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T-5329-80
John C. Turmel (Demandeur)
c.
Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommu- nications canadiennes (Défendeur)
Division de première instance, le juge Walsh— Ottawa, 20 et 26 novembre 1980.
Brefs de prérogative Mandamus —Requête en manda- mus qui enjoindrait au défendeur d'obtenir par écrit et sous forme de graphique les algorithmes utilisés par des stations de télévision et de radio pour la répartition du temps accordé aux partis politiques La question est de savoir s'il incombe au défendeur d'obtenir des renseignements des stations de radio et de télévision pour les transmettre ensuite à un particulier Requête rejetée Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, c. B-11, art. 3d), 16(1)b)(iii) Règlement sur la télédiffusion, C.R.C. 1978, Vol. IV, c. 381, art. 9(1),(2) Règlement sur la radiodiffusion (M.A), C.R.C. 1978, Vol. IV, c. 379, art. 6(1),(2).
REQUÊTE. AVOCATS:
John C. Turmel pour son propre compte. Robert J. Buchan pour le défendeur.
PROCUREURS:
John C. Turmel, Ottawa, pour son propre compte.
Johnston & Buchan, Ottawa, pour le défen- deur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALsH: Par avis de requête introduc- tif d'instance, le demandeur sollicite un bref de mandamus qui enjoindrait au CRTC d'obtenir par écrit et sous forme de graphique les algorithmes utilisés par CJOH, CFRA et CKOY pour la répartition du temps disponible (probablement pour les émissions électorales gratuites bien que la requête ne le dise pas). Quoique l'affidavit afférent renvoie aux élections générales, tenues en février 1980, le demandeur s'est présenté comme can- didat indépendant et aux élections municipales récentes tenues à Ottawa en novembre, il était candidat à la mairie, son grief semble porter prin- cipalement sur ces dernières. Étant ingénieur et mathématicien, il a l'obsession des graphiques et des formules, que très probablement les stations de
télévision et de radio n'emploient pas, bien que, d'après lui, elles doivent le faire. Ce qu'il vise toutefois, c'est de forcer le défendeur à obtenir desdites stations de radio et de télévision des ren- seignements relatifs au temps alloué à chaque candidat. Muni de ces renseignements, il pourrait peut-être intenter une action contre les stations en question, qui ne sont toutefois pas parties aux présentes procédures.
Il est bien établi que le recours de mandamus sert essentiellement à assurer l'exécution d'un devoir public, exécution à laquelle le requérant a un intérêt. Il doit prouver qu'il a demandé l'ac- complissement de ce devoir et que l'autorité qui en est tenue le lui a refusé. Il incombe donc au requérant d'établir que ce qu'il demande est une prestation que le CRTC doit fournir. Rien dans la Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, c. B-11, ni dans le Règlement sur la télédiffusion, C.R.C. 1978, Vol. IV, c. 381, ni dans l'avis public publié le 9 janvier 1980 et portant sur les élections fédéra- les, documents que le défendeur a produits, n'exige que le CRTC obtienne des stations de radio et de télévision des renseignements à transmettre à un membre du public, même si ce dernier, comme demandeur à l'instance, y a un intérêt. Dans sa plaidoirie, le demandeur reconnaît que son action vise à forcer le CRTC à exercer un plus grand contrôle sur les stations de radio et de télévision relativement à l'allocation du temps de parole consacré gratuitement aux candidats qu'on pour- rait qualifier de «secondaires». D'autre part, un autre principe veut qu'un bref de mandamus ne soit pas délivré pour dire à un organisme comment exercer ses pouvoirs ou sa discrétion. Voir Judicial Review of Administrative Action, S. A. de Smith, 2 e éd., page 565, il est dit ceci:
[TRADUCTION] Dans un sens, tout organisme doté du pouvoir décisionnel doit appliquer correctement la loi; néanmoins, les erreurs de droit ne peuvent pas toutes être corrigées par voie de mandamus.
Comme je l'ai indiqué précédemment, l'affidavit de M. Turmel débute par sa plainte au sujet de l'affectation du temps aux élections fédérales de février. Le 15 février, il a écrit à CJOH une lettre rédigée en termes énergiques, exposant ses théories mathématiques et exigeant des excuses parce que son parti n'avait pas obtenu 62 secondes de temps. Le même jour, il a reçu une réponse écrite de la
part de la Bushnell Communications Limited, par laquelle cette dernière exposait qu'elle était bien consciente des exigences d'équité imposées par la loi et les Règlements et qu'elle lui avait déjà longuement et clairement exposé sa position. Le 26 février, il a écrit à M. Mahoney, du CRTC, rappe- lant sa lettre du 15 février, réitérant , que le terme équitable signifie «juste et honnête», commentant gratuitement l'orthographe et les calculs de l'au- teur de la lettre envoyée par la Bushnell Commu nications Limited et demandant au CRTC d'obte- nir par - écrit et sous forme de graphique les algorithmes fixant l'allocation du temps. Le 1" avril 1980, il a écrit de nouveau à M. Mahoney relativement à l'obtention de ces renseignements de la part de CJOH, suggérant même qu'elle devrait répondre puisqu'il avait [TRADUCTION] «des enjeux qui dépendent de l'issue de cette enquête». Il n'a reçu de réponse écrite que juste avant l'audition de la présente requête, lui parvint une lettre écrite le 14 novembre 1980, par M. Mahoney, renvoyant aux lettres de M. Turmel, celles du 26 février et du 1" avril à lui envoyées et celle du 15 février 1980 adressée à la direction de CJOH. Il y est exprimé le regret qu'aucune réponse écrite n'ait été fournie plus tôt par le Conseil. Toutefois, toujours selon cette lettre, on lui a expliqué au téléphone, le 13 et le 14 février, et personnellement, lorsqu'il est venu remettre copie de la lettre adressée à CJOH-TV, que le Conseil n'acceptait pas qu'une durée «équitable» signifie nécessairement une durée «égale». La lettre conclut: [TRADUCTION] «Le comité des élections du CRTC a examiné votre plainte et la réponse fournie à l'époque par CJOH-TV et a été d'avis de maintenir son point de vue d'alors, savoir que rien ne lui permet de conclure qu'il y a eu répartition inéquitable du temps lors de l'émission en question.»
Pour ce qui est des élections municipales tenues plus récemment à Ottawa, M. Turmel se plaint de ce que, le 25 octobre 1980, CJOH a annoncé son intention de donner à chacun de «ses favoris» 10 minutes d'émission en direct pour exprimer leur point de vue et de n'accorder à M. Alphonse Lapointe et à lui-même qu'une minute, 45 secon- des (et ce, en différé) parce qu'ils étaient des «candidats de peu de chances». M. Turmel se plaint en outre de ce que CJOH n'ait fait état de sa candidature que le 20 octobre, soit deux mois et
demi après qu'il l'eût annoncée, au début d'août. Il se plaint de ce que deux stations de radio l'ont traité de la même manière: Hal Anthony, de CFRA, a accordé à Pat Nicol et à Marion Dewar chacune deux heures d'émission en direct, alors que Turmel n'a eu que deux minutes et Lapointe aucune; Lowell Green, de CKOY, a consacré toute son émission à Pat Nicol et Marion Dewar, alors qu'aucun temps de parole n'a été accordé à Lapointe et à Turmel. D'après lui, l'affidavit est déposé pour appuyer la requête en bref de manda- mus qui enjoindrait au CRTC d'obtenir, sous forme de graphique et par écrit, les algorithmes utilisés par ces stations pour l'allocation du temps disponible, les renseignements obtenus devant per- mettre d'établir s'il est fondé à se plaindre d'injustice.
