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A-406-80
Le Syndicat canadien des télécommunications, division 1 des Travailleurs unis du télégraphe (Requérant)
c.
La Fraternité canadienne des cheminots, employés des transports et autres ouvriers, la Division des télécommunications canadiennes de la Fraternité canadienne des cheminots, employés des trans ports et autres ouvriers, le département des télé- communications de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, l'Association cana- dienne des employés des télécommunications et travailleurs connexes, les Travailleurs unis du télégraphe, la Fraternité des commis de chemin de fer, de lignes aériennes et de navigation, manuten- tionnaires de fret, employés de messageries et de gares et le Conseil canadien des relations du tra vail (Intimés)
et
Le sous - procureur général du Canada
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain et le juge suppléant Lalande—Montréal, 5 et 6 mars; Ottawa, 22 juin 1981.
Examen judiciaire Relations du travail Demande d'annulation de la décision par laquelle le Conseil canadien des relations du travail reconnaît que l'Association canadienne des employés des télécommunications et travailleurs connexes (ACETTC) succède à la Fraternité canadienne des cheminots, employés des transports et autres ouvriers (FCCET & AO) comme l'agent négociateur des employés des Télécommunica- tions de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) Le requérant est l'agent négociateur des employés des Télécommunications du Canadien Pacifique Limitée (CP) Le CN et le CP avaient signé un accord d'association prévoyant l'intégration de leurs services de télé- communications Le Conseil a refusé de permettre au requé- rant d'intervenir dans les procédures relatives à la désaccrédi- tation de la FCCET & AO, parce que le requérant ne représentait pas les employés de l'employeur devant le Conseil Le requérant fait valoir que si la FCCET & AO était demèurée l'agent négociateur des employés du CN, elle n'au- rait pas constitué une menace à l'existence du requérant, étant donné qu'elle n'aurait vraisemblablement pas demandé à être reconnue comme l'agent négociateur de tous les employés de l'association Il échet d'examiner si le requérant est «direc- tement affecté» par la décision du Conseil, et s'il est donc en droit de demander un examen judiciaire conformément à l'art. 28(2) de la Loi sur la Cour fédérale Demande rejetée Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, modifié, art. 119, 143, 144 Règlement du Conseil canadien des relations du travail (1978), DORS/78-499, art. 2, 17 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 28.
Demande d'annulation de la décision par laquelle le Conseil canadien des relations du travail a ordonné que l'Association canadienne des employés des télécommunications et travailleurs connexes (ACETTC) soit l'agent négociateur des employés des Télécommunications de la Compagnie des chemins de fer natio- naux du Canada (CN). La Fraternité canadienne des chemi- nots, employés des transports et autres ouvriers (FCCET & AO), le Syndicat représentant les employés des Télécommuni- cations du CN, s'adressa au Conseil pour demander sa désac- créditation. L'ACETTC intervint et demanda à être reconnue comme le successeur de la FCCET & AO. Avant la tenue d'un scrutin, le requérant à l'instance, qui est l'agent négociateur des employés des Télécommunications du Canadien Pacifique Limitée (CP), demanda à intervenir. Le CN et le CP avaient signé un accord d'association prévoyant l'intégration de leurs services de télécommunications. Tout syndicat touché par cette association pouvait s'adresser au Conseil sous le régime du paragraphe 144(3) du Code canadien du travail pour se faire reconnaître comme agent négociateur de tous les employés de cette association. Le requérant et la FCCET & AO avaient ce droit. Le Conseil débouta le requérant de sa demande d'inter- vention dans les procédures relatives à la désaccréditation de la FCCET & AO, parce que le requérant ne représentait pas les employés de l'employeur devant le Conseil. Après la tenue d'un scrutin, le Conseil déclara l'ACETTC agent négociateur. Le requérant fait valoir qu'il est directement affecté par cette décision, parce que si la FCCET & AO était demeurée l'agent négociateur accrédité des employés du CN, elle n'aurait pas constitué une menace à l'existence du requérant, étant donné qu'elle n'aurait vraisemblablement pas demandé à être recon- nue comme le successeur, compte tenu du fait qu'elle avait l'appui de peu d'employés de l'association. Il échet d'examiner si le requérant est «directement affecté» par la décision du Conseil au sens du paragraphe 28(2) de la Loi sur la Cour fédérale.
Arrêt: la demande est rejetée. Aux termes du paragraphe 28(2) de la Loi sur la Cour fédérale, une demande fondée sur l'article 28 «peut être faite par le procureur général du Canada ou toute partie directement affectée par la décision ou l'ordon- nance». Pour réussir, le requérant doit être «directement affecté» par la décision attaquée. S'il est vrai que la décision affecte manifestement les droits et obligations de la FCCET & AO et de l'ACETTC, elle affecte le requérant d'une façon tout à fait différente: la décision renforce la position de l'ACETTC aux yeux des employés et donne à ce Syndicat un statut lui permettant d'engager, sous le régime du paragraphe 144(3) du Code, des procédures qui sont susceptibles de mener à la désaccréditation du requérant. Le requérant n'est affecté qu'in- directement par la décision du Conseil qui ne fait que créer une situation susceptible d'affecter le requérant. Le requérant n'a donc pas la qualité requise pour présenter une demande fondée sur l'article 28.
Et le juge Le Dain: L'intérêt que le requérant fait valoir à titre de fondement de sa qualité pour agir peut être décrit comme le maintien d'une relation de concurrence. On a fait valoir que les cours devraient être moins réticentes à reconnaî- tre un effet néfaste sur une position de concurrence comme suffisant pour que soit reconnue la qualité pour agir. Mais les cours doivent décider si la position ou l'avantage de concur rence particulier a le droit d'être protégé. La reconnaissance et le maintien de l'avantage ou de la position de concurrence du
requérant comporteraient le déni du droit des employés de la Division à la continuité d'une représentation volontaire et effi- cace en attendant qu'il soit statué sur le droit de représenter les employés de l'association CN -CP télécommunications. Cela ne peut être un intérêt dont la protection est envisagée par le Code et ne devrait pas être considéré comme suffisant pour que soit reconnue la qualité pour attaquer la décision du Conseil.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
Hélène LeBel pour le requérant.
Robert Monette pour l'intimé le département des télécommunications de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada.
R. Koskie, c.r., et M. Zigler pour l'intimée l'Association canadienne des employés des télécommunications et travailleurs connexes. G. J. McConnell et J. MacPherson pour l'in- timé le Conseil canadien des relations du travail.
Maurice Wright, c.r., pour l'intimée la Frater- nité des commis de chemin de fer, de lignes aériennes et de navigation, manutentionnaires de fret, employés de messageries et de gares.
PROCUREURS:
Jasmin, Rivest, Castiglio, Castiglio & LeBel, Montréal, pour le requérant.
Ogilvy, Renault, Montréal, pour l'intimé le département des télécommunications de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada.
Robins and Partners, Toronto, pour l'intimée l'Association canadienne des employés des télécommunications et travailleurs connexes. Kitz, Matheson, Green & Maclsaac, Halifax, pour l'intimé le Conseil canadien des relations du travail.
Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady, Morin, Ottawa, pour l'intimée la Fraternité des commis de chemin de fer, de lignes aériennes et de navigation, manuten- tionnaires de fret, employés de messageries et de gares.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: Cette demande fondée sur l'article 28 attaque une décision du Conseil cana- dien des relations du travail reconnaissant l'Asso-
ciation canadienne des employés des télécommuni- cations et travailleurs connexes (ACETTC) à titre d'agent négociateur d'une unité formée des employés du département des télécommunications de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada.
L'agent négociateur accrédité pour les employés compris dans cette unité' a déjà été le Syndicat canadien des télécommunications, division 43, des Travailleurs unis du télégraphe. Le 21 octobre 1974, ce Syndicat se désaffilia des Travailleurs unis du télégraphe et se fusionna avec la Fraternité canadienne des cheminots, employés des transports et autres ouvriers (FCCET & AO). Par suite de cette fusion, la FCCET & AO remplaça le Syndi- cat à titre d'agent négociateur accrédité des employés des Télécommunications du Canadien National.
