une erreur de droit.
Je rejetterais donc la requête.
* * *
LE JUGE RYAN y a souscrit.
* * *
LE JUGE LE BAIN y a souscrit.
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