Il est sans précédent qu'on recoure à un bref de mandamus pour forcer un organisme public à obtenir des renseignements qu'il n'a nulle obliga tion légale d'exiger, à seule fin de permettre au requérant d'établir s'il est fondé à se plaindre d'injustice à son égard de la part d'une tierce personne, même si cette dernière relève, dans une certaine mesure, de l'organisme contre lequel le bref de mandamus est sollicité. L'article 15 de la Loi sur la radiodiffusion confère au Conseil le pouvoir de réglementer et surveiller tous les aspects du système de la radiodiffusion canadienne en vue de mettre en œuvre la politique de radiodif- fusion énoncée à l'article 3 de ladite loi, sous réserve de la Loi sur la radio, S.R.C., 1970, c. R-1, et des instructions données au Conseil par le gouverneur en conseil en vertu de la Loi sur la radiodiffusion. L'article 3d) de la Loi sur la ra- diodiffusion est ainsi conçu:
3. 11 est, par les présentes, déclaré
d) que la programmation offerte par le système de la radio- diffusion canadienne devrait être variée et compréhensive et qu'elle devrait fournir la possibilité raisonnable et équilibrée d'exprimer des vues différentes sur des sujets qui préoccupent le public et que la programmation de chaque radiodiffuseur devrait être de haute qualité et utiliser principalement des ressources canadiennes créatrices et autres;
En vertu de l'article 16(1)b), le Conseil peut «éta- blir des règlements applicables à toutes les person- nes qui détiennent des licences de radiodiffusion ou aux personnes qui détiennent des licences d'une ou de plusieurs classes». Le sous-alinéa (iii) est ainsi rédigé:
16.(1)b)...
(iii) concernant la proportion du temps pouvant être consa- cré à la radiodiffusion d'émissions, annonces ou avis qui exposent la politique d'un parti, et l'affectation, sur une base équitable, de ce temps entre les partis politiques et les candidats,
C'est de l'interprétation donnée par le Conseil de l'expression «sur une base équitable» que se plaint le requérant. L'article 9 du Règlement sur la télédiffusion' porte ce qui suit:
9. (I) Chaque station ou chaque exploitant de réseau doit répartir équitablement entre les différents partis et les candi- dats rivaux le temps consacré à la diffusion d'émissions, de réclames ou de déclarations d'un caractère politique.
(2) Les stations ou les exploitants de réseaux doivent assurer la diffusion des émissions, réclames et déclarations d'un carac- tère politique en conformité des directives que le Conseil éta- blira de temps à autre relativement à
a) la proportion du temps qui peut être consacré à la diffusion des programmes, annonces ou déclarations de caractère politique; et
b) l'attribution de temps à tous les partis politiques et candidats rivaux.
Est rédigé dans le même sens l'article 6 du Règle- ment sur la radiodiffusion (M.A.) 2 que voici:
6. (1) Chaque station ou exploitant de réseau doit répartir équitablement entre les différents partis et les candidats rivaux le temps affecté à la diffusion d'émissions, de réclames ou d'annonces d'un caractère politique.
(2) Les émissions politiques, les réclames ou les annonces seront diffusées par les stations ou les exploitants de réseaux en conformité des directives établies de temps à autre par le Conseil.
De nouveau, il est à noter que le terme «équitable- ment» est employé. Certes, si on avait voulu qu'un temps de parole «égal» soit accordé tous les candidats, c'est ce terme qu'on aurait utilisé.
Pour ce qui est des élections fédérales, le Conseil a, comme il a été indiqué plus haut, émis un avis public précisant l'attribution de temps aux divers partis. Cet avis était ainsi rédigé:
Pour arriver à ce résultat, le Conseil a d'abord accordé six (6) minutes à chacun des partis enregistrés. Le reste du temps a été divisé entre les partis qui sont représentés à la Chambre des communes. La répartition a tenu compte de trois facteurs: le pourcentage du vote populaire obtenu aux dernières élections, le nombre de sièges à la Chambre au moment de la dissolution et le nombre de candidats présentés au dernier scrutin. Dans le calcul, on a accordé double valeur à chacun des deux premiers facteurs et une valeur simple au troisième.