Par suite de sa fusion avec la FCCET & AO, le Syndicat cessa d'avoir une existence légale; de fait, toutefois, il continua à exister sous le nom de Division des télécommunications canadiennes de la FCCET & AO. Mais les relations entre cette Division et la FCCET & AO n'étaient pas des meilleures. Il semble que la Division voulait plus d'autonomie à l'intérieur de la FCCET & AO que cette association n'était prête à lui accorder. Fina- lement, la FCCET & AO conclut qu'elle avait perdu la confiance de la majorité des employés de l'unité et qu'elle ne devrait plus les représenter. Le 28 août 1979, elle présenta au Conseil, sous le régime de l'article 119 du Code canadien du tra vail, S.R.C. 1970, c. L-1, modifié 2 , une demande d'ordonnance modifiant les diverses ordonnances en vertu desquelles elle avait été accréditée et faisant droit à sa demande [TRADUCTION] «lui retirant ses droits et responsabilités de représenta- tion> qui lui avaient été conférés par ces ordonnances.
' Jusqu'à ce que l'ordonnance attaquée soit rendue, ces employés étaient divisés en plusieurs unités ayant le même agent négociateur.
2 Cet article est ainsi rédigé:
119. Le Conseil peut reviser, annuler ou modifier toute décision ou ordonnance rendue par lui et peut entendre à nouveau toute demande avant de rendre une ordonnance relative à cette dernière.
Avis de cette demande fut donné à la Division et à l'employeur. Les dirigeants de la Division inter- vinrent et demandèrent que l'examen de la demande de la FCCET & AO soit reporté pour leur donner le temps de créer un nouveau syndicat qui pourrait succéder à la FCCET & AO et acquérir les droits et les responsabilités que cette dernière désirait abandonner.
En décembre 1979, l'Association canadienne des employés des télécommunications et travailleurs connexes (ACETTC), le Syndicat formé par les dirigeants de la Division, intervint dans cette ins tance et demanda à être reconnue comme succes- seur de la FCCET & AO et comme l'agent négo- ciateur pour les employés des Télécommunications du Canadien National. A l'appui de sa demande, ce nouveau syndicat déposa des éléments de preuve tendant à démontrer qu'il avait l'appui de la majo- rité des employés de cette unité.
Le Conseil permit également l'intervention des Travailleurs unis du télégraphe, l'association à laquelle la Division était affiliée avant sa fusion avec la FCCET & AO. Cette association préten- dait aussi avoir le droit de succéder à la FCCET & AO à titre d'agent négociateur pour les employés des Télécommunications du CN.
En janvier 1980, le Conseil décida de tenir un scrutin au sein de l'unité de négociation pour déterminer si les employés désiraient être représen- tés par les Travailleurs unis du télégraphe, la FCCET & AO ou l'association nouvellement formée, l'ACETTC. Il ressortit de ce scrutin que l'ACETTC avait l'appui de la très grande majorité des employés.
Le dépouillement du scrutin n'avait pas encore été fait que, le 24 avril 1980, le Syndicat canadien des télécommunications, division 1 des Travail- leurs unis du télégraphe, demanda à intervenir. Ce Syndicat est le requérant devant la Cour; il est l'agent négociateur accrédité des employés du département des télécommunications du Canadien Pacifique Limitée et, comme son nom l'indique, il est affilié aux Travailleurs unis du télégraphe. Il prétendait avoir un intérêt dans la procédure en instance devant le Conseil parce que le Canadien Pacifique Limitée et la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada avaient, le 13 mars 1980, signé un accord d'association prévoyant l'intégra-
tion de leurs services de télécommunications; il affirmait que par suite de cet accord, il représen- tait des employés ayant le même employeur (c.-à-d. l'association) que les employés représentés par la FCCET & AO. Le requérant alléguait en outre que le scrutin de représentation était entaché d'irrégularités et aussi, que le Conseil n'avait pas en l'espèce la compétence voulue pour accréditer 1'ACETTC à titre d'agent négociateur des employés des Télécommunications du CN parce qu'il n'y avait eu aucune «fusion de syndicats ou ... transfert de pouvoirs entre des syndicats» qui aurait permis à 1'ACETTC de se prévaloir de l'article 143 du Code 3 . Le Conseil rejeta immé- diatement la demande du requérant pour les rai- sons qu'il a exprimées comme suit dans un télex adressé à l'avocate du requérant:
[TRADUCTION] A CE STADE-CI, LE SYNDICAT CANADIEN DES TÉLÉCOMMUNICATIONS, DIVISION 1 DES TRAVAILLEURS UNIS DU TÉLÉGRAPHE, QUI, SI NOUS COMPRENONS BIEN, NE REPRÉSENTE PAS LES EMPLOYÉS DE L'EMPLOYEUR EN L'ES- PÈCE MAIS PLUTÔT LES EMPLOYÉS D'UN AUTRE EMPLOYEUR, CHERCHE À INTERVENIR EN L'ESPÉCE PARCE QUE LES EMPLOYÉS QU'IL REPRÉSENTE SONT SUSCEPTIBLES D'ÊTRE TOUCHÉS PAR D'ÉVENTUELLES PROCÉDURES QUE L'ON PRÉ- VOIT DEVOIR DÉCOULER D'UNE CERTAINE RESTRUCTURA- TION QUI SERA FAITE PAR SUITE D'ACCORDS CONCLUS ENTRE LE CN ET LE CP. VOTRE CLIENT AURA CERTAINEMENT UN INTÉRÊT LÉGITIME DANS CES PROCÉDURES À VENIR. LE SYNDICAT QUI REPRÉSENTERA LES EMPLOYÉS DE L'EM- PLOYEUR DANS LA PRÉSENTE ESPÈCE SERA ÉGALEMENT UNE PARTIE INTÉRESSÉE. LE CONSEIL DÉTERMINERA EN L'ESPÈCE QUEL SYNDICAT CE SERA.
Le 28 mai 1980, après qu'on eut pris connais- sance du résultat du scrutin, le Conseil publia les
3 143. (1) Lorsque, par suite d'une fusion de syndicats ou d'un transfert de pouvoirs entre des syndicats, un syndicat succède à un autre syndicat qui est un agent négociateur au moment de la fusion ou du transfert de pouvoirs, le successeur est censé être subrogé au prédécesseur dans les droits, privilèges et obligations de ce dernier, qu'ils soient nés d'une convention collective ou autrement.
(2) Lorsque, à la suite d'une fusion de syndicats ou d'un transfert de pouvoirs entre des syndicats, une question se pose au sujet des droits, privilèges et obligations d'un syndicat sous le régime de la présente Partie ou d'une convention collective relativement à une unité de négociation ou à un employé qui en fait partie, le Conseil doit, à la demande d'un syndicat con cerné, définir quels sont les droits, privilèges et obligations subrogés ou maintenus.
(3) Avant de définir, en application du paragraphe (2), quels sont les droits, privilèges et obligations d'un syndicat qui ont été subrogés ou sont maintenus, le Conseil peut procéder à l'en- quête ou ordonner la tenue des scrutins de représentation qu'il estime nécessaire.
motifs de sa décision dans laquelle il concluait qu'il y avait eu transfert de pouvoirs entre la FCCET & AO et l'ACETTC et que, par consé- quent, l'ACETTC, étant réputée, aux termes du paragraphe 143(1), avoir acquis les droits et les obligations de son prédécesseur, y compris ses droits de négociation, remplaçait la FCCET & AO à titre de partie à la convention collective.
Le 6 juin 1980, le Conseil rendit une décision formelle ordonnant que l'ACETTC soit l'agent négociateur de l'unité de négociation des employés des Télécommunications du CN précédemment représentés par la FCCET & AO. C'est cette décision qu'attaque la présente demande fondée sur l'article 28.
Le requérant attaque la décision du Conseil en se fondant sur deux motifs: l'excès de juridiction et le déni de justice naturelle. Avant de les examiner, toutefois, il convient de trancher une question préliminaire.
Aux termes du paragraphe 28 (2) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, une demande fondée sur l'article 28 «peut être faite par le procureur général du Canada ou toute partie directement affectée par la décision ou l'or- donnance». Pour réussir, donc, le requérant doit être «directement affecté» par la décision attaquée. Est-il effectivement affecté?
La décision du Conseil substituait l'ACETTC à la FCCET & AO à titre d'agent négociateur pour l'unité des employés des Télécommunications du CN. Le requérant est l'agent négociateur accrédité d'un autre groupe d'employés, les employés des Télécommunications du CP. Comment peut-il être directement affecté par cette décision? Le requé- rant répond en citant l'accord d'association conclu entre la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et le Canadien Pacifique Limitée dont les effets doivent être appréciés à la lumière de l'article 144 du Code dont voici une partie:
144. (1) Au présent article,
«entreprise» désigne une entreprise fédérale et s'entend égale- ment d'une partie d'une telle entreprise;
«vente», relativement à une entreprise, comprend la location, le
transfert et tout autre acte d'aliénation de l'entreprise.
(2) Sous réserve du paragraphe (3), lorsqu'un employeur vend son entreprise,
a) un syndicat qui est l'agent négociateur des employés travaillant dans l'entreprise demeure leur agent négociateur;
(3) Lorsqu'un employeur vend son entreprise et que le groupe de ses employés et celui des employés de l'employeur auquel l'entreprise a été vendue sont confondus,
a) le Conseil peut, à la demande de tout syndicat concerné,
(i) décider si les employés concernés constituent une ou plusieurs unités habiles à négocier collectivement,
(ii) déterminer quel syndicat sera l'agent négociateur des employés de chacune de ces unités, et
(iii) modifier, dans la mesure il l'estime nécessaire, tout certificat délivré à un syndicat ou la description d'une unité de négociation figurant dans une convention collective;
Lorsque l'association entre la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et le Cana- dien Pacifique Limitée vit le jour, chacune de ces compagnies cédait à l'autre une partie indivise de son entreprise de télécommunications et, en consé- quence, les employés des deux compagnies furent confondus. Tout syndicat touché par la création de cette association pouvait donc s'adresser au Con- seil sous le régime du paragraphe 144(3) pour se faire reconnaître comme agent négociateur de tous les employés de cette association. Il est clair que le requérant de même que la FCCET & AO avaient ce droit. En concluant que 1'ACETTC avait suc- cédé à la FCCET & AO, le Conseil se trouvait à permettre à l'ACETTC de présenter, à la place de la FCCET & AO, une demande au Conseil sous le régime du paragraphe 144(3). Il semble que le requérant ait eu des relations amicales avec la FCCET & AO. En outre, ce Syndicat avait l'appui de peu d'employés de l'association. Si la FCCET & AO était demeurée l'agent négociateur accré- dité des employés du CN, elle n'aurait pas consti- tué une menace à l'existence du requérant étant donné qu'elle n'aurait vraisemblablement jamais présenté une demande au Conseil sous le régime du paragraphe 144(3). Maintenant qu'en vertu de la décision du Conseil, 1'ACETTC a pris la place de la FCCET & AO, la situation est différente puisque l'ACETTC a l'appui de plusieurs employés et désire éliminer le requérant. Telles sont les raisons, exprimées le plus clairement possi ble, pour lesquelles le requérant prétend être direc- tement affecté par la décision attaquée.
S'il est vrai que la décision attaquée affecte manifestement les droits et obligations de la FCCET & AO et de l'ACETTC, elle affecte le requérant d'une façon tout à fait différente. Pour être plus précis, le requérant est touché de deux façons: la décision renforce la position de l'ACETTC aux yeux des employés et donne à ce Syndicat un statut lui permettant d'engager, sous le régime du paragraphe 144(3), des procédures qui sont susceptibles de mener à la désaccrédita- tion du requérant. Est-ce qu'on peut dire, dans ce cas, que le requérant est directement affecté? Je ne crois pas. Selon moi, le requérant n'est affecté qu'indirectement par cette décision qui ne fait que créer une situation susceptible d'affecter le requérant.
Je suis donc d'avis que le requérant n'a pas la qualité requise pour présenter une demande fondée sur l'article 28. Pour ce motif, je rejetterais la demande.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT LALANDE: Je partage cette opinion.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Je suis d'accord que la demande fondée sur l'article 28 doit être rejetée au motif que le requérant n'a pas la qualité requise pour agir.
Pour avoir qualité pour présenter une demande fondée sur l'article 28, une personne autre que le procureur général doit, aux termes du paragraphe 28(2) de la Loi sur la Cour fédérale, être une «partie directement affectée par la décision ou l'ordonnance» attaquée. Il semblerait y avoir deux exigences: le requérant doit être une «partie» au sens de ce paragraphe et être directement affecté par la décision.
A la lecture de l'ensemble du paragraphe 28(2) (voir les mots «dans les dix jours qui suivent la première communication de cette décision ou ordonnance ... à cette partie par l'office, la com mission ou autre tribunal»), je conclus que le terme «partie» est employé dans un sens technique d'une partie aux procédures devant le tribunal dont la décision est attaquée. Voir Le Directeur en vertu
de la Loi anti-inflation c. Ontario Secondary School Teachers' Federation, District 34 [1978] 2 C.F. 202, la Cour semble avoir été de cet avis quant à la signification du terme «partie». Mais j'estime qu'une interprétation large devrait être donnée au terme «partie» lorsqu'il peut être démontré que le requérant a été directement affecté par la décision. Dans un tel cas, il devrait suffire que le requérant ait cherché à être une partie ou, encore, qu'il ait été une personne à laquelle aurait être offerte la possibilité d'être une partie. Aux fins de la présente instance donc, je présume que le requérant était une partie au sens du paragraphe 28(2) parce qu'il a cherché à intervenir pour soulever la question de la compé- tence qu'il invoque dans sa demande fondée sur l'article 28, même si le Conseil a refusé de lui reconnaître le statut d'intervenant au motif qu'il ne représentait pas les employés de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN), qui était considérée comme l'employeur dans l'instance pendante devant le Conseil. Ce point de vue n'est pas contraire aux dispositions du Règle- ment du Conseil canadien des relations du travail (1978), DORS/78-499 qui, à l'article 2, définit le terme «partie» comme «une personne qui a présenté au Conseil une demande, une réponse ou une intervention,» et qui, à l'article 17, prévoit: «Le Conseil doit accepter l'intervention s'il est d'avis qu'elle servirait les fins du Code ou son application.»
La difficulté, comme l'indiquent les motifs de mon collègue le juge Pratte, consiste à déterminer si, dans les circonstances très spéciales de l'espèce, le requérant devrait être considéré comme ayant été directement affecté par la décision du Conseil, le 6 juin 1980, qui reconnaissait l'Association canadienne des employés des télécommunications et travailleurs connexes (ACETTC) comme le suc- cesseur, en vertu d'un transfert de pouvoirs entre des syndicats au sens de l'article 143 du Code canadien du travail, de la Fraternité canadienne des cheminots, employés des transports et autres ouvriers (FCCET & AO) à titre d'agent négocia- teur pour l'unité des employés en télécommunica- tions régis par la convention collective existante conclue entre la FCCET & AO et le CN. Ce que cela comporte, selon moi, est une détermination quant à savoir si cette décision a directement affecté un intérêt que la Cour devrait reconnaître
comme suffisant pour que soit reconnue la qualité pour agir. La reconnaissance de la qualité pour agir, du moins dans les cas l'intérêt sur lequel elle se fonde ne peut être clairement défini en termes d'obligations ou de droits légaux, est une question relevant de la discrétion judiciaire: Thor- son c. Le Procureur Général du Canada [1975] 1 R.C.S. 138; The Nova Scotia Board of Censors c. McNeil [1976] 2 R.C.S. 265; Thio, Locus Standi and Judicial Review, 1971, pages 236 à 238; Davis, Administrative Law Treatise, 1978 Supple ment, page 169.
Il est clair que la décision n'a pas affecté les droits légaux du requérant en tant qu'agent négo- ciateur, que les employés qu'il représentait au moment de la décision soient considérés comme des employés du Canadien Pacifique Limitée (CP) ou comme des employés de l'association CN -CP télécommunications qui est entrée en vigueur le l er janvier 1980. Dans la mesure le statut de ces employés peut être pertinent pour trancher la question de la qualité pour agir, je suis d'avis que les clauses 12 et 13 de l'accord d'association, signé le 13 mars 1980, doivent être interprétées comme signifiant que bien que les employés travaillant dans l'entreprise de l'association seraient, à comp- ter du ler janvier 1980, sous la direction des diri- geants de l'association, ils continueraient, jusqu'au ler janvier 1981, à être considérés comme des employés du CN ou du CP, selon le cas, qui demeuraient responsables des questions telles la paie et les avantages des employés (sous réserve de remboursement par l'association), et conservaient [TRADUCTION] «plein contrôle sur les conditions d'emploi et sur l'embauche et le licenciement de ces employés.» La clause 13 stipule clairement que c'est à compter du ler janvier 1981 que les employés des parties effectuant des travaux de l'association seront des employés de cette associa tion. La décision du Conseil n'a ni créé ni affecté le droit de représenter les employés de l'association CN -CP télécommunications en tant que telle. Elle n'a pas reconnu une nouvelle unité de négociation composée de ces employés. Elle a simplement sub- stitué l'ACETTC à la FCCET & AO à titre d'agent négociateur pour l'unité des employés du département des télécommunications du CN régis par la convention collective existante entre la FCCET & AO et le CN.
