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A-605-79
Plough (Canada) Limited (Appelante) (Intimée)
c.
Aerosol Fillers Inc. (Intimée) (Appelante)
Cour d'appel, le juge en chef Thurlow, les juges Heald et Urie—Ottawa, 24 et 25 septembre, 20 octobre 1980.
Marques de commerce Radiation Appel contre un jugement de la Division de première instance ordonnant la radiation de la marque de commerce PHARMACO - Preuve relative à l'«emplob Faute de décrire ce qui est appelé emploi et d'énoncer les faits conformément à l'art. 44(3) de la Loi sur les marques de commerce Faute de fournir les preuves au sens de l'art. 44(3) Appel rejeté Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, c. T-10, art. 44.
Appel interjeté d'un jugement de la Division de première instance qui a accueilli l'appel d'une décision rendue par le registraire des marques de commerce conformément à l'article 44 de la Loi sur les marques de commerce, ordonnant la radiation de l'enregistrement de la marque de commerce PHAR- MACO employée par l'appelante. En ce qui concerne l'affidavit déposé par l'appelante en réponse à l'avis notifié parle regis- traire en application du paragraphe 44(1) de la Loi, le juge de première instance a statué que les simples affirmations conte- nues dans l'affidavit, selon lesquelles l'appelante «emploie» et «employait» la marque de commerce déposée, constituent des conclusions sur une question de droit qu'elle n'était pas en droit de tirer. Le juge de première instance a également statué que l'affidavit était incomplet en ce qu'il ne révélait rien sur l'em- ploi de la marque de commerce antérieurement à la date de l'avis donné conformément à l'article 44. Suivant l'avocat de l'appelante, le contenu de l'affidavit répondait bien aux exigen- ces de la Loi et le registraire pouvait seulement en conclure que rien n'établissait que la marque de commerce n'était pas employée au Canada.
Arrêt: l'appel est rejeté. Le paragraphe 44(1) prévoit le dépôt d'un affidavit «indiquant», et non seulement énonçant, si la marque de commerce est employée, c'est-à-dire décrivant l'em- ploi de cette marque de commerce au sens de la définition de l'expression «marque de commerce» à l'article 2 et du terme «emploi» à l'article 4. Cela a pour but d'informer le registraire quant à l'emploi de la marque de commerce afin que lui et la Cour, s'il y a appel, puissent apprécier la situation et appliquer, le cas échéant, la règle de fond énoncée au paragraphe 44(3). Cet affidavit ne fournit pas tous les renseignements demandés en ce qu'il ne fait aucune distinction entre les préparations pharmaceutiques en liaison avec lesquelles la marque est employée et celles avec lesquelles elle ne l'est pas. Il omet de décrire l'emploi qui est fait de la marque de commerce, c'est-à- dire, dans le cas de marchandises, l'emploi tel que visé à l'article 4. Il ne dit pas de quelle façon la marque de commerce est employée, ni dans quel sens le terme est employé. On ne peut conclure que les affirmations contenues dans cet affidavit constituent des conclusions sur une question de droit car cet affidavit est ambigu. Puisque l'affidavit ne contient pas les
renseignements prévus au paragraphe 44(1) et dans l'avis du registraire délivré en application de ce paragraphe, cela équi- vaut à une «omission de fournir une telle preuve„ au sens du paragraphe 44(3). Cette omission justifie la conclusion que la marque de commerce n'est pas employée au Canada.
Arrêts mentionnés: Broderick & Bascom Rope Co. c. Le registraire des marques de commerce (1970) 62 C.P.R. 268; John Labatt Ltd. c. The Cotton Club Bottling Co. (1976) 25 C.P.R. (2') 115.
APPEL. AVOCATS:
John C. Osborne, c.r. et Rose-Marie Perry pour l'appelante.
Samuel Godinsky, c.r. et Richard Uditsky pour l'intimée.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour l'appe- lante.
Greenblatt, Godinsky, Uditsky, Montréal, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: Il s'agit d'un appel interjeté contre un jugement de la Division de première instance [[1980] 2 C.F. 338] qui a accueilli l'appel d'une décision du registraire des marques de commerce rendue conformément à l'article 44' de la Loi sur les marques de com merce, S.R.C. 1970, c. T-10, et ordonné la radia tion de l'enregistrement de la marque de com merce PHARMACO (n° 115,881) employée par l'appelante.
I 44. (1) Le registraire peut, à tout moment, et doit, sur la demande écrite présentée après trois années à compter de la date de l'enregistrement, par une personne qui verse les droits prescrits, à moins qu'il ne voie une raison valable à l'effet contraire, donner au propriétaire inscrit un avis lui enjoignant de fournir, dans les trois mois, un affidavit ou une déclaration statutaire indiquant, à l'égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l'enregistrement, si la marque de commerce est employée au Canada et, dans la négative, la date elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d'emploi depuis cette date.
(2) Le registraire ne doit recevoir aucune preuve autre que cet affidavit ou cette déclaration statutaire, mais il peut enten- dre des représentations faites par ou pour le propriétaire inscrit de la marque de commerce, ou par ou pour la personne à la demande de qui l'avis a été donné.
(3) Lorsqu'il apparaît au registraire, en raison de la preuve à lui fournie ou de l'omission de fournir une telle preuve, que la
Enregistrée en 1958 comme marque de com merce de Pharmaco (Canada) Ltd. et destinée à être employée en liaison avec des préparations pharmaceutiques, cette marque fut transférée à l'appelante en 1973. Le 7 septembre 1978, sur demande écrite présentée par l'intimée le 6 juillet 1978, le registraire a, conformément au paragra- phe 44(1) de la Loi, donné à l'appelante un avis lui enjoignant de fournir, dans les trois mois, un affi davit ou une déclaration statutaire indiquant, à l'égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l'enregistrement, si la marque de commerce est employée au Canada et, dans la négative, la date elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d'emploi depuis cette date.
A cela, l'appelante a répondu par un affidavit de son président déclarant:
[TRADUCTION] 2. QUE Plough (Canada) Limited emploie actuellement et employait au 7 septembre 1978, la marque de commerce déposée PHARMACO dans la pratique normale du commerce en liaison avec des préparations pharmaceutiques.
Le registraire a rendu sa décision sous forme de lettre qui se lit en partie comme suit:
[TRADUCTION] Compte tenu de la preuve produite, il appert que la marque de commerce déposée susmentionnée est employée au Canada en liaison avec les marchandises et les services que spécifie son enregistrement. Par conséquent, j'ai décidé qu'il n'y a lieu ni de modifier ni de radier l'enregistrement.
Toutefois, dans son jugement sur l'appel inter- jeté contre cette décision du registraire, le savant juge de la Division de première instance a statué la page 342] que «les simples affirmations conte- nues dans l'alinéa 2 de l'affidavit selon lesquelles, l'intimée `emploie' et `employait ... la marque de
marque de commerce, soit à l'égard de la totalité des marchan- dises ou services spécifiés dans l'enregistrement, soit à l'égard de l'une quelconque de ces marchandises ou de l'un quelconque de ces services, n'est pas employée au Canada, et que le défaut d'emploi n'a pas été attribuable à des circonstances spéciales qui le justifient, l'enregistrement de cette marque de commerce est susceptible de radiation ou modification en conséquence.
(4) Lorsque le registraire en arrive à une décision sur la question de savoir s'il y a lieu ou non de radier ou de modifier l'enregistrement de la marque de commerce, il doit notifier sa décision, avec les motifs pertinents, au propriétaire inscrit de la marque de commerce et à la personne à la demande de qui l'avis a été donné.
