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T-5873-80
Arturo Juventino Heras (Requérant) c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (Intimé)
Division de première instance, le juge Mahoney— Toronto, 12 janvier; Ottawa, 20 janvier 1981.
Brefs de prérogative Prohibition Immigration Demande d'interdire à l'intimé d'exécuter une ordonnance d'expulsion du requérant et de la casser Le requérant, un visiteur, a prolongé son séjour au Canada Un premier permis fut délivré par l'intimé sur le fondement de l'ancienne Loi sur l'immigration Un second, selon la nouvelle Loi sur l'immigration, laquelle abrogeait l'ancienne Refus du requérant de quitter le Canada lorsque invité à ce faire à l'expiration du second permis Il s'ensuivit une ordonnance d'expulsion Il échet d'examiner si le second permis a été délivré illégalement Il échet d'examiner si l'ordonnance d'expulsion est nulle Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, art. 8 Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, art. 27(2), 37 Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. 1-23, art. 35c).
Le requérant entra au Canada à titre de visiteur; il prolongea son séjour. Il rencontra ultérieurement un agent d'immigration et deux permis lui furent délivrés: le premier sûr le fondement de l'article 8 de l'ancienne Loi sur. l'immigration (S.R.C. 1970, c. I-2) et le second. (délivré à l'expiration du premier), sur le fondement de l'article 37 de la nouvelle Loi sur l'immigration de 1976 (S.C. 1976-77, c. 52), laquelle abrogeait l'ancienne Loi. A l'expiration du second permis, on invita le requérant à quitter le Canada. Il refusa et une ordonnance d'expulsion s'ensuivit. Le requérant demande maintenant qu'on interdise à l'intimé d'exécuter l'ordonnance et qu'elle soit cassée. Il sou- tient que, lorsque la nouvelle Loi fut proclamée, il avait un statut qui ne lui a pas été retiré par l'abrogation de l'ancienne Loi et qu'en conséquence, n'étant pas un individu qui était l'objet d'un rapport selon l'article 27, le permis selon l'article 37 était illégal et il s'ensuivait que l'ordonnance d'expulsion était nulle.
Arrêt: la demande d'un bref de prohibition est rejetée. Le droit du requérant de demeurer au Canada en vertu du permis délivré conformément à l'ancienne Loi a continué d'exister jusqu'à son expiration, mais ses droits à ce moment-là sont devenus ceux que prévoient le nouvelle Loi. Un permis délivré selon l'ancienne Loi n'attribuait aucun statut à son titulaire au-delà d'une autorisation, tant qu'elle restait valide, de demeu- rer au Canada. Lorsque le permis a expiré, il était «une personne au sujet de laquelle un rapport ... pouvait être fait» selon l'alinéa 27(2)e) de la nouvelle Loi, étant, dix jours après son entrée au Canada, devenu une personne qui «est entrée au Canada en qualité de visiteur et y demeure après avoir perdu cette qualité».
REQUÊTE. AVOCATS:
C. Hoppe pour le requérant.
B. Evernden pour l'intimé. PROCUREURS:
Abraham Duggan Hoppe Niman Stott, Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Dans cette espèce, on demande un bref de prohibition pour interdire à l'intimé d'exécuter une ordonnance d'expulsion du requérant, rendue le 10 octobre 1979, et un bref de certiorari, pour casser l'ordonnance d'expulsion. Une semblable demande, portant le numéro du greffe T-5874-80, faite par le frère du requérant, Cesar Efrain Heras, au sujet d'une ordonnance d'expulsion rendue le 3 décembre 1979, a été présentée concurremment. Les faits pertinents sont identiques, les dates exceptées. La preuve adminis- trée consiste en un affidavit d'un étudiant en droit de l'étude de l'avocat du requérant qui produit l'affidavit du requérant, l'exposé écrit des moyens invoqués, déposé en une instance précédente devant la Cour d'appel fédérale, et un volume contenant les pièces, intitulé [TRADUCTION] «Dos- sier» et produit à l'audience. Quoique cela n'im- porte pas en l'espèce, le fait que l'intimé ait conclu que le mariage du requérant, dont il sera question plus loin, est un mariage de complaisance, un des nombreux mariages contractés par le requérant et ses parents, n'est pas totalement étranger à l'or- donnance d'expulsion.
Le requérant est entré au Canada à titre de visiteur le 31 juillet 1976. Il fut admis pour dix jours mais prolongea son séjour. Il épousa une citoyenne canadienne le 12 décembre 1976. En février 1977, il sollicita le droit de s'établir en permanence au Canada et sa femme, concurrem- ment, demanda son admission à titre de dépendant parrainé par elle. Le 11 février 1977, un permis selon l'article 8 de la Loi sur l'immigration', ci-après appelée «l'ancienne Loi», valable jusqu'au 10 février 1978, fut délivré. Ce permis fut éven- tuellement prorogé jusqu'au 11 juin 1978. Le 10
' S.R.C. 1970, c. 1-2.
avril 1978, la Loi sur l'immigration de 1976 2 , ci-après appelée «da nouvelle Loi», fut proclamée en vigueur. Elle abrogeait l'ancienne Loi. Le 9 juin, un permis selon l'article 37 de la nouvelle Loi, valable jusqu'au 11 décembre 1978, fut délivré. Il fut prorogé jusqu'au 10 mars 1979. Chaque permis et chaque prorogation furent accordés lors d'une entrevue accordée au requérant par un agent d'im- migration. Plus précisément, la prémisse du requé- rant selon laquelle le permis selon la nouvelle Loi et sa prorogation furent délivrés gracieusement n'est pas vraie. Il les a sollicités.
Antérieurement au 10 mars 1979, le requérant avait été notifié que le permis ne serait pas prorogé à nouveau et il lui avait été demandé, par écrit, de quitter le Canada au plus tard le 31 mars. En même temps, la femme du requérant avait été notifiée que sa demande de parrainage de l'admis- sion de son mari lui était refusée et de son droit de former appel de cette décision. Elle n'a pas formé appel. On a mis un terme définitif à cette demande malgré qu'elle ne-l'ait pas retirée.
Le requérant a refusé de quitter le Canada et a demandé que l'on enquête sur son cas. Il n'y a eu aucune enquête. Le 18 avril, l'intimé, selon le paragraphe 37(5) de la Loi, a donné directive au requérant d'avoir quitté le Canada pour le 3 mai. Cette directive n'a pas été respectée. L'ordonnance d'expulsion a été lancée le 10 octobre 1979 sur le fondement du paragraphe 37(6). L'actuelle demande a été produite par suite d'une décision de la Cour d'appel fédérale, du 8 décembre 1980, selon laquelle, vu l'arrêt Le ministre de la Main- d'oeuvre et de l'Immigration c. Hardayal 3 , l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale^ ne lui attribue pas la compétence de contrôler et de réformer une ordonnance d'expulsion rendue conformément au paragraphe 37(6) de la nouvelle Loi.
L'ancienne comme la nouvelle Loi prévoient toutes deux le lancement d'une ordonnance d'ex- pulsion comme ultime recours de l'intimé advenant qu'un individu ne faisant plus l'objet d'un permis en vigueur demeure quand même au Canada. La différence importante qu'il y a est que selon l'an- cienne Loi le requérant aurait, dans les circons-
2 S.C. 1976-77, c. 52.
3 [1978] 1 R.C.S. 470.
4 S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10.
tances, eu droit de former appel de l'ordonnance à la Commission d'appel de l'immigration; selon la nouvelle, cependant, il n'a pas ce droit, quoique sa femme, en tant que citoyenne canadienne le par- rainant, l'ait.
La substance de l'argument du requérant, si je comprends bien, est que le 10 avril 1978, lorsque la nouvelle Loi fut proclamée, il détenait un statut au Canada qui ne lui a pas été retiré par l'abrogation de l'ancienne Loi. Si l'on accepte cela, alors, dit-on, n'étant pas un individu pour lequel un rapport avait été fait ou aurait pu l'être selon le paragraphe 27(2) de la nouvelle Loi, il n'était pas un individu pour lequel un permis selon l'article 37 de la nouvelle Loi pouvait en droit être délivré. Il s'ensuit que le permis étant une nullité, l'ordon- nance d'expulsion rendue par l'intimé lors de son expiration est, elle aussi, nulle.
Les dispositions transitoires de la nouvelle Loi sont silencieuses sur les droits du détenteur d'un permis dans la position du requérant bien que le paragraphe 124(1) traite des titulaires de permis en d'autres circonstances. J'en déduis que le silence du Parlement était voulu. A mon avis, l'alinéa 35c) de la Loi d'interprétation 5 s'applique:
35. Lorsqu'un texte législatif est abrogé en tout ou en partie, l'abrogation
c) n'a pas d'effet sur quelque droit, privilège, obligation ou responsabilité acquis, né, naissant ou encouru sous le régime du texte législatif ainsi abrogé;
Le droit du requérant de demeurer au Canada en vertu du permis délivré conformément à l'ancienne Loi a continué d'exister jusqu'à son expiration mais ces droits, à ce moment-là, sont devenus ceux que prévoient la nouvelle Loi.
Le requérant accorde une importance beaucoup plus grande à un permis du Ministre en vertu de l'une et l'autre Lois que n'accorde le droit. Un permis délivré selon l'ancienne Loi n'attribuait aucun statut à son titulaire au-delà d'une autorisa- tion, tant qu'il restait valide, de demeurer au Canada. Indépendamment des questions de permis, le requérant est, dix jours après son entrée au Canada, devenu une personne qui «est entrée au Canada en qualité de visiteur et y demeure après avoir perdu cette qualité». Lorsque le permis selon
5 S.R.C. 1970, c. 1-23.
l'ancienne Loi a expiré, il était «une personne au sujet de laquelle un rapport ... pouvait être fait» selon l'alinéa 27(2)e) de la nouvelle Loi. Le Minis- tre était en droit de délivrer le permis selon la nouvelle Loi et il était en droit de rendre l'ordon- nance d'expulsion une fois celui-ci expiré, le re- quérant ne s'étant pas conformé à la directive donnée en application du paragraphe 37(5).
JUGEMENT
La demande est rejetée avec dépens.
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