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T-2081-80
Rene Joseph Dubeau (Requérant) c.
La Commission nationale des libérations condi- tionnelles (Intimée)
Division de première instance, le juge suppléant Smith—Winnipeg, 5 et 29 mai 1980.
Brefs de prérogative Certiorari Requête tendant à l'annulation de la décision par laquelle l'intimée a révoqué la libération conditionnelle du requérant, au motif que cette dernière a soit outrepassé sa compétence, soit agi injustement en refusant au requérant le droit de se faire représenter par avocat Ayant violé une des conditions de sa libération conditionnelle, le requérant eut un entretien avec son agent de libération conditionnelle au sujet de la discipline Le même jour, le requérant fut accusé de plusieurs actes criminels, accusations auxquelles il plaida non coupable Une semaine plus tard, sa libération conditionnelle fut suspendue pour violation de la condition concernant l'utilisation du crédit A une audition postérieure â la suspension, le requérant fut interrogé sur les accusations en cours, et on lui refusa le droit de se faire assister par un avocat Il y avait â déterminer si l'ordonnance de révocation de la libération conditionnelle devait être infirmée Requête accueillie Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, c. P-2, modifiée, art. 6, 10(1)e), 11, 16(4), 23 Règlement sur la libération conditionnelle de détenus, C.R.C. 1978, Vol. XIII, c. 1249, modifié par DORS/78-428, art. 20.
Requête tendant à la délivrance d'un bref de certiorari qui annulerait la décision par laquelle l'intimée a révoqué la libéra- tion conditionnelle du requérant, au motif que la Commission a ou bien outrepassé sa compétence, ou bien agi injustement en refusant au requérant le droit de se faire assister ou représenter par avocat. Le requérant a violé une des conditions de sa libération conditionnelle en contractant des dettes sans l'autori- sation de son agent de libération conditionnelle. Au cours d'un entretien portant sur la discipline, il signa un engagement, intitulé Instruction spéciale, par lequel il s'engageait à deman- der l'autorisation avant d'obtenir du crédit et reconnaissait que sa libération conditionnelle pourrait être révoquée pour viola tion de cette condition. Plus tard le même jour, le requérant fut accusé de plusieurs actes criminels et plaida non coupable à toutes les accusations. Une semaine plus tard, sa libération conditionnelle fut suspendue. Au cours d'une audition posté- rieure à la suspension, il fut interrogé sur les accusations criminelles en cours portées contre lui, et sa demande de participation de son avocat à l'audition fut rejetée. La libéra- tion conditionnelle du requérant fut révoquée pour violation de la condition relative à l'utilisation du crédit. Il y avait à déterminer si la révocation par la Commission de la libération conditionnelle du requérant devait être infirmée.
Arrêt: la requête est accueillie, et l'ordonnance révoquant la libération conditionnelle du requérant infirmée. Les pouvoirs que la loi confère à la Commission relativement à l'octroi et à la révocation de la libération conditionnelle sont très larges. Vu ces larges pouvoirs, vu son pouvoir d'appréciation souverain, vu
l'intention du législateur et la nécessité que les questions de ce genre soient expédiées sans formalités et avec célérité, il n'y a pas lieu d'infirmer la révocation de la libération conditionnelle du requérant pour le seul motif que certaines questions lui ont été posées au sujet de nouvelles accusations criminelles portées contre lui. La décision de la Commission est, selon l'intention du législateur, sans appel. Une disposition de ce genre n'empê- che pas la Cour d'annuler la décision d'une instance inférieure pour défaut ou excès de pouvoirs. La Cour n'est pas non plus empêchée d'infirmer la décision d'un organisme administratif si ce dernier n'a pas agi équitablement envers le requérant. Un organisme administratif, qui n'agit pas de façon judiciaire ou quasi judiciaire, doit observer les règles de procédure propres à lui permettre de s'acquitter de son obligation d'agir équitable- ment. Ces règles sont d'une portée assez large pour englober la présence à une audition d'un conseiller juridique dans les cas l'équité le commande. Un «intérêt», qui n'est pas un «droit» à proprement parler, pourra, le cas échéant, être protégé par la Cour au moyen, par exemple, d'un bref de certiorari. Rester en liberté constituait certainement un «intérêt» du requérant. Bien que les cours n'interviennent pas volontiers dans l'exercice de pouvoirs disciplinaires, que ce soit au sein des forces armées, des services de police ou d'un pénitencier, il n'y a aucune règle de droit qui exempte nécessairement l'exercice de ces pouvoirs disciplinaires d'un examen par certiorari. Il est certain que la Cour a compétence pour accorder le bref de certiorari. Reste néanmoins la question de savoir si la Commission a agi avec équité envers le requérant. Sous réserve de certaines exceptions bien connues, toute personne qui jouit d'une pleine capacité juridique a le droit de se donner un mandataire pour quelque but que ce soit, et elle peut le faire tout aussi bien pour l'exercice d'un droit prévu par la loi que pour celui d'un droit quelconque. Le requérant se prévalait d'un droit prévu par la loi en demandant une audition postérieure à la suspension. Lors- que les tribunaux sont saisis de questions qui affectent la réputation d'une personne ou ses moyens d'existence, ou de toutes questions de grande importance, la justice naturelle exige que l'intéressé puisse, si tel est son désir, se faire défendre par un avocat. On peut à tout le moins soutenir que la Commission n'aurait pas interroger le requérant sur les accusations criminelles. En tout état de cause, le refus d'autori- ser le requérant à se faire assister par un avocat au cours de l'audition constituait un traitement injuste à son égard.
Arrêt appliqué: Martineau c. Le Comité de discipline de l'Institution de Matsqui [1980] 1 R.C.S. 602. Distinction faite avec l'arrêt: Fraser c. Mudge [1975] 3 All E.R. 78. Arrêt approuvé: Pett c. Greyhound Racing Association, Ltd. [1968] 2 All E.R. 545.
REQUÊTE. AVOCATS:
Arne Peltz pour le requérant. Brian Meronek pour l'intimée.