(5) Le registraire doit agir en conformité de sa décision si aucun appel n'en est interjeté dans le délai prévu par la présente loi ou, si un appel est interjeté, il doit agir en confor- mité du jugement définitif rendu dans cet appel.
commerce déposée PHARMACO' constituent des conclusions sur une question de droit que le décla- rant n'était pas en droit de tirer et d'affirmer sous serment comme s'il s'agissait d'une question de fait», que cela, en soi, était suffisant pour entraîner le rejet de l'appel mais qu'en outre, l'affidavit était incomplet en ce qu'il ne révélait rien sur l'emploi de la marque de commerce antérieurement air-7 septembre 1978, date de l'avis donné conformé- ment à l'article 44, et qu'il n'y avait devant le registraire aucune preuve capable de justifier sa décision. Par conséquent, le savant juge de pre- mière instance a accueilli l'appel et a ordonné la radiation de l'enregistrement.
Si j'ai bien compris, la position défendue devant cette Cour par l'avocat de l'appelante se résume fondamentalement à ce que le contenu de l'affida- vit répondait bien aux exigences de la Loi, qu'il était conforme à la pratique depuis longtemps établie au Bureau d'enregistrement des marques de commerce et que le juge de première instance a commis une erreur lorsqu'il a jugé ce contenu non satisfaisant. L'avocat de l'appelante a également allégué que le juge de première instance avait mal compris la question en litige et n'avait pas abordé le problème soulevé par l'application du paragra- phe 44(3) quant à savoir si le registraire avait le pouvoir de conclure, à la simple lumière du con- tenu de l'affidavit, que cette marque de commerce n'était pas employée au Canada. A cet égard, il allègue que le registraire pouvait seulement con- clure, à partir de l'affidavit, que rien n'établissait que la marque de commerce n'était pas employée au Canada.
Un certain nombre d'arrêts traitent du but et de la portée de l'article 44, notamment les affaires Re Wolfville Holland Bakery Ltd. 2 , The Noxzema Chemical Co. of Canada Ltd. c. Sheran Manufac turing Ltd. 3 et Broderick & Bascom Rope Co. c. Le registraire des marques de commerce'. Il n'est pas nécessaire de répéter ici ce qui a été dit dans ces arrêts car l'analyse qu'on y a fait de l'article 44 constitue un exposé clair et pertinent de l'état du droit. Dans l'affaire Broderick & Bascom Rope Co. c. Le registraire des marques de commerce, le
2 (1965) 42 C.P.R. 88.
3 [1968] 2 R.C.É. 446, la p. 453.
4 (1970) 62 C.P.R. 268.
président Jackett (tel était alors son titre) a résumé en ces termes le but de l'article 44 [aux pages 276 et 277]:
[TRADUCTION] L'article 44 envisage en fait une procédure simple pour débarrasser le registre des inscriptions de marques de commerce qui ne sont pas revendiquées bona fide par leurs propriétaires comme des marques de commerce en usage. Tout ce que peut faire le registraire consiste à déterminer si la preuve fournie par le propriétaire inscrit ou son omission de fournir une telle preuve démontre que la marque de commerce est employée ou qu'il existe des circonstances justificatives. C'est la question que pose l'article 44. La décision du registraire ne règle rien de façon définitive sauf la question de savoir si l'inscription est susceptible de radiation ou non en vertu de l'article 44.
Toutefois, l'on s'est fondé sur une expression utilisée par le président Jackett dans l'affaire Noxzema pour justifier ce qui, semble-t-il, est devenu une pratique établie dans la préparation des affidavits présentés en réponse aux avis déli- vrés en vertu de l'article 44. Dans cette affaire, le président Jackett, paraphrasant les prescriptions de l'article 44, s'est exprimé en ces termes la page 453]:
[TRADUCTION] En d'autres termes, l'article 44 fournit un moyen de débarrasser le registre des enregistrements dont les propriétaires inscrits ont cessé de revendiquer l'emploi. Un propriétaire inscrit peut éviter qu'un tel sort soit réservé à son enregistrement en déposant soit une simple déclaration d'em- ploi de la marque de commerce, soit la raison du défaut d'emploi de cette marque s'il avoue ne pas l'employer.
Il m'apparaît que, dans ce contexte, l'expression «une simple déclaration d'emploi de la marque de commerce» ne sert qu'à désigner ce que le proprié- taire inscrit doit déposer. Il ne s'agit pas du tout d'une inscription de ce qu'il faut faire pour démon- trer que la marque est effectivement employée. A mon avis, l'on ne peut à bon droit permettre que cette expression soit interprétée de façon à ce que l'emploi d'une marque de commerce puisse être établi pour les fins de l'article 44 par un simple énoncé portant que la marque est ou a été employée 5 . Cette expression est tout à fait compa tible avec les prescriptions de la Loi, et c'est à celle-ci qu'il convient de se référer pour déterminer ce que le propriétaire inscrit de l'enregistrement est tenu de démontrer par son affidavit ou sa déclaration, sans jamais oublier que cette procé-
5 A comparer aux commentaires du juge Cattanach dans John Labatt Ltd. c. The Cotton Club Bottling Co. (1976) 25 C.P.R. (2°) 115, la p. 122.
dure a pour objet de débarrasser le registre des inscriptions des marques de commerce dont les propriétaires inscrits ne revendiquent plus de bonne foi l'emploi. A mon avis, le fait que le Bureau des marques de commerce ait admis ou toléré des réponses semblables à celles en l'espèce ou des réponses encore plus incomplètes ne consti- tue pas un motif pour s'éloigner de l'esprit et de la lettre de la Loi, tels qu'ils sont exprimés à l'article 44, lorsqu'il s'agit de décider si ces réponses sont complètes et valables, même si, en l'espèce, cette pratique du Bureau pourrait expliquer l'affidavit incomplet produit devant le registraire.
Le paragraphe 44(1) exige qu'il soit fourni au registraire un affidavit ou une déclaration statu- taire «indiquant», et non simplement énonçant, si la marque de commerce est employée, c'est-à-dire décrivant l'emploi de cette marque de commerce au sens de la définition de l'expression «marque de commerce» à l'article 2 et de l'expression «emploi» à l'article 4. Cela ressort clairement des termes du paragraphe en question puisqu'il exige que le pro- priétaire inscrit fournisse un affidavit ou une dé- claration statutaire indiquant, à l'égard de cha- cune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l'enregistrement, si la marque de com merce est employée au Canada et, dans la néga- tive, la date elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d'emploi depuis cette date. Cela a pour but non seulement d'indiquer au registraire que le propriétaire inscrit ne veut pas renoncer à l'enregistrement, mais aussi de l'infor- mer quant à l'emploi de la marque de commerce afin que lui et la Cour, s'il y a appel, puissent être en mesure d'apprécier la situation et d'appliquer, le cas échéant, la règle de fond énoncée au para- graphe 44(3). Il n'est pas permis à un propriétaire inscrit de garder sa marque s'il ne l'emploie pas, c'est-à-dire s'il ne l'emploie pas du tout ou s'il ne l'emploie pas à l'égard de certaines des marchandi- ses pour lesquelles cette marque a été enregistrée.
Quant à l'affidavit déposé par l'appelante en réponse à l'avis donné par le registraire, soulignons tout d'abord que cet affidavit ne fournit pas tous les renseignements demandés en ce qu'il ne fait aucune distinction entre les préparations pharma- ceutiques en liaison avec lesquelles la marque est employée et celles avec lesquelles elle ne l'est pas. L'affidavit ne précise pas quelles préparations sont
visées dans cette catégorie large et mal définie des préparations pharmaceutiques et il n'indique pas, à l'égard de chacune des marchandises que spécifie l'enregistrement, si la marque de commerce est employée au Canada, et, dans la négative, la date elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d'emploi depuis cette date. Je doute qu'une personne puisse obtenir l'enregistre- ment d'une marque couvrant une catégorie aussi large de marchandises; quoi qu'il en soit, le simple fait que l'enregistrement vise à couvrir une catégo- rie aussi large ne constitue pas une raison pour ne pas nommément désigner, dans l'affidavit même, les préparations en liaison avec lesquelles la marque est employée et pour ne pas donner les renseignements exigés par le paragraphe et par l'avis. Le défaut de ce faire et l'effort qui semble avoir été déployé pour éviter de donner les rensei- gnements demandés dans l'avis, sèment le doute quant à la sincérité des déclarations contenues dans l'affidavit. Ces déclarations ne seraient com patibles qu'avec un certain emploi minimal de la marque en liaison avec une seule préparation phar- maceutique, alors que l'on a cherché à faire appa- raître que la marque était employée en liaison avec une catégorie très variée de marchandises. De plus, l'omission de décrire l'emploi qui est fait de la marque de commerce nous laisse perplexes quant à la signification des déclarations. En effet, si le signataire d'un affidavit ne précise pas ce qu'il entend par l'emploi d'une marque de commerce, il pourrait très bien y affirmer qu'il emploie la marque même si, en fait, cet emploi n'est que celui qu'il est fait de celle-ci dans la publicité afférente à l'entreprise du titulaire de l'enregistrement. Si tel est le sens de ce qu'il a voulu dire, le signataire pourrait, le cas échéant, apaiser ses remords de conscience en se disant que son affidavit est, dans un certain sens, véridique et défendable. Mais c'est de l'emploi de la marque de commerce qu'il faut faire la preuve; or, dans le cas de marchandises, il faut faire la preuve d'un emploi du genre de celui prévu à l'article 4, c'est-à-dire qu'il faut prouver que la marque est apposée sur les marchandises ou sur leur emballage ou liée aux marchandises, au moment de la vente ou de la livraison de celles-ci, dans la pratique normale du commerce, dans le but de différencier des autres marchandises celles qui sont fabriquées ou vendues par le titulaire de la marque. Or, il n'appert pas que dans l'affidavit en cause, l'expression «emploi» soit utilisée dans ce
sens, puisque le signataire n'y dit pas de quelle façon la marque de commerce est employée, ni le sens attribué à l'expression.
Avec déférence, je ne partage pas l'avis du savant juge de première instance selon lequel les affirmations contenues dans cet affidavit consti tuent des conclusions sur une question de droit. A mon avis; l'affidavit est ambigu dans ce qu'il énonce. En effet, on pourrait l'interpréter comme une simple déclaration non pertinente en l'espèce ou comme une déclaration pertinente dont les termes constituent une conclusion sur une question mixte de fait et de droit. Toutefois, ni la Cour ni le registraire ne sont liés par l'opinion ou la conclu sion du signataire, selon laquelle l'emploi qu'il fait de la marque de commerce est conforme à ce que la Loi prévoit à ce chapitre. Celle-ci exige que soient précisés certains faits; il appartient ensuite au registraire et, le cas échéant, à la Cour, de décider si ces précisions sont révélatrices d'un emploi de la marque. Par conséquent, que l'affida- vit soit interprété dans un sens ou dans l'autre, il appert selon moi qu'il ne satisfait pas aux exigen- ces du paragraphe 44(1) et qu'il n'établit pas l'emploi de la marque au sens de la Loi.
En outre, comme ce fut le cas pour l'affidavit en cause dans l'affaire American Distilling Co. c. Canadian Schenley Distilleries Ltd. 6 , il faut, en l'espèce, examiner ce que l'affidavit ne dit pas. On peut difficilement croire qu'un propriétaire inscrit passerait sous silence le fait que, jusqu'à l'époque il a reçu un avis donné en vertu de l'article 44, il employait effectivement sa marque de commerce en liaison avec les préparations pharmaceutiques qu'il vendait et qu'il chercherait plutôt à répondre aux questions posées dans l'avis par un simple énoncé portant que le titulaire de la marque de commerce emploie actuellement et employait à la date de l'avis cette marque, dans la pratique nor- male du commerce, en liaison avec des prépara- tions pharmaceutiques. Je souscris aux propos de l'avocat de l'intimée, selon lesquels plutôt que de révéler les faits requis par l'avis, cet affidavit essaie de les cacher. En outre, le fait que l'appe- lante, en réponse à l'appel interjeté contre la déci- sion du registraire, n'ait pas déposé, comme elle aurait pu le faire, un affidavit supplémentaire décrivant l'emploi qu'elle a fait de sa marque de
6 (1979) 38 C.P.R. (2') 60.
commerce, si elle l'a effectivement employée, appuie la conclusion selon laquelle cette marque de commerce n'était pas employée comme marque de commerce, ni avant ni après la signification de l'avis.
