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T-3-8 I
John C. Turmel, bachelier en génie (Demandeur) c.
Le procureur de la Couronne d'Ottawa (Défen- deur)
Division de première instance, le juge Walsh— Ottawa, 13 et 15 janvier 1981.
Brefs de prérogative Mandamus Demande tendant à faire enjoindre à la Couronne de poursuivre, en application de l'art. 186(/)b) du Code criminel, certains grands magasins revendeurs Le demandeur a été, auparavant, inculpé et condamné en vertu des mêmes dispositions relatives aux dis- positifs de jeu Le demandeur demande en outre que soit retirée cette accusation et que soit radiée sa condamnation Le demandeur fait valoir que le refus par les tribunaux de l'Ontario d'ordonner que soient intentées des poursuites repo-
sait sur un prétendu défaut de compétence Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34, art. 185, 186(1)b) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10, art. 25.
Le demandeur, qui avait constitué, en Ontario, un casino itinérant et tenu des jeux de «vingt-et-un", a été inculpé et condamné en application de l'article 186(1 )b) du Code crimi- nel. Il sollicite maintenant un bref de mandamus exigeant que la Couronne poursuive certains grands magasins pour contra vention aux mêmes dispositions, que soit retirée l'accusation portée contre son frère et lui-même relativement aux dispositifs de jeu et que soit radiée sa condamnation. Invoquant l'article 25 de la Loi sur la Cour fédérale, il prétend avoir épuisé tous les recours disponibles devant les tribunaux de l'Ontario, ces derniers s'étant tous déclarés incompétents pour donner suite aux accusations en question. Il soutient que leur refus de ce faire était, dans chaque cas, fondé sur un prétendu défaut de compétence.
Arrêt: la demande est rejetée. Bien que soit invoqué l'article 25 de la Loi sur la Cour fédérale, l'ordonnance sollicitée par le demandeur pour faire enjoindre à la Couronne d'introduire des poursuites fondées sur certaines accusations n'est pas une ques tion qui relève de la compétence de la présente Cour. De toute façon, même dans l'hypothèse contraire, exerçant son pouvoir discrétionnaire en la matière, la Cour n'émettrait pas en l'es- pèce un bref de mandamus, car la décision d'intenter ou de ne pas intenter des poursuites pour certaines infractions prévues au Code criminel est une décision administrative du ressort des procureurs généraux des provinces en question et des procu- reurs de la Couronne. Sans écarter le fait qu'il puisse y avoir des cas un tribunal compétent pourrait émettre un bref de mandamus ordonnant que soient intentées des poursuites, il n'y a pas lieu, en l'espèce, d'émettre un tel bref.
REQUÊTE. AVOCATS:
John Turmel pour son propre compte. Richard Mosley pour le défendeur.
PROCUREURS:
John Turmel, Ottawa, pour son propre
compte.
Richard Mosley, Ottawa, pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: La présente demande tend à l'émission d'un bref de mandamus exigeant
[TRADUCTION] 1. que la Couronne poursuive Sears, revendeuse de dispositifs de jeu, pour contravention à l'article 186.1 b du Code criminel ou
2. a) que soit retirée l'accusation portée contre mon frère et moi en application des dispositions relatives aux dispositifs de jeu,
b) que soit radiée de mon casier judiciaire ma condamnation antérieure,
c) que soit réprimandée la Couronne pour avoir appliqué le Code criminel de façon partiale et frivole.
Il est évident que la présente Cour ne peut connaî- tre de cette question. Celle-ci ressortit au Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34, dont l'application relève entièrement des autorités provinciales, en l'occurrence du procureur de la Couronne d'Ot- tawa agissant sur les directives du procureur général de l'Ontario. Bien que cela ne soit pas contesté par le demandeur, celui-ci invoque l'arti- cle 25 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, qui dispose que:
25. La Division de première instance a compétence en pre- mière instance, tant entre sujets qu'autrement, dans tous les cas une demande de redressement est faite en vertu du droit du Canada si aucun autre tribunal constitué, établi ou maintenu en vertu de l'un des Actes de l'Amérique du Nord britannique, 1867 à 1965 n'a compétence relativement à cette demande ou ce redressement.
