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T-5088-80
Elaine Joyçe Publicover (Requérante) c.
La Reine, le ministre de la Défense nationale et Earl Hubert Publicover, membre des Forces armées canadiennes en service à l'étranger (Intimés)
Division de première instance, le juge suppléant Smith—Winnipeg, 23 octobre 1980 et 12 février 1981.
Brefs de prérogative Brefs d'habeas corpus et de manda- mus La requérante demande que son fils soit placé sous sa garde Le père, membre des Forces canadiennes, est en poste en Allemagne Le remède poursuivi par la requérante con- siste en un bref d'habeas corpus et un bref de mandamus enjoignant au Ministre d'exécuter les ordonnances demandées
La requérante n'a pas réussi à signifier les ordonnances déjà rendues par la Cour du Banc de la Reine L'intimé ne voulait pas accepter la signification Il échet d'examiner si la Cour a compétence pour accorder le remède sollicité Il échet d'examiner si elle a compétence sur les membres des Forces canadiennes en service en Allemagne Dans l'affir- mative, il échet d'examiner si cette compétence s'étend à la signification et à l'exécution des ordonnances rendues par la Cour dans un procès civil au Canada Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10, art. 17(5), 55(1),(4),(5)
Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1970, c. N-4, art. 134.
La requérante demande que son fils soit placé sous sa garde. Celui-ci vit actuellement en Allemagne avec son père. Le père (l'intimé Publicover) appartient aux Forces canadiennes et est en poste à Lahr, en Allemagne. Le remède poursuivi par la requérante consiste en un bref d'habeas corpus identique à celui qui a été décerné par la Cour du Banc de la Reine du Manitoba, en une ordonnance lui confiant la garde de son fils et en un bref de mandamus enjoignant à l'intimé E. H. Publicover d'obtempérer aux ordonnances sollicitées et au ministre de la Défense nationale de les exécuter. La requérante n'a pas réussi à signifier le bref d'habeas corpus et les ordonnances connexes, décernés par la Cour du Banc de la Reine, parce que l'intimé Publicover ne voulait pas en accepter la signification. La requé- rante soutient que cette Cour a compétence in personam sur le personnel militaire canadien de la Base, vu les articles 17(5) et 55 de la Loi sur la Cour fédérale. Il échet d'examiner si la Cour a compétence pour accorder le remède poursuivi, autre- ment dit, si elle a compétence sur les membres des Forces canadiennes en service à Lahr et, dans l'affirmative, si cette compétence s'étend à la signification et à l'exécution des ordon- nances rendues par elle dans un procès civil au Canada.
Arrêt: la demande est rejetée. La Cour a, dans certains domaines, compétence in personam sur le personnel militaire canadien de la Base. En règle générale toutefois, un membre des Forces canadiennes a, en dehors du service militaire, le même statut qu'un simple citoyen. Il y a beaucoup de choses qu'il ne peut être forcé de faire. L'article 134 de la Loi sur la défense nationale n'investit la police militaire que du pouvoir d'appliquer le Code de discipline militaire et non du pouvoir
d'intervenir dans une affaire de famille comme un divorce. Pour ce qui est de l'article 55(1), aucune loi du Parlement du Canada n'a été rendue applicable à la Base des Forces cana- diennes stationnée à Lahr, en Allemagne. L'article 55(4) et (5) ne s'applique pas à l'exécution des brefs dans un pays étranger. Le bref de mandamus n'est pas destiné à forcer un simple particulier à faire quelque chose. Il y a lieu de le distinguer de l'injonction de faire: il vise à contraindre un tribunal inférieur ou tout autre organisme investi de fonctions judiciaires ou quasi judiciaires à s'acquitter de ses attributions. De plus, le Ministre n'est tenu à aucune obligation publique ou légale envers la requérante.
Arrêts appliqués: Rossi c. La Reine [1974] 1 C.F. 531; La compagnie Rothmans de Pall Mall Canada Ltée c. Le ministre du Revenu national [1976] 1 C.F. 314.
DEMANDE. AVOCATS:
K. Zaifman et M. Gutkin pour la requérante. J. M. Remis pour l'intimé E. H. Publicover. B. Meronek pour les intimés la Reine et le ministre de la Défense nationale.
PROCUREURS:
Kopstein & Company, Winnipeg, pour la requérante.
Simkin, Cantor, Goltsman & Rosenberg, Winnipeg, pour l'intimé E. H. Publicover. Le sous-procureur général du Canada pour les intimés la Reine et le ministre de la Défense nationale.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT SMITH: La présente demande, introduite par une épouse séparée de son conjoint, tend à l'octroi de plusieurs redressements par lesquels elle se verrait remettre à sa garde son dernier fils, Thomas Edward Publicover, âgé main- tenant de 13 ans. En vertu d'un accord de sépara- tion intervenu en 1976 entre la requérante et son époux, l'intimé Earl Hubert Publicover, il était entendu que la requérante aurait la garde exclu sive des quatre enfants nés du mariage, dont Thomas Edward Publicover. Le 8 janvier 1980, à la suite de l'action en divorce intentée contre son époux, elle a obtenu, par ordonnance du juge Nitikman de la Cour du Banc de la Reine, la garde exclusive et provisoire de ses enfants mineurs.
L'époux de la requérante appartient aux Forces armées canadiennes et est actuellement en poste à
Lahr, en Allemagne. A l'été de 1980, Thomas Edward Publicover alla en Allemagne pour voir son père. Il devait revenir à Winnipeg par avion le 29 août 1980. Toutefois, vers le 8 août, la requé- rante fut informée par Earl Hubert Publicover que Tommy ne regagnerait pas Winnipeg, mais allait rester pour de bon avec lui en Allemagne.
La requérante saisit la Cour du Banc de la Reine. Le 28 août 1980, le juge Hunt rendit une ordonnance qui prévoyait la délivrance d'un bref d'habeas corpus enjoignant à l'intimé Earl Hubert Publicover de faire comparaître Tommy devant un juge de la Cour du Banc de la Reine, et qui ordonnait également à tous les shérifs, shérifs adjoints, agents de police et à la police militaire de prendre toutes mesures propres à assurer l'exécu- tion de ladite ordonnance du 28 août 1980 et de l'ordonnance de garde provisoire du 8 janvier 1980. Le bref d'habeas corpus fut émis le 12 septembre 1980.
Le 4 septembre 1980, le juge Hunt ordonna l'ajournement de l'affaire au 18 septembre 1980, date à laquelle l'intimé devait exposer les raisons pour lesquelles il ne devrait pas être trouvé coupa- ble d'outrage au tribunal pour non-observation de l'ordonnance du 28 août 1980 et de l'ordonnance de garde provisoire du 8 janvier 1980.
La requérante n'a pas réussi à faire signifier à l'intimé Earl Hubert Publicover, en Allemagne, par l'entremise des autorités militaires, le bref et les ordonnances susmentionnés. Le 18 septembre 1980, le juge Hunt ordonna que la signification à personne des copies conformes des ordonnances et du bref au commandant de la Base des Forces canadiennes de Winnipeg ou à son adjudant vau- drait signification à l'intimé. Le 24 septembre 1980, le procureur de la requérante fut avisé qu'une telle signification avait été faite.
Le 2 octobre 1980, le juge Hunt ordonna la délivrance d'un mandat d'arrêt pour faire amener l'intimé devant lui ou tout autre juge de la Cour du Banc de la Reine afin qu'il expose les raisons pour lesquelles il ne devrait pas être trouvé coupable d'outrage au tribunal pour non-observation de l'or- donnance de garde provisoire du 8 janvier 1980, de l'ordonnance du 28 août 1980 et du bref d'habeas corpus daté du 12 septembre 1980. Le mandat
d'arrêt fut lancé le 9 octobre 1980. Toutefois, comme l'intimé se trouve en Allemagne et qu'il refuse d'accepter toute signification, ce mandat ne lui a pas été signifié.
Ayant épuisé tous les recours possibles devant la Cour du Banc de la Reine, la requérante introdui- sit la présente requête devant la Division de pre- mière instance de la Cour fédérale.
L'ordonnance de garde provisoire du 8 janvier 1980 a été déposée devant la présente Cour et, en application de la Règle 1087 de la Cour fédérale, est devenue ordonnance de la Cour.
Le redressement sollicité dans la présente requête peut être résumé comme suit:
1. Un bref d'habeas corpus en termes identiques à celui ordonné par le juge Hunt le 28 août 1980 devant la Cour du Banc de la Reine.
2. Une ordonnance exigeant que Tommy soit remis à la garde de la requérante.
3. Un bref de mandamus:
a) enjoignant à l'intimé Earl Hubert Publicover d'obtempérer
(i) au bref d'habeas corpus,
(ii) à l'ordonnance exigeant que Tommy soit remis à la garde de la requérante, et
(iii) à l'ordonnance rendue par le juge Nitikman le 8 janvier 1980;
b) ordonnant au ministre de la Défense nationale de faire exécuter le bref d'habeas corpus, l'ordon- nance sur la garde provisoire et l'ordonnance de remise de Tommy à la garde de la requérante;
c) enjoignant aux shérifs, aux shérifs adjoints, aux agents de police, à la police militaire et aux autres agents de la paix de prendre toutes mesures pro- pres à assurer l'exécution dudit bref et desdites ordonnances;
d) ordonnant au ministre de la Défense nationale de forcer l'intimé Earl Hubert Publicover à se conformer audit bref et auxdites ordonnances;
e) prescrivant au ministre de la Défense nationale d'ordonner à tous les shérifs, shérifs adjoints, aux agents de police, à la police militaire, à tous les
autres agents de la paix et à toute personne sous son contrôle de faire exécuter ledit bref et lesdites ordonnances.
Le redressement sollicité devant la Cour fédé- rale est le même que celui pour lequel la Cour du Banc de la Reine a émis des ordonnances et un bref. La seule différence réside dans le fait que la présente Cour est maintenant priée de forcer le Ministre à faire exécuter les ordonnances. La Cour du Banc de la Reine a émis le bref d'habeas corpus et les deux ordonnances en vertu de son pouvoir d'exécution de ses ordonnances en matière de divorce, en l'occurrence, l'ordonnance de garde provisoire. La compétence de cette Cour en matière de divorce est certaine, et la validité du bref et des ordonnances par elle pris n'a nullement été contestée en l'espèce. Naturellement, la pre- mière question qui vient à l'esprit est celle de savoir pourquoi le même redressement est sollicité devant la présente Cour.
Il ressort de l'affidavit de Marla Gutkin que les autorités militaires canadiennes en Allemagne et au Canada étaient disposées à assister la Cour dans l'exécution de ses brefs. Toutefois, en vertu des règlements militaires, elles ne pouvaient le faire que si l'intimé Earl Hubert Publicover voulait bien accepter la signification des documents, ce qui n'était pas le cas. Finalement, la signification lui a été faite par signification au commandant de la Base des Forces canadiennes de Winnipeg. Ni cette signification ni la délivrance subséquente d'un mandat d'arrêt n'ont ramené au Canada Earl Hubert Publicover ou son fils Tommy.
La requérante croit que la présente Cour a une compétence plus étendue que celle de la Cour du Banc de la Reine, ce qui pourrait forcer le retour au Canada de Tommy et de l'intimé. Elle s'appuie tout d'abord sur l'article 17(5) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, qui est ainsi rédigé:
17....
(5) La Division de première instance a compétence exclusive pour entendre et juger en première instance toute demande de bref d'habeas corpus ad subjiciendum, de certiorari, de prohi bition ou de mandamus, à l'égard d'un membre des Forces canadiennes en service à l'étranger.
Ce paragraphe confère expressément à la pré- sente Cour compétence exclusive pour instruire et juger les demandes de redressement du genre de la
présente dirigées contre un membre des Forces canadiennes en service à l'étranger. Pour ce qui est de l'espèce présente, il n'est pas, à mon avis, nécessaire de déterminer si le législateur a voulu, dans les circonstances visées, soustraire à la Cour du Banc de la Reine sa compétence pour instruire et juger de semblables demandes en matière de divorce, ou si, à supposer que telle ait été l'inten- tion du législateur, ce paragraphe est conforme à la Constitution.
Ce paragraphe ne traite toutefois pas de l'exécu- tion des brefs mentionnés. Comment peut-on forcer un membre des Forces canadiennes en ser vice à l'étranger à rentrer en personne au Canada ou à amener devant la présente Cour quelqu'un qui se trouve également à l'extérieur du Canada?
Puisque l'ordonnance octroyant la garde provi- soire a été enregistrée à titre d'ordonnance de la présente Cour, je pourrais ordonner à l'intimé d'y déférer et de remettre Tommy à la garde de la requérante. Toutefois, rien dans la preuve ne permet de croire qu'une telle ordonnance serait plus efficace que les ordonnances rendues par la Cour du Banc de la Reine. J'estime donc qu'il n'y a pas lieu de rendre une ordonnance qui ne ferait que reprendre l'ordonnance du juge Hunt. Le bref d'habeas corpus, l'ordonnance du 28 août 1980 et les ordonnances ultérieures de la Cour du Banc de la Reine n'ont pas été enregistrés à la présente Cour. Indépendamment de la question de savoir s'ils pouvaient ou non être ainsi enregistrés, ni ce bref ni ces ordonnances ne sont devenus ceux de la présente Cour. A mon avis, il serait hors de propos d'essayer, sur simple requête d'un plaideur, de faire exécuter les ordonnances rendues par une autre cour.
En fait, ce que veut la requérante c'est ravoir son fils Tommy. Par conséquent, en plus d'un bref d'habeas corpus, d'une ordonnance prescrivant la remise de Tommy à sa garde et d'ordonnances enjoignant à l'intimé Earl Hubert Publicover de se conformer à ce bref et aux ordonnances émis par la Cour du Banc de la Reine, qui n'auraient proba- blement aucun effet, elle prie la présente Cour d'émettre un bref de mandamus ordonnant au ministre de la Défense nationale de faire exécuter le bref d'habeas corpus et les autres ordonnances, de forcer l'intimé Earl Hubert Publicover à s'y conformer et de contraindre les shérifs, shérifs
adjoints, agents de police, la police militaire, tous les autres agents de la paix et toute personne sous son contrôle à les exécuter.
La seule raison qui, à mon avis, justifie la demande à la présente Cour d'un nouveau bref d'habeas corpus et d'une ordonnance prescrivant la remise de Tommy à la garde de la requérante, est que la compétence de la présente Cour s'éten- dant à tout le Canada, l'existence de ce bref et de cette ordonnance permettrait, selon la requérante, à la Cour d'enjoindre au Ministre, qui réside à Ottawa, d'exécuter les ordonnances qu'elle sollicite contre ce dernier.
Il ressort de la plaidoirie de l'avocat à l'audience que la requérante a peu d'espoir d'atteindre son but si elle ne parvient pas à persuader la Cour de rendre à l'encontre du Ministre les ordonnances sollicitées. Il ne fait pas de doute que les autorités militaires et leur chef civil, le ministre de la Défense nationale, ont pouvoir, ne serait-ce que pour des raisons de service, d'ordonner à l'intimé Earl Hubert Publicover de rentrer au Canada et de veiller à ce que ce dernier obéisse à cet ordre. A supposer, pour le moment, que la présente Cour ait compétence pour enjoindre au Ministre d'ordonner le retour de Tommy, accompagné ou non de l'in- timé, reste encore la question de savoir si la Cour doit exercer cette compétence.
L'avocat de la requérante fait valoir que la Cour a compétence pour accorder tous les redressements sollicités, notamment les ordonnances enjoignant au Ministre de faire tout ce qui pourra y être précisé. Il invoque avant tout le paragraphe 17(5) de la Loi sur la Cour fédérale (précité). Ce para- graphe confère à la Division de première instance de la Cour compétence exclusive pour entendre et juger, entre autres, les demandes de bref d'habeas corpus ou de mandamus. Rien n'y est dit quant à l'exécution des brefs émis. En résulte-t-il que ce paragraphe prévoit implicitement qu'une ordon- nance obtenue au Canada dans une procédure civile peut être exécutée contre un membre des Forces canadiennes en service à l'étranger par des moyens autres que ceux applicables aux personnes n'appartenant pas à ces dernières?
A l'appui de sa prétention, l'avocat a également invoqué l'article 55(1),(4) et (5). L'article 55(1) est ainsi rédigé:
55. (1) Les brefs de la Cour sont exécutoires dans tout le Canada, y compris ses eaux territoriales, et en tout autre lieu la législation adoptée par le Parlement du Canada a été rendue applicable.
Il n'a été ni établi ni même soutenu qu'une législation du Parlement canadien ait été rendue applicable à la Base des Forces canadiennes sta- tionnée à Lahr, en Allemagne. Et je n'ai, quant à moi, jamais entendu parler d'une telle législation. Le paragraphe (4) dispose notamment:
55....
(4) Un shérif ou prévôt doit exécuter le bref de la Cour qui lui est adressé que cela l'oblige ou non à agir en dehors de son ressort....
A mon avis, ce paragraphe n'est pas destiné à s'appliquer à l'extérieur du Canada. Il ne veut pas dire, par exemple, qu'un shérif à qui a été remis un mandat d'arrêt contre une personne, est, par là, autorisé à se rendre en un pays étranger pour trouver celle-ci, l'arrêter et la ramener au Canada.
Pour les mêmes raisons, le paragraphe (5) ne s'applique pas, à mon avis, à l'exécution des brefs dans un pays étranger.
La requérante ne prétend pas que la Base des Forces canadiennes de Lahr, en Allemagne, fait partie du Canada. Une telle prétention ne pourrait non plus être admise. Rien n'indique que tel soit le cas, et c'est du reste le contraire qui serait éton- nant. La requérante soutient que la présente Cour a compétence légale quant à la Base, et non pas compétence territoriale, ce qui je suppose signifie qu'elle a compétence in personam sur le personnel militaire canadien de la Base. Même si l'on con- vient d'une telle compétence pour certaines fins, la portée d'application de celle-ci reste incertaine.
L'avocat de l'intimé Earl Hubert Publicover s'oppose à la demande pour plusieurs motifs. Il fait tout d'abord valoir que des ordonnances portant tous les redressements possibles ont été rendues par la Cour du Banc de la Reine et que le fait que la Cour ne puisse, semble-t-il, les faire exécuter ne justifie pas la présente Cour d'accorder des redres- sements semblables. Il insiste sur ce que la déli- vrance par la Cour fédérale, en application de
l'article 17(5) de la Loi sur la Cour fédérale, d'un nouveau bref d'habeas corpus ferait double emploi avec l'ordonnance rendue par la Cour du Banc de la Reine. La demande ne devrait donc pas, selon lui, être accueillie.
Cet argument ne me convainc pas. La requé- rante n'a pas pu faire exécuter le bref d'habeas corpus et les autres ordonnances de la Cour du Banc de la Reine parce que, en vertu d'un règle- ment militaire exigeant l'assentiment du militaire concerné à la signification des brefs judiciaires avant que la coopération des autorités militaires n'intervienne, assentiment qui a été refusé en l'es- pèce, elle a été dans l'impossibilité d'obtenir la coopération des autorités militaires de Lahr pour la signification des brefs de la Cour à l'intimé. C'est pour cette raison qu'elle n'a pas pu faire exécuter ce bref et les autres ordonnances. Si l'exécution d'ordonnances identiques rendues par la présente Cour est possible par la coopération forcée du Ministre, je ne pense pas que le fait qu'il y ait double emploi dans les procédures soit de nature à empêcher la requérante d'obtenir le redressement demandé.
En second lieu, l'avocat fait état de la situation de la Base des Forces canadiennes de Lahr. Je ne considère pas cette question comme essentielle au jugement de la présente affaire. La véritable ques tion n'est pas de savoir si cette Base fait partie du Canada, ce que rien ne tend à prouver et ce dont je doute fort, mais de savoir si la présente Cour a compétence sur les membres des Forces canadien- nes en service à Lahr et si cette compétence, si compétence il y a, s'étend à la signification et à l'exécution des ordonnances rendues par la Cour dans un procès civil au Canada, plus particulière- ment lors de procédures de divorce.
En troisième lieu, l'avocat invoque le statut de l'intimé Earl Hubert Publicover en sa qualité de membre des Forces canadiennes. Il fait valoir que ce statut n'expose pas l'intéressé à beaucoup plus de redressements qu'un simple particulier. Il sou- tient que les autorités militaires n'ont compétence sur l'intimé qu'en matière militaire. A ce sujet, il s'appuie sur l'article 134 de la Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1970, c. N-4, qui ne confère à la police militaire que le pouvoir d'appliquer le Code de discipline militaire, et non celui d'agir dans une
affaire personnelle comme des procédures de divorce.
Ces arguments ne sont pas sans valeur. D'une manière générale, un membre des Forces cana- diennes est, pour les questions non reliées au ser vice militaire, dans la même situation qu'un simple citoyen. Il y a beaucoup de choses qu'il peut faire ou ne pas faire, selon ce qu'il décide, mais qu'il ne peut être forcé de faire. Le dernier point du para- graphe précédent soulève la question de la portée de l'article 55(5) de la Loi sur la Cour fédérale. L'article 55 traite des brefs de la Cour et de leur exécution. Le paragraphe (4) prévoit qu'un shérif ou un prévôt doit exécuter les brefs de la Cour. Le paragraphe (5) prévoit cependant que lorsqu'il n'y a pas de shérif ou de prévôt ou que le shérif ou le prévôt est incapable d'exercer ses fonctions ou ne veut pas les exercer:
... le bref est adressé à un shérif adjoint ou prévôt adjoint, ou à toute autre personne que peuvent prévoir les Règles ou une ordonnance spéciale de la Cour visant un cas particulier ....
Il y a lieu de déterminer si une ordonnance de la Cour enjoignant à la police militaire de prendre toutes mesures propres à assurer l'exécution d'une ordonnance donnée de la Cour entre dans le champ d'application de l'expression «toute autre personne que [peut] prévoir . .. une ordonnance spéciale de la Cour visant un cas particulier.» Dans l'affirma- tive, et je pense que telle était l'intention du légis- lateur lors même que cela revient à donner à l'expression «toute autre personne» une interpréta- tion large, cela voudrait dire qu'une telle ordon- nance pourrait être valablement adressée par la Cour à la police militaire.
En dernier lieu, l'avocat soutient que le bref de mandamus n'est pas destiné à forcer un simple particulier à faire quelque chose. Je suis de cet avis. Il y a lieu de distinguer le bref de mandamus de l'injonction de faire. Il vise à contraindre un tribunal inférieur, ou tout autre organisme ou personne investi de fonctions judiciaires ou quasi judiciaires à exercer ses attributions. Il n'est pas destiné à forcer un particulier à faire quelque chose. J'estime, par conséquent, que la requérante à l'instance ne peut, en droit, obtenir de bref de mandamus (l'un des anciens brefs de prérogative).
L'avocat du Ministre intimé fait valoir un autre argument quant à la délivrance d'un bref de man-
damus enjoignant au Ministre de faire ce qui est demandé dans la présente demande. Il soutient en effet que rien ne permet le recours à ce bref pour forcer le Ministre à intervenir dans les affaires privées de l'intimé Earl Hubert Publicover. A l'ap- pui de cette prétention, il cite deux décisions. La première est Rossi c. La Reine [1974] 1 C.F. 531.
Dans cette affaire, le demandeur, détenu dans un pénitencier canadien, demandait à l'encontre du Solliciteur général et des fonctionnaires du Service canadien des pénitenciers en leur qualité de représentants de la Couronne, un bref de man- damus leur enjoignant d'exposer pourquoi la Cour ne devrait pas leur ordonner de fournir au deman- deur toutes les pièces et renseignements relatifs aux mandats lancés contre lui par les autorités des États américains de la Floride et du Connecticut.
Aux pages 535 et 536, après avoir statué qu'on ne peut recourir au mandamus contre la Cou- ronne, le juge Walsh dit ce qui suit du droit applicable aux fonctionnaires pénitentiaires nommés dans l'action:
Il convient cependant de rejeter également la requête sur le fond. Le but d'un bref de mandamus est d'obtenir l'accomplis- sement d'un devoir public, dans l'exécution duquel le deman- deur a un intérêt suffisant en droit. Cette procédure ne peut pas servir à obtenir l'exécution d'un simple devoir moral ou à commander l'accomplissement d'un acte contraire à la loi.
Il cite alors S. A. de Smith, dans son ouvrage Judicial Review of Administration, 2e édition, aux pages 561 563:
[TRADUCTION] Et .. . on ne peut pas non plus le délivrer relativement à un simple devoir privé ... ou à l'encontre d'un intimé qui n'est pas soumis aux ordres de la Cour ou à qui ledit devoir n'incombe pas.
Selon l'avocat, il n'est, en l'espèce, nullement question de devoir public du Ministre envers la requérante ou quiconque. Je souscris à cet argument.
La seconde décision invoquée est La compagnie Rothmans de Pall Mall Canada Limitée c. M.R.N. [1976] 1 C.F. 314.
Il s'agissait dans cette affaire d'une demande tendant à l'octroi de plusieurs des redressements extraordinaires, notamment un bref de mandamus enjoignant au Ministre intimé et à son sous-minis- tre d'inclure dans la longueur des cigarettes, telle que définie à l'article 2 de la Loi sur l'accise,
S.R.C. 1970, c. E-12, modifiée, la longueur du filtre (où il n'y a pas de tabac) aux fins de calculer le nombre de cigarettes sur lesquelles seront impo- sés et perçus des droits en vertu de la Loi sur l'accise.
L'article 6 de la Loi sur l'accise définit le mot «cigarette». Dans cette définition se trouve la dis position suivante:
... lorsqu'une cigarette dépasse quatre pouces de longueur, chaque tranche de trois pouces ainsi que la fraction supplémen- taire, le cas échéant, compte pour une cigarette;
Cette disposition a pour conséquence qu'une cigarette dont la longueur est supérieure à quatre pouces doit être considérée comme deux cigarettes aux fins de l'accise.
Avant 1975, aucune cigarette en vente au Canada n'avait une longueur totale supérieure à quatre pouces, filtre inclus. En 1975, deux sociétés ont mis en vente au Canada des cigarettes ayant une longueur totale supérieure à quatre pouces si on tient compte du filtre, mais inférieure à quatre pouces si on en fait abstraction. Le ministère du Revenu national, après avoir consulté des avocats, conclut que la Loi sur l'accise devait être appli- quée et les droits qu'elle imposait être calculés sur la base qu'une cigarette dont la partie contenant du tabac mesure moins de quatre pouces doit être considérée comme une seule unité, même si la longueur totale, filtre compris, dépasse quatre pouces.
Les sociétés requérantes, qui ne fabriquaient aucune cigarette ayant une longueur totale supé- rieure à quatre pouces et qui prétendaient que la décision du Ministère favorisait indûment les deux sociétés intimées, intentèrent l'action considérée afin d'amener le Ministère à prendre en compte le filtre dans le calcul de la longueur d'une cigarette aux fins de l'accise.
Le juge Heald a rejeté la demande au motif que la Cour n'avait pas compétence pour intervenir. Aux pages 320 et 321, il s'exprime en ces termes:
Selon la jurisprudence, il semble que lorsqu'un ministre agit à titre de préposé ou mandataire de la Couronne et que le Parlement ne lui a pas imposé une obligation particulière envers un citoyen, il ne peut être poursuivi pour manquement à l'exécution d'une obligation. Les tribunaux n'interviendront que lorsque la loi impose au ministre une obligation absolue de poser un acte particulier qui comporte une obligation juridique envers un individu. Dans un tel cas, le ministre est responsable
vis-à-vis de l'individu faisant l'objet de l'obligation et non vis-à-vis de la Couronne.
Rien dans les circonstances de l'espèce n'auto- rise à conclure que le Ministre a une obligation juridique envers la requérante.
Vu les faits de l'espèce et le droit applicable, j'estime que la Cour n'a nullement compétence pour intervenir et ordonner le redressement solli- cité. La demande sera dès lors rejetée.
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