Par conséquent, il convient, à mon avis, de trancher cette affaire comme si l'appelante n'avait déposé aucun affidavit, car ce qui importé aux termes du paragraphe 44(3), c'est le contenu de l'affidavit et non le fait d'en avoir déposé un. Lorsqu'un propriétaire inscrit dépose un affidavit qui ne révèle pas les renseignements demandés, cela équivaut à une «omission de fournir une telle preuve» au sens dudit paragraphe. Or, . telle est, à mon avis, la situation en l'espèce.
Le registraire ne pouvait donc pas conclure que, compte tenu de la preuve produite, la marque de commerce était effectivement employée au Canada en liaison avec chacune des marchandises ou chacun des services que spécifie l'enregistrement. D'ailleurs, l'avocat de l'appelante n'a pas contesté que telle était bien la situation; il a plutôt insisté sur le fait que l'affidavit, tel que libellé, ne permet pas de conclure, conformément au paragraphe 44(3), que la marque de commerce n'était pas employée au Canada au sens de ce paragraphe. Selon moi, il suffit pour repousser cette allégation de se reporter à la conclusion énoncée précédem- ment, selon laquelle puisque l'affidavit ne contient pas les renseignements exigés au paragraphe 44(1) et dans l'avis du registraire délivré en application de ce paragraphe, cela équivaut à une «omission de fournir une telle preuve» au sens du paragraphe 44(3). Par conséquent, je suis d'avis que cette omission justifie, en l'espèce, la conclusion que la marque de commerce n'est pas employée au Canada au sens de ce paragraphe, que l'enregistre- ment en question est donc susceptible de radiation et qu'il doit être radié.
Il est en outre allégué que même dans les cas l'on conclut que l'enregistrement d'une marque de commerce est susceptible de radiation, il appar- tient toujours au registraire, aux termes du para- graphe 44(3), de décider ou non, à sa discrétion, de la radiation de l'enregistrement. Je doute que le registraire puisse légitimement refuser la radiation d'un enregistrement «susceptible» de radiation en vertu du paragraphe 44(3), en l'absence de cir- constances spéciales justifiant un défaut d'emploi
au sens de ce paragraphe. Toutefois, même en supposant que l'expression «susceptible» utilisée dans ce paragraphe donne naissance à un pouvoir discrétionnaire, ce pouvoir, dans les présentes cir-
constances, appartient à la Cour. En effet, le regis- traire n'a pas eu à exercer ce pouvoir puisque l'appelante l'a convaincu, même sans preuve à l'appui, que la marque de commerce était effecti-
vement employée au Canada; par conséquent, la présente espèce n'en est pas une la Cour ne
pourrait intervenir que si l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire par le registraire était fondé sur un
principe erroné. Il s'ensuit que ce pouvoir, s'il existe, pourrait à ce stade-ci être exercé par la Cour conformément au paragraphe 56(5)' de la Loi sur les marques de commerce.
A mon avis, rien dans le dossier soumis à l'exa- men de la Cour ne milite en faveur de l'exercice d'un tel pouvoir discrétionnaire en vue de conser- ver l'enregistrement en cause. En effet, rien ne
prouve que la marque était employée au moment de l'enregistrement, ni même que le propriétaire inscrit avait l'intention de l'utiliser dans l'avenir comme marque de commerce.
