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T-5674-78
Conrad Gunn (Demandeur) c.
Donald Yeomans, en qualité de commissaire aux services correctionnels, et Nicholas Caros, en qua- lité de directeur de l'institution Matsqui et de président du comité de discipline des détenus de l'institution Matsqui (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Cattanach— Vancouver, 13 mai; Ottawa, 11 juin 1980.
Pénitenciers Ordre permanent pris par le directeur d'ins- titution ordonnant que tous les détenus soient minutieusement fouillés à leur départ de l'institution et au retour aux fins de détection des articles de contrebande Fouille minutieuse s'entend de la «fouille à nu» Méthode de fouille appliquée strictement et sans exception à la suite d'une attaque au couteau et en raison du fait qu'on ne savait pas lesquels des détenus auraient en leur possession des articles de contrebande Le demandeur s'est refusé à exécuter l'ordre de se soumet- tre à la fouille, arguant de l'illégalité de cet ordre Il échet d'examiner s'il est légal, de la part du chef d'institution, d'ordonner qu'on fouille, sans exception, tous les détenus à leur départ de l'institution et à leur retour en vue de détecter les articles de contrebande Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, c. P-6, art. 29 Règlement sur le service des péniten- ciers, C.R.C. 1978, Vol. XIII, c. 1251, art. 41(2) Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23, art. 26(7).
Le 10 novembre 1978, le demandeur, détenu à l'institution Matsqui, a reçu l'ordre de se soumettre à une «fouille à nu» avant son départ de l'institution pour subir un examen médical, mais il a refusé de s'exécuter parce qu'à son avis, cet ordre était illégal. Il ressort des faits qu'un ordre permanent pris par le défendeur en sa qualité de directeur de l'institution Matsqui, lequel ordre prévoyait que tous les détenus devaient être minu- tieusement fouillés à leur départ de l'institution et au retour, n'avait pas été uniformément et strictement appliqué, ce qui avait rendu possible une agression au couteau. A la suite de cet incident, qui s'était produit avant la date en question, le directeur de l'institution a pris la première mesure corrective qui consistait à ordonner verbalement l'application stricte et uniforme de l'ordre permanent et à préciser que fouille minu- tieuse s'entendait de la fouille à nu. Il a ensuite pris un autre ordre permanent, dans lequel le mot «fouillé» a été remplacé par les mots «fouillé à nu». Il échet d'examiner s'il est légal, de la part d'un chef d'institution, d'ordonner qu'on fouille, sans exception, tous les détenus à leur départ de l'institution et à leur retour en vue de détecter les articles de contrebande.
Arrêt: l'action est accueillie. L'ordre aux termes desquels les employés chargés de l'escorte doivent s'assurer que tous les détenus sont minutieusement fouillés à nu lors de leur départ de l'institution et de leur retour est illégal, puisque contraire au paragraphe 41(2) du Règlement sur le service des pénitenciers. Aux termes de ce Règlement, le chef de l'institution doit soupçonner, en se fondant sur des motifs raisonnables, qu'un détenu est en possession d'objets introduits illégalement avant
de pouvoir ordonner que cette personne soit fouillée. Il faut qu'il y ait dans ce cas un soupçon précis; un soupçon général ne peut suffire. Le singulier est employé tout au long du paragra- phe 41(2); il n'y a nullement lieu de recourir au paragraphe 26(7) de la Loi d'interprétation—qui prévoit que les mots écrits au singulier comprennent le pluriel et vice versa—en vue de remplacer par le pluriel le singulier employé dans le Règlement. Pour respecter la volonté du législateur, on ne peut interpréter le paragraphe 41(2) du Règlement qu'au singulier. De plus, les mots doivent être interprétés selon leur sens logique courant, à moins que quelque chose dans le contexte, ou dans l'objet visé par la loi ils figurent, ou encore dans les circonstances ils sont employés, n'indique qu'ils ont été employés dans un sens spécial et différent de leur acception courante.
Arrêt mentionné: Corporation of the City of Victoria c. Bishop of Vancouver Island [1921] 2 A.C. (C.P.) 384. Arrêt appliqué: R. c. Noble [ 1978] 1 R.C.S. 632.
ACTION. AVOCATS:
John W. Conroy pour le demandeur. John Haig pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Abbotsford Community Legal Services, Abbotsford, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: Le demandeur est un détenu de l'institution de Matsqui, pénitencier fé- déral établi dans la municipalité de Matsqui (Colombie-Britannique).
Les qualités des défendeurs figurent à l'intitulé de la cause.
M. Caros, en sa qualité susmentionnée, était, à l'époque en cause, responsable de la direction du personnel, de l'organisation, de la sécurité et de la protection de l'institution, ainsi que de la forma tion professionnelle des détenus.
En sa qualité de chef d'institution et dans l'exer- cice de ses fonctions, M. Caros est habilité, sous l'autorité du commissaire qui est le premier défen- deur en l'espèce, à diffuser des ordres permanents, lesquels sont propres à chaque institution, ainsi que des ordres de service courant, à l'intention de tous les fonctionnaires placés sous ses ordres.
Toutes ces attributions sont expressément pré- vues par le Règlement sur le service des péniten- ciers, C.R.C. 1978, Vol. XIII, c. 1251, promulgué par le gouverneur en conseil en application de l'article 29 de la Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, c. P-6.
De fait, M. Caros a pris des ordres permanents.
Un extrait de ses ordres permanents à l'intention du service de sécurité a été versé au dossier à titre de pièce D.1.
Cet extrait, intitulé [TRADUCTION] «Fouille de détenus», comprend neuf paragraphes groupés sous l'article 7.12.
Il y est prévu ce qui suit:
[TRADUCTION] (1) la fouille de détenus relève du directeur adjoint pour la sécurité qui veillera à ce qu'elle soit proprement conduite (c'est-à-dire, à mon avis, efficacement) eu égard à la décence et à la dignité humaines;
(2) à tout moment, un employé (c'est-à-dire un membre du Service des pénitenciers) peut fouiller un détenu s'il a lieu de croire que ce dernier a sur lui- un article de contrebande (c'est-à-dire tout ce qu'un détenu n'est pas autorisé à avoir en sa possession);
(3) la fouille se fait par «palpation» ou sous forme de «fouille en profondeur», les deux méthodes pouvant être appliquées à la fois, et ce selon la minutie requise;
(4) «Palpation» consiste à fouiller un détenu tout habillé, de la casquette aux souliers;
(5) «Fouille en profondeur» consiste à déshabiller un détenu en privé, à examiner soigneusement le corps, les cavités du corps et tous les vêtements et accessoires;
(6) l'«examen complet du corps et des cavités du corps», qui se pratique en cas de grave suspicion ou d'ordre d'un fonctionnaire supérieur, sera fait par le médecin de l'institution ou par le personnel de l'hôpital;
(7) tous les détenus et toutes les zones de l'institution seront fréquemment mais irrégulièrement fouillés aux fins de détec- tion des articles de contrebande, et
(8) chaque détenu sera fouillé à nu lors de son admission à l'institution, après une visite dans le jardin et à son retour d'une absence temporaire.
Les ordres ne donnent pas la définition de la fouille à nu, mais celle-ci a été décrite comme étant le déshabillage complet du détenu, un examen détaillé de tous ses vêtements et un examen visuel du corps nu. Le fouilleur ne doit pas toucher le détenu. Toutefois, ce dernier doit [TRA- DUCTION] «se pencher en avant» et écarter les
fesses afin qu'un employé [TRADUCTION] «puisse procéder proprement à une fouille à nu». Il est clair que cette flexion du corps fait partie inté- grante de la «fouille à nu».
Un extrait des ordres permanents pris en mars 1977 et portant sur l'escorte des détenus à l'exté- rieur du pénitencier a également été versé au dossier à titre de pièce D.2.
Le chef du service d'escorte doit s'assurer que les détenus sont minutieusement fouillés dans la salle de réception et de libération au départ comme au retour. C'est au convoyeur qu'il incombe de procéder à cette fouille, faite au moyen d'entraves.
Un ordre permanent daté du ler juin 1978 et formant la pièce D.3 répète les mêmes instructions à l'intention des employés chargés de l'escorte.
Les mots employés dans l'extrait ci-dessus sont «minutieusement fouillés»; comme je l'ai indiqué, une fouille minutieuse s'entend d'une fouille à nu et il s'agissait du type de fouille minutieuse à effectuer. Il a également été établi que la «fouille à nu» est une méthode reconnue et adoptée par les institutions depuis longtemps.
Il ressort toutefois de la pièce D.4, qui est un extrait de l'ordre permanent daté de décembre 1978, que le texte a été modifié de façon à prévoir que tous les détenus [TRADUCTION] «sont minu- tieusement fouillés à nu ... au départ comme au retour.»
Les mots «fouillés à nu» ont donc été ajoutés.
Cet ordre fait suite à l'incident qui a déclenché une suite d'événements, lesquels ont été à l'origine de l'action en instance. Cet incident eut lieu le 10 novembre 1978.
Peu avant le 10 novembre 1978, un détenu nommé Lakey a été conduit, sous escorte, à l'hôpi- tal pour traitement. Il avait sur lui un couteau caché, avec lequel il attaqua et blessa gravement deux gardiens. Il s'enfuit dans l'Île de Vancouver et y commit un meurtre avant d'être repris.
Cet incident ne laissait pas de préoccuper la population locale. Le maire de la municipalité se trouvait l'institution réclamait une meilleure sécurité et une meilleure protection pour ses admi-
nistrés. Les hôpitaux demandaient des garanties de sécurité avant de traiter des détenus. Il va de soi que M. Caros était préoccupé par l'affaire. Il était responsable de la sécurité de son personnel, des autorités hospitalières et de leur personnel, ainsi que du public alentour.
Une enquête sur les mesures de sécurité lui a permis de constater que les méthodes de fouille prévues par les ordres permanents pris en mars 1977 et le 1 °r juin 1978 (pièces D.2 et D.3) n'étaient pas uniformément et strictement appli- quées. Tous les détenus sortant de l'institution n'étaient pas minutieusement fouillés au départ et au retour.
La première mesure corrective prise par M. Caros consistait à ordonner verbalement l'applica- tion stricte et uniforme de l'ordre permanent sur la fouille minutieuse des détenus sortant de l'institu- tion sous escorte, en précisant que par fouille minutieuse, il entendait la fouille à nu. Tout détenu devait, sans exception, être fouillé à nu au départ et au retour. Ces directives verbales ont été données à M. Mickaloski, directeur adjoint pour la sécurité.
M. Caros a ainsi renforcé l'application de l'ordre permanent qui devait être rigoureusement observé dans tous les cas. L'ordre permanent pris en décembre 1978 (pièce D.4), dans lequel le mot «fouillés» a été remplacé par les mots «fouillés à nu», visait à parfaire ce renforcement d'application et à ne laisser aucun doute sur le sens de fouille minutieuse.
M. Caros s'est vu obligé de prendre ces mesures parce que, à son avis, tout mouvement de contre- bande à destination ou en provenance de l'institution, ainsi que la présence d'articles de contrebande à l'intérieur de l'institution compro- mettraient la bonne garde des détenus, la sécurité et la protection du personnel et du public, autant de responsabilités qui relevaient de ses attribu tions.
Cette opinion se passe de commentaires et ne saurait être contestée.
Qui plus est, chaque détenu qui quittait tempo- rairement l'institution était suspect à ses yeux, parce qu'il lui était impossible de décider avec tant soit peu de certitude lesquels des détenus auraient
en leur possession des articles de contrebande et lesquels n'en auraient pas. Il estimait aussi que, si l'on faisait des exceptions à cette règle, ceux qui n'étaient pas soumis à la fouille pourraient très bien se livrer eux-mêmes à la contrebande ou être forcés par les autres détenus à le faire.
C'est le seul moyen de défense qu'il oppose à l'ensemble de la déclaration et il a déposé en ce sens.
Avant son incarcération, le demandeur souffrait de troubles rénaux. Ces troubles, qui se sont mani festés de nouveau au cours de son emprisonne- ment, ont été guéris par l'enlèvement chirurgical d'un kyste au Vancouver General Hospital. Les médecins l'ont toutefois averti que d'autres kystes pourraient se former et lui ont recommandé de passer un examen radiologique dans deux ans.
A l'automne de 1978, le demandeur a recom- mencé à avoir des douleurs et le médecin de l'insti- tution l'a envoyé à un médecin d'Abbotsford, lequel a décidé de procéder à un examen radiologi- que le 10 novembre 1978.
Le jour venu, le demandeur a été conduit vers 9 h 45, en vue de son départ, dans la salle de réception et de libération le nommé Scott, agent du Service des pénitenciers, lui a ordonné de se déshabiller, ce qu'il a fait.
L'agent lui a ensuite ordonné de se pencher afin qu'il puisse voir si rien n'était caché entre les fesses. Le demandeur a refusé de s'exécuter, esti- mant cette position humiliante et dégradante, d'autant plus qu'à son avis, il ne cachait pas aux agents présents que cet ordre était illégal.
L'ordre a été répété et le demandeur a été averti que s'il s'obstinait dans son refus, il serait accusé de désobéissance à un ordre légal et mis en régime d'isolement en attendant qu'on statue sur l'accusa- tion.
Le demandeur a persisté dans son refus. Là-des- sus, il a été mis en régime d'isolement et subsé- quemment accusé [TRADUCTION] «... d'avoir désobéi à un ordre légal direct, celui de se soumet- tre à la fouille à nu ....»
Le 16 novembre 1978, il a comparu devant le comité de discipline des détenus, dont la composi-
tion et la procédure sont prévues par la Directive 213, émise par le commissaire conformément au paragraphe 29(3) de la Loi sur les pénitenciers.
Ce comité se composait de M. Caros, président, et de deux membres du personnel, savoir M. Mick- aloski, directeur adjoint pour la sécurité, et M. Arens, agent chargé d'un groupe de cellules. En sa qualité de président du comité, M. Caros avait seul pouvoir de décision, les deux autres membres n'ayant qu'un rôle consultatif.
Il ressort de l'article 12 de la Directive du commissaire, en particulier de son alinéa c(4), que l'accusé jouit pleinement du droit de défense, dont le droit de contre-interroger les témoins par l'en- tremise du président et de citer des témoins à décharge, à moins que de l'avis du président, l'exercice de ce droit ne soit frivole et vexatoire, auquel cas il le lui notifie par écrit.
A l'audition, le demandeur a plaidé non coupa- ble, et ce faisant, a avoué sa désobéissance à l'ordre de se pencher au motif que cet ordre était illégal.
Il s'est vu donner l'autorisation de contre-inter- roger le seul témoin oculaire cité, l'agent Scott, par l'entremise du président conformément à la procé- dure prévue.
Il a également demandé que M. Mickaloski se récuse afin qu'il puisse le citer comme témoin. M. Caros, qui présidait le comité, n'a pas accueilli cette demande. En citant M. Mickaloski comme témoin, le demandeur visait à établir qu'il avait déclaré à ce dernier qu'il refusait de se pencher en avant conformément à l'ordre donné parce qu'il était intimement convaincu que cet ordre était illégal, et qu'au cours des neuf années qu'il avait purgées à la suite de sa condamnation à perpétuité, sa conduite était exemplaire, à l'exception d'une seule fois il s'était battu avec un autre détenu.
A ce que je vois, le comité a rejeté cette requête parce qu'il reconnaissait la conduite irréprochable du demandeur, et que sa désobéissance s'expliquait par le fait qu'il estimait l'ordre illégal. En consé- quence, point n'était besoin de citer M. Mickaloski pour établir ces faits avérés. Ce refus était donc
fondé à cet égard.
Le demandeur soutient aussi que ni M. Caros ni M. Mickaloski ne pouvait siéger au comité de discipline convoqué pour statuer sur l'infraction que le demandeur aurait commise, puisque le pre mier serait appelé à se prononcer sur la légalité d'un ordre qu'il avait donné et dont M. Mickaloski avait ordonné l'exécution.
Cet argument repose sur le fait que ceux-ci auraient pu avoir des préjugés sur la légalité de l'ordre, dont ils étaient respectivement l'auteur et l'exécutant, que siéger au comité appelé à se pro- noncer sur la légalité de cet ordre reviendrait à siéger en appel d'une de leurs propres décisions antérieures, et que chacun d'eux était directement intéressé dans le litige. Dans ces conditions, le demandeur soutient qu'il avait de bonnes raisons de craindre un préjugé possible.
Il semble que M. Caros, tout en reconnaissant au demandeur le droit d'invoquer en défense l'illé- galité de l'ordre qu'il avait donné, n'en a pas accueilli l'argumentation. D'après lui, il était habi- lité à donner cet ordre et la seule conclusion logique que je puisse en tirer est qu'il a rejeté l'argument du demandeur à ce sujet.
L'argument que fait valoir l'avocat du deman- deur sur le préjugé pris dans son sens juridique n'est pas sans fondement.
Il se peut cependant que, par l'application d'une disposition expresse ou d'une règle tacite qui ne souffre aucune autre interprétation, le pouvoir juridictionnel soit confié à une partie intéressée dans l'issue du litige, auquel cas la règle d'incom- pétence ci-dessus, reconnue en common law, est anéantie. Il s'agit du principe selon lequel la néces- sité fait échec à l'application stricte des règles.
Selon le paragraphe 29(3) de la Loi sur les pénitenciers, le commissaire peut donner des ins tructions concernant la discipline des détenus, ce qu'il a fait par la Directive 213. Les infractions y sont classées par catégorie et la désobéissance à un ordre constitue une infraction grave ou fla- grante entraînant une peine sévère de trente jours au plus, dont l'isolement assorti ou non d'autres sanctions prévues.
Comme je l'ai indiqué, la Directive 213 pré- voit aussi la composition du comité de discipline.
Il ressort de cette Directive que ce comité est présidé par un fonctionnaire de rang d'autant plus élevé que l'infraction est plus grave.
De toute évidence, cette affaire a paru tellement importante à M. Caros qu'il s'est chargé lui-même de l'instruire. C'est pourquoi il a lui-même présidé le comité.
Il me semble que, par la force des choses, la Directive du commissaire exclut naturellement l'incapacité du chef d'institution de siéger au comité lors même qu'il a peut-être un intérêt dans l'exécution de son ordre.
Le demandeur a été déclaré coupable de l'in- fraction reprochée et condamné à trente jours d'isolement, avec sursis de quatre-vingt-dix jours.
En conséquence, si le demandeur refusait de nouveau d'obtempérer à l'ordre de fouille à nu durant la période du sursis, il devrait purger cette peine de trente jours d'isolement, en sus de la peine imposée à la suite de toute nouvelle condamnation.
Pour ce qui est de l'efficacité de la fouille à nu, dépositions et témoignages n'ont pas manqué qui indiquaient que d'autres méthodes de fouille pour- raient être plus efficaces, plus pratiques et moins humiliantes.
Dans ses dépositions, le demandeur se déclare convaincu que la fouille à nu a été délibérément imposée dans le seul dessein d'avilir et d'humilier les détenus. S'il en était ainsi, l'ordre permanent, dont l'exécution stricte avait été ordonnée par M. Caros, serait illégitime parce qu'il cachait une arrière-pensée.
Il ne m'appartient pas de me substituer au chef d'institution pour ce qui est de concevoir la méthode la plus efficace d'assurer la sécurité et la protection de l'institution. La fouille à nu est une méthode reconnue au sein du Service des péniten- ciers et je dois, par conséquent, admettre le postu- lat selon lequel il s'agit de la fouille la plus efficace pour déceler les articles de contrebande et
ne requérant pas l'intervention du personnel médi- cal. Une fois ce postulat admis, je dois conclure qu'il n'y a pas eu arrière-pensée.
Toutefois, cette conclusion ne signifie pas que cet ordre ne peut pas être illégal à d'autres égards.
Il est indéniable que le commissaire a pour responsabilités «l'organisation, l'entraînement, la discipline, l'efficacité, l'administration et la direc tion judicieuse du Service, ainsi que la garde, le traitement, la formation, l'emploi et la discipline des détenus et la direction judicieuse des péniten- ciers». C'est ce que prévoit le paragraphe 29(3) et à cet effet, le commissaire peut donner des instruc tions, sous réserve toutefois du paragraphe 29(1).
Le paragraphe 29(1) habilite le gouverneur en conseil à établir des règlements visant la même fin, ce qu'il a fait par le Règlement sur le service des pénitenciers.
Par conséquent, aucune directive du commis- saire ne peut contredire une disposition du Règle- ment sur le service des pénitenciers.
Comme je l'ai indiqué, le chef d'institution est responsable de la direction de son personnel, de l'organisation, de la sécurité et de la protection de son institution, ainsi que de la formation profes- sionnelle des détenus.
A cette fin, il peut établir des ordres permanents propres à son institution ainsi que des ordres de service courant à l'intention de tous les fonction- naires placés sous ses ordres.
Ordres permanents et ordres de service courant sont établis sous l'autorité du commissaire. Il s'en- suit que, puisque les directives du commissaire ne peuvent aller à l'encontre du Règlement sur le service des pénitenciers, il ne saurait permettre que les ordres permanents contredisent celui-ci.
J'accueille l'affirmation figurant au paragraphe 17 du mémoire de défense, au sujet de laquelle M. Caros a témoigné et selon laquelle le mouvement de contrebande à destination et en provenance de Matsqui ainsi que la présence des articles de con- trebande à l'intérieur compromettent la bonne garde des détenus, la sécurité et la protection du personnel et du public alentour, autant de respon- sabilités qui relèvent de ses attributions.
Comme je l'ai indiqué, cette affirmation se passe de commentaires et ne saurait être contestée. Il s'ensuit inexorablement que la circulation et la possession d'articles de contrebande doivent être enrayées.
Le moment et l'endroit les détenus quittent l'institution et y retournent à l'occasion d'absences autorisées sont tout indiqués pour la suppression de la contrebande.
A cet égard, la meilleure méthode consiste en une fouille minutieuse à ce moment et en cet endroit. Pour les raisons indiquées plus haut, si le chef d'institution décide que la méthode de fouille la plus efficace consiste en une fouille à nu, cette décision s'inscrit dans les limites de sa compétence.
M. Caros a toutefois déposé qu'il ne pouvait pas savoir exactement lesquels des détenus se livraient à la contrebande. C'est pourquoi il les soupçonnait tous et c'est pourquoi il a ordonné que tous les détenus soient fouillés, d'autant plus que l'applica- tion uniforme de cette mesure découragerait toute tentative de contrebande.
A mon avis, l'ordre donné par M. Caros, d'ap- plication stricte et sans exception de la fouille minutieuse des détenus à leur départ de l'institu- tion et à leur retour, serait un moyen de prévention logique contre la contrebande d'articles transpor tés en cachette par les détenus.
En l'espèce, il échet d'examiner uniquement s'il est légal, de la part du chef d'institution, d'ordon- ner qu'on fouille, sans exception, tous les détenus à leur départ de l'institution et à leur retour en vue de détecter les articles de contrebande.
Vu l'étendue des responsabilités qui incombent au chef d'institution en matière de sécurité, de protection et de saine administration de l'institu- tion, j'estime que ces mesures visent bien ces fins et que de ce fait, elles relèvent de sa compétence. Néanmoins, bien que ces mesures relèvent de sa compétence, il n'est pas autorisé à les prendre si l'ordre établi par lui va à l'encontre d'une disposi tion du Règlement sur le service des pénitenciers sur le même sujet.
Le paragraphe 41(2) du Règlement sur le ser vice des pénitenciers (cité sous son ancien numéro 2.31(2) dans les plaidoiries) porte:
41. ...
(2) Si le chef de l'institution soupçonne en se fondant sur des motifs raisonnables qu'un fonctionnaire, un employé, un détenu ou un visiteur de l'institution est en possession de contrebande, il peut ordonner que cette personne soit fouillée ....
Ce Règlement prévoit les circonstances dans lesquelles le chef de l'institution peut ordonner qu'un détenu soit fouillé aux fins de détection de la contrebande.
Il faut qu'il ait eu lieu de croire que le détenu à fouiller a sur lui des articles de contrebande.
Bien que le chef de l'institution soit peut-être fondé à soupçonner que tout détenu qui quitte l'institution et y retourne à l'occasion de courtes absences autorisées, peut avoir en sa possession de la contrebande, je ne pense pas que ce soupçon soit justifié lorsqu'il s'agit d'un détenu donné. Il faut qu'il y ait dans ce cas un soupçon précis; un soupçon général ne peut suffire.
Le singulier est employé tout au long du para- graphe 41(2).
En accordant l'injonction interlocutoire interdi- sant aux défendeurs à l'action d'ordonner d'autres fouilles sur la personne du demandeur, sauf les circonstances prévues au Règlement 2.31(2) du Règlement sur le service des pénitenciers (actuel- lement paragraphe 41(2) de ce Règlement) le juge Walsh a expliqué son ordonnance en date du 24 janvier 1979* en ces termes:
Aux termes du règlement 2.31(2) précité, le chef de l'institu- tion doit soupçonner «en se fondant sur des motifs raisonnables» que le «détenu» «est en possession» d'objets introduits illégale- ment avant de pouvoir ordonner que «cette personne» soit. fouillée. [C'est le juge Walsh qui souligne.]
Il va sans dire—si l'on se fonde sur ce qu'il est courant de voir dans les prisons—que les détenus peuvent avoir en leur possession à tout moment des objets introduits illégalement, et qu'ils peuvent dans l'ensemble être à cet égard l'objet de soupçons, voire de soupçons «raisonnables». Selon le règlement, il appert qu'un particulier doit être l'objet de soupçons bien précis, fondés sur «des motifs raisonnables», avant qu'on puisse le fouiller. Le mot «détenu» est utilisé au singulier, le règlement emploie l'expression «est» en possession et non «peut être» en possession et l'ordre porte que «cette» personne soit fouillée. A mon sens, une fouille générale de tous les détenus à leur sortie de l'institution et à leur retour ne pourrait être justifiée que par son règlement plus rigoureux, quels que soient par ailleurs l'à-propos, l'utilité ou la nécessité d'une telle fouille. Si des pouvoirs élargis sont nécessaires pour effectuer la fouille, ce qui est fort possible, le règlement devrait être modifié dans ce sens.
* [Non publié, no du greffe T-5674-78.]
Le paragraphe 26(7) de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23 porte:
26... .
(7) Les mots écrits au singulier comprennent le pluriel; et le pluriel comprend le singulier.
Voici ce que dit le lord Chancelier Selborne dans l'arrêt Conelly c. Steer ((1881) 7 Q.B.D. 520, à la page 522):
[TRADUCTION] Néanmoins, dans l'interprétation d'une loi, le pluriel s'entend du singulier lorsque le contexte le commande;
L'inverse est vrai aussi: le singulier s'entend du pluriel «lorsque le contexte le commande».
Lorsque lord Selborne tint ces propos en 1881, les mêmes mots que ceux employés dans le para- graphe 26(7) se trouvaient dans «An Act for short ening the Language used in Acts of Parliament», 13 Vict., c. 21 (avec l'addition du mot «shall» devant le mot «include») et lorsque cette Loi a été abrogée aux fins de codification, ils ont été textuel- lement repris dans l'article 1(1)b.) de la Interpre tation Act, 1889, 52 & 53 Vict., c. 63.
Je fais état de ces détails pour indiquer que les mots doivent être interprétés selon leur sens logi- que courant, à moins que quelque chose dans le contexte, ou dans l'objet visé par la loi ils figurent, ou encore dans les circonstances ils sont employés n'indique qu'ils ont été employés dans un sens spécial et différent de leur acception courante (voir l'arrêt Corporation of the City of Victoria c. Bishop of Vancouver Island, lord Atkinson [1921] 2 A.C. (C.P.) 384, à la page 387).
Dans La Reine c. Noble ([1978] 1 R.C.S. 632), la question se posait de savoir si l'emploi du mot «échantillons» figurant à l'article 237(1)f) du Code criminel pouvait s'interpréter au singulier pour permettre de conclure qu'un seul «échantillon» d'haleine était suffisant.
Le juge Ritchie, rendant le jugement au nom de la Cour, a fait siens les propos tenus par le juge en chef Hughes du Nouveau-Brunswick lorsqu'il a déclaré que le mot «échantillons» ne peut pas, par l'application des dispositions de la Loi d'interpré- tation qui prévoient que les mots écrits au singulier comprennent le pluriel et vice versa, s'étendre au cas un seul échantillon de l'haleine d'un pré-
venu avait été prélevé. On ne doit avoir recours à une telle disposition que lorsqu'il est nécessaire de donner effet à l'intention manifeste du législateur dans la Loi en cause.
Il n'en est pas de même du Règlement dont s'agit. Dans La Reine c. Noble, il s'agissait de savoir s'il y avait lieu de substituer le singulier au pluriel employé dans la Loi par l'application du paragraphe 26(7) de la Loi d'interprétation. C'est l'inverse dans le cas du paragraphe 41(2) du Règlement sur le service des pénitenciers, il s'agit de savoir si le pluriel peut se substituer au singulier.
En l'espèce, j'estime que pour respecter la volonté du législateur, on ne peut interpréter le paragraphe 41(2) du Règlement qu'au singulier.
Je conclus donc que l'ordre représenté par les pièces D.2 et D.4, savoir les ordres permanents 7.05 pris en mars 1977 et en décembre 1978, aux termes desquels les employés chargés de l'escorte doivent s'assurer que tous les détenus sont minu- tieusement fouillés à nu lors de leur départ de l'institution et de leur retour, est illégal puisque contraire au paragraphe 41(2) du Règlement sur le service des pénitenciers.
En conséquence, la Cour dit et juge, conformé- ment au recours du demandeur:
(1) que dans la mesure ils contredisent le paragraphe 41(2) du Règlement sur le service des pénitenciers, les directives du commissaire et les ordres de ses subordonnés sont illégaux;
(2) que l'ordre donné au demandeur le 10 mars 1978, vers 9 h 45, par l'agent Scott du Service des pénitenciers, sur l'ordre du défendeur Nicholas Caros, chef de l'institution Matsqui, était illégal;
(3) que la condamnation du demandeur pour désobéissance à un ordre légal, prononcée le 16 novembre 1978 par le comité de discipline, était entachée d'erreur de droit, et que cette condam- nation sera annulée et effacée du dossier du demandeur; et
(4) que les défendeurs, leurs préposés, manda- taires et employés doivent s'abstenir d'ordonner d'autres fouilles sur la personne du demandeur sauf les circonstances prévues au paragraphe 41(2) du Règlement sur le service des pénitenciers.
Il a été porté à ma connaissance que les dépens du demandeur étaient couverts par les deniers publics. Si la Cour lui adjuge les dépens, ceux-ci seraient toujours supportés par les deniers publics. Par conséquent, il n'y aura pas adjudication de dépens en faveur du demandeur.
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