Il prétend avoir épuisé tous les recours disponibles devant les tribunaux de l'Ontario, ces derniers s'étant tous déclarés incompétents. Le demandeur, tout en concédant que, si ces tribunaux avaient simplement refusé d'émettre un bref de mandamus ordonnant aux autorités provinciales, et plus parti- culièrement au procureur de la Couronne d'Ot- tawa, de donner suite aux accusations par lui portées contre, entre autres, Simpsons-Sears et La Baie, sa demande serait irrecevable devant la pré- sente Cour, soutient que le refus de ce faire était, dans chaque cas, fondé sur un prétendu défaut de compétence. Bien que les divers juges devant les- quels il a comparu aient pu faire verbalement des remarques en ce sens, possibilité que n'a pas niée l'avocat du défendeur lors de l'audience devant la présente Cour, nulle preuve littérale d'un jugement
en ce sens n'a été rapportée. De plus, le fait que les tribunaux de l'Ontario soient compétents pour émettre un bref de mandamus dans les cas qui le justifient, ne revient nullement à dire qu'un bref de mandamus aurait être émis. Ce n'est peut-être, dans le fond, qu'une question de sémantique. Les tribunaux devant lesquels l'intéressé a comparu ont peut-être, en refusant à bon droit de rendre l'ordonnance sollicitée, employé l'expression «défaut de compétence» pour dire qu'ils n'étaient pas fondés à rendre une telle ordonnance. Quoi qu'il en soit, j'estime qu'on ne saurait dire que, au sens de l'article 25 de la Loi sur la Cour fédérale, article dont l'interprétation échoit à la présente Cour, nul autre tribunal n'a compétence quant au redressement sollicité par le demandeur.
Bien que cela suffise pour trancher la question, il n'est pas sans intérêt de faire l'historique de la réclamation. Le demandeur est un mathématicien versé dans la théorie des probabilités et dans les lois du hasard. Il soutient qu'en l'abordant d'une façon qui tient compte de cette théorie et de ces lois, le jeu de cartes appelé «vingt-et-un» peut être maîtrisé et qu'il ne s'agit donc pas d'un jeu de hasard. Sa prétention principale toutefois est que, depuis l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Rockert [[1978] 2 R.C.S. 704], il a été décidé que le fait de tenir une partie de cartes dans un certain local pour une seule nuit ne fait pas de ce local une maison de jeu et que, pour prouver que ce local a été tenu ou employé comme maison de jeu, il faut en démontrer l'emploi habituel, l'article 185 du Code criminel est devenu désuet en ce qui concerne les maisons de jeu «itinérantes», le jeu se fait à chaque fois dans un local différent. A la suite de cet arrêt, le demandeur a constitué, en Ontario, un casino itinérant sous le nom de JCT CASINOS INC. et il a tenu des jeux de vingt-et-un à divers endroits dans la région d'Ottawa. Il a fini par être inculpé et condamné en application des dispositions de l'article 186(1)b) du Code criminel, qui est ainsi rédigé:
186. (1) Commet une infraction, quiconque
b) importe, fait, achète, vend, loue, prend à bail ou garde, expose, emploie ou sciemment permet que soit gardé, exposé ou employé, dans quelque endroit sous son contrôle, un dispositif ou appareil destiné à inscrire ou à enregistrer des paris ou la vente d'une mise collective, ou une machine ou un dispositif de jeu ou de pari;
Le demandeur prétend que le seul équipement nécessaire au jeu en question c'est des jeux de cartes qui, bien entendu, sont couramment vendus partout et que si, du simple fait de s'en être servi, il est coupable, les grands magasins à rayons, qui font la publicité et la vente des cartes, le sont également et devraient faire l'objet de poursuites. Il soutient que les poursuites introduites contre son frère et lui sont discriminatoires et que, puisque de telles poursuites fondées sur la vente de cartes de jeu ne sont jamais ou presque jamais intentées, l'article 186(1)b) du Code criminel doit être consi- déré comme «abrogé par l'usage». Il en a appelé devant la Cour suprême de l'Ontario et, dans un jugement prononcé le 8 septembre 1978, l'appel de sa condamnation a été rejeté mais l'appel de la sentence a été accueilli, celle-ci étant changée en élargissement conditionnel assorti d'une période de probation d'un an assujettie aux conditions prévues à l'ordonnance de probation ci-jointe. L'ordon- nance de confiscation a été annulée et la restitu tion de l'argent saisi ordonnée.
La seconde demande relative à l'accusation portée contre le demandeur doit également être considérée comme tranchée d'une façon définitive en ce qui concerne la présente Cour. Car que la présente Cour soit ou non compétente pour connaî- tre de la demande dont il s'agit, elle ne peut certainement pas ordonner que soient annulées les accusations portées contre le demandeur et son frère et que sa condamnation soit radiée.