L'intérêt que le requérant fait valoir en l'espèce à titre de fondement de sa qualité pour agir peut être décrit comme le maintien d'une relation de concurrence à cause de son importance pour les procédures subséquentes relatives au successeur sous le régime de l'article 144 du Code, qui déter- mineront quel syndicat a le droit de représenter les employés de l'association CN -CP télécommunica- tions. Cet intérêt a été décrit comme suit dans l'intervention du requérant, ou plutôt dans sa demande d'intervention dans la procédure devant le Conseil:
[TRADUCTION] L'intervenant s'inquiète de ce que les procé- dures en cours puissent être utilisées comme marchepied pour invoquer les dispositions du paragraphe 144(3) du Code cana- dien du travail afin de priver l'intervenant et les employés qu'il représente de leurs droits et privilèges découlant des conven tions collectives existantes. Il a donc un intérêt légitime à s'assurer que l'accréditation n'est pas accordée à une organisa tion instable qui ne s'est pas conformée aux exigences du Code et qui ne représente pas véritablement les employés pour les- quels elle cherche à obtenir le droit de négocier ou que le scrutin de représentation tenu par le Conseil ne soit pas autre- ment entaché d'autres irrégularités.
Ce qui était en cause a été énoncé de façon plus concrète et plus frappante dans le passage suivant du compte rendu d'une réunion de la Division des télécommunications canadiennes de la FCCET & AO («la Division») tenue le 25 septembre 1979:
[TRADUCTION] La F.C.C.E.T. & A.O. a dit clairement que lorsque les deux compagnies fusionneront, ce qui est actuelle- ment prévu pour le 1°" janvier 1980, la F.C.C.E.T. & A.O. ne demandera pas d'être déclarée le «syndicat successeur» et, en outre, n'interviendra pas si le syndicat du C.P., (Travailleurs unis du télégraphe), demande d'être subrogé aux droits du prédécesseur. Notre syndicat courra donc le grave risque d'être absorbé par le syndicat du C.P. même si nos membres sont deux fois plus nombreux que ceux de ce syndicat.
Le requérant avait intérêt au maintien de cette situation et le préjudice causé par la décision du Conseil vient du fait que cette décision substituait un syndicat que l'on peut présumer avoir eu l'in- tention de demander d'être subrogé aux droits du prédécesseur en vertu de l'article 144 du Code à un syndicat qui, vraisemblablement, n'avait pas l'in- tention de ce faire.
On a fait valoir que les cours devraient être moins réticentes à reconnaître un effet néfaste sur une position de concurrence comme suffisant pour que soit reconnue la qualité pour agir, particulière- ment à la lumière de la décision de la Cour suprême des États-Unis dans l'arrêt Association of
Data Processing Service Organizations, Inc. c. Camp 397 U.S. 150: Evans, Janisch, Mullan et Risk, Administrative Law Cases, Text, and Mate rials, 1980, page 906. Mais les cours doivent déci- der si la position ou l'avantage de concurrence particulier a le droit d'être protégé. La reconnais sance et le maintien de l'avantage ou de la position de concurrence du requérant en l'espèce comporte- raient le déni du droit des employés de la Division à la continuité d'une représentation volontaire et efficace en attendant qu'il soit statué sur le droit de représenter les employés de l'association CN -CP télécommunications, en tant que telle. J'estime que cela ne peut être un intérêt dont la protection est envisagée par le Code et ne devrait donc pas être considéré comme suffisant pour que soit reconnue la qualité pour attaquer la décision du Conseil de reconnaître 1'ACETTC à titre de successeur de la FCCET & AO selon l'article 143.
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