Afin d'en finir avec cette question, je désire ouvrir une parenthèse au sujet de l'affidavit déposé par l'intimée lors de l'appel interjeté devant la Division de première instance. A mon avis, toute preuve produite par la partie à la demande de qui a été donné l'avis prévu au paragraphe 44(1), est irrecevable aussi bien sur appel interjeté contre la décision du registraire que devant ce dernier. Sur ce point, je fais miens les propos tenus par le président Jackett dans l'affaire Broderick & Bascom Rope Co. c. Le registraire des marques de commerce (précitée) la page 279]:
[TRADUCTION] La requérante se fonde sur le dictum stipulant que la Cour peut être «convaincue que la marque de commerce est employée». Pour moi ces mots, dans leur contexte, se rapportent uniquement à la Cour, convaincue de la même façon qu'a pu l'être le registraire au début de l'instance, c'est-à-dire, par la preuve apportée par le propriétaire inscrit. Le savant président n'avait pas à traiter de la question de savoir si des tierces parties pouvaient s'introduire à l'instance et y soumettre une preuve, et rien, dans ce qu'il a dit, ne laisse supposer qu'il ait abordé cette éventualité.
La requérante invoque aussi l'art. 55(5) qui prévoit que, «Lors de l'appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle
' 56. ...
(5) Lors de l'appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et la Cour peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.
qui a été fournie devant le registraire». Ceci ne peut pas cependant aller jusqu'à autoriser une preuve sur les questions qui ne sont pas soumises à la Cour lors de l'appel. Lorsque, par conséquent, l'unique question consiste à savoir si la preuve du propriétaire inscrit fait «apparaître» à la Cour qu'il y a un usager, toute autre preuve sur ce sujet ne présente évidemment plus d'intérêt.
Par conséquent, je n'ai pas examiné l'affidavit de l'intimée et, à en juger par l'absence de tout renvoi à celui-ci dans ses motifs, le savant juge de première instance semble avoir fait de même sans doute pour les mêmes raisons.
Je dois également mentionner que, dans sa répli- que, l'avocat de l'appelante a allégué que si la Cour venait à juger l'affidavit incomplet, l'affaire devrait être renvoyée devant le registraire avec une directive autorisant l'appelante à déposer des élé- ments de preuve additionnels. Même si l'on pou- vait donner une directive semblable 8 , il ne serait pas indiqué, à mon avis, de renvoyer l'affaire devant le registraire ou devant la Division de pre- mière instance pour donner une autre chance à l'appelante, alors que celle-ci a bénéficié d'un délai de trois mois en première instance devant le regis- traire et, par la suite, du délai plus que suffisant que donnent les Règles de la Cour pour déposer tous les éléments de preuve qu'elle désire, ce qu'elle n'a pas fait. Je sais que l'on a fait état devant cette Cour de la pratique du Bureau des marques de commerce d'accepter les affidavits libellés dans des termes aussi incomplets que celui déposé par l'appelante, mais je ne vois pas pour- quoi l'appelante ou l'avocat qui l'a conseillée pour la rédaction de cet affidavit et qui connaissait sans doute toutes les prescriptions de la Loi, ont pré- sumé que la Cour n'exigerait pas davantage que ce qui a été déposé. Je ne vois rien dans l'avis exprimé par le juge Cattanach dans l'affaire John Labatt Ltd. c. The Cotton Club Bottling Co. (précitée) qui aurait pu les inciter à adopter une telle démar- che. De plus, rien dans le dossier soumis à l'exa- men de la Cour n'indique que l'appelante a d'au- tres éléments de preuve significatifs à produire.
Voir Re Wolfville Holland Bakery Ltd. (précitée), le prési- dent Thorson, à la p. 91. [TRADUCTION] «A mon avis, le registraire avait raison de rejeter la demande de prorogation. Il aurait pu l'accueillir si le délai de trois mois prévu dans les avis avait été expiré et s'il n'avait pas déjà rendu sa décision. Toutefois, sa décision étant rendue, il n'avait plus le pouvoir d'accueillir la requête. Il ne restait alors à l'appelante qu'un seul recours: interjeter appel devant cette Cour.»
Par conséquent, je suis d'avis de rejeter l'appel avec dépens.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE URIE: Je souscris à ces motifs.
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