PROCUREURS:
Arne Peltz, Winnipeg, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT SMITH: La présente requête tend à la délivrance d'un bref de certiorari qui annulerait la décision par laquelle l'intimée a, le 4 mars 1980, révoqué la libération condition- nelle du requérant.
Voici les motifs invoqués pour l'obtention du bref:
[TRADUCTION] 1. Que l'intimée a révoqué la libération condi- tionnelle sans en avoir le pouvoir, qu'elle a outrepassé sa compétence et qu'à la lecture du dossier, la révocation est entachée d'erreurs de droit;
2. Que l'intimée a commis une erreur de droit et outrepassé sa compétence en tenant compte de considérations inappropriées savoir, les accusations criminelles en cours et les circonstances alléguées qui les entourent et en soumettant le requérant à un interrogatoire sur ce sujet;
3. Que, subsidiairement, l'intimée ne s'est pas acquittée de son obligation d'agir équitablement en rendant sa décision, plus particulièrement en refusant au requérant le droit de se faire représenter par un avocat à une réunion convoquée en vue de la révocation et il fut interrogé sur les accusations criminelles en cours;
4. Que, subsidiairement, l'intimée a commis une erreur de droit, agi sans en avoir le pouvoir et outrepassé sa compétence en refusant au requérant le droit de se faire représenter par un avocat à l'audition tenue au sujet de la révocation, contraire- ment à l'article 2d) de la Déclaration canadienne des droits.
Les faits sont simples. A la suite de condamna- tions pour plusieurs actes criminels, le requérant purgeait au pénitencier de Stony Mountain une peine totale de trois ans et deux mois d'emprison- nement, qui se terminait le 4 juin 1981. L'intimée le libéra sous conditions à compter du 13 novembre 1979. L'une des conditions de sa libération était d'obtenir, par l'entremise du surveillant de liberté conditionnelle, une approbation préalable du représentant de l'intimée avant de contracter des dettes au moyen d'emprunt ou d'achat à crédit.
Le 23 janvier 1980, au cours d'un entretien avec son agent de liberté conditionnelle au sujet de la discipline, on lui fit savoir qu'il avait ouvert des comptes d'achat à crédit chez des commerçants locaux, demandé et utilisé du crédit sans autorisa- tion du service des libérations conditionnelles. Lors de l'entretien, on lui demanda de signer (ce qu'il a fait) un document intitulé «Instruction spéciale» (pièce «A» jointe à son affidavit et versée au dossier). Ce document est ainsi rédigé:
[TRADUCTION] Je soussigné, Rene Joseph Dubeau, m'engage à obtenir l'autorisation du Service correctionnel Canada Ser vice des libérations conditionnelles avant d'utiliser ou de demander des cartes de crédit ou des comptes à chèques, ou de contracter quelque dette. Je comprends qu'une violation de cette directive pourrait entraîner la suspension de ma libération conditionnelle.
Plus tard le même jour, le requérant fut arrêté et accusé de plusieurs actes criminels qu'il aurait commis le 16 janvier 1980. Le requérant plaida non coupable à toutes les accusations. L'enquête préliminaire sur celles-ci fut fixée au 2 juin 1980.
Le 30 janvier 1980, la libération conditionnelle du requérant fut suspendue. Le 7 février 1980, le requérant demanda à l'intimée la tenue d'une audition postérieure à la suspension. L'audition eut lieu le 4 mars 1980 devant deux membres de la Commission nationale des libérations conditionnel- les, en la présence du requérant et de son agent de liberté conditionnelle. A l'issue de l'audition, la libération conditionnelle du requérant fut révo- quée. Les motifs de la révocation, qui furent orale- ment communiqués au requérant à ce moment-là, sont ainsi exposés dans une lettre, en date du 18 mars 1980, adressée par l'intimée au requérant (pièce «C» jointe à l'affidavit du requérant):
[TRADUCTION] A l'examen de votre suspension, la Commis sion a constaté que dans les trois jours qui ont suivi votre libération conditionnelle totale, vous avez enfreint les conditions de votre libération en obtenant un compte de crédit sans l'autorisation de votre surveillant. Plus tard, vous avez fait preuve d'irresponsabilité financière en dépassant de plus que du double votre marge de crédit. La Commission déduit d'un tel comportement que vous êtes toujours le même, et que vous libérer reviendrait à provoquer de nouvelles tromperies. La Commission a, par conséquent, décidé de révoquer votre libéra- tion conditionnelle.
Selon l'énoncé de l'affidavit du requérant que l'intimée n'a pas contesté, lors de l'audience tenue le 4 mars 1980 devant la Commission, celle-ci l'a interrogé sur les accusations criminelles en cours portées contre lui. La Commission était en posses sion de rapports concernant ces accusations et lui a posé un certain nombre de questions précises l'obli- geant à déclarer si oui ou non il avait été impliqué dans ces actes criminels. Après avoir répondu à une ou deux questions, il dit à la Commission que les tribunaux de juridiction criminelle étaient saisis de ces questions et que c'est à eux qu'il appartenait de les trancher. On lui dit alors que la Commission devait examiner tous les faits ayant donné lieu à
ces accusations criminelles. Il répondit qu'il dési- rait téléphoner à son avocat pour lui demander de participer à l'audition. On lui répondit qu'en géné- ral, les avocats n'étaient pas autorisés à assister aux auditions de la Commission de libérations conditionnelles et que, par conséquent, son avocat ne pouvait pas y participer. Il répondit encore à quelques questions, mais refusa de répondre à toute question relative à une déclaration écrite qu'il aurait faite à la police.
Il est affirmé dans l'affidavit du requérant que la Commission a passé rapidement sur la question des dettes qu'il avait contractées sans en avoir l'autorisation. Selon lui, elle s'intéressait moins à cette question qu'aux accusations criminelles.
L'avocat du requérant prétend que, en posant des questions sur les accusations criminelles, la Commission a outrepassé sa compétence, puisque la question de savoir s'il était coupable ou non de ces infractions n'avait rien à voir avec celle dont elle était saisie. La libération du requérant avait été suspendue au motif qu'il en avait enfreint l'une des conditions. C'est cette suspension qui avait donné lieu à sa demande d'audition. Selon moi, rien dans les éléments de preuve n'indique que l'une quelconque des accusations criminelles se rattachait directement ou indirectement à la viola tion de la condition de libération ayant entraîné la suspension, ni ne prouve qu'après avoir signé l'«Instruction spéciale» du 23 janvier 1980, le requérant ait de nouveau violé cette condition de sa libération.
Il ressort nettement du paragraphe 6 de l'affida- vit du requérant qu'il considérait l'«Instruction spéciale» comme un avertissement pour l'avenir, puisqu'il dit à propos de cette directive: [TRADUC- TION] «On m'a demandé de signer un engagement par lequel je m'obligeais à obtenir l'autorisation des services des libérations conditionnelles avant tout nouveau recours au crédit.»
Le requérant ne prétend pas et, à la lumière des faits dont je suis saisi, n'a pas pu prouver que la Commission, en décidant de révoquer sa libération conditionnelle, avait effectivement été influencée par ces accusations criminelles. Pas plus l'avis de suspension que les motifs de la révocation de la libération conditionnelle ne font mention de ces
accusations. Par contre, compte tenu des faits mentionnés dans les quatre paragraphes précé- dents, il n'est pas déraisonnable de conclure que la Commission a pu être influencée par ces accusations.
L'avocat de l'intimée prétend que la question des présumées infractions criminelles n'était pas tout à fait sans rapport avec celle dont la Commis sion était saisie et qu'en pareil cas, celle-ci est en droit d'examiner toutes ces circonstances. Les cir- constances examinées doivent avoir quelque rap port avec la question dont est saisie la Commis sion. En l'espèce, il s'agissait pour celle-ci de déterminer si la libération conditionnelle du re- quérant devrait être révoquée. S'il était établi que, alors qu'il était en libération sous conditions, le requérant a commis des actes criminels, ce fait entrerait certainement en ligne de compte pour décider de la question de la révocation. En pareil cas, la Commission aurait raison de prendre con- naissance des faits établis. Mais en l'espèce, il s'agissait de certaines accusations criminelles por- tées contre le requérant et niées par ce dernier. La mise en accusation ne constitue nullement une preuve que l'accusé est l'auteur d'une infraction quelconque. Si le requérant avait avoué à la Com mission qu'il était l'auteur de l'une quelconque des infractions dont on l'accusait, la Commission, sous réserve de la question d'équité qui sera discutée plus loin dans les présents motifs, aurait été en droit de tenir compte de cet aveu. Toutefois, bien que le requérant ait répondu à quelques-unes des questions posées par la Commission, rien n'indique qu'il ait avoué avoir commis l'une quelconque de ces infractions ou qu'il ait dit quelque chose qui permette de conclure à sa culpabilité. Dans ces conditions, j'estime que l'existence de ces accusa tions ne saurait justifier la révocation de la libéra- tion conditionnelle du requérant. Il s'agit aussi, semble-t-il, de l'opinion de la Commission, puis- que, comme je l'ai indiqué plus haut, il n'est nullement fait mention de ces accusations dans les motifs de sa décision de révocation de la libération conditionnelle. Toutefois, il est toujours possible que l'existence de ces accusations ait influé sur la décision de ses membres.
Il convient de souligner que la Commission inti- mée n'est pas un tribunal judiciaire, mais un orga- nisme administratif, et que les pouvoirs que lui
confère la loi relativement à l'octroi et à la révoca- tion de la libération conditionnelle sont très larges. Les dispositions applicables de la Loi sur la libé- ration conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, c. P-2, modifiée, sont ainsi rédigées:
6. Sous réserve de la présente loi, de la Loi sur les péniten- ciers et de la Loi sur les prisons et les maisons de correction, la Commission est exclusivement compétente et a entière discré- tion pour accorder ou refuser d'accorder une libération condi- tionnelle ou une absence temporaire sans escorte en vertu de la Loi sur les pénitenciers et pour révoquer une libération condi- tionnelle ou mettre fin à une libération conditionnelle de jour.
10. (1) La Commission peut
e) à sa discrétion, révoquer la libération conditionnelle de tout détenu à liberté conditionnelle autre qu'un détenu à liberté conditionnelle qui a été relevé des obligations de la libération conditionnelle, ou révoquer la libération condition- nelle de toute personne qui est sous garde en conformité d'un mandat délivré en vertu de l'article 16 nonobstant l'expira- tion de sa condamnation.
L'article 16 prévoit la suspension de la libération conditionnelle par un membre de la Commission ou par toute personne que le président désignera. Cet article prévoit ensuite le renvoi du cas à la Commission et son paragraphe (4) porte ce qui suit:
16....
(4) La Commission doit, lorsque lui est renvoyé le cas d'un détenu à liberté conditionnelle dont la libération conditionnelle a été suspendue, examiner le cas et faire effectuer toutes les enquêtes y relatives qu'elle estime nécessaires et immédiate- ment après que ces enquêtes et cet examen sont terminés, elle doit soit annuler la suspension, soit révoquer la libération conditionnelle.
23. Un ordre donné, un mandat décerné ou une décision rendue en vertu de la présente loi n'est susceptible d'aucun appel à un tribunal ou une autre autorité, ou d'aucune révision par un tribunal ou une autre autorité.
11. Sous réserve des règlements que peut établir à ce sujet le gouverneur en conseil, la Commission n'est pas obligée, lors- qu'elle étudie la possibilité d'accorder ou de révoquer une libération conditionnelle, de donner au détenu l'occasion de se faire entendre personnellement ou par l'intermédiaire d'une autre personne.
L'article 11 doit toutefois être lu à la lumière de l'article 20 du Règlement sur la libération condi- tionnelle de détenus, C.R.C. 1978, Vol. XIII, c. 1249, modifié par DORS/78-428:
20. (1) Lorsque, dans le cas d'un détenu sous juridiction fédérale,
a) la libération conditionnelle qui lui a été accordée a été suspendue,
b) le détenu est sous garde, et
c) son cas a été soumis à la Commission conformément au paragraphe 16(3) de la loi,
celle-ci ne peut révoquer la libération conditionnelle que quinze jours après avoir été saisie de l'affaire.
(2) Lorsque le cas d'un détenu a été soumis à la Commission conformément au paragraphe 16(3) de la loi et que le détenu a fait une demande d'audition en vue de l'examen de son cas pendant la période visée au paragraphe (1), la Commission doit
a) tenir l'audition dès que possible après avoir reçu la demande; et
b) informer le détenu de la date de l'audition au moins quatorze jours avant l'audition.
Il ressort clairement ce qui suit de ces disposi tions de la Loi et du Règlement:
1. En vertu de l'article 6 de la Loi, la Commis sion a compétence exclusive pour révoquer la libération conditionnelle et cette révocation relève de son entière discrétion.
2. En application du paragraphe 16(4), la Com mission doit examiner le cas d'un détenu à liberté conditionnelle dont la libération condi- tionnelle a été suspendue et faire effectuer toutes les enquêtes y relatives qu'elle estime nécessaires, mais elle n'est pas obligée de tenir une audition ou de procéder à l'interrogatoire de la personne dont la libération conditionnelle a été suspendue.
3. La disposition expresse de l'article 11 portant que, sous réserve des règlements qui pourront être pris, la Commission n'est pas obligée de donner au détenu l'occasion de se faire entendre personnellement ou par l'intermédiaire d'une autre personne, laisse entendre qu'elle n'est pas tenue, sauf indication réglementaire contraire, de tenir une audition.
4. Il en résulte que, dans l'exercice de sa compé- tence exclusive et de son pouvoir discrétionnaire au sujet de la révocation des libérations condi- tionnelles, la Commission a toute latitude pour décider du parti à prendre.
5. A ce sujet, la seule restriction, qui s'applique au présent cas, est celle imposée par l'article 20 du Règlement, savoir que, lorsque le cas est renvoyé à la Commission en application du paragraphe 16(3) de la Loi, celle-ci doit tenir une audition. (Signalons aussi l'article 22 du Règlement, qui prévoit entre autres que, lorsque la libération conditionnelle d'un détenu a été révoquée, la Commission peut et doit, si telle est
la demande formulée par le détenu dans les trente jours de la notification de la décision de la Commission, faire réexaminer la décision par les membres de la Commission qui n'y ont parti- cipé. En l'espèce, le requérant n'a pas demandé un réexamen et la Commission n'en a pas provo- qué un.)
L'article 20 du Règlement s'applique directe- ment aux faits de l'espèce. Il exige qu'une audition soit tenue, mais ne précise pas la procédure à suivre. J'estime qu'il était dans l'intention du légis- lateur que la Commission agisse promptement et sans formalités en matière de révocation de la libération conditionnelle, et que l'article 20 du Règlement ne devrait pas s'interpréter comme modifiant cette intention et comme exigeant que l'audition prévue soit tenue avec toutes les garan- ties d'une audition officielle.
Vu les larges pouvoirs dont la Commission est investie, vu son pouvoir d'appréciation souverain, vu l'intention du législateur et je dirais même la nécessité que les questions de ce genre soient expé- diées sans formalités et avec célérité, j'en suis arrivé à la conclusion qu'il n'y a pas lieu d'infirmer la révocation de la libération conditionnelle du requérant pour le seul motif que certaines ques tions lui ont été posées au sujet de nouvelles accu sations criminelles portées contre lui.
Je tiens à souligner d'autre part que la décision de la Commission est, selon l'intention du législa- teur, sans appel. L'article 23 de la Loi est ainsi conçu:
23. Un ordre donné, un mandat décerné ou une décision rendue en vertu de la présente loi n'est susceptible d'aucun appel à un tribunal ou une autre autorité, ou d'aucune révision par un tribunal ou une autre autorité.
C'est une règle établie qu'une disposition de ce genre n'empêche pas la Cour d'annuler la décision d'une instance inférieure ou d'un organisme admi- nistratif pour défaut ou excès de pouvoirs. La Cour n'est pas non plus empêchée d'infirmer la décision d'un organisme administratif si ce dernier n'a pas agi équitablement envers le requérant. L'orga- nisme qui, pour un cas donné, n'agit pas de façon judiciaire ou quasi judiciaire, n'est pas tenu d'ob- server toutes les règles juridiques qui s'imposent à un tribunal et n'est pas soumis à toutes les règles de justice naturelle, mais il lui incombe d'agir avec équité envers la personne dont elle examine la
condition. Dans la présente requête, l'avocat du requérant a insisté sur l'exécution de cette obliga tion d'agir avec équité.
A mon avis, l'arrêt récent de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Martineau c. Le Comité de discipline de l'Institution de Matsqui [1980] 1 R.C.S. 602, a fait disparaître tout doute qui pou- vait exister quant à la compétence de la présente Cour pour statuer sur les demandes de bref de certiorari formées à l'encontre de décisions d'orga- nismes administratifs fédéraux. Dans cette affaire, l'appelant était un détenu de l'institution de Mats- qui (pénitencier). Il fut condamné à passer quinze jours dans une cellule d'isolement de l'institution pour une infraction disciplinaire. Il saisit la Cour fédérale (Division de première instance) [[1978] 1 C.F. 312] d'une demande de bref de certiorari, et la Cour d'appel fédérale [[1976] 2 C.F. 198] d'une demande de contrôle judiciaire en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10. La demande de bref de certiorari fut laissée en suspens tandis que la Cour d'appel sta- tuait sur la demande de contrôle judiciaire. Cel- le-ci rejeta la demande et sa décision fut confirmée par la Cour suprême ([1978] 1 R.C.S. 118). Le rejet était fondé sur ce que la Cour d'appel n'était pas compétente pour statuer sur les décisions de nature administrative qui «ne [sont] pas légale- ment soumise[s] à un processus judiciaire ou quasi judiciaire» et que l'article 28 écarte de la compé- tence de la Cour.
La Division de première instance procéda ensuite à l'examen de la demande de bref de certiorari. Le juge Mahoney accueillit celle-ci, mais sa décision fut infirmée par la Cour d'appel [[1978] 2 C.F. 637] au motif que, bien que la portée du bref de certiorari se soit étendue, «le bref lui-même ... ne continue de s'appliquer que lors- que la décision attaquée est soit de nature judi- ciaire soit soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire.»
La Cour suprême [[1980] 1 R.C.S. 602] infirma à l'unanimité la décision de la Cour d'appel. Deux jugements furent rédigés, l'un par le juge Pigeon, auquel souscrivirent les juges Martland, Ritchie, Beetz, Estey et Pratte, l'autre par le juge Dickson,
auquel souscrivirent le juge en chef et le juge McIntyre.
Dans son jugement, le juge Pigeon a, à la page 634, renvoyé à l'arrêt Bates c. Lord Hailsham ([1972] 3 All E.R. 1019) et cité une partie des propos tenus par le juge Megarry à la page 1024:
[TRADUCTION] ... Admettons que dans le domaine de ce qu'on appelle le quasi judiciaire, on applique les règles de justice naturelle et, dans le domaine administratif ou exécutif, l'obliga- tion générale d'agir équitablement ...
Il a déclaré ensuite que ces mots avaient été acceptés "comme un principe de common law" dans les motifs de la majorité de la Cour suprême dans l'arrêt Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Police Commissioners [1979] 1 R.C.S.
311 la p. 324. Cet arrêt a autorisé le contrôle judiciaire en vertu de The Judicial Review Proce dure Act, 1971 de l'Ontario, S.O. 1971, c. 48, à l'encontre de la décision d'un comité de police de renvoyer un agent qui, du fait qu'il n'avait pas complété sa période de probation, n'avait pas droit à une audition quasi judiciaire. Quoique acceptant que la cessation d'une «relation employeur- employé n'entraîne pas en elle-même d'obligation juridique d'observer les principes de justice natu- relle», la majorité a statué que, dans le cas d'un titulaire d'une charge publique comme un agent de police, il existait en common law une obligation d'agir équitablement, moins exigeante qu'une obli gation d'agir de façon quasi judiciaire, mais qui pouvait néanmoins être sanctionnée par le contrôle judiciaire.
Poussant plus loin l'examen de la question du contrôle judiciaire des décisions disciplinaires, le juge Pigeon a invoqué la décision récente de la Cour d'appel d'Angleterre dans R. c. Board of Visitors of Hull Prison, Ex p. St. Germain [ 1979] 1 All E.R. 701 et cité le passage suivant la page 635] extrait du sommaire:
[TRADUCTION] Les cours sont les ultimes gardiens des droits
et libertés du citoyen quel que soit son statut et quelque atténués que soient ces droits et libertés en conséquence d'un processus punitif ou autre, à moins que le Parlement n'ait décrété autrement par une loi. Il n'y a aucune règle de droit selon laquelle les cours doivent se déclarer incompétentes sim- plement parce que les procédures sous examen relèvent de la discipline interne et ..., la Divisional Court a erré en refusant de reconnaître sa compétence.
Vers la fin de son jugement la page 637], le juge Pigeon s'est exprimé en ces termes pour ce qui est des procédures en matière d'infraction à la discipline:
Il ne faut pas faire intervenir les exigences de la procédure judiciaire et, en conséquence il ne s'agit pas de décisions qui peuvent faire l'objet d'un examen par la Cour d'appel fédérale en vertu de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, un recours qui est, à mon avis, de la nature d'un droit d'appel. Cependant, cela ne veut pas dire que la Division de première instance ne peut sanctionner l'obligation d'agir équitablement au moyen des recours discrétionnaires mentionnés à l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale.
Dans son jugement, le juge Dickson a fait un examen approfondi de l'extension qu'ont donnée au bref de certiorari les tribunaux tant anglais que canadiens, surtout durant les deux ou trois derniè- res décennies. A propos de la question de la com- pétence, en l'espèce, ce qui était la seule question dont la Cour suprême fut saisie, sa conclusion était identique à celle du juge Pigeon. L'examen des opinions exprimées dans les maints jugements l'a conduit plus loin quant à la portée du bref de certiorari: il a envisagé de l'appliquer à diverses circonstances autres que celles examinées par le juge Pigeon dans les arrêts qu'il avait invoqués. A mon avis, l'arrêt expose clairement les aspects importants du bref de certiorari qui y sont étudiés. Il sera bien accueilli par les juges et les avocats.
Le juge Pigeon a abordé une question que le juge Dickson n'avait pas étudiée directement et qui est importante pour la décision à rendre en l'es- pèce, savoir si le refus par les autorités du péniten- cier (ou, en l'espèce, par la Commission nationale des libérations conditionnelles) d'autoriser un avocat à participer à une audition ou à y représen- ter la personne dont la conduite est examinée est sujet au contrôle judiciaire par voie de bref de certiorari. Le requérant prétend qu'il avait le droit de se faire représenter par un avocat à l'audition tenue par la Commission. Le refus par la Commis sion de donner suite à sa demande constitue le fondement de sa plainte selon laquelle il n'a pas été équitablement traité. Le juge Pigeon a, à la page 636, renvoyé à l'arrêt Fraser c. Mudge [1975] 3 All E.R. 78; [1975] 1 W.L.R. 1132, rendu par la Cour d'appel d'Angleterre. Dans cette affaire, un détenu accusé d'une infraction à la discipline (voies de fait sur un gardien de prison) avait
demandé une injonction et une déclaration suivant laquelle il avait droit à l'assistance d'un avocat à une audition tenue devant le comité de visiteurs. La Cour d'appel a, à l'unanimité, confirmé le refus
par le tribunal inférieur d'accorder l'injonction. Le juge Pigeon a cité des passages extraits des juge- ments rendus par lord Denning, Maître des rôles, et par lord juge Roskill. Aux pages 1133 et 1134 du recueil W.L.R., lord Denning s'est exprimé en
ces termes:
[TRADUCTION] ... Nous savons tous que lorsqu'un homme est amené devant son chef pour une violation des règles de disci pline, que ce soit dans les forces armées ou sur un navire en mer, la pratique n'a jamais été d'accorder la représentation par avocat. Il est de première importance que ces affaires soient réglées rapidement. Si l'on permettait la représentation par avocat, des délais considérables s'ensuivraient. C'est aussi le cas des infractions aux règles de discipline carcérale. L'instruction doit en avoir lieu rapidement. Ceux qui procèdent à l'instruc- tion doivent, bien sûr, agir équitablement. Ils doivent informer l'homme de l'accusation et lui donner une possibilité raison- nable de faire valoir sa défense. Mais cela peut se faire et se fait sans que l'affaire soit retardée par la représentation par avocat. Je ne suis pas d'avis que nous devrions modifier la pratique existante....
Lord juge Roskill a déclaré 'ce qui suit, après une référence aux Prison Rules 1964 d'Angleterre la page 80 All E.R.):
[TRADUCTION] ... On recherche les grands principes sous- jacents de ces règles. Il s'agit de maintenir la discipline en prison au moyen de décisions appropriées, promptes et rapides, par le directeur ou les visiteurs; et il me paraît que les exigences de la justice naturelle ne requièrent pas qu'une personne contre laquelle des procédures disciplinaires ont été intentées ait le droit absolu d'être représentée par avocat.
Le juge Pigeon poursuit à la page 637:
Il me parait que l'on a adopté, dans ce que je viens de citer, une vue juste de la situation du détenu qui fait l'objet de procédures disciplinaires.
Les déclarations qui précèdent font autorité et établissent qu'en matière de discipline, un détenu n'a, en général, aucun droit de se faire représenter par avocat à une audition tenue devant les auto- rités pénitentiaires. Selon moi, cela ne veut pas dire qu'il n'est pas de cas les tribunaux pour- ront décider, au nom de l'équité, d'autoriser le détenu à se faire assister par un avocat. De plus, une commission des libérations conditionnelles examinant un cas d'infraction à la libération con- ditionnelle qu'aurait commise un détenu ne se trouve pas dans la même position que des autorités pénitentiaires saisies d'un cas de voies de fait
commis par un détenu sur un gardien ou un employé de prison. Dans le premier cas, la néces- sité de statuer rapidement n'est pas aussi grande ou aussi apparente que dans le second.
Le juge Dickson a, sans la commenter, fait état de la décision de la Cour d'appel d'Angleterre dans l'affaire Fraser c. Mudge (susmentionnée). Pour ce qui est de l'application de la règle d'équité, quelques-uns de ses propos, quoique ne portant pas directement sur le droit à l'assistance d'un avocat, semblent aller dans le même sens que ce que j'ai exprimé dans le paragraphe précédent. Le juge Dickson, à la page 614, déclare que dans l'arrêt Martineau (no 1), le juge Pigeon a nié que la directive établie par le commissaire constituait un «code de procédure», mais a également rejeté l'ar- gument que la simple équité dans son sens de «bonne foi» satisfaisait à l'obligation d'équité de la part d'un organisme administratif. Il cite les propos tenus par le juge Pigeon à la page 127 du recueil de la Cour suprême:
En toute déférence, je ne puis souscrire à l'opinion selon laquelle la directive 213 exige simplement qu'une décision de nature disciplinaire, comme l'ordonnance contestée, soit rendue avec équité et justice.
Le juge Dickson en a tiré la conclusion suivante:
Implicitement donc, la majorité dans Martineau (n° 1) a reconnu un certain contenu procédural à l'obligation du comité d'agir équitablement—ce qui est plus exigeant que le minimum absolu de «bonne foi», mais l'est moins qu'une application stricte de la procédure énoncée dans la directive.
Les mots «un certain contenu procédural» dans le contexte d'une «obligation ... d'agir équitable- ment» signifient clairement qu'un organisme admi- nistratif, qui n'agit pas de façon judiciaire ou quasi judiciaire, doit observer certaines règles de procé- dures nécessaires à l'acquittement de son obliga tion d'agir équitablement. Ces règles sont d'une portée assez large pour englober la présence d'un conseiller juridique dans les cas l'équité le commande.
Le juge Dickson, à la page 619, cite le passage suivant du jugement rendu par lord Denning, Maître des rôles, dans Schmidt c. Secretary of State for Home Affairs [ 1969] 2 Ch. 149 (une décision de la Cour d'appel d'Angleterre), à la page 170:
[TRADUCTION] Les opinions dans Ridge v. Baldwin [[1964 A.C. 40] ... indiquent qu'un organisme - administratif peut,
dans un cas approprié, être obligé de donner à une personne que touche sa décision la possibilité de faire valoir des arguments. Tout dépend de son droit ou intérêt éventuels ou, ajouterais-je, d'un espoir légitime dont il serait inéquitable de la priver sans entendre ce qu'elle a à dire.
La «possibilité de faire valoir des arguments» figurant dans ce passage ne fait pas problème en l'espèce. On doit la déduire de la disposition légale prévoyant une audition par la Commission des libérations conditionnelles postérieurement à la suspension. Quant aux mots «droit ou intérêt», ils indiquent qu'un «intérêt», qui n'est pas un «droit» à proprement parler, pourra, le cas échéant, être protégé par la Cour au moyen, par exemple, d'un bref de certiorari.
D'autres décisions ou articles savants cités par le juge Dickson développent cette question et à la page 622, il conclut:
A mon avis, on peut recourir au certiorari chaque fois qu'un organisme public a le pouvoir de trancher une question tou- chant aux droits, intérêts, biens, privilèges ou libertés d'une personne.
En supposant que la libération conditionnelle soit un «privilège» et non un «droit», rester en liberté constituait certainement aussi bien un «inté- rêt» qu'un «privilège» du requérant.
Le juge Dickson a abordé une autre question de compétence qui peut être considérée comme ayant quelque rapport avec la présente requête. Il s'agit de ce qu'on appelle l'«exception disciplinaire». Il a cité trois causes dans lesquelles il a été décidé qu'on ne peut réviser par voie de certiorari les décisions d'organismes comme les forces armées, les services de police ou de pompiers, qui ont leur propre forme de discipline interne et leurs propres règles. Par analogie, on avait prétendu que les pouvoirs disciplinaires échappent au contrôle judi- ciaire et que cela s'étend à la discipline péniten- tiaire. Le juge Dickson ne fut pas de cet avis. Il a examiné plusieurs décisions rendues ces vingt-cinq dernières années par des Mutes cours d'Angle- terre, de la Nouvelle-Zélande et du Canada. Sa conclusion se trouve à la page 628:
Il semble clair que bien que les cours n'interviennent pas volontiers dans l'exercice de pouvoirs disciplinaires, que ce soit au sein des forces armées, des services de police ou d'un pénitencier, il n'y a aucune règle de droit qui exempte nécessai- rement l'exercice de ces pouvoirs disciplinaires d'un examen par certiorari.
Il s'agit là, à mon avis, d'une exacte interpréta- tion de la loi.
Je n'ai aucun doute sur la compétence de la Cour pour accorder le bref de certiorari. Reste néanmoins la question de savoir si la Commission a agi avec équité envers le requérant, et particulière- ment si son refus de permettre à ce dernier de se faire assister à l'audition par son conseiller juridi- que équivalait à un traitement injuste qui justifie- rait la Cour d'exercer son pouvoir discrétionnaire en accueillant la demande de bref de certiorari.
A ce stade, il convient de se reporter à une autre décision citée par l'avocat du requérant et sur laquelle il s'est fortement appuyé. Il s'agit de l'arrêt Pett c. Greyhound Racing Association, Ltd. [1968] 2 All E.R. 545, rendu par la Cour d'appel d'Angleterre. Un entraîneur de lévriers de course au service d'un club avait été accusé d'avoir dopé un lévrier ou d'avoir manqué à ses devoirs de sorte que le lévrier avait été dopé par quelqu'un d'autre. Normalement il appartenait aux délégués concer nés de l'Association de course de régler le cas à une audition, sans que l'accusé se fasse représenter par un avocat. Le club s'opposa à toute présence d'un conseiller juridique. Le secrétaire du club déclara dans son affidavit que la présence d'un conseiller juridique causerait du retard et des diffi- cultés qui feraient obstacle à l'intention des délé- gués de voir leurs réunions se dérouler rapidement et équitablement. L'avocat de l'Association soutint devant la Cour d'appel qu'il incombait aux délé- gués de décider de la procédure à suivre et que la décision de ces derniers de ne pas entendre d'avo- cats ne pouvait donner lieu à l'intervention des tribunaux.
Lord Denning, Maître des rôles, ne fut pas du même avis. Il déclara à la page 549 qu'il s'agissait d'une accusation grave. Déclaré coupable, l'entraî- neur pouvait être suspendu et son permis pouvait ne pas être renouvelé. L'accusation compromettait sa réputation et ses moyens d'existence. Lord Den- ning poursuivit:
[TRADUCTION] Dans cette enquête, j'estime qu'il a non seule- ment le droit de comparaître en personne, mais aussi celui de se faire représenter. Même un détenu peut se faire assister d'un ami.
Selon lui, la règle générale applicable à ces cas avait été formulée par le juge Stirling dans l'arrêt Jackson & Co. c. Napper. In re Schmidt's Trade Mark (1887) 35 Ch. D. 162, la page 172:
[TRADUCTION] ... que, sous réserve de certaines exceptions bien connues, toute personne qui jouit d'une pleine capacité
juridique a le droit de se donner un mandataire pour quelque but que ce soit, et qu'elle peut le faire tout aussi bien pour l'exercice d'un droit prévu par la loi que pour celui d'un droit quelconque.
J'aimerais souligner qu'en l'espèce, le requérant se prévalait d'un droit prévu par la loi en deman- dant une audition postérieure à la suspension.
Voici ce que lord Denning déclara notamment ensuite:
[TRADUCTION] Du moment qu'on admet qu'une personne a le droit de comparaître par représentant, je ne vois pas pourquoi ce représentant ne pourrait pas être un avocat. Il n'est pas donné à tout le monde de pouvoir se défendre par lui-même ... . Si justice doit être faite, on doit pouvoir charger quelqu'un de parler pour soi, et qui est mieux préparé pour cela qu'un avocat, dont c'est le métier. J'estime donc que lorsque la réputation d'un homme ou ses moyens d'existence sont en jeu, il a non seulement le droit de se défendre lui-même, mais aussi le droit de se faire représenter par un avocat.
Lord Denning mentionna une opinion contraire exprimée par le juge Maugham dans l'arrêt Maclean c. Workers Union [1929] All ER. Rep. 468, la page 471 et il déclara:
[TRADUCTION] Je me contenterai de dire qu'il est passé beau- coup d'eau sous les ponts depuis 1929. L'opinion incidente considérée (celle du juge Maugham) peut se justifier lorsqu'il s'agit seulement de cas les tribunaux statuent sur des questions de moindre importance et la présence d'un conseil- ler juridique peut à bon droit être exclue par les règles .... Toutefois, cette opinion ne s'applique pas aux cas les tribu- naux sont saisis de questions qui affectent la réputation d'une personne ou ses moyens d'existence, ou de toutes questions de grande importance. La justice naturelle exige alors que l'inté- ressé puisse, si tel est son désir, se faire défendre par un avocat.
En l'espèce, la question dont la Commission des libérations conditionnelles était saisie était certai- nement une question de grande importance puis- qu'elle mettait en cause la liberté, quoique condi- tionnelle, dont jouissait le requérant, et risquait de priver ce dernier d'une réduction d'une partie de sa peine. A cet égard, la présente affaire se rapproche beaucoup de Pett c. Greyhound Racing Associa tion, Ltd.
Je sais bien que, huit ans plus tard, dans l'arrêt Fraser c. Mudge (supra), le même juge a exprimé l'opinion contraire dans un jugement rendu à l'unanimité par la Cour d'appel relativement aux questions dont un comité de discipline des détenus avait été saisi. Toutefois à mon avis, l'espèce pré- sente se distingue de l'affaire Fraser c. Mudge. La Commission nationale des libérations conditionnel- les n'est pas un comité de discipline des détenus.
Elle ne connaît pas des infractions à la discipline. Tenant compte des condamnations et en vertu de son pouvoir discrétionnaire, elle accorde, refuse ou révoque une libération conditionnelle.
Les faits de l'espèce ont été assez complètement exposés au début de ces motifs. Il convient de donner ici quelques détails supplémentaires.
Le paragraphe 8 de l'affidavit du requérant commence par ces deux phrases:
[TRADUCTION] 8. Que lorsque mon agent de liberté condition- nelle a pris connaissance des accusations criminelles portées contre moi, sa décision a d'abord été que, en dépit de ma détention, ma libération conditionnelle ne serait pas suspendue. Plusieurs jours plus tard, cette décision a été rapportée.
Ces phrases appellent quelques observations. On ne saurait accorder beaucoup d'importance à ce qui est dit dans la première phrase, parce qu'en dépit de l'affirmation qui y est contenue, rien n'indique d'où l'intéressé tient ce qu'il dit de la décision de l'agent de liberté conditionnelle. En outre, rien ne prouve que son agent de liberté conditionnelle, R. H. Schau, ait eu le pouvoir de prendre une telle décision. Il n'est dit nulle part qu'elle a, en vertu de l'article 16 de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, été désignée par la Commission nationale des libérations condi- tionnelles comme une personne qui est investie du pouvoir de suspendre une libération conditionnelle. La suspension, qui eut effectivement lieu six jours après que le requérant eut été accusé de nouvelles infractions criminelles qu'il aurait commises alors qu'il était en liberté conditionnelle, ne fut pas prononcée par R. H. Schau, mais par Sandra J. Miller, surveillante de section, qui figurait sur l'avis de suspension (Rapport de violation), pièce «B» jointe à l'affidavit du requérant, comme per- sonne ainsi désignée. Toutefois, ces phrases consti tuent des énoncés de faits, qui ont été faits sous serment et qui n'ont été contredits ni dans l'affida- vit de son agent de liberté conditionnelle ni ail- leurs. A mon avis, il est possible que l'agent de liberté conditionnelle ait appris les accusations un jour ou deux après l'arrestation du requérant et que ces phrases indiquent quelle était son opinion à l'époque. Cette conclusion concorde avec le fait que la suspension, bien que prétendument basée sur la violation d'une condition de la libération, n'a eu lieu que six jours après l'entretien portant sur la discipline, et avec le fait que, lors de l'entretien, on
a demandé au requérant de signer l'«Instruction spéciale», ce qu'il a fait (voir plus haut). Comme je l'ai indiqué, l'«Instruction spéciale» semble être un avertissement, et impliquer qu'étant donné les cir- constances de l'époque, aucune mesure ne serait prise en vue de la révocation de la libération conditionnelle. Toute nouvelle violation de la con dition prescrite dans l'avertissement pourrait entraîner la révocation de la libération condition- nelle. Aucune nouvelle violation de ce genre n'a eu lieu ou n'aurait pu avoir lieu, puisque l'intéressé a été arrêté le même jour et accusé de nouvelles infractions criminelles qu'il aurait commises une semaine avant l'entretien portant sur la discipline.
A la suite de sa suspension du 30 janvier 1980, le requérant a demandé une audition. Rien n'indi- que qu'il devait y être discuté d'autre chose que de la raison invoquée pour la suspension et de la question de savoir si, compte tenu de l'«Instruction spéciale», il devait être suspendu en l'absence de toute nouvelle violation de la condition considérée. Il n'a nullement été établi qu'on l'ait averti qu'il serait interrogé sur les nouvelles accusations crimi- nelles. Celles-ci étaient graves, mais il avait plaidé non coupable et n'avait pas encore été jugé, encore moins condamné.
Les questions que la Commission des libérations conditionnelles a, à l'audition, posées au requérant n'ont pas été établies. On ne dispose que de l'affi- davit du requérant, celui-ci affirme qu'il a été requis de déclarer s'il avait commis des actes criminels. Il n'a pas été informé du but des ques tions à lui posées, ni de ce à quoi pourraient servir ses réponses. On lui a fait seulement savoir que les membres de la Commission devaient examiner les faits ayant donné lieu à ces accusations. Nous savons qu'il a répondu à quelques questions, mais nous ignorons quelles étaient ces questions et quel- les ont été ses réponses.
Compte tenu de ce qui précède et en dépit du pouvoir discrétionnaire qu'a la Commission de révoquer ou de ne pas révoquer la libération condi- tionnelle du requérant, on peut à tout le moins soutenir que ses membres n'auraient pas l'inter- roger sur les accusations criminelles. En tout état de cause, j'estime que le refus d'autoriser le re- quérant à se faire assister par un avocat au cours de l'audition constitue un traitement injuste à son égard.
Il ne faut du reste pas oublier que le but premier du bref de certiorari est de forcer les juridictions secondaires à tenir leurs auditions d'une façon juste et équitable. Ce but a été reconnu comme étant plus important que la protection des droits des particuliers.
La demande sera par conséquent accueillie, et l'ordonnance par laquelle l'intimée a, le 4 mars 1980, révoqué la libération conditionnelle du re- quérant infirmée. Les dépens seront adjugés en faveur du requérant.
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