' C.R.C. 1978, Vol. IV, c. 381. 2 C.R.C. 1978, Vol. IV, c. 379.
Le Conseil aimerait cependant souligner que même s'il juge ces facteurs appropriés dans les circonstances actuelles, la réparti- tion susmentionnée ne sert que pour les présentes élections et ne devrait pas être nécessairement considérée comme un précédent pour les futures élections, alors que d'autres facteurs et leur importance relative pourront donner lieu à une répartition différente.
Il s'agit, semble-t-il, d'une solution raisonnable; il s'agit en fait d'une répartition généreuse en ce qui concerne certains partis qui n'avaient pas la moin- dre chance de faire élire leurs candidats, mais à qui on a tout de même alloué six minutes chacun. Le Conseil a reconnu, de toute évidence, le prin- cipe selon lequel temps de parole «équitable» ne veut pas dire temps «égal».
Il est aussi manifeste que de semblables règle- ments ne sauraient s'appliquer à une élection municipale, les candidats ne représentent pas (officiellement en tout cas) de parti, mais se pré- sentent à titre de particuliers, beaucoup d'entre eux ne se sont jamais présentés auparavant, et où, dans une circonscription donnée, il se peut qu'il y ait dix candidats ou plus au poste de conseiller municipal ou de maire. Bien que les candidats qui ont peu de chances d'être élus ou qui n'en ont pas du tout soient inéluctablement désavantagés par une attribution de temps inégale, il importe de répartir raisonnablement le temps disponible ne serait-ce que dans l'intérêt de l'auditoire, qui ne tolérerait pas, dans une émission de vingt minutes par exemple, que seulement deux minutes soient allouées à chacun des deux candidats principaux, alors qu'un même temps de parole est accordé à peut-être huit autres candidats qui n'ont aucune chance d'être élus et qui ont peut-être des arrière- pensées en posant leur candidature. Je voudrais préciser que je ne critique nullement M. Turmel, qui s'est présenté à maintes élections; je n'ai fait qu'expliquer pourquoi, d'une manière générale, un temps de parole égal ne peut être alloué à tous les candidats. Bien entendu, ce mode de répartition a pour conséquence dangereuse de laisser la station de radio ou de télévision décider souverainement lesquels des candidats sont importants et dignes d'être entendus, ce qui est incontestablement anti- démocratique. M. Turmel semble croire que le CRTC devrait exercer ce pouvoir et donner des instructions aux stations quant à la façon d'allouer le temps de parole. Or, c'est ce que le CRTC a fait, comme il a été indiqué plus haut, pour les élections fédérales et ce qu'il pourrait sans doute
faire pour les élections provinciales; toutefois, on ne voit pas comment ce pouvoir pourrait être exercé en ce qui concerne une élection municipale. Quoi qu'il en soit, il n'incombe pas à la Cour de réexaminer ou de critiquer le bien-fondé des déci- sions du CRTC, et elle n'accordera aucun bref de mandamus contre lui tant qu'il exercera les pou- voirs à lui délégués par le Parlement conformé- ment à la Loi et aux Règlements. Or c'est ce qu'il a fait en l'espèce, puisqu'il a pris en considération la plainte de M. Turmel et la réponse de CJOH-TV à cette dernière (en ce qui concerne les élections fédérales) et a confirmé que rien ne permettait de conclure à une affectation de temps inéquitable vis-à-vis du requérant. Le dossier ne permet pas de savoir si le Conseil a agi de même pour ce qui est de l'élection municipale. De toute façon, ce n'est pas l'objet de la requête en mandamus, puisque celle-ci demande simplement au Conseil d'obtenir des stations soumises à son pouvoir de contrôle des renseignements que le demandeur utiliserait comme bon lui semblerait.
La requête en bref de mandamus est, de toute évidence, irrecevable et sera rejetée; néanmoins, le défendeur n'a pas insisté sur les dépens advenant un rejet.
ORDONNANCE
La requête en bref de mandamus introduite par le demandeur à l'encontre du défendeur est rejetée sans dépens.
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