N'ayant pu avoir gain de cause lors des poursui- tes au criminel et ayant un tempérament de réfor- mateur, le demandeur souhaite que des accusa tions semblables soient portées contre quelqu'un «d'important» dont les intérêts seraient toujours bien défendus par un avocat, et ce jusque devant la Cour suprême. Cela entraînera, du moins il l'es- père, la non-application de l'article 186(1)b) du Code criminel dans des cas comme le sien ou peut-être même l'abrogation de ces dispositions ou leur modification. Il s'en est exprimé ainsi dans son affidavit:
[TRADUCTION] Puisqu'on m'a privé de mon seul moyen de défense, il ne me reste que l'espoir de faire inculper avec moi quelqu'un de vraiment important. Comme on a déterré cette infraction pour m'inculper, qu'on applique les dispositions con- cernées ou qu'on les déclare abrogées par l'usage et qu'on les enterre formellement.
Lorsqu'il dit avoir été privé de son seul moyen de défense, il fait allusion à l'audience tenue confor- mément à l'article 626(1) du Code criminel devant le juge L. Coulter de la Cour provinciale, Section criminelle, District judiciaire d'Ottawa-Carleton et vise notamment les 36 témoins qu'il voulait assi- gner en vue du procès. L'objet de l'audience était de trancher la question de savoir s'il y avait lieu de lancer les subpoenas sollicités. Un certain M. Fun- nell de Simpsons-Sears, par exemple, devait être assigné afin d'avouer que cette société vendait des [TRADUCTION] «cartes de jeu professionnelles». Le demandeur voulait également citer comme témoins M. Gerald Bouey, gouverneur de la Banque du Canada, T. C. Bowen, directeur de La Banque de Nouvelle-Écosse et Paul Laurin, directeur exécutif de l'Association canadienne des Chefs de Police. Lors de l'audience, le juge Coulter a décidé, avec raison, que les dépositions de ces témoins n'au- raient rien à voir avec les moyens de défense soulevés contre les accusations portées contre le demandeur et son frère. Le tribunal n'était nulle- ment, à cette occasion, saisi de la question de savoir si les accusations portées par le demandeur contre Simpsons-Sears étaient bien fondées et s'il fallait y donner suite. C'est d'ailleurs un lieu commun que de dire que l'inculpé ne peut invo- quer, comme moyen de défense contre une accusa tion, le fait que d'autres personnes coupables d'in- fractions semblables n'ont pas été inculpées. Ainsi, la personne accusée à juste titre d'avoir conduit son véhicule à moteur à une vitesse dépassant la limite fixée ne peut faire valoir pour sa défense que d'autres voitures l'ont doublé et que leurs conduc- teurs n'ont pas été inculpés. De la même façon, on ne peut contester une contravention pour station- nement en affirmant que d'autres véhicules sta- tionnés au même endroit n'ont pas fait l'objet de contraventions. Bien que nulle loi ne doive être appliquée de façon discriminatoire, une telle appli cation est matière à plainte auprès des chargés de l'administration de la loi et non un moyen de défense opposable à l'accusation de violation de la loi.
Compte tenu de ce qui précède, il n'est pas nécessaire d'entrer dans le détail des diverses ten- tatives faites par le demandeur pour poursuivre personnellement Simpsons-Sears et d'autres devant le juge T. P. Callon de la Cour suprême de l'Ontario et devant le juge Soublière de la Cour de
comté, juges, qui, d'après le demandeur, ont dit tous deux ne pas avoir «compétence» en l'espèce.
La Couronne a refusé d'introduire des poursui- tes fondées sur ces accusations et le demandeur, au premier paragraphe de la demande de mandamus qu'il a présentée à la présente Cour, sollicite une ordonnance enjoignant à la Couronne d'intenter de telles poursuites. Bien que le demandeur invoque l'article 25 de la Loi sur la Cour fédérale, il ne s'agit pas ici d'une question qui relève de la compé- tence de cette Cour. De toute façon, même dans l'hypothèse contraire, exerçant son pouvoir discré- tionnaire en la matière, la Cour n'émettrait pas en l'espèce un bref de mandamus, car la décision d'intenter ou de ne pas intenter des poursuites pour certaines infractions prévues au Code criminel est une décision administrative du ressort des procu- reurs généraux des provinces en question et des procureurs de la Couronne. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'un tribunal compétent ne pourrait jamais émettre un bref de mandamus ordonnant que soient intentées des poursuites, mais j'estime qu'en l'espèce, même en supposant que la présente Cour soit compétente, il n'y a pas lieu d'émettre un tel bref. La demande sera donc rejetée avec dépens.
ORDONNANCE
La demande du demandeur tendant à l'émission d'un bref de mandamus contre le défendeur est rejetée avec dépens.
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