A-474-78
Le navire Doroty (Appelant) (Défendeur)
c.
Atlantic Consolidated Foods Limited (Intimée)
(Demanderesse)
A - 475 - 78
Le navire Doroty (Appelant) (Défendeur)
c.
Star-Kist Caribe Incorporated (Intimée) (Deman-
deresse)
Cour d'appel, les juges Heald, Urie et Ryan—
Fredericton, 17 octobre 1979 et 23 janvier 1980.
Droit maritime — Contrats — Connaissements Appels
formés contre les jugements rendus en faveur des intimées
Règles de La Haye contractuellement incorporées dans les
connaissements — Cargaison avariée — Limitation de respon-
sabilité, quantum et bien-fondé des dommages-intérêts —
Appels rejetés — Interprétation des Règles de La Haye —
Règles de La Haye, art. I par. e), art. II, art. III par. 2, art. IV
par. 5, art. IX.
Appels formés contre les jugements rendus en première
instance en faveur des intimées pour avarie causée à la cargai-
son. Les connaissements, de par leurs dispositions, étaient
soumis aux Règles de La Haye. Les parties ont convenu
d'étendre l'application de ces Règles aux dommages survenus
pendant tout le temps que les marchandises restaient sous la
garde du transporteur, sauf disposition contraire. Les connais-
sements limitaient la responsabilité du transporteur, à l'égard
des marchandises empaquetées, à un montant par colis fixé par
les Règles, et à l'égard des marchandises non empaquetées, à
un montant ne dépassant pas le minimum, convenu dans les
limites autorisées par les Règles de La Haye, par unité de fret
habituelle. Si les circonstances de la perte étaient telles que les
Règles ne s'appliquaient pas, alors la valeur des marchandises
devait être une somme convenue par colis ou par unité de fret
habituelle. Selon l'appelant, c'est par «unité de fret habituelle»
et non «par unité» selon les Règles de La Haye que les
connaissements prévoyaient la limitation de sa responsabilité.
Aussi, ces Règles ne devraient-elles pas s'appliquer aux mar-
chandises non empaquetées. Par contre, c'est la limitation de
responsabilité par unité de fret habituelle, telle qu'elle était
prévue dans les connaissements, qui s'appliquerait. Il échet
d'examiner si, dans son interprétation des connaissements, le
juge de première instance a conclu à tort que les Règles de La
Haye devaient être incorporées in toto et, par conséquent, qu'en
cas de contradiction entre les connaissements et les dispositions
de ces Règles, celles-ci l'emportaient. Il échet d'examiner en
second lieu si le juge de première instance a commis une erreur
pour ce qui est du montant et de la justesse des
dommages-intérêts.
Arrêt: l'appel est rejeté. L'avarie des marchandises survient
dans des circonstances telles que les Règles de La Haye s'appli-
quent de par leurs propres dispositions: elle a eu lieu après le
chargement et avant le déchargement. La clause 13 n'est pas
applicable à l'avarie causée aux marchandises. Vu l'application
des Règles de La Haye, la responsabilité se limite à 100£
sterling par unité et non à 100£ sterling par unité de fret
habituelle. L'article IX des Règles de La Haye prévoyant que
»Les unités monétaires dont il s'agit dans la présente Conven
tion s'entendent valeur or», et puisque la responsabilité se limite
à l00£ par poisson, il ressort des faits de la cause que cette
limitation dépasserait de beaucoup le montant des réclama-
tions, quelle que soit la base utilisée pour l'évaluation de 100£.
L'appelant n'a pas établi une erreur de la part du juge de
première instance pour ce qui est des demandes de dommages-
intérêts. Il appert qu'au moment de l'avarie, les dollars cana-
dien et américain étaient considérés comme étant au pair dans
l'industrie du thon. Par conséquent, le juge de première ins
tance a eu raison de ne pas convertir en dollars canadiens la
réclamation des intimées, exprimée en dollars américains. Les
intérêts font partie intégrante des dommages-intérêts et le juge
de première instance a, en vertu de son pouvoir souverain
d'appréciation, accordé à l'intimée Star-Kist les intérêts sur la
fraction du dommage qu'elle n'a pas subie à la date du juge-
ment. La Cour ne saurait dire qu'il a outrepassé ce pouvoir.
APPEL.
AVOCATS:
M. R. Jette pour l'appelant (défendeur).
L. E. Clain pour l'intimée (demanderesse).
PROCUREURS:
Clark, Drummie & Company, Saint - Jean,
pour l'appelant (défendeur).
McKelvey, Macaulay, Machum, Saint - Jean,
pour l'intimée (demanderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Les présents appels visent les
jugements rendus par la Division de première ins
tance [[1979] 1 C.F. 283] dans deux actions en
dommages-intérêts à la suite de l'avarie de deux
cargaisons de thon transportées par le navire appe-
lant d'une île panaméenne à St. Andrews (Nou-
veau-Brunswick). Par les mêmes motifs de juge-
ment, la Division de première instance a statué sur
ces deux actions jugées ensemble sur preuve com
mune. Les cargaisons dont s'agit faisaient l'objet
de deux connaissements délivrés pour le compte du
navire, connaissements identiques quant à leur
forme.
Une partie du thon appartenant à l'une et à
l'autre intimées et chargée dans la partie inférieure
des cales de fond du navire, a été trouvée avariée
au déchargement à St. Andrews et a été qualifiée
de [TRADUCTION] «douteuse».
Pour déterminer le degré d'avarie et pour préve-
nir toute autre avarie, le thon soupçonné d'être
avarié a été traité par l'usine de conserve de l'inti-
mée Atlantic, située à un quart de mille du poste
de déchargement du navire, près de St. Andrews.
Habituellement, le thon surgelé livré à l'usine est
mis en entrepôt frigorifique pour être traité en
temps utile. Il fallait, cependant, traiter tout de
suite le poisson avarié en question, et toute la
capacité de l'usine a été immédiatement mobilisée
à cette fin.
Après traitement, il a été établi que, sur les 397
tonnes courtes de thon «douteux» au décharge-
ment, quelque 273 tonnes étaient comestibles et
ont été mises en conserve par l'intimée Atlantic.
Le reste, soit 124 tonnes courtes, ne pouvait servir
que de pâtée pour animaux domestiques ou
d'engrais.
Les intimées réclament la valeur marchande de
la fraction impropre à la consommation humaine
de leurs cargaisons respectives, plus les frais de
récupération et le fret. Le savant juge de première
instance a fait droit à leurs réclamations, accor-
dant à l'intimée Atlantic des dommages-intérêts de
$88,279.27 et à Star-Kist des dommages-intérêts
de $34,481 majorés dans les deux cas d'un intérêt
annuel de 8 p. 100 courant du 6 mai 1974 la date
du jugement (13 juin 1978). Chaque intimée avait
également droit aux dépens.
Dans les deux cas, l'appelant ne conteste pas la
conclusion du juge de première instance selon
laquelle le navire était responsable du dommage
causé au thon. Dans les deux cas, son appel porte
sur deux points d'ordre général:
(i) le droit de l'appelant à la limitation moné-
taire de responsabilité; et
(ii) le montant et le bien-fondé des dommages-
intérêts accordés à chaque intimée.
L'appelant soulève huit objections aux juge-
ments de la Division de première instance, objec
tions applicables dans les deux cas, à l'exception de
l'objection n° 8 qui ne s'applique qu'à l'intimée
Star-Kist. Je procède à l'examen de ces objections
dans l'ordre suivi par l'appelant dans son mémoire:
Objection n° 1—L'appelant prétend que, dans
son interprétation des deux connaissements, le
savant juge de première instance a conclu à tort
que, par application de leur clause 1, les Règles
de La Haye devaient être incorporées in toto
dans ces connaissements et, par conséquent,
qu'en cas de contradiction entre les clauses des
connaissements et les dispositions des Règles,
celles-ci l'emportaient.
Voici ce que prévoit la clause 1 des deux
connaissements:
[TRADUCTION] 1. En cas de transport de marchandises en
provenance ou à destination d'un port des États-Unis, l'exécu-
tion du présent connaissement est et sera faite sous réserve des
dispositions du Carriage of Goods by Sea Act, 46 U.S.C.
§ 1300 et suiv., lesquelles sont incorporées au présent titre.
Dans le cas contraire, le présent connaissement est soumis à la
«Convention internationale pour l'unification de certaines règles
en matière de connaissement, signée à Bruxelles, le 25 août
1924», dans la forme adoptée par la localité d'où les marchandi-
ses sont expédiées, ou, à défaut, dans la forme adoptée par la
Convention (ci-après appelée les Règles de La Haye). Rien
dans le présent titre ne doit être interprété comme une renon-
ciation, par le transporteur, à l'un quelconque de ses droits ou
immunités, ou comme une augmentation de ses responsabilités
ou obligations en vertu de l'une quelconque des lois, statuts ou
ordonnances applicables ou rendues applicables par le présent
titre, et toute disposition y énoncée doit (sauf disposition
expresse en sens contraire prévue dans le présent titre) être en
vigueur avant le chargement et après le déchargement et
pendant tout le temps que les marchandises restent sous la
garde du transporteur. Le transporteur n'est pas responsable en
quelque qualité que ce soit, pour tout délai, non-livraison ou
mauvaise livraison, perte ou avarie de marchandises survenant
pendant que les marchandises ne sont pas sous sa garde
véritable.
La clause 1 soumet notamment les connaissements
en cause aux «Règles de La Haye», qui y sont
définies, à toutes fins utiles, comme étant la «Con-
vention internationale pour l'unification de certai-
nes règles en matière de connaissement, signée à
Bruxelles, le 25 août 1924», c'est-à-dire les Règles
telles qu'elles ont été adoptées par la Convention.
Les Règles s'appliquent à tout contrat de trans
port dont fait foi un connaissement, depuis le
chargement des marchandises à bord du navire
jusqu'à leur déchargement'. Toutefois, la clause 1
des connaissements dont s'agit étend l'application
des Règles aux pertes ou dommages survenus «..
avant le chargement et après le déchargement et
' Article 1, paragraphe e) de la Convention et voir article II
et article Ill, paragraphe 2.
pendant tout le temps que les marchandises restent
sous la garde du transporteur.» Ainsi donc, du fait
de l'accord des parties, les Règles débordent du
champ d'application qu'elles se sont fixé à elles-
mêmes pour s'appliquer aux pertes et dommages
causés aux marchandises pendant tout le temps
qu'elles sont sous la garde du transporteur et non
seulement pendant le temps prévu par les Règles
elles-mêmes. Néanmoins, ce champ d'application
des Règles—qui résulte de leurs propres termes et
du surcroît d'application—est tempéré par l'excep-
tion suivante: «... sauf disposition expresse en sens
contraire prévue dans le présent titre».
L'appelant soutient qu'une exception, contenue
dans la clause 13 des connaissements en cause,
prévoit la limitation de la responsabilité du trans-
porteur à 100£ sterling par «unité de fret habi-
tuelle» et non «par unité» au sens de l'article IV,
paragraphe 5, des Règles de La Hayet. Cette
exception aurait été formulée en ces termes:
[TRADUCTION]
(phrase 1) ... Le transporteur ne doit être tenu d'au-
cune perte ou d'aucun dommage subi par les
marchandises, ou y relatifs, dont le montant
dépasse le minimum convenu permis par colis
par les Règles de La Haye, ou, pour les
2 L'article IV, paragraphe 5, des Règles de La Haye porte:
5. Le transporteur comme le navire ne seront tenus en
aucun cas des pertes ou dommages causés aux marchandises
ou les concernant, pour une somme dépassant 100 liv. sterl.
par colis ou unité, ou l'équivalent de cette somme en une
autre monnaie, à moins que la nature et la valeur de ces
marchandises n'aient été déclarées par le chargeur avant leur
embarquement et que cette déclaration ait été insérée au
connaissement.
Cette déclaration ainsi insérée dans le connaissement cons-
tituera une présomption, sauf preuve contraire, mais elle ne
liera pas le transporteur, qui pourra la contester.
Par convention entre le transporteur, capitaine ou agent du
transporteur et le chargeur, une somme maximum différente
de celle inscrite dans ce paragraphe peut être déterminée,
pourvu que ce maximum conventionnel ne soit pas inférieur
au chiffre ci-dessus fixé.
Ni le transporteur ni le navire ne seront en aucun cas
responsables pour perte ou dommage causé aux marchandi-
ses ou les concernant, si dans le connaissement le chargeur a
fait sciemment une déclaration fausse de leur nature ou de
leur valeur.
marchandises non chargées sous forme de
colis, par unité de fret habituelle, à moins que
la nature et la valeur de ces marchandises
n'aient été déclarées par écrit par le chargeur
avant leur embarquement et que cette décla-
ration n'ait été insérée au connaissement, et
que le fret supplémentaire y afférent ait été
payé suivant les exigences du tarif applicable
pour pouvoir profiter de cette estimation
excédentaire. 3
(phrase 2) Le rajustement doit se faire au prorata pour
les pertes partielles, sur la base de l'estima-
tion convenue dans le présent connaissement.
(phrase 3) En cas de pertes ou dommages tels qu'aucune
Règle de La Haye n'est pertinente, la valeur
des marchandises sera fixée à 100 livres ster
ling par colis ou par unité de fret habituelle.
C'est moi qui ai numéroté les phrases contenues
dans l'extrait ci-dessus pour en faciliter la
consultation.
A ce que je vois, l'appelant prétend que la
phrase 1 fixe, en cas de perte ou d'avarie de
marchandises empaquetées sous connaissement, le
plafond de la responsabilité du transporteur à 100£
sterling par colis, c'est-à-dire le montant fixé par le
paragraphe 5 de l'article IV des Règles de La
Haye. L'appelant en conclut que les Règles de La
Haye seraient applicables en cas de dommage
causé aux marchandises empaquetées. Mais, en ce
qui concerne les marchandises non empaquetées
(en l'espèce, les marchandises n'étaient pas embal-
lées), la phrase 1 limitait la responsabilité à une
somme indéterminée par unité de fret habituelle.
A cet égard, l'appelant estime que les Règles de La
Haye ne sont pas applicables: le paragraphe 5 de
l'article IV prévoit un montant de 100£ «par colis
ou unité» et non «par colis ou unité de fret habi-
tuelle». L'absence de mention d'une somme par
unité de fret habituelle a été, d'après l'appelant,
corrigée par la phrase 3, selon laquelle faute de
Règles de La Haye applicables aux unités de fret
habituelles, la responsabilité maximale était fixée
à 100£ par unité de fret habituelle 4 . C'est cette
3 Les mots «... à moins que la nature ...» figurant à la
phrase 1 ne s'appliquent pas en l'espèce, où ni la nature ni la
valeur des marchandises n'a été déclarée ni portée sur les
connaissements et où aucun fret supplémentaire n'a été payé,
alors que toutes ces conditions sont requises pour l'application
de cette clause.
° En l'espèce, je présume qu'on entend par «unité de fret
habituelle» une tonne courte.
disposition donc, et non la limitation «par unité»,
qui opérerait limitation de la responsabilité de
l'appelant en l'espèce. Cette limitation était
expressément prévue par les connaissements eux-
mêmes et était différente de celle visée au paragra-
phe 5 de l'article IV des Règles de La Haye.
D'après l'appelant, c'est sous ce rapport que les
connaissements n'étaient pas soumis aux Règles, et
sa responsabilité était limitée par la phrase 3 à
100£ par unité de fret habituelle.
Ce raisonnement ne m'a pas convaincu. L'argu-
ment de l'avocat de l'appelant eût-il été fondé,
j'aurais du mal à saisir la disposition de la phrase 3
relative à la valeur arbitrairement fixée des mar-
chandises empaquetées.
A mon avis, la phrase 3 signifie plutôt que la
valeur des marchandises empaquetées ou non
empaquetées, telle qu'elle y est fixée, s'applique en
cas d'avarie de marchandises transportées dans des
circonstances telles que les «Règles de La Haye»
(au sens de la clause 1) applicables ou rendues
applicables par convention (comme en l'espèce), ne
s'appliquent plus de par leurs propres dispositions.
J'estime donc que la limitation de responsabilité
visée à la phrase 3 est tout au moins assujettie à
cette restriction. En l'espèce, l'avarie des marchan-
dises survient dans des circonstances telles que les
Règles de La Haye s'appliquent de par leurs pro-
pres dispositions: elle a eu lieu après le chargement
et avant le déchargement. Dans ces conditions, la
phrase 3 de la clause 13 n'est pas applicable; c'est
le paragraphe 5 de l'article IV des Règles de La
Haye qui s'applique.
Par ces motifs, je rejetterais l'objection n° 1 de
l'appelant.
Objection n° 2—La Division de première ins
tance a eu tort de ne pas permettre à l'appelant
de limiter sa responsabilité à 100£ sterling par
unité de fret habituelle, conformément à l'article
13 des connaissements.
L'appelant soutient qu'aucune disposition des
Règles de La Haye ne s'applique aux avaries
constatées en l'espèce et, par conséquent, qu'en
vertu de la dernière phrase de la clause 13 supra, il
est en droit de limiter sa responsabilité à 100£
sterling par unité de fret habituelle. Attendu que
j'ai conclu, à propos de l'objection n° 1, précitée,
que la dernière phrase de la clause 13 ne s'applique
pas et que la disposition applicable est le paragra-
phe 5 de l'article IV des Règles de La Haye,
supra, il s'ensuit que la responsabilité se limite en
l'espèce à 100£ sterling par unité et non à 100£
sterling par unité de fret habituelle.
Par ces motifs, je rejetterais l'objection n° 2 de
l'appelant.
Objection n° 3—La Division de première ins
tance a conclu à tort que la valeur monétaire de
100£ sterling devait s'entendre de la «valeur or»,
et elle a eu tort de tenir cette valeur or pour fait
de notoriété publique.
Puisque j'ai déjà jugé que la limitation prévue
par la dernière phrase de la clause 13 des connais-
sements ne s'applique pas en l'espèce, je ne saurais
accueillir l'argument de l'appelant voulant que
l'unité monétaire à adopter en l'espèce soit 100£
sterling par unité de fret habituelle. Toutefois,
puisque les Règles de La Haye s'appliquent, que
selon leur article IX, «Les unités monétaires dont il
s'agit dans la présente Convention s'entendent
valeur or», et que, par application de ces Règles, la
responsabilité se limite à 100£ par poisson, il res-
sort des faits de la cause que cette limite dépasse-
rait de beaucoup le montant de la réclamation de
l'une et l'autre intimées, quelle que soit la base
utilisée pour l'évaluation de 100£. Le savant juge
de première instance s'est fondé sur une décision
rendue en 1965, selon laquelle la valeur or de 100£
s'établissait à 824 $EU. Tetley estime, dans son
manuel Marine Cargo Claims écrit en 1965, que
la valeur or de 100£ s'établissait à 825 $EU 5
environ. Dans Scrutton on Charterparties 6 , l'au-
teur fixait en 1974 cette valeur à un montant bien
supérieur à 400£ en papier-monnaie. A la page
240 de son ouvrage, Tetley souligne que la doctrine
n'est pas encore fixée quant à la question de savoir
si, en appliquant les Règles de La Haye, les tribu-
naux doivent fixer cette limite à 100£ en papier-
monnaie ou à 100£ en or. Attendu qu'en l'espèce,
les deux parties ont convenu que la valeur de la
livre s'établit à 2.40 dollars canadiens, peu importe
que l'évaluation soit faite en papier-monnaie ou en
or, puisque dans les deux cas, la somme réclamée
par les intimées reste en-deçà de la limitation fixée
5 Marine Cargo Claims par W. Tetley, à la p. 240.
6 18 e éd., à la p. 441.
par les Règles de La Haye. Par ces motifs, je
rejette l'objection n° 3 de l'appelant.
Objection n° 4—La Division de première ins
tance a accueilli à tort les réclamations au titre
des «frais de récupération», savoir:
1. Déficit de la production;
2. Perte des contributions;
3. Majorations;
et
Objection n° 5—La Division de première ins
tance a eu tort d'accueillir les éléments de
preuve produits par les intimées comme preuve
concluante des dommages-intérêts réclamés.
L'appelant n'a pas établi à mes yeux une erreur de
la part du savant juge de première instance sur ces
points. Pour décider s'il échet d'infirmer la conclu
sion de l'instance inférieure sur le montant des
dommages-intérêts, une cour d'appel ne doit
jamais oublier qu'elle n'est pas fondée à substituer
son propre chiffre à celui de l'instance inférieure
du seul fait qu'elle aurait accordé un autre mon-
tant si elle avait jugé l'affaire au fond. Avant
d'intervenir, elle doit être convaincue qu'il y a eu
erreur d'application d'un principe de droit ou, à
tout le moins, que les dommages-intérêts accordés
sont si bas ou si élevés qu'ils ne peuvent être le
résultat que d'une erreur fondamentale dans l'éva-
luation du préjudice'. Je ne saurais conclure des
éléments de preuve administrés en l'espèce que le
savant juge de première instance a commis une
erreur de droit ou a accordé des dommages-inté-
rêts excessivement élevés.
En l'espèce, M. Gregory L. Deering, vice-prési-
dent responsable de la conserverie de St. Andrews
où avait été effectuée l'opération de récupération,
a déposé au sujet de l'étendue du dommage. Les
pièces P-35 et P-36 faisaient ressortir les calculs
multiples et détaillés à ce sujet. Le savant juge de
première instance a accepté ce témoignage, que
l'appelant n'a pas réfuté. A mon avis, il était tout à
fait loisible au savant juge de première instance
d'accepter la déposition de M. Deering et d'accor-
der des dommages-intérêts sur la base de ce
témoignage.
' Voir Nance c. British Columbia Electric Railway Company
Ld. [1951] A.C. 601à la p. 613.
Par ces motifs, je rejette les objections nos 4 et 5
de l'appelant.
Objection n° 6—La Division de première ins
tance a conclu à tort que les intimées n'étaient
pas tenues de réduire les pertes et que toute
mesure prise à cet effet l'était au bénéfice de
l'appelant.
Cette erreur de droit reprochée au savant juge de
première instance perd toute signification pratique
puisqu'il ressort des preuves rapportées que les
intimées ont effectivement réduit les pertes par
leur conduite efficace des opérations de récupéra-
tion.
Objectif n° 7—La Division de première instance
a eu tort de ne pas convertir en dollars canadiens
la réclamation des intimées, exprimée en dollars
américains.
A ce sujet, le savant juge de première instance
s'est prononcé en ces termes à la page 250 du
dossier d'appel (Vol. II):
Je suis convaincu que M. Gregory Deering, vice-président
responsable de la production à l'usine de St. Andrews, a
appliqué les principes de comptabilité généralement suivis et
n'essaie pas de recouvrer plus que le montant des pertes
subies ... .
Il appert par ailleurs qu'au moment de l'avarie, les
dollars canadien et américain étaient considérés
comme étant au pair dans l'industrie du thon,
même si, en réalité, il existait une prime du change
de l'ordre de 3.5 cents pour le dollar canadien 8 .
Par conséquent, je suis d'avis que le juge de
première instance n'a commis aucune erreur à ce
sujet.
Objection n° 8—La Division de première ins
tance a commis une erreur en accordant à l'inti-
mée Star-Kist les intérêts sur la fraction du
dommage qu'elle n'a pas subie à la date de
l'instruction.
L'appelant soutient qu'à la date de l'instruction,
l'intimée Star-Kist n'ayant pas encore payé à l'in-
timée Atlantic la somme de $14,019.35, il ne serait
pas juste de lui accorder des intérêts sur ce mon-
tant. En revanche, l'appelant a pu placer cette
8 Voir les pièces P-27 à P-30 inclusivement (Vol. 1, dossier
d'appel pp. 71 à 78 inclusivement). Voir aussi la transcription
des dépositions, 16 décembre 1977, pp. 64 à 67 inclusivement.
somme pendant les cinq dernières années, ce qui
équivaudrait à un enrichissement sans cause s'il
n'avait pas à payer des intérêts sur cette période.
En tout cas, les intérêts font partie intégrante des
dommages-intérêts et le savant juge de première
instance les a accordés, en vertu de son pouvoir
d'appréciation souveraine. Je ne saurais dire qu'il a
outrepassé ce pouvoir. Par ces motifs, je rejette
l'objection n° 8 de l'appelant.
Ayant rejeté toutes les objections de l'appelant,
je suis d'avis que l'appel doit être rejeté et que
l'une et l'autre intimées ont droit aux dépens.
Reste à trancher la requête fondée par les inti-
mées sur l'article 40 de la Loi sur la Cour fédé-
rale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10 et tendant à
porter les intérêts de 5 à 8 p. 100 compter du 13
juin 1978 (date du jugement de la Division de
première instance) jusqu'au règlement final. Vu
les circonstances de la cause et de par mon pouvoir
d'appréciation souveraine, je n'accorde pas une
majoration du taux de l'intérêt couru à compter de
la date du jugement de la Division de première
instance.
* * *
LE JUGE URIE: Je souscris aux motifs ci-dessus.
* * *
LE JUGE RYAN: Je souscris aux motifs
ci-dessus.
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