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T-882-74
Motel 6, Inc. (Demanderesse) c.
No. 6 Motel Limited et John Van Edmond Beach - croft Hawthorne (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Addy— Vancouver, 17, 18, 19, 20, 23, 24 et 25 février; Ottawa, 3 avril 1981.
Marques de commerce Passing off et caractère non distinctif La demanderesse est propriétaire d'une marque de service américaine «Motel 60, sous laquelle elle exploite une chaîne de motels fréquentés par des automobilistes canadiens
La défenderesse a obtenu une marque semblable constituée d'un symbole social comportant l'expression «Motel Dans son action, la demanderesse sollicite la radiation de la marque de commerce de la défenderesse, un jugement décla- rant qu'elle est titulaire du droit d'auteur et une injonction interdisant entre autres à la défenderesse d'appeler l'attention du public sur ses services de manière à causer ou à vraisem- blablement causer de la confusion au Canada entre ses services et ceux de la demanderesse, en violation de l'art. 7b) de la Loi sur les marques de commerce Il y a lieu de déterminer si la demanderesse a établi qu'elle est titulaire d'un droit d'auteur
II échet d'examiner si la marque de la défenderesse manque de caractère distinctif Il y a à déterminer si l'art. 7b) est ultra vires Action rejetée en partie, la demande de la demanderesse fondée sur l'art. 7b) étant rejetée uniquement pour défaut de compétence Loi sur les marques de com merce, S.R.C. 1970, c. T-10, art. 4, 5, 7, 16, 17, 18, 49 Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, c. C-30, art. 4, 12, 20.
La demanderesse exploite aux États-Unis une chaîne de motels sous le nom de «Motel 6». Beaucoup de ses clients sont des automobilistes canadiens. Elle n'exploite aucun motel au Canada. La défenderesse a obtenu l'enregistrement au Canada d'une marque constituée d'un symbole social qu'elle aurait calquée sur la marque de service de la demanderesse. La demanderesse sollicite une ordonnance portant radiation de la marque de commerce de la défenderesse, un jugement décla- rant qu'elle est titulaire du droit d'auteur et que la société défenderesse a violé ce droit, et une injonction portant interdic tion de toute nouvelle violation de droit d'auteur, de tout nouvel emploi de la marque en liaison avec des services de motel et interdisant à la défenderesse d'appeler l'attention du public sur ses services ou son entreprise de manière à causer de la confusion au Canada entre ses services et ceux de la demande- resse, en contravention de l'article 7b) de la Loi sur les marques de commerce. La défenderesse sollicite un jugement déclaratoire reconnaissant que la demanderesse n'a aucun droit d'auteur sur sa marque, et conteste aussi la compétence de la Cour pour entendre toute demande fondée sur l'article 7b) de la Loi sur les marques de commerce.
Arrêt: l'action est rejetée en partie, la demande de la deman- deresse fondée sur l'article 7b) étant rejetée uniquement pour défaut de compétence. La marque de commerce de la défende- resse doit être radiée du registre au motif qu'elle ne distinguait pas les services de celle-ci de ceux de la demanderesse. La demanderesse n'ayant pas réussi à établir qu'elle aurait quelque droit sur l'ceuvre, sa prétention selon laquelle il y aurait eu
violation du droit d'auteur est rejetée. Quant à la question de l'absence de caractère distinctif d'une marque, bien qu'il doive être établi que la marque rivale ou adverse est connue au moins jusqu'à un certain point, il n'est pas nécessaire de prouver qu'elle est bien connue ou qu'elle a été révélée uniquement par les moyens limités prévus à l'article 5. Il suffit d'établir que l'autre marque est devenue suffisamment connue pour annuler le caractère distinctif de la marque attaquée. Le moyen tiré du caractère non distinctif peut être fondé sur la preuve d'une connaissance ou notoriété de la marque rivale acquise par le bouche à oreille et sur la preuve d'une notoriété et d'une renommée obtenues par voie d'articles de journaux ou de magazines plutôt que par de la publicité. Peuvent être pris en compte tous les éléments de preuve pertinents tendant à établir le caractère non distinctif. Il a été prouvé que des résidents de la Colombie-Britannique ont été très souvent amenés à croire que les motels de la défenderesse étaient ceux de la demande- resse. Il a aussi été établi que des directeurs de bureaux d'associations d'automobilistes et d'agences de voyages ont été eux-mêmes trompés. Un des principaux dirigeants de la défen- deresse était pleinement conscient de l'existence de la marque des motels de la demanderesse. Plusieurs années avant le dépôt en 1972 par la défenderesse de la demande d'enregistrement de sa marque, les motels de la demanderesse avaient acquis une notoriété et une clientèle substantielles en Colombie-Britanni- que; ce renom s'est maintenu jusqu'à ce jour, et les enseignes de la demanderesse portant son nom, sa marque et son symbole social étaient connues de toute une partie des automobilistes de la Colombie-Britannique. La marque de la défenderesse n'était pas distinctive au moment les présentes procédures ont été intentées. Quant à la question de passing off, si l'on veut donner à l'article 7b) une certaine validité, celui-ci doit avoir «une certaine relation ... [avec] la compétence fédérale ... sur les marques de commerce et les noms commerciaux» découlant de la deuxième rubrique de l'article 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Même si le texte de l'article 7b) a, dans une certaine mesure, élargi la portée de l'action de passing off de la common law, il n'a pas changé la nature de cette action ni l'un quelconque de ses autres éléments essentiels. Le droit qui fait l'objet de cette action est toujours le droit de propriété sur l'entreprise et l'achalandage susceptibles d'être lésés. L'action porte toujours sur la violation d'un droit sur cette propriété et non d'un droit sur la marque ou le nom abusivement employés. Le fait que la portée de la disposition légale puisse être plus étendue que celle de l'action de common law n'a pas pour effet de la relier plus étroitement au «système général régissant les marques de commerce». Le pouvoir législatif fédéral en ce qui concerne les marques de commerce tient sa validité constitu- tionnelle du pouvoir général du gouvernement fédéral de régle- menter le trafic et le commerce dans les domaines des commer- ces interprovincial et extérieur (rubrique 2 de l'article 91). L'article 7b) lui-même ne porte certainement pas sur le com merce interprovincial ou extérieur ni sur la réglementation du trafic à travers le Canada; par conséquent, si cet article a quelque validité constitutionnelle, celle-ci doit être fondée d'une manière ou d'une autre sur le droit des marques de commerce. Pour que l'autorité fédérale puisse, en vertu de la deuxième rubrique de l'article 91, exercer valablement son pouvoir sur une question qui relève clairement du domaine de la propriété et des droits civils, domaine ordinairement réservé aux législa- tures provinciales, cette question doit se rattacher nécessaire- ment au pouvoir de réglementer le trafic et le commerce. Il
s'ensuit que, pour que puisse être prise une loi supplémentaire qui ne traite pas directement des marques de commerce, mais qui doit trouver son fondement dans le domaine de la législation sur les marques de commerce, il faut qu'elle contribue, essen- tiellement ou fondamentalement, à la réglementation ou au contrôle des marques de commerce, ou, à tout le moins, qu'elle y soit nécessairement ou intimement reliée. Dans une action de passing off, l'»application en est laissée à l'initiative des parti- culiers, sans contrôle public par un organisme qui surveillerait de façon permanente l'application des règlements» et elle est «sans lien avec un système général régissant les relations com- merciales». Les domaines il existe des différences considéra- bles entre une action de passing off fondée sur l'article 7b) et une action tendant à faire invalider une marque de commerce pourraient être résumés comme suit: la «chose» ou le droit protégé, la cause d'action, les motifs sur lesquels repose l'ac- tion, la nature des preuves à produire et l'époque à laquelle celles-ci doivent se rapporter. On ne saurait considérer une action fondée sur l'article 7b), ou l'article 7b) lui-même, comme «un complément de la loi fédérale sur les marques de commerce». Lorsqu'une marque de commerce est déclarée inva- lide, il s'agit d'une décision in rem. Dans une action de passing off, le jugement ne saurait jamais être considéré comme une décision in rem. L'article 7b) est ultra vires du pouvoir législa- tif fédéral, et la Cour est incompétente pour juger la question soit sur le fondement de cet article, soit sur la base de l'action de passing off de la common law.
Arrêts mentionnés: King Features Syndicate Inc. c. O. and M. Kleemann, Ltd. [1941] 2 All E.R. 403 (C.L.); Collins c. Rosenthal (1974) 14 C.P.R. (2») 143; Porter c. Don The Beachcomber [1966] R.C.E. 982; Williamson Candy Co. c. W. J. Crothers Co. [1924] R.C.E. 183 [confirmé par [1925] R.C.S. 377]; Moore Dry Kiln Co. of Canada Ltd. c. U.S. Natural Resources Inc. (1977) 30 C.P.R. (2») 40; Dubiner c. Cheerio Toys and Games Ltd. [1965] 1 R.C.E. 524; Aluminum Co. of Canada Ltd. c. Tisco Home Build ing Products (Ontario) Ltd. (1978) 33 C.P.R. (2») 145; Adidas (Canada) Ltd. c. Colins Inc. (1979) 38 C.P.R. (2») 145; Imperial Dax Co., Inc. c. Mascoll Corp. Ltd. (1979) 42 C.P.R. (2 » ) 62; McCain Foods Ltd. c. C. M. McLean Ltd. (1980) 45 C.P.R. (2») 150; Balinte c. DeCloet Bros. Ltd. (1979) 40 C.P.R. (2») 157; De Cloet Bros. Ltd. c. Balinte [1980] 2 C.F. 384; Weider c. Industries Beco Ltée [1976] 2 C.F. 739; Dominion Mail Order Products Cor poration c. Weider [1977] 1 C.F. 141; S. C. Johnson & Son, Ltd. c. Marketing International Ltd. (1978) 32 C.P.R. (2») 15; Marketing International Ltd. c. S.C. Johnson & Son, Ltd. [1979] 1 C.F. 65; Seiko Time Canada Ltd. c. Consumers Distributing Co. Ltd. (1981) 29 O.R. (2») 221. Arrêts appliqués: Valle's Steak House c. Tessier [1981] 1 C.F. 441; Marineland Inc. c. Marine Wonderland and Animal Park Ltd. [1974] 2 C.F. 558; E. & J. Gallo Winery c. Andres Wines Ltd. [1976] 2 C.F. 3; MacDonald c. Vapor Canada Ltd. [1977] 2 R.C.S. 134; Armstrong Cork Canada Ltd. c. Domco Industries Lim ited [1981] 2 C.F. 510. Arrêts approuvés: Sund c. Beach combers Restaurant Ltd. (1960) 34 C.P.R. 225; Re Han- sard Spruce Mills Ltd. [1954] 4 D.L.R. 590; Erven Warnink B.V. v. J. Townend & Sons (Hull) Ltd. [1980] R.P.C. 31. Distinction faite avec l'arrêt: Great Lakes Hotels Ltd. c. The Noshery Ltd. [1968] 2 R.C.E. 622.
Arrêt analysé: The Noshery Ltd. c. The Penthouse Motor Inn Ltd. (1970) 61 C.P.R. 207.
ACTION. AVOCATS:
D. Morrow pour la demanderesse.
R. H. Barrigar et L. Turlock pour les
défendeurs.
PROCUREURS:
Smart & Biggar, Ottawa, pour la demande- resse.
Barrigar & Oyen, Vancouver, pour les défendeurs.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE ADDY:
OBSERVATIONS GÉNÉRALES
La demanderesse, constituée en 1968 sous le régime des lois de l'État de Delaware, aux États- Unis, exploite, dans presque tous les États de ce pays, sous le nom de «Motel 60, une chaîne de quelque 300 motels surtout concentrés dans la partie occidentale du pays. Beaucoup de ses clients sont des automobilistes canadiens. Elle n'exploite aucun motel au Canada.
Elle est, par cession régulièrement intervenue en 1969, propriétaire d'une marque de service améri- caine constituée du nom de «Motel et d'un symbole social qui revêt à peu près la forme d'un trèfle à quatre feuilles, le terme «Motel» et un chiffre «6» en plus gros étant tous deux placés au centre de la feuille de trèfle (voir annexe «A» pour illustration). Cette marque, en liaison avec des services de motel, a été enregistrée aux États-Unis le 17 janvier 1967, sous le numéro 822,563, sur la base d'un emploi datant du l er juillet 1961.
La demanderesse prétend également que le sym- bole social figurant à l'annexe «A» est une oeuvre artistique, qu'elle est maintenant titulaire d'un droit d'auteur valide sur cette œuvre et que les droits découlant de ce droit d'auteur s'étendent et
existent au Canada en vertu de l'article 4 de la Loi sur le droit d'auteur' et d'un avis publié dans la Gazette du Canada 2 , lequel énonce que les États- Unis doivent être traités comme s'ils étaient un pays tombant sous l'application de la Loi sur le droit d'auteur. L'effet juridique de ces dernières dispositions n'a pas été contesté à l'instruction par les défendeurs.
La défenderesse est une société de la Colombie- Britannique. Le 4 février 1972, elle a demandé l'enregistrement d'une marque de commerce cons- tituée d'un symbole social, en liaison avec des services de motel. Le 23 août 1974, l'enregistre- ment a été fait sous le numéro 201,351. Cette demande reposait sur un emploi proposé. Cette marque est formée d'un grand cercle avec, au centre, le terme «Motel» et le chiffre «6» en plus gros (voir annexe «A» pour illustration). Elle a actuellement des intérêts dans trois motels exploi tés au Canada sous cette marque. Plus précisé- ment, elle est propriétaire unique d'un de ces motels et propriétaire pour moitié d'un autre. Le troisième est exploité en vertu d'une concession consentie par la société défenderesse. Elle avait auparavant fait une concession de Motel 6 à deux autres motels dont l'un se trouve à Hope, et l'autre à Summerland, en Colombie-Britannique, et avait signé un accord avec un autre exploitant de motel de Cambridge, au nord de Victoria. Cet accord prévoyait, entre autres, l'emploi par ce dernier de la marque et du nom, sous réserve de certaines dispositions et conditions. Les trois motels dans lesquels la société défenderesse a une participation, ainsi que le Hope Hotel, emploient depuis quelques années le symbole et la marque faisant l'objet de l'enregistrement 201,351. Les motels de Summer - land et de Cambridge les ont également employés, mais ne les emploient plus.
La demanderesse prétend que sa marque et son nom commercial ont été largement employés aux États-Unis par elle-même et son prédécesseur en titre, en liaison avec des services de motel, qu'ils sont devenus bien connus au Canada par des annonces dans des publications distribuées ici parmi les marchands et usagers éventuels de ses services de motel et que, dès avant novembre 1968, ce nom et cette marque ont été largement et
' S.R.C. 1970, c. C-30.
2 Volume 57, 26 daté du 29 décembre 1923, à la page
2157.
constamment employés au Canada en liaison avec des réservations dans ses motels faites par des clients et des agents de voyage.
En août 1970, le défendeur Hawthorne a obtenu au Canada l'enregistrement, sous le numéro 170,- 826, d'une autre marque de commerce constituée de l'expression Motel 6 et d'un dessin hexagonal. Cette marque a été, par la suite, cédée à la société défenderesse. Toutefois, immédiatement avant l'instruction, la société défenderesse a déposé une confession de jugement portant abandon de cette marque. Le défendeur Hawthorne et la demande- resse l'ont acceptée. Par la suite, et en raison d'un désistement de l'action intentée contre le défen- deur Hawthorne (sous réserve de certaines condi tions quant aux dépens et à l'acquiescement par lui à la teneur de l'injonction qui pourra être rendue contre la société défenderesse), la radiation de cette marque du registre sera ordonnée. Il ne sera plus question ni de cette marque, ni de quelque revendication contre le défendeur Hawthorne et la société défenderesse sera ci-après appelée la défenderesse.
A l'instruction, la demanderesse s'est bornée à demander, à titre de redressement, des dommages- intérêts et a abandonné toute demande de reddi- tion de compte.
REVENDICATIONS
Les revendications restant à juger pourraient se résumer comme suit:
1. Une ordonnance de radiation de l'inscription, dans le registre des marques de commerce, de la marque de commerce numéro 201,351 de la défenderesse.
2. Une déclaration que la demanderesse est titu- laire d'un droit d'auteur sur l'ceuvre artistique constituée de son symbole social et du nom Motel 6, selon l'illustration figurant à l'annexe «AH, et que la société défenderesse a violé ce droit.
3. Une injonction:
a) portant interdiction de toute nouvelle viola tion de droit d'auteur par reproduction de son symbole social et de sa marque;
b) portant interdiction de tout nouvel emploi de la marque ou du nom commercial en liaison avec des services de motel;
c) interdisant à la défenderesse d'appeler l'atten- tion du public sur ses services ou son entre- prise de manière à causer ou à vraisemblable- ment causer de la confusion au Canada entre ses services ou son entreprise et ceux de la demanderesse, en contravention de l'article 7b) de la Loi sur les marques commerce 3 .
4. L'ordre habituel de remise de toutes enseignes, brochures, étiquettes et de tous autres objets incriminés.
5. Des dommages-intérêts pour le prétendu passing off en contravention de l'article 7b) de la Loi sur les marques de commerce.
La défenderesse rejette toutes les revendications de la demanderesse, sollicite un jugement déclara- toire reconnaissant que celle-ci n'a aucun droit d'auteur sur sa marque et conteste la compétence de la présente Cour pour entendre toute demande fondée sur l'article 7b) de la Loi sur les marques de commerce, puisque cet alinéa est ultra vires du Parlement du Canada.
DROIT D'AUTEUR
Je me pencherai tout d'abord sur la prétendue violation du droit d'auteur.
Le nom «Motel fut employé pour la première fois par une association ou entreprise à risques partagés formée de deux sociétés privées califor- niennes: Todric Inc. et Maranco Motels Inc., toutes deux constituées en 1961. L'entreprise était exploitée sous le nom de Motel 6 of California. Elle a été constituée le l er janvier 1964.
Avant la création de cette entreprise à risques partagés, un certain Richard E. Barnes, alors qu'il travaillait pour un certain Paul A. Greene de Californie, faisant le commerce sous le nom com mercial de Paul A. Greene Company, conçut le symbole social comportant le nom de «Motel 6». Barnes avait reçu de Greene l'ordre de concevoir un dessin constitué de l'expression «Motel aux fins d'emploi en liaison avec l'entreprise de motel que ce dernier voulait mettre sur pied sous le nom de «Motel 6 of California». Il n'existe aucune preuve de cession par Barnes à Greene du droit d'auteur; rien ne prouve non plus qu'il y ait eu, en
3 S.R.C. 1970, c. T-10.
1964 ou plus tard, cession ultérieure par Greene à l'entreprise à risques partagés Motel 6 of California.
En 1968, la société demanderesse, constituée la même année, absorba dix sociétés californiennes, dont les deux sociétés privées formant l'entreprise Motel 6 of California, acquérant ainsi tous leurs actifs.
Le dessin conçu par Barnes fut conservé et fut intégré au symbole social utilisé en liaison avec le premier Motel 6, qui ouvrit ses portes en Califor- nie en 1962. Il a depuis lors toujours été utilisé aux États-Unis par tous les motels exploités par Motel 6 of California et son successeur, la société deman- deresse. Il n'a pas été employé uniquement sur des enseignes de motel, mais aussi sur une variété de matériel et d'articles tels que cartes-guides, embal- lages de savon, cartons d'allumettes, cartes, formu- laires de réservation et diverses publicités. Le sym- bole social lui-même faisait l'objet de la susmentionnée marque de commerce américaine 822,563, enregistrée en 1967, qui fut cédée en 1968 la demanderesse par Motel 6 of California.
La défenderesse conteste le droit de la demande- resse d'invoquer le droit d'auteur. Voici les disposi tions pertinentes de la Loi sur le droit d'auteur:
20....
(3) Dans toute action pour violation du droit d'auteur sur une oeuvre, si le défendeur conteste l'existence du droit d'auteur ou la qualité du demandeur,
a) l'oeuvre est, jusqu'à preuve contraire, présumée être une oeuvre protégée par un droit d'auteur; et
b) l'auteur de l'oeuvre est, jusqu'à preuve contraire, présumé être le titulaire du droit d'auteur;
et dans toute contestation de cette nature, si aucune concession du droit d'auteur ou d'un intérêt dans le droit d'auteur par cession ou par licence n'a été enregistrée sous l'autorité de la présente loi,
c) si un nom paraissant être celui de l'auteur de l'oeuvre y est imprimé ou autrement indiqué, en la manière habituelle, la personne dont le nom est ainsi imprimé ou indiqué est, jusqu'à preuve contraire, présumée être l'auteur de ]'oeuvre; et
d) si aucun nom n'est imprimé ou indiqué de cette façon, ou, si le nom ainsi imprimé ou indiqué n'est pas le véritable nom de l'auteur ou le nom sous lequel il est généralement connu, et si un nom paraissant être celui de l'éditeur ou du proprié- taire de ]'oeuvre y est imprimé ou autrement indiqué de la manière habituelle, la personne dont le nom est ainsi imprimé ou indiqué est, jusqu'à preuve contraire, présumée être le titulaire du droit d'auteur sur l'oeuvre, aux fins de procédures relatives à la violation du droit d'auteur sur cette oeuvre.
12. (1) Sous réserve de la présente loi, l'auteur d'une oeuvre est le premier titulaire du droit d'auteur sur cette oeuvre.
(3) Lorsque l'auteur est employé par une autre personne en vertu d'un contrat de louage de service ou d'apprentissage, et que l'eeuvre est exécutée dans l'exercice de cet emploi, l'em- ployeur est, à moins de stipulation contraire, le premier titulaire du droit d'auteur; mais lorsque l'eeuvre est un article ou une autre contribution, à un journal, à une revue ou à un périodique du même genre, l'auteur, en l'absence de convention contraire, est censé posséder le droit d'interdire la publication de cette oeuvre ailleurs que dans un journal, une revue ou un périodique semblable.
Le nom de la demanderesse n'ayant pas été imprimé ou autrement indiqué sur l'oeuvre pour paraître être celui de son propriétaire, j'estime qu'elle ne saurait se prévaloir de la présomption de propriété prévue à l'article 20(3)d) susmentionné. Bien que l'expression «Motel fasse partie de la marque, aucun nom de personne paraissant être soit celui du titulaire soit celui du propriétaire ne figure sur la marque. Force est d'examiner la preuve pour voir qui était le premier titulaire et déterminer s'il existe une chaîne de mutations allant du premier titulaire à la demanderesse.
Puisqu'en 1961 l'auteur Barnes était au service de Greene, que c'est dans l'exercice de ses fonc- tions et sur la demande expresse de Greene que le dessin a été conçu et qu'il n'existe aucune preuve contraire, il semble évident que l'employeur Greene doit, en application de l'article 12(3), être considéré comme le premier titulaire du droit d'au- teur: la présomption de l'article 20(3)b) suivant laquelle l'auteur de l'oeuvre est le titulaire du droit d'auteur a clairement été repoussée, puisque la preuve contraire a été pleinement rapportée.
Il convient ensuite de déterminer si Greene a cédé au Motel 6 of California un droit quelconque sur le dessin. L'expression «Motel a été utilisée pour la première fois par Greene et un certain William W. Becker. Ils avaient estimé qu'il y avait un besoin de chambres de motel de qualité, simples mais sans surprise, à un bas prix de $6 par nuit, d'où le nom de «Motel 6». Le premier ensemble de motels fut ouvert en 1962 Santa Barbara. Ils avaient constitué les deux sociétés privées susmen- tionnées en 1961 et, en 1964, engagé ces dernières dans l'entreprise à risques partagés connue sous le nom de «Motel 6 of California», qui prit en charge tous les motels exploités à l'époque sous le nom de
«Motel 6». Motel 6 of California continua d'être l'utilisatrice exclusive du dessin et de la marque jusqu'à l'absorption des deux sociétés considérées et de leur entreprise à risques partagés par la demanderesse en 1968, date à laquelle tous les actifs ont été cédés à la demanderesse. De ces faits, on pourrait tirer, du moins, trois conclusions: en 1964, Greene a ou bien formellement cédé son droit sur le dessin à l'entreprise à risques partagés ou bien simplement permis à cette dernière de faire usage et de tirer profit du dessin sans se donner la peine de rédiger un acte formel de cession, présumant peut-être que cela n'était pas nécessaire, ou bien simplement négligé ou oublié de céder ce droit. Il n'existe aucune preuve qu'un quelconque acte de cession ait jamais été passé.
Du simple fait que Greene ait eu des intérêts personnels dans les sociétés formant l'entreprise à risques partagés, je ne saurais conclure, comme le souhaite l'avocat de la demanderesse, qu'il y a eu cession formelle de Greene soit à l'entreprise à risques partagés Motel 6 of California soit à l'une ou à l'autre des sociétés formant cette dernière ou à ces deux sociétés à la fois. De fait, il y aurait beaucoup plus de chances pour qu'une cession soit intervenue si Greene avait traité à distance avec l'entreprise à risques partagés et n'avait eu aucun intérêt dans les sociétés formant celle-ci.
L'article 12(4) de la Loi sur le droit d'auteur est ainsi rédigé:
12....
(4) Le titulaire du droit d'auteur sur une oeuvre peut céder ce droit, en totalité ou en partie, d'une manière générale, ou avec des restrictions territoriales, pour la durée complète ou partielle de la protection; il peut également concéder, par une licence, un intérêt quelconque dans ce droit; mais la cession ou la conces sion n'est valable que si elle est rédigée par écrit et signée par le titulaire du droit qui en fait l'objet, ou par son agent dûment autorisé. [C'est moi qui souligne.]
J'admets avec l'avocat de la demanderesse que l'article 12(4) est une condition de fond et non une règle de preuve. Par conséquent, l'acte de cession lui-même n'a pas nécessairement à être produit si la preuve établit son existence et sa conformité avec cet article. Toutefois, la preuve est loin d'éta- blir par prépondérance l'existence d'une cession écrite, encore moins d'une cession signée par Greene ou son agent, ou d'établir qui a bien pu être le cessionnaire. Elle a simplement établi la possibilité des trois conclusions tout aussi logiques
les unes que les autres que j'ai mentionnées. La preuve qui donne lieu simplement à ce type de suppositions sans pencher pour l'existence réelle d'une cession conforme à la loi ne satisfait pas aux exigences de l'article 12(4).
Si la demanderesse avait établi la propriété telle qu'elle a été revendiquée, je n'aurais pas hésité à statuer que l'oeuvre était susceptible de protection sous le régime de la Loi sur le droit d'auteur: sa revendication n'est en aucune façon dénuée d'ob- jet, comme l'a prétendu la défenderesse. Cette dernière n'a pas réussi à repousser la présomption de l'article 20(3)a). J'aurais également conclu que le plagiat de cette marque de la part de la défende- resse, quoiqu'il ne s'agît point d'une copie exacte, comportait une ressemblance suffisante pour cons- tituer une contrefaçon. Le simple fait que le dessin constitué d'une feuille de trèfle ait été évité et remplacé par un cercle n'eût pas été suffisant pour empêcher de conclure à la contrefaçon. Il y a une étroite ressemblance. Cela constitue une présomp- tion de plagiat contre laquelle aucune preuve de création indépendante n'a été rapportée. (Voir King Features Syndicate Inc. c. O. and M. Klee- mann, Ltd. 4 , décision suivie dans l'affaire Collins c. Rosenthal 5 .)
La demanderesse n'ayant toutefois pas réussi à établir qu'elle aurait quelque droit sur cette oeuvre en vertu d'une cession valide, sa prétention selon laquelle il y aurait eu violation du droit d'auteur doit être rejetée.
VALIDITÉ DE LA MARQUE DE LA DÉFENDERESSE
Généralités:
La demanderesse conteste sur trois points la validité de l'enregistrement par la défenderesse de la marque de commerce 201,351:
1. Un prétendu emploi antérieur, au Canada, par la demanderesse de ses propres marque et nom commercial.
2. Le nom commercial et la marque de la demanderesse auraient été antérieurement révé- lés au Canada; et
4 [1941] 2 All E.R. 403 (C.L.) à la page 414.
5 (1974) 14 C.P.R. (2') 143à la page 147.
3. Le caractère non distinctif, en se fondant sur la preuve habituelle en la matière et, en outre, sur le prétendu octroi non enregistré d'une licence de la marque à des tiers.
Un autre grief, suivant lequel un faux affidavit aurait été présenté au Bureau des marques de commerce en vue de l'enregistrement, a été aban- donné à l'instruction.
Les dispositions légales suivantes sont particuliè- rement pertinentes à la question de la validité du brevet de la défenderesse pour ce qui est des susdits motifs 1 et 2, savoir les articles 4(2), 16(3) et 5 de la Loi sur les marques de commerce, qui sont ainsi rédigés:
4....
(2) Une marque de commerce est censée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l'exécu- tion ou l'annonce de ces services.
16....
(3) Tout requérant qui a produit une demande selon l'article 29 en vue de l'enregistrement d'une marque de commerce projetée et enregistrable, a droit, sous réserve des articles 37 et 39, d'en obtenir l'enregistrement à l'égard des marchandises ou services spécifiés dans la demande, à moins que, à la date de production de la demande, cette marque ne créât de la confu sion avec
a) une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne;
b) une marque de commerce à l'égard de laquelle une demande d'enregistrement a été antérieurement produite au Canada par une autre personne; ou
c) un nom commercial antérieurement employé au Canada par une autre personne.
5. Une personne est réputée faire connaître une marque de commerce au Canada, seulement si elle l'emploie dans un pays de l'Union, autre que le Canada, en liaison avec des marchandi- ses ou services, et si
a) ces marchandises sont distribuées en liaison avec ladite marque au Canada, ou
b) ces marchandises ou services sont annoncés en liaison avec ladite marque dans
(i) toute publication imprimée et mise en circulation au Canada dans la pratique ordinaire du commerce parmi les marchands ou usagers éventuels de ces marchandises ou services, ou
(ii) des émissions de radio, au sens de la Loi sur la radio, ordinairement captées au Canada par des marchands ou usagers éventuels de ces marchandises ou services,
et si la marque est bien connue au Canada par suite de cette distribution ou annonce.
La révélation antérieure:
L'enregistrement d'une marque de commerce découlant d'une demande en vue d'un emploi pro- jeté n'est pas valide si, à la date du dépôt de cette demande, cette marque crée de la confusion avec une autre qui avait été antérieurement employée ou révélée au Canada. Les concepts d'emploi et de révélation dans ce contexte sont assujettis à certai- nes restrictions légales précises.
Une personne est réputée faire connaître une marque de commerce américaine au Canada si elle l'emploie aux États-Unis en liaison avec des servi ces, si ces services sont annoncés dans toute publi cation imprimée et mise en circulation au Canada dans la pratique ordinaire du commerce ou dans des émissions de radio, et si la marque est bien connue au Canada par suite de cette annonce. Il s'ensuit nécessairement que seule la notoriété acquise par suite de l'annonce prévue à l'article 5 peut être prise en compte et qu'il doit résulter de cette notoriété que la marque est «bien connue» au Canada.
Aucun recours à des émissions de radio n'a été prouvé. Les seules publications imprimées conte- nant de l'annonce sont certaines brochures d'indi- cations avec carte donnant des renseignements tels que les adresses et les numéros de téléphone des motels. Celles-ci étaient envoyées à certains bureaux locaux de la DAA et de la BCAA et à un nombre limité d'agences de voyages, en réponse à des demandes de brochures de ces associations et agences. Ces requêtes découlaient des demandes de renseignements d'automobilistes canadiens qui, ayant voyagé aux États-Unis ou entendu parler par leurs amis de l'existence des Motel 6 aux Etats-Unis, se renseignaient sur leur situation, leurs prix, les manières de réserver, etc. Dans certains cas, l'agence ne conservait qu'un exem- plaire de la brochure pour fins de renseignements.
Il a été établi que vers la fin des années 60, les motels de la demanderesse étaient devenus bien connus en Colombie-Britannique grâce au nombre d'automobilistes canadiens de l'ouest qui, voya- geant aux États-Unis avec des ressources limitées, logeaient dans ses motels. Cette notoriété s'est, semble-t-il, maintenue jusqu'à la date du procès. Mais c'est en raison de la fréquentation par des automobilistes canadiens des motels de la deman- deresse aux États-Unis, du bouche à oreille et des recommandations de certaines agences et associa-
tions au Canada que les motels de la demanderesse sont devenus connus, et non en raison de la distri bution des brochures. De plus, la demanderesse n'a pas encouragé activement la distribution de ces brochures et n'a pris aucune mesure à ce sujet en ce qui concernait les clients canadiens, mais a simplement répondu à des demandes d'agences ou de particuliers.
Le fait pour une marque de devenir «bien connue au Canada» par voie orale, en raison de sa notoriété et de son emploi aux États-Unis, ne suffit pas pour répondre aux exigences de l'article 5 de la Loi sur les marques de commerce. La condition imposée par cet article que la marque soit bien connue par suite de «cette distribution ou annonce» est essentielle et constitue une question de fond et non de preuve, comme l'a dit mon collègue le juge Marceau dans l'affaire Valle's Steak House c. Tessier 6 . Par conséquent, ce moyen invoqué par la demanderesse doit être repoussé.
L'emploi antérieur:
Comme dans le cas de la révélation, pour déter- miner si la marque de la demanderesse a été antérieurement employée, la date avant laquelle cet emploi doit être pris en compte est celle du dépôt de la demande d'enregistrement de la marque de commerce en litige, soit en l'espèce le 4 février 1972 (voir article 16(3) précité), et non quelque autre date antérieure comme l'a prétendu la défenderesse.
La preuve établit que cette marque n'a jamais été employée au Canada en liaison avec des servi ces de motel à proprement parler. Elle a toutefois été employée en liaison avec des réservations de motel. Elle n'a jamais été employée au Canada par la demanderesse, qui n'avait au Canada aucun agent ou établissement ni aucun service de réserva- tion. En fait, elle n'avait aucun service central de réservation aux Etats-Unis. A partir de n'importe quel endroit du Canada, on pouvait téléphoner ou écrire à tout Motel 6 pour y réserver une chambre. La chambre était alors réservée jusqu'à 18 h le jour indiqué. Si l'intéressé n'arrivait pas avant cette heure, la réservation pouvait être annulée, à moins que le prix n'ait été payé d'avance. Si la chambre était retenue par lettre, ou encore par téléphone et que le temps le permît, une carte de
6 [1981] 1 C.F. 441 aux pages 449 et 450.
confirmation portant la marque et le symbole social Motel 6, ainsi que les détails de la réserva- tion, était envoyée à l'éventuel client canadien. Tout chèque envoyé devait être stipulé payable à Motel 6.
Dans le cas d'au moins deux associations d'auto- mobilistes, un appel téléphonique était fait par l'association lorsqu'un de ses membres le lui demandait. Aucune commission n'était payée par la demanderesse pour les clients envoyés à ses motels.
La correspondance ou la communication télé- phonique avec les clients, les clients éventuels ou leurs agents au Canada, dans le seul dessein de recevoir et de confirmer des réservations de cham- bres de motel aux États-Unis ne constituent pas un emploi de cette marque au Canada en liaison avec des services de motel; et à plus forte raison lorsque l'initiative du contact n'était pas prise par la per- sonne ou l'entreprise fournissant les services de motel. Dans de tels cas, il doit y avoir à tout le moins quelque installation commerciale au Canada. (Voir Porter c. Don The Beachcomber 7 et aussi Marineland Inc. c. Marine Wonderland and Animal Park Ltd. 8 ) La demanderesse ne saurait, par conséquent, obtenir gain de cause sur ce point.
L'absence de caractère distinctif:
Les dispositions relatives à la question du carac- tère distinctif sont les suivantes (Loi sur les mar- ques de commerce):
2. Dans la présente loi
«distinctive», par rapport à une marque de commerce, désigne une marque de commerce qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d'autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi;
18. (1) L'enregistrement d'une marque de commerce est invalide si
b) la marque de commerce n'est pas distinctive à l'époque sont entamées les procédures contestant la validité de l'enregistrement; ou
L'enregistrement d'une marque de commerce est invalide si la marque n'est pas distinctive à l'épo-
' [1966] R.C.É. 982.
8 [1974] 2 C.F. 558 aux pages 572 et 573.
que oit sont entamées les procédures contestant la validité de l'enregistrement. En l'espèce, ce serait le 2 novembre 1979. La définition de «distinctive» se trouve à l'article 2 précité. Une marque de commerce ne peut distinguer ni être propre à distinguer les services d'une personne si une autre personne a employé cette marque dans un pays étranger et que celle-ci soit devenue connue au Canada comme la marque de cette dernière per- sonne en liaison avec des services similaires. Quant à la question de l'absence de caractère distinctif d'une marque, bien qu'il doive être établi que la marque rivale ou adverse est connue au moins jusqu'à un certain point, il n'est pas nécessaire de prouver qu'elle est bien connue ou qu'elle a été révélée uniquement par les moyens limités prévus à l'article 5 cité plus haut. Il suffit d'établir que l'autre marque est devenue suffisamment connue pour annuler le caractère distinctif de la marque attaquée. Le juge Thurlow (tel était alors son titre), qui rendait le jugement de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire E. & J. Gallo Winery c. Andres Wines Ltd.', dit ceci à la page 7:
La question que soulève ce moyen est donc de savoir si la marque «SPAÎVADA» était, à l'époque en question, adaptée à distinguer le vin de l'intimée des vins existants. Comme la marque semble présenter un caractère proprement distinctif, il reste seulement à déterminer, selon moi, si la preuve établit que cette marque proprement distinctive n'est pas adaptée à distin- guer le vin de l'intimée. Pour faire cette preuve, on a allégué que cette marque est déjà connue comme celle employée par l'appelante en liaison avec des marchandises semblables. Pour qu'on puisse conclure que la marque n'est pas ainsi adaptée, il n'est pas nécessaire, selon moi, que la preuve démontre que la marque est bien connue ou qu'on l'a bien fait connaître au Canada au sens de l'article 5 ou qu'on a eu recours aux méthodes qui y sont mentionnées. Une telle preuve et le fait de l'emploi de la marque aux .États-Unis suffiraient à donner à l'appelante le droit à l'enregistrement et à un monopole de l'emploi de la marque. Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit. L'intimée cherche à monopoliser l'emploi de la marque et il s'agit de savoir si elle en a le droit. Que quelqu'un d'autre en ait le droit n'a rien à voir. Seul importe le fait que la marque soit adaptée ou non à distinguer les marchandises de l'intimée sur le marché. De toute évidence, elle ne serait pas ainsi adaptée s'il y avait six ou sept marchands de vin qui l'employaient déjà sur leurs étiquettes et, pour la même raison, elle ne le serait pas si on la savait déjà employée par un autre commerçant du même type de marchandises. [C'est moi qui souligne.]
Il a également cité et confirmé la décision Wil- liamson Candy Co. c. W. J. Crothers Co. 10 Voir
9 [1976] 2 C.F. 3.
10 [1924] R.C.É. 183, confirmée par [1925] R.C.S. 377.
aussi Moore Dry Kiln Co. of Canada Ltd. c. U.S. Natural Resources Inc."
Le moyen tiré du caractère non distinctif n'est pas limité à l'exécution réelle des services au Canada comme le cas d'une revendication en emploi antérieur sous le régime de l'article 4. Il peut être aussi fondé sur la preuve d'une connais- sance ou notoriété de la marque rivale acquise par le bouche à oreille et sur la preuve d'une notoriété et d'une renommée obtenues par voie d'articles de journaux ou de magazines plutôt que par de la publicité. Peuvent être pris en compte tous les éléments de preuve pertinents tendant à établir le caractère non distinctif.
Les motels de la demanderesse sont concentrés le long des deux principales autoroutes nord-sud qu'utilisent les Canadiens voyageant vers le sud à partir de la Colombie-Britannique et de l'Alberta, savoir l'Interstate Highway No. 5 et la Coastal Highway No. 101. Des citoyens de la Colombie- Britannique fréquentent depuis de nombreuses années les motels de la demanderesse et en ont parlé à d'autres citoyens de leur province. Beau- coup d'entre eux sont membres des associations d'automobilistes canadienne et de Colombie-Bri- tannique et ont demandé des renseignements par l'entremise des bureaux locaux de ces organismes. Des renseignements relatifs aux motels de la demanderesse ont été régulièrement fournis par les associations d'automobilistes et les agences de voyages servant ces derniers. Quelques-unes de ces agences et associations, en raison des demandes de renseignements reçues, téléphonaient ou écrivaient à la demanderesse pour se procurer des brochures d'indications avec carte afin de les mettre à la disposition de ceux de leurs membres ou clients qui se renseignaient sur des questions telles que l'em- placement des motels de la demanderesse, les prix, les modalités de réservation, etc.
Ces motels étaient destinés aux familles et aux automobilistes qui désiraient avoir un logement de qualité et sûr, à un prix modeste. Depuis la fin des années 60, les motels de la demanderesse étaient très populaires auprès de cette partie des automo- bilistes canadiens. Il a été établi qu'en pleine saison, dans quelques-uns de ces motels, jusqu'à 50% des clients sont des automobilistes canadiens.
" (1977) 30 C.P.R. (2') 40 à la page 49.
Les réservations, fréquemment faites à partir du Canada, par téléphone ou par lettre, par des parti- culiers ou par la BCAA, la DAA ou une agence de voyages pour le compte de leurs membres ou clients. Dans ces communications, le nom commer cial était employé et dans la réponse de Motel 6, on se servait du nom et de la marque. Les chèques étaient stipulés payables à Motel 6.
Il est aussi prouvé que des résidents de la Colombie-Britannique ont été très souvent amenés à croire que les motels de la défenderesse étaient ceux de la demanderesse. Il a même été établi que des directeurs de bureaux d'associations d'automo- bilistes et d'agences de voyages ont été eux-mêmes trompés. Il s'agit d'une preuve importante, puis- qu'on s'attend à ce que des personnes œuvrant dans le domaine du tourisme automobile et ayant, par conséquent, une connaissance et une expé- rience spéciales de ce domaine, soient davantage conscientes des différences entre le nom et la marque de la demanderesse et ceux de la défende- resse et soient moins susceptibles de s'y laisser tromper que le public en général. L'article 5 de la Loi parle de «marchands ou usagers éventuels de ces marchandises ou services». Je fais miens les propos tenus par le juge Ruttan dans la décision Sund c. Beachcombers Restaurant Ltd. 12 , citée à la page 228 du recueil:
[TRADUCTION] Le risque de tromperie s'apprécie non pas par rapport au spécialiste, mais bien par rapport au profane: Singer Mfg. Co. c. Loog (1882), 8 App. Cas. 15 la p. 18, par le lord Chancelier Selborne. Mais la preuve sera beaucoup plus difficile à faire lorsque même le spécialiste s'est laissé tromper.
La preuve a également été rapportée qu'un des principaux dirigeants de la défenderesse était plei- nement conscient de l'existence de la marque et du symbole social des motels de la demanderesse, puisqu'en donnant des instructions à la personne qui devait concevoir le symbole social de la défen- deresse, il l'a mise en garde contre l'emploi des mêmes couleurs que celles utilisées dans le sym- bole social de la demanderesse.
Les articles sur les motels de la demanderesse ont été publiés dans les périodiques suivants:
12 (1960) 34 C.P.R. 225.
1. Saskatoon Star-Phoenix —27 mai 1972
2. Winnipeg Free Press —20 mai 1972
3. Newsweek —9 octobre 1967 et 19 février 1973
4. New York Times —15 janvier 1967
5. Business Man's Week —27 août 1965
6. Advertising Age —4 décembre 1972
7. Wall Street Journal —26 décembre 1972
8. Hospitality —février 1973
9. Advertising Age —11 février 1971
Bien entendu, les deux premières publications sont des journaux canadiens. Bien qu'il n'ait pas été prouvé que les autres publications sont distribuées au Canada, il est de notoriété publique qu'au moins le New York Times, le Newsweek et le Wall Street Journal le sont, puisqu'on peut se les procu rer dans presque tous les grands kiosques du pays.
J'estime donc que plusieurs années avant le dépôt en 1972 par la défenderesse de la demande d'enregistrement de sa marque, fondée sur un emploi projeté, les motels de la demanderesse avaient acquis une notoriété et une clientèle subs- tantielles en Colombie-Britannique, que ce renom s'est maintenu jusqu'à ce jour et que les enseignes de la demanderesse portant son nom, sa marque et son symbole social étaient connues de toute une partie des automobilistes de la Colombie-Britanni- que.
Le dessin et la marque de la défenderesse res- semblent beaucoup à ceux de la demanderesse, l'expression «Motel étant identique.
La défenderesse soulève la question du caractère distinctif local en se fondant principalement sur le témoignage de témoins résidant dans les environs immédiats de ses motels et qui ignorent l'existence de la chaîne de motels de la demanderesse. Il est évident que certaines personnes résidant à proxi- mité d'un motel de la défenderesse peuvent ne pas connaître l'existence des Motel 6 américains. Mais la véritable question est de savoir si les résidents de la Colombie-Britannique qui, à l'occasion de leurs voyages en automobile, fréquentent généralement des motels de ce genre ne pourraient pas être amenés à croire que ceux-ci appartiennent à la demanderesse plutôt qu'à la défenderesse. Or, la demanderesse a clairement établi par témoins que tel était le cas.
Les faits ne sont pas les mêmes que ceux sur la base desquels mon collègue le juge Cattanach a statué dans l'affaire Great Lakes Hotels Limited c. The Noshery Limited 13 . Dans cette affaire, le juge Cattanach a autorisé un restaurant de Toronto nommé «The Penthouse» à garder sa marque en raison du caractère distinctif local, malgré l'objection de The Penthouse Motor Inn, un autre établissement de la région torontoise. Au vu des faits de l'espèce, il a statué que dans la zone limitée de la ville le restaurant The Penthouse était exploité, ce dernier pouvait acquérir et avait, en fait, acquis un caractère distinctif.
De toute évidence, un caractère distinctif local peut s'acquérir et être reconnu en droit dans cer- tains cas. Mais les circonstances de fait de la présente cause sont tout à fait différentes. Il ne s'agit pas en l'espèce de clients locaux, mais de voyageurs. La Colombie-Britannique tout entière, ou du moins toute la partie sud de cette province, constitue le marché de la demanderesse, et sa marque y est bien connue. Aucun caractère dis- tinctif ne saurait s'attacher, dans une partie limi- tée de cette région, aux services de la défenderesse qui sont identiques à ceux de la demanderesse et destinés à la même catégorie d'automobilistes canadiens y résidant. Ainsi les faits de l'affaire Great Lakes se distinguent-ils nettement de ceux de l'espèce. Coïncidence étonnante, j'ai été saisi l'année suivante, devant la Cour suprême de l'On- tario, en vertu de l'article 7b) de la Loi sur les marques de commerce d'un cas de passing off les parties étaient les mêmes que dans l'affaire Great Lakes entendue par mon collègue le juge Cattanach, qui siégeait alors à la Cour de l'Echi- quier du Canada. Dans cette affaire, The Noshery était la demanderesse. J'ai trouvé la défenderesse Great Lakes coupable de concurrence déloyale. Cette affaire est citée comme The Noshery Ltd. c. The Penthouse Motor Inn Ltd. 14
Sur la base des éléments de preuve et des cons- tatations qui précèdent ainsi que des autres élé- ments de preuve mentionnés, j'estime, pour ce qui est des allégations d'emploi et de révélation anté- rieurs, que la marque utilisée en liaison avec les services de la défenderesse n'était pas distinctive à l'époque les présentes procédures ont été inten-
13 [1968] 2 R.C.É. 622.
14 (1970) 61 C.P.R. 207.
tées, et ne l'aurait pas été même plusieurs années avant la date à laquelle l'enregistrement de cette marque a été demandé.
La demanderesse fait aussi valoir que la marque de la défenderesse a perdu son caractère distinctif en raison de l'octroi de licences à d'autres usagers sans enregistrement. L'emploi par un usager non inscrit entraîne la perte du caractère distinctif de la marque. Ce principe sous-tend toute notre Loi sur les marques de commerce 15 , qui diffère à cet égard de la loi britannique.
Les dispositions relatives à l'enregistrement doi- vent être strictement observées. (Voir Fox, The Canadian Law of Trade Marks and Unfair Com petition, troisième édition, 1972, aux pages 283 et 284.) Dans l'affaire Moore Dry Kiln Co. of Canada Ltd. c. U.S. Natural Resources Inc. 16 , le juge Urie dit ceci à la page 49:
[TRADUCTION] Étant donné que le caractère distinctif d'une marque est attaché, entre autres choses, à sa source de fabrica tion, lorsqu'une marque est attachée à plus d'une source, elle ne peut avoir de caractère distinctif.
L'article 49(2) et (3) de la Loi sur les marques de commerce est ainsi conçu:
49....
(2) L'emploi d'une marque de commerce déposée, par un usager inscrit de cette marque, selon les termes de son enregis- trement à ce titre, en liaison avec les marchandises par lui fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou avec les services qu'il a loués ou exécutés, ou l'usage d'une marque de commerce projetée, ainsi que le prévoit le paragraphe 39(2), par une personne agréée comme usager inscrit de la marque, est dans le présent article appelé «l'emploi permis».
(3) L'emploi permis d'une marque de commerce a le même effet, à toutes fins de la présente loi, qu'un emploi de cette marque par le propriétaire inscrit.
L'emploi permis de l'article 49(3) de la Loi sur les marques de commerce est une exception à l'ancienne règle selon laquelle une marque ne pou- vait être employée que par son propriétaire. Cet article doit par suite être strictement interprété tant au point de vue du fond qu'au point de vue des modalités d'application qu'il prévoit. (Voir l'histo- rique du concept d'usager inscrit fait par le juge Noël (tel était alors son titre), aux pages 538 541 du recueil, dans la décision Dubiner c. Cheerio Toys and Games Ltd. 17 )
15 S.R.C. 1970, c. T-10.
16 (1977) 30 C.P.R. (2e) 40.
17 [1965] 1 R.C.É. 524.
Étant donné que j'ai conclu au caractère non distinctif de cette marque sur la base des autres motifs que je viens d'énoncer, je m'abstiendrai de commenter en détail la preuve soumise sur la question des usagers non autorisés. Toutefois, cer- taines constatations de fait applicables au point litigieux seront faites. Outre les trois motels dans lesquels la défenderesse a des intérêts, les motels suivants étaient exploités sous le nom et la marque de «Motel durant les périodes indiquées:
1. Le 30 novembre 1975, la défenderesse a vendu la moitié de ses intérêts dans le Courtenay Motel à quatre personnes et, depuis lors, a continué de l'exploiter pour les propriétaires en vertu d'un contrat de gestion. Ces quatre personnes et la défenderesse ont été enregistrées en avril 1976 comme des usagers faisant le commerce sous le nom de «Courtenay No. 6 Motel». Rien ne prouve que ces usagers aient exercé leurs activités com- merciales sous ce nom.
2. Un motel, situé à Summerland, en Colombie- Britannique, a été exploité, du 28 juin 1973 au 6 avril 1974, par deux particuliers sous la marque et le nom de «Motel 6», en vertu d'une licence ou d'une concession consentie par la défenderesse. Ils n'ont jamais été inscrits comme usagers. Toutefois, une demande d'inscription comme usager a été présentée en octobre 1973, mais abandonnée lors de la vente du motel en avril 1974. Le nouveau propriétaire a été inscrit comme usager en septem- bre de la même année.
3. Trois particuliers sont propriétaires d'un motel situé à Hope, en Colombie-Britannique, depuis novembre 1975. C'est la défenderesse qui adminis- tre ce motel en vertu d'un contrat de gestion qu'elle a signé avec ses propriétaires. Aucun enre- gistrement n'a été fait quant à l'usager.
4. De 1971 à 1976, un certain Maurice Laprise a exploité un motel à Cambridge, en Colombie-Bri- tannique, et employé la marque et le nom «Motel 6», probablement en vertu de la marque de com merce 170,826, qui est maintenant abandonnée. La défenderesse a autorisé cet emploi et inspecté de temps à autre ce motel.
5. C'est avec la connaissance, le consentement et, sauf dans le cas du motel de Summerland, la participation de la défenderesse comme contrôleur
ou gestionnaire que tous les emplois précédents ont eu lieu.
On ne saurait, bien entendu, imputer à l'usager ou au propriétaire d'une marque le retard causé par le Bureau des marques de commerce dans l'examen d'une demande d'enregistrement. Toute- fois, cette demande doit être faite sur-le-champ après que le propriétaire et l'usager sont convenus de l'octroi d'un droit d'utilisation.
Mes constatations de fait, en ce qui concerne au moins le Hope Motel et le Cambridge Motel (voir les paragraphes 3 et 4 précités) confirment ample- ment la prétention voulant que la marque de la défenderesse doive être rayée comme non distinc tive.
Le point de savoir si la marque de la défende- resse devrait être rayée du registre a toutefois amené la défenderesse à soulever une question de procédure: l'action en radiation de sa marque de commerce n'aurait pas, selon elle, été intentée dans le délai prescrit par l'article 17(2) de la Loi. Cet article est ainsi conçu:
17....
(2) Dans des procédures ouvertes après l'expiration de cinq ans à compter de la date d'enregistrement d'une marque de commerce ou à compter du ler juillet 1954, en prenant celle des deux dates qui est postérieure à l'autre, aucun enregistre- ment ne doit être rayé, modifié ou jugé invalide pour le motif de l'utilisation ou révélation antérieure que mentionne le paragra- phe (1), à moins qu'il ne soit établi que la personne qui a adopté au Canada la marque de commerce déposée l'a fait alors qu'elle était au courant de cette utilisation ou révélation antérieure.
La présente action a été intentée le 1" mars 1974, date à laquelle la marque de commerce de la défenderesse n'était pas encore enregistrée. L'ac- tion en radiation de cette marque ne pouvait, par conséquent, être intentée à cette date. L'enregis- trement est intervenu le 23 août 1974. C'est seule- ment le 2 novembre 1979 que la déclaration a été finalement modifiée pour y inclure une demande de radiation, c'est-à-dire plus de cinq ans après l'enregistrement de la marque. Jusque-là, l'action n'était que pour violation du droit d'auteur et pour concurrence déloyale aux termes de l'article 7b) de la Loi sur les marques de commerce. Malgré qu'il y ait eu précédemment une action entre les parties, la demande de radiation de la marque est une cause d'action entièrement étrangère au droit d'au-
teur et à la concurrence déloyale; cette demande doit dès lors être considérée comme ayant été faite au moment de la modification de la déclaration, soit en novembre 1979.
Sous réserve de la question de savoir si la défen- deresse, lorsqu'elle a adopté sa marque de com merce, était au courant de l'utilisation ou révéla- tion antérieure de la marque de la demanderesse, l'article 17(2) exclut toute contestation de la vali- dité de la marque pour utilisation ou révélation antérieure. Toutefois, cette marque ne sera pas déclarée invalide pour aucun de ces deux motifs, mais bien pour défaut de caractère distinctif. L'ar- ticle 17(2) ne s'applique pas à ce cas en raison de son texte très clair qui limite le délai aux cas d'utilisation et de révélation antérieures, et aussi en raison du fait que dans le cas d'absence de caractère distinctif, l'époque pertinente est celle de l'introduction des procédures (voir l'article 18(1)b) précité), et non la date d'enregistrement de la marque comme le prescrit l'article 17(2). Si je n'avais pas jugé cet article non applicable pour le motif précédent, j'aurais en tout état de cause, sur le fond, débouté la défenderesse. La défenderesse, par son dirigeant Harrison, était bien au courant de l'existence de la marque de la demanderesse avant d'adopter la sienne.
Conformément à la demande de la demande- resse, il sera donc ordonné que la marque de commerce 201,351 de la défenderesse soit rayée du registre au motif qu'elle ne distinguait pas, à l'époque considérée, les services de la défenderesse de ceux de la demanderesse ou de ceux des autres usagers non inscrits.
LA QUESTION DE PASSING OFF
La demanderesse soutient que la défenderesse a contrevenu à l'article 7b) de la Loi sur les mar- ques de commerce en appelant l'attention du public sur ses services ou son entreprise de manière à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre ses services et ceux de la demanderesse.
La constitutionnalité de l'article 7b ):
La défenderesse, pour contester la compétence de la présente Cour à connaître de cette partie de l'action, allègue que l'article 7b) de la Loi sur les marques de commerce est inconstitutionnel. Si tel
est le cas, il est évident que la présente Cour n'a pas compétence pour juger la question de passing off, puisqu'en common law, ce délit est incontesta- blement une question de droits civils relative à un litige entre des particuliers, et n'est pas une cause d'action fondée sur une loi fédérale. Elle ne pour- rait être jugée que devant un tribunal provincial. A ma demande, les procureurs généraux du Canada et de la Colombie-Britannique ont été informés qu'ils pourraient intervenir et être entendus sur la question de la constitutionnalité, mais ils ont décliné l'invitation.
L'article 7 de la Loi sur les marques de com merce est ainsi rédigé:
7. Nul ne doit
a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l'entreprise, les marchandises ou les services d'un concurrent;
b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisem- blablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandi- ses, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre;
c) faire passer d'autres marchandises ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés;
d) utiliser, en liaison avec des marchandises ou services, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde
(i) les caractéristiques, la qualité, la quantité ou la composition,
(ii) l'origine géographique, ou
(iii) le mode de fabrication, de production ou d'exécution
de ces marchandises ou services; ni
e) faire un autre acte ou adopter une autre méthode d'affai- res contraire aux honnêtes usages industriels ou commer- ciaux ayant cours au Canada.
L'arrêt de principe sur cette question, arrêt qui a fait tomber dans l'oubli plusieurs décisions anté- rieures de tribunaux inférieurs, est celui rendu à l'unanimité par la Cour suprême du Canada dans l'affaire MacDonald c. Vapor Canada Ltd.' 8 Dans cette affaire, l'article 7e) de la Loi sur les marques de commerce a été déclaré ultra vires du Parle- ment du Canada, du moins dans les cas on ne peut le considérer «comme un complément des systèmes de réglementation établis par le Parle- ment dans l'exercice de sa compétence à l'égard des brevets, du droit d'auteur, des marques de commerce et des noms commerciaux». Pour tran-
' 8 [1977] 2 R.C.S. 134.
cher cette question, la Cour s'est toutefois penchée sur l'article 7 tout entier, ou, du moins, l'a com menté assez longuement. Quatre juges de cette Cour ont souscrit aux longs motifs du juge en chef Laskin. Et puisque les opinions divergent sensible- ment sur la question de savoir si le même sort serait réservé à l'article 7b), il convient tout d'abord de citer d'assez larges extraits de ces motifs du juge en chef Laskin:
à la page 147:
L'alinéa b) de l'art. 7 n'est que la formulation de l'action pour une espèce de concurrence déloyale en common law, que Flem- ing on Torts, supra, décrit à la p. 626 comme [TRADUCTION] «une autre forme de tromperie préjudiciable au commerce du demandeur ... qui diffère de la fausse déclaration préjudiciable en ce qu'elle tend à réduire la clientèle du demandeur non pas par des remarques désobligeantes mais en usurpant sa réputa- tion en faisant croire que des marchandises ou services viennent de lui ou d'une firme associée ou qu'il les garantit». Contraire- ment aux fausses déclarations préjudiciables [TRADUCTION] «il suffit que l'opération soit destinée ou de nature à induire en erreur même sans intention d'induire en erreur».
aux pages 156 et 157:
En définitive, soit que l'on considère l'al. e) de l'art. 7 isolément ou mieux, comme partie d'un petit système visé par l'art. 7 dans son ensemble, la conclusion doit être que le Parlement du Canada a, par une loi, embrassé ou élargi des droits d'action reconnus en matière civile relevant de la juridic- tion des tribunaux provinciaux et touchant des questions de compétence législative provinciale. En l'absence d'organisme administratif pour contrôler l'observation des interdictions décrétées à l'art. 7 (et sans conclure que l'existence d'un tel organisme serait un facteur important ou décisif de constitu- tionnalité), je ne puis rien trouver dans les pouvoirs fédéraux qui fournisse un fondement incontestable à l'art. 7 dans son ensemble ou à l'al. e) considéré isolément. Le fait que la loi s'applique dans tout le Canada ne saurait constituer un point d'appui suffisant lorsque rien d'autre ne justifie sa validité.
Les décisions que j'ai mentionnées font voir qu'il y a une certaine relation entre les al. a), b) et d) de l'art. 7 et la compétence fédérale sur les brevets et le droit d'auteur qui découle de certains chefs spéciaux de pouvoir législatif ainsi que la compétence sur les marques de commerce et les noms commerciaux qui viendrait, comme on le verra plus loin, du deuxième chef de l'art. 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Même si cela suffit à donner à ces alinéas un certain champ d'application valable, il n'en résulte pas qu'ils attirent dans le champ de la compétence fédérale les autres matières qu'ils visent et qui ne relèvent pas autrement de l'autorité exclusive du pouvoir fédéral. Cet effet ne peut certai- nement pas se produire à l'égard de l'al. e) de l'art. 7 qui, comme on l'interprète dans la jurisprudence, n'a pas avec la protection des marques de commerce, des noms commerciaux, des brevets d'invention ou du droit d'auteur le lien qu'on prétend trouver dans les al. a), b) et d). Même s'il était possible de donner à tous les alinéas de l'art. 7 une portée restreinte à la réglementation fédérale dans le domaine des brevets, des mar-
ques de commerce, des noms commerciaux et du droit d'auteur, la présente affaire ne tombe pas dans ce domaine parce qu'elle concerne un abus de confiance par un employé et l'appropria- tion de renseignements confidentiels.
aux pages 158 et 159:
La Loi sur les marques de commerce dans son ensemble n'est pas contestée et la validité de ses dispositions sur les marques de commerce n'est pas mise en question. Puisque l'al. e) de l'art. 7 n'a pas trait aux marques de commerce, sa présence dans la Loi sur les marques de commerce n'est pas une garantie de validité simplement parce que les principales dispositions n'en sont pas attaquées.
aux pages 165 et 166:
C'est en vain qu'on cherche dans l'art. 7, à plus forte raison dans l'al. e), un système de réglementation. L'application en est laissée à l'initiative des particuliers, sans contrôle public par un organisme qui surveillerait de façon permanente l'application des règlements, ce qui donnerait au moins quelque apparence de fondement à la prétention que l'al. e) de l'art. 7 est de portée nationale ou qu'il vise tout le Canada. L'objet de la disposition n'est pas le commerce mais l'éthique des personnes qui s'adon- nent au commerce ou aux affaires, et, à mon avis, on ne peut maintenir une semblable disposition seule et sans lien avec un système général régissant les relations commerciales dépassant l'intérêt local. Même en disant qu'elle vise des pratiques com- merciales, son application pour action civile à l'instance des particuliers lui donne un caractère local parce qu'elle vise, dans ses termes, des concurrents locaux ou à l'intérieur d'une même province aussi bien que des concurrents au niveau interprovin- cial.
On dit toutefois que l'art. 7, ou l'al. e) en particulier, peut être considéré comme une partie d'un système général de réglementation englobant la loi même il est inséré ainsi que des lois connexes comme la Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, c. P-4, la Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, c. C-30 et la Loi sur les dessins industriels, S.R.C. 1970, c. I-8.
La Loi sur les marques de commerce et la Loi sur les brevets, qui sont les pivots du système se distinguent par des registres publics et un contrôle administratif que ne prévoit aucunement l'art. 7. Cela est également vrai de la loi sur le droit d'auteur mais, on le sait, les brevets et le droit d'auteur sont expressément mentionnés dans la liste des matières de compétence fédérale et le pouvoir fédéral exclusif y exclut toute compétence provinciale. Ce n'est pas le cas pour la concurrence déloyale visée à l'art. 7 de la Loi sur les marques de commerce. Dans Attorney -General of Ontario v. Attorney -General of Canada ([1937] A.C. 405), le Conseil privé a, non sans précau- tion, rattaché la loi sur les marques de commerce (ce qui vaudrait pareillement pour la loi sur les dessins industriels qui prévoit également un régime d'enregistrement) à la compétence fédérale en la matière d'échanges et de commerce.
à la page 167:
Lorsque la Cour suprême du Canada a entendu cette der- nière affaire (Renvoi sur la Loi sur la Commission fédérale du commerce et de l'industrie, 1935 ([1936] R.C.S. 379)) elle n'a pas examiné seulement les art. 18 et 19 visant la marque C.S.
(qu'elle a jugés ultra vires, décision infirmée par le Conseil privé), elle a aussi étudié l'art. 14 qui prescrivait que le gouvernement pouvait approuver des ententes conclues en vue de contrôler et de réglementer les prix, entre personnes enga gées dans des industries particulières au sein desquelles aurait existé une concurrence ruineuse ou démoralisante. On a jugé cette disposition ultra vires parce qu'elle pouvait s'appliquer à des ententes qui pourraient avoir trait à un commerce absolu- ment local. La Cour suprême du Canada a ajouté la p. 382):
S'il se limitait au commerce extérieur et au commerce interprovincial, ledit article pourrait bien ressortir à la rubri- que 2 de l'art. 91; et si la loi portait, en substance, sur un commerce de ce genre, une loi accessoire relative au com merce local et nécessaire pour empêcher l'échec des disposi tions régulières pourrait également être constitutionnelle; mais nous estimons que, dans son texte actuel, cet article est invalide.
Il n'y a pas eu d'appel au Conseil privé à l'égard de cette opinion et la Cour suprême, à mon avis, n'a pas jugé que l'art. 14 pouvait être maintenu comme partie d'un système de réglementation.
Je crois qu'en l'espèce, on en arrive a fortiori à la même conclusion puisque non seulement l'art. 7 ne vise pas essentielle- ment le commerce interprovinciaf ou extérieur mais de plus il n'est pas relié à un organisme de surveillance rattaché au système de contrôle public qui s'exerce sur les marques de commerce. Parler de réglementation relative aux marques de commerce comme d'un système pour prévenir la concurrence déloyale et vouloir de la sorte faire tomber l'art. 7 dans le domaine de la compétence fédérale équivaut à rémplacer l'ana- lyse par la nomenclature.
aux pages 172 et 173:
En l'espèce, j'en viens à la conclusion suivante. Ni l'art. 7 dans son ensemble, ni l'al. e) considéré seul ou en relation avec l'art. 53, n'est une loi fédérale valide relative à la réglementa- tion des échanges et du commerce ou une autre rubrique de compétence fédérale. Il y a empiètement sur la compétence législative provinciale dans la situation comme elle se présente. Toutefois l'art. 7 comprend des dispositions visant les fins de la loi fédérale dans la mesure l'on peut les considérer comme un complément des systèmes de réglementation établis par le Parlement dans l'exercice de sa compétence à l'égard des brevets, du droit d'auteur, des marques de commerce et des noms commerciaux. Si les alinéas de l'art. 7 se limitaient à cela, ils seraient valides et, si l'al. e) qui est le seul dont la constitu- tionnalité soit contestée en l'espèce, pouvait être ainsi restreint, je serais certainement prêt, à maintenir dans cette mesure sa validité. Je suis toutefois d'avis (et ici je m'inspire de l'étude de l'al. e) dans l'affaire Eldon Industries [Eldon Industries Inc. c. Reliable Toy Co. Ltd. (1965), 48 C.P.R. 109, 54 D.L.R. (2e) 97, [1966] 1 O.R. 409]), que l'al. e) n'a plus d'objet à l'égard des brevets, du droit d'auteur, des marques de commerce et des noms commerciaux après que ces rubriques du pouvoir législa- tif ont été appliquées aux alinéas précédents. De toute façon, en l'espèce, les faits ne soulèvent aucune question de contrefaçon de brevet ou d'usurpation de droit d'auteur ou de marque de commerce ni aucun délit relié à ces matières ou à un nom commercial. Il n'y a rien d'autre que l'allégation d'une violation de contrat par un ex-employé, un abus de confiance et d'une
appropriation frauduleuse de renseignements confidentiels. Une législation ayant pour objet un droit d'action statutaire à cet égard n'est pas de compétence fédérale. [Tous les souligne- ments dans ces passages sont de moi.]
A la lecture de ce qui précède, il semble clair que non seulement l'article 7e) a été désavoué, mais que la Cour a aussi statué qu'on ne saurait reconnaître à l'article 7, pris dans son ensemble, une validité absolue, et que si l'on veut donner à l'article 7b) une certaine validité, celui-ci doit avoir «une certaine relation . .. [avec] la compé- tence fédérale ... sur les marques de commerce et les noms commerciaux» découlant de la deuxième rubrique de l'article 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Victoria, c. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II], savoir, La réglementation du trafic et du commerce. Il n'est certainement pas question d'essayer de justifier sa validité seulement en se fondant uniquement sur le pouvoir du gouvernement fédéral de réglementer le trafic et le commerce sans l'associer, d'une façon essentielle et fondamentale, à la législation sur les marques de commerce.
La Cour d'appel fédérale n'a jamais eu à se prononcer sur la constitutionnalité de l'article 7b). En Division de première instance, les avis sont partagés sur le sujet.
A trois reprises, le juge Walsh a, non sans hésitation, dit que cet article était constitutionnel et relevait de la compétence de la présente Cour. Il s'agit des décisions Aluminum Co. of Canada Ltd. c. Tisco Home Building Products (Ontario) Ltd. 19 , Adidas (Canada) Ltd. c. Colins Inc. 20 et Imperial Dax Co., Inc. c. Mascoll Corp. Ltd. 21 Dans l'af- faire Adidas, il dit à la page 174 du recueil:
[TRADUCTION] J'ai eu l'occasion d'analyser la décision Vapour Canada dans l'arrêt Aluminum Co. of Canada Ltd. et al. c. Tisco Home Building Products (Ontario) Ltd. et al. (1977), 33 C.P.R. (2') 145 et de faire des commentaires à ce sujet et j'ai conclu, avec quelque réserve, que cette Cour était compétente pour entendre une action en passing off qui a été intentée aux termes de l'art. lb) de la Loi sur les marques de commerce. Je conclus que l'action en passing off de la deman- deresse, relativement aux vêtements en cause, est bien fondée et qu'une injonction doit être décernée pour lesdits vêtements.
Dans l'affaire Imperial Dax, il s'exprime en ces termes à la page 64:
19 (1978) 33 C.P.R. (2') 145.
20 (1979) 38 C.P.R. (2') 145.
21 (1979) 42 C.P.R. (2') 62.
[TRADUCTION] Par conséquent, jusqu'à ce que la Cour suprême se prononce de nouveau sur les autres alinéas de l'art. 7, je conclus que les procédures intentées devant cette Cour en vertu de ces alinéas ne peuvent être rejetées pour défaut de compétence.
D'autre part, dans l'affaire plus récente McCain Foods Ltd. c. C. M. McLean Ltd. 22 , à propos d'une requête fondée sur la Règle 474 en vue d'obtenir de la Cour une décision préliminaire sur un point de droit, il s'est refusé à trancher cette question pour la laisser à l'appréciation du juge de première instance. Cependant, s'il a été procédé ainsi c'est que chacune des deux parties avait, semble-t-il, ses raisons de voir l'article considéré comme valide.
Le juge Dubé a rejeté une demande interlocu- toire fondée sur l'article 7e) et tendant à la radia tion d'un paragraphe d'une déclaration au motif que, dans l'affaire MacDonald c. Vapor Canada Ltd., précitée, il semble que le juge en chef Laskin ait eu des doutes sur la validité de cet article en matière de brevets et de marques de commerce. Le juge Dubé a préféré laisser cette question à l'ap- préciation du juge du fond (voir Balinte c. DeCloet Bros. Ltd. 23 ). La Cour d'appel a confirmé sa déci- sion, déclarant que sur requête interlocutoire, une déclaration ne devait être radiée que dans des cas clairs et évidents (voir De Cloet Bros. Ltd. c. Balinte 24 pour le compte rendu de l'appel).
D'autre part, dans l'affaire Weider c. Industries Beco Ltée 25 , le juge Mahoney a radié de la décla- ration des demandeurs la partie fondée sur l'article 7b) au motif que ce dernier était ultra vires du gouvernement fédéral et ne relevait pas, par consé- quent, de la compétence de la présente Cour. Il dit ceci aux pages 742 et 743 du recueil susmentionné:
Appliqué aux faits allégués dans la déclaration, on ne peut considérer l'article 7b) de la Loi sur les marques de commerce comme un complément du système de réglementation prévu par le Parlement dans l'exercice de la compétence que lui accorde l'article 91(22) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de légiférer en matière de brevets. La Loi sur les brevets [S.R.C. 1970, c. P-4] fournit aux demandeurs des causes d'action et des recours pour faire valoir et pour protéger les droits qu'elle leur accorde. Ils ne servent en rien l'esprit de la Loi sur les brevets en cherchant une cause d'action à l'article 7b) de la Loi sur les marques de commerce ou un redressement à l'article 53.
22 (1980) 45 C.P.R. (2') 150.
23 (1979) 40 C.P.R. (2') 157.
24 [1980] 2 C.F. 384.
25 [1976] 2 C.F. 739.
Ultérieurement, dans l'affaire Dominion Mail Order Products Corporation c. Weider 26 , quoiqu'il n'ait pas tranché directement la question, il a exprimé des doutes sur l'article 7b). Voici les propos qu'il tient à ce sujet à la page 142 du recueil:
... l'action qu'il a intentée en Ontario en vue d'obtenir des dommages-intérêts pour un passing off qui, à mon avis, ne pourraient être obtenus devant cette Cour par suite de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire MacDonald c. Vapor Canada Ltd.
Mon collègue le juge Cattanach a également fait de sérieuses réserves sur l'article 7b) dans l'affaire S. C. Johnson & Son, Ltd. c. Marketing International Ltd. 27 , il dit à la page 31:
Vu les remarques du juge en chef dans l'affaire MacDonald et Vapour, j'hésite à admettre que cette Cour soit compétente pour connaître d'une action en contrefaçon ou d'un recours fondé sur l'art. 7b) et c). Je comprends difficilement comment une action en contrefaçon qui découle de la common law puisse être partie intégrante d'un système de réglementation, surtout lorsque la loi ouvre le recours en usurpation de marque. Toute- fois, ce point avec tout ce qu'il entraîne n'a pas été plaidé en l'espèce; c'est pourquoi je ne me prononce pas là-dessus.
Il rejeta alors la demande d'injonction fondée sur l'article 7b), mais la demanderesse obtint néan- moins gain de cause et une injonction portant interdiction de l'emploi de sa marque fut accordée.
Dans l'affaire Valle's Steak House c. Tessier 28 , mon collègue le juge Marceau a accueilli une demande fondée sur l'article 7b), mais la question de la constitutionnalité de cet article n'a jamais été soulevée devant lui au procès ni abordée dans ses motifs. En revanche, dans la décision qu'il a rendue dans l'affaire Rocois Construction Inc. c. Quebec Ready Mix Inc. 29 , il était question non de brevets, mais d'une action fondée sur l'article 31.1 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions 30 , il a clairement affirmé qu'il y a lieu de mettre des limites très strictes à la législation fondée sur la deuxième rubrique de l'article 91 de l'A.A.N.B.
Le juge en chef Jackett, siégeant alors à la Cour d'appel fédérale, dans l'affaire Marketing Interna-
26 [1977] 1 C.F. 141.
27 (1978) 32 C.P.R. (2') 15.
28 [1981] 1 C.F. 441.
29 [1980] 1 C.F. 184.
3o S.R.C. 1970, c. C-23.
tional Ltd. c. S.C. Johnson & Son, Ltd. 31 , dit ceci à la page 70 du recueil:
Me référant à l'article 7b), je ne crois pas nécessaire d'exa- miner les preuves. Il s'agit, pour la plupart, de preuves qui s'expliquent d'elles-mêmes. Si l'on concluait, cependant, que, selon les preuves, ce cas tombe dans la catégorie prévue par l'article 7b), je ferais observer que, tenant compte du raisonne- ment sur lequel est fondée la décision MacDonald c. Vapor Canada Limited ([1977] 2 R.C.S. 134), la réclamation qui y est faite aurait pu être rejetée au motif que l'article 7b) est ultra vires. Comme nous n'avons pas entièrement analysé cet aspect de la matière, je serais enclin à offrir aux parties l'occasion d'une discussion supplémentaire à cet égard, avant de disposer de cette partie du litige sur ce fondement.
Après avoir examiné en détail l'arrêt MacDo- nald c. Vapor Canada, précité, le juge J. Holland, de la Cour suprême de l'Ontario, dans l'affaire Seiko Time Canada Ltd. c. Consumers Distribu ting Co. Ltd. 32 , a estimé que la Cour suprême du Canada avait déclaré l'article 7 tout entier complè- tement ultra vires. Toutefois, selon le juge de première instance lui-même, il s'agissait nette- ment d'un obiter dictum, puisque la décision repose sur d'autres motifs.
En raison non pas de la règle du précédent, mais d'une saine administration judiciaire, je me dois, sauf dans des cas exceptionnels qui ont été, dans une large mesure, soigneusement déterminés par la jurisprudence traitant de ce sujet, de suivre les décisions antérieures de la Division de première instance de la présente Cour. Par conséquent, je souscris à la décision rendue par le juge Wilson dans l'affaire Re Hansard Spruce Mills Ltd. 33 et me considère lié par les principes mentionnés par le juge Urie dans l'arrêt qu'il a rendu au nom de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Armstrong Cork Canada Limited c. Domco Industries Limited 34 , dans la mesure ces principes sont applicables à un tribunal de première instance. Mais puisqu'il existe actuellement des points de vue divergents, publiquement exprimés, et des décisions opposées de la Division de première ins tance sur le point litigieux dont je suis saisi, je me sens libre de statuer sur la question sans être moralement lié par ces bons principes d'adminis- tration judiciaire.
31 [1979] 1 C.F. 65.
32 (1981) 29 O.R. (2e) 221.
33 [1954] 4 D.L.R. 590.
34 [1981] 2 C.F. 510.
Pour déterminer si l'action en concurrence déloyale fait bien partie ou relève de la législation sur les marques de commerce, il convient d'exami- ner, dans une certaine mesure, la nature de cette action, et plus particulièrement les principes sur lesquels elle repose, ainsi que les droits qu'elle vise à protéger. Après avoir examiné soigneusement et d'une façon très intéressante l'historique et le déve- loppement des actions de passing off dans l'affaire Erven Warnink B.V. c. J. Townend & Sons (Hull) Ltd. 35 , lord Diplock s'exprime en ces termes à la page 92:
[TRADUCTION] A ce sujet, il y a lieu de se référer aux propos tenus par lord Parker dans l'affaire Spalding c. Gainage (1915) 32 R.P.C. 273. Dans un discours qui a rencontré l'agrément des autres membres de cette Chambre, il a assimilé le droit dont la violation donne lieu à l'action de passing off au «droit de propriété sur l'entreprise ou l'achalandage susceptible d'être affecté par la fausse déclaration». Le concept d'achalandage est, en droit, un concept large, et lord MacNaghten l'a sans doute assez bien défini dans l'affaire C.LR. c. Muller [1901] A.C. 217, à la page 223: «C'est le bénéfice et l'avantage tirés du renom, de la réputation et des relations d'une entreprise. C'est ce qui attire la clientèle.» [C'est moi qui souligne.]
Dans la même affaire, lord Fraser of Tullybelton dit ceci aux pages 102 et 103 du même recueil:
[TRADUCTION] Comme mon noble et savant ami lord Diplock l'a dit dans l'affaire Star Industrial Co. Ltd. c. Yap Kwee Kor [1976] F.S.R. 256, à la page 269,
«Quels qu'aient été les doutes sur la nature juridique des droits protégés par une action de passing off devant les tribunaux de common law ou d'equity, ces doutes ont été dissipés voilà plus de 60 ans par les propos tenus par lord Parker of Waddington dans A. G. Spalding & Bros. c. A. W. Gamage Ltd. et auxquels les autres membres de la Chambre des lords ont souscrit. L'action de passing off est une voie de recours contre la violation d'un droit de propriété non pas sur la marque, le nom ou la présentation abusivement employés, mais sur l'entreprise ou l'achalandage susceptible d'être affecté par la déclaration fausse consistant à faire passer les marchandises d'une personne pour celles d'une autre. L'acha- landage, en tant qu'objet du droit de propriété, ne saurait subsister isolément. Il n'a pas d'existence propre en dehors de l'entreprise à laquelle il se rattache. Il est, par nature, local et divisible; si le commerce est exercé dans plusieurs pays, un achalandage distinct s'y rattache dans chacun de ces pays. Ainsi, lorsqu'une entreprise est abandonnée dans un pays elle a acquis une clientèle, celle-ci disparaît avec elle, quoique l'entreprise puisse continuer d'être exploitée dans d'autres pays.» [C'est moi qui souligne.]
L'article 7b) a codifié les dispositions de la common law, mais celles-ci ont été, en fait, quel- que peu élargies par cet article et aussi par son
35 [1980] R.P.C. 31.
prédécesseur, l'article 11 de l'ancienne Loi sur la concurrence déloyale 36. Voici ce qui est dit dans
Fox, The Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition 37 , aux pages 504 et 505:
[TRADUCTION] L'action légale: L'action de l'art. 7b) et c) de la Loi sur les marques de commerce, comme dans le cas de l'art. 11b) de la Loi sur la concurrence déloyale, correspond à l'action de common law dite de passing off. (Canadian Con verters Co. Ltd. c. Eastport Trading Co. Ltd. (1968), 39 Fox Pat. C. 148, à la page 150.) Le critère fondamental imposé par l'art. 7b) consiste dans l'appel de l'attention du public sur les marchandises, les services ou l'entreprise d'une personne, de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confu sion entre ces derniers et ceux d'une autre. ( ... Old Dutch Foods Ltd. c. W. H. Malkin Ltd. et al. (1969), 42 Fox Pat. C. 124,à la page 131.) Tout ce qui équivaudrait en Angleterre, à du passing off tomberait dans les interdictions de cet article. Dans Coca-Cola Co. of Canada Ltd. c. Bernard Beverages Ltd., (8 Fox Pat. C. 194, à la page 209, [1949] R.C.É. 119, à la page 135, 9 C.P.R. 121) le président Thorson a estimé qu'il pourrait même avoir un champ d'application plus grand. Il a souligné que la cause d'action sous le régime de cet article est plus étendue que dans le cas de la contrefaçon, puisque la contrefaçon n'est qu'une des formes de concurrence déloyale qu'interdit cet article. Cette concurrence peut comporter d'au- tres formes n'impliquant aucune contrefaçon de marque de commerce. Par conséquent, même si un demandeur échouait dans une action en contrefaçon, il pourrait peut-être obtenir quand même gain de cause sur le fondement de l'art. 7. Réciproquement, le fait qu'un défendeur soit trouvé coupable de contrefaçon ne le rend pas ipso facto responsable selon cet article, puisqu'il pourrait rapporter la preuve que sa conduite, nonobstant la contrefaçon, ne tombe pas dans l'interdiction de cet article.
A ce sujet, je cite un passage de mon jugement dans l'affaire The Noshery Ltd. c. The Penthouse Motor Inn Ltd., précitée, à la page 214:
[TRADUCTION] Il importe également de se rappeler que les actions de passing off, qui sont intentées en vertu de la loi actuelle, diffèrent de celles autrefois fondées sur la common law. La loi actuelle et la common law diffèrent quant à l'importance attribuée à la coïncidence de marchandises ou services. En common law, les parties devaient être des concur- rentes. Dans l'action moderne intentée sous le régime de la Loi sur les marques de commerce, telle qu'elle existe depuis 1953, la plainte porte sur la confusion entre les marchandises et les services du demandeur et ceux d'un autre. A cet égard, le remplacement de l'expression «d'un concurrent», qui se trouvait auparavant à l'art. 11b) de la Loi sur la concurrence déloyale, S.R.C. 1952, c. 274, par l'expression «d'un autre» dans ce qui est maintenant l'art. 7b) de la Loi sur les marques de com merce, est une modification des plus importantes. La confusion de nature à tromper le public est l'élément essentiel à prendre en compte; il n'existe plus de condition restrictive de coïnci- dence des marchandises ou services. Cette confusion de nature à induire en erreur pourrait parfois survenir lors même que les services n'appartiennent pas à la même catégorie générale.
36 S.R.C. 1952, c. 274. 37 1972, troisième édition.
Les remarques précédentes s'appliquent très bien au point litigieux. Si je me suis permis de citer un passage de mes propres motifs, c'est que la Cour suprême du Canada, en commentant l'affaire Noshery dans l'arrêt MacDonald c. Vapor Canada, précité, m'a bien à tort attribué une vue diamétralement opposée du champ d'application de l'article 7b). Le juge en chef Laskin s'exprime en ces termes à ce sujet à la page 152:
Dans The Noshery Ltd. v. The Penthouse Motor Inn Ltd. ((1969), 61 C.P.R. 207) le juge Addy, alors juge de la Cour suprême de l'Ontario, a, au contraire*, décidé que l'al. b) de l'art. 7 ne s'applique qu'entre concurrents.
( * NOTE: Les deux causes auxquelles il songeait sont Building Products Ltd. c. B.P. Canada Ltd. (1959) 31 C.P.R. 29, (1962) 21 Fox Pat. C. 130 et Greenglass c. Brown (1964) 40 C.P.R. 145, (1963) 24 Fox Pat. C. 21.)
Nulle part dans l'affaire Noshery, n'ai-je dit ou laissé entendre que l'article 7b) ne s'applique qu'entre concurrents. J'ai lu la décision Greenglass et, loin d'être en désaccord avec ce qu'a dit le juge Kearney de l'article 7b), je me suis, dans l'affaire Noshery, pleinement rallié à son opinion. J'ai lu aussi l'affaire Building Products. Dans cette affaire, le juge Cameron n'était pas saisi d'une action de passing off intentée sous le régime de l'article 7b), mais d'une demande tendant au pro- noncé d'une injonction interdisant l'emploi d'un nom commercial et d'une marque de commerce et la continuation de la contrefaçon d'une marque enregistrée. L'action ne portait pas sur les mar- chandises ou services eux-mêmes, mais seulement sur la marque ou le nom. Il n'était nullement question de l'article 7b). La question précise qu'a- vait à examiner la Cour était de savoir si un exposé des preuves et un rapport, tous deux relatifs à une procédure entièrement différente engagée en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1952, c. 314, pouvaient servir de preuve dans l'action concernant la marque de commerce et le nom commercial de la demanderesse.
Il n'est pas courant que les rôles soient inversés et qu'un juge de première instance ait le rare privilège de trancher définitivement une question. Quoiqu'à première vue d'une importance relative- ment secondaire, la modification faite en 1953 par la substitution de l'expression «services d'un autre» à l'expression «services d'un concurrent» pourrait,
si cet article était en fin de compte déclaré consti- tutionnel, influer directement sur l'issue de la pré- sente cause, puisque, tous les motels de la deman- deresse se trouvant aux États-Unis et tous ceux de la défenderesse étant situés au Canada, les parties ne sauraient, à mon avis, être considérées comme concurrentes.
Même si le texte de l'article 7b) a, dans une certaine mesure, élargi la portée de l'action de passing off de la common law, il n'a pas changé la nature de cette action ni l'un quelconque de ses autres éléments essentiels. D'ailleurs, je ne connais aucune décision publiée qui ait donné à entendre le contraire. Le droit qui fait l'objet de cette action est toujours le droit de propriété sur l'entreprise et l'achalandage susceptibles d'être lésés. L'action porte toujours sur la violation d'un droit sur cette propriété et non d'un droit sur la marque ou le nom abusivement employés. Le fait que la portée de la disposition légale puisse être plus étendue que celle de l'action de common law n'a pas pour effet de la relier plus étroitement au «système général régissant les marques de commerce». Au contraire, plus la portée de cette disposition est grande, moins cette dernière est susceptible de s'adapter, malgré toute l'habileté de celui qui l'utilise, aux dispositions étroites et soigneusement délimitées sur l'enregistrement et le contrôle des marques de commerce.
Après avoir examiné la nature d'une action intentée en vertu de l'article 7b), on doit replacer celui-ci dans le contexte de notre constitution.
Les brevets et les droits d'auteur sont des sujets sur lesquels compétence est expressément dévolue au fédéral par les rubriques 22 et 23 de l'article 91 de l'A.A.N.B. Il en va tout autrement des marques de commerce. Comme il a été dit précédemment, le pouvoir législatif fédéral à ce sujet tient sa validité constitutionnelle du pouvoir général du gouvernement fédéral de réglementer le trafic et le commerce dans les domaines des commerces inter- provincial et extérieur (rubrique 2 de l'article 91). En tout cas, l'article 7b) lui-même ne porte certai- nement pas sur le commerce interprovincial ou extérieur ou sur la réglementation du trafic à travers le Canada; par conséquent, vu les circons- tances de fait de l'espèce, si cet article a quelque validité constitutionnelle, celle-ci doit être fondée d'une manière ou d'une autre sur le droit des marques de commerce.
Pour que l'autorité fédérale puisse, en vertu de la deuxième rubrique de l'article 91, exercer vala- blement son pouvoir sur une question qui relève clairement du domaine de la propriété et des droits civils, domaine ordinairement réservé aux législa- tures provinciales, cette question doit se rattacher nécessairement au pouvoir de réglementer le trafic et le commerce.
Il s'ensuit que, pour que puisse être prise une loi supplémentaire qui ne traite pas directement des marques de commerce, mais qui doit trouver son fondement dans le domaine de la législation sur les marques de commerce, il faut qu'elle contribue, essentiellement ou fondamentalement, à la régle- mentation ou au contrôle des marques de com merce, ou, à tout le moins, qu'elle y soit nécessai- rement ou intimement reliée. A mon avis, c'est dans ce sens que la Cour suprême du Canada a déclaré que la disposition doit avoir un «lien avec un système général régissant les marques de com merce» ou appuyer «la réglementation fédérale dans le domaine des brevets, des marques de com merce, des noms commerciaux et du droit d'auteur . . ou avoir «une certaine relation ... [avec] la compétence fédérale ... sur les marques de com merce et' les noms Icommerciaux ....1n Le lien doit être intime et important, l'appui, réel et substan- tiel, et le rapport, celui de frères de sang (on n'oserait pas, de nos jours, dire de ce rapport qu'il doit être aussi étroit que celui qui unit des camara- des de lit). Un rapport purement accidentel ou une question qui n'est rien d'autre qu'une chose acces- soire, un complément, un appendice ou un orne- ment ne saurait suffire. Autrement, l'accessoire l'emporterait sur le principal alors qu'il est destiné à compléter ce dernier.
Quant à la validité de la loi sur les marques de commerce elle-même, j'estime que les remarques du juge en chef Laskin dans la décision MacDo- nald c. Vapor Canada, précitée, nous sont d'un secours considérable. Après avoir examiné beau- coup des arrêts du Conseil privé qui, rendus après l'arrêt bien connu Parsons, ont, semble-t-il, tour à tour élargi et restreint le pouvoir du Parlement du Canada de légiférer en matière de trafic et de commerce, il dit ceci aux pages 163 et 164:
Ils [les arrêts du Conseil privé] ont toutefois pour effet d'indi- quer qu'il faut qu'il s'agisse d'échanges commerciaux ou étran- gers: si l'on veut qu'une loi fédérale imposant la réglementation par une autorité publique et la soustrayant à l'initiative indivi-
duelle soit valide ou, si l'on considère la réglementation du crédit (pour reprendre l'opinion exprimée par le juge en chef Duff dans le renvoi relatif aux lois de l'Alberta ([19381 R.C.S. 100)), la loi doit prévoir une réglementation publique applica ble à la poursuite des activités commerciales dans tout le Canada. [C'est moi qui souligne.]
Dans une action de passing off, pour citer encore le juge en chef du Canada la page 165], l'«application en est laissée à l'initiative des parti- culiers, sans contrôle public par un organisme qui surveillerait de façon permanente l'application des règlements» et elle est «sans lien avec un système général régissant les relations commerciales», alors que la Loi sur les marques de commerce se carac- térise par des registres publics et un contrôle admi- nistratif nullement applicables à l'article 7b).
En l'espèce, l'action de passing off a été intro- duite par une partie qui attaque également la marque de commerce de la défenderesse. Non seulement cette action n'est pas nécessaire pour invalider l'enregistrement de cette marque, mais elle n'atteindrait pas ce but si la preuve portait uniquement sur la question de passing off de services. Une marque ne peut être déclarée inva- lide Ore pour les motifs précis et sur la base des éléments de preuve expressément prévus aux arti cles de la Loi traitant de la validité des marques, et pour nul autre motif ou preuve. Il convient égale- ment de souligner que l'époque à laquelle doit se rapporter la 'preuve est différente. Lorsque la vali- dité d'une marque est attaquée sur la base d'un emploi ou d'une révélation antérieure, l'époque décisive est la date de production de la demande d'enregistrement (voir article 16(3) de la Loi sur les marques de commerce, précité); quand elle est attaquée en raison de l'absence de caractère dis- tinctif, c'est l'époque ont été engagées les procé- dures qui importe (voir Loi sur les marques de commerce, article 18(1)b), précité); par contre, dans le cas de l'action de passing off, c'est le moment les actes reprochés ont eu lieu pour la première fois qu'il convient de prendre en compte.
Les trois principaux motifs pour lesquels une marque peut être attaquée ont été discutés plus haut dans les présents motifs. Ils sont tout à fait différents de ceux pour lesquels une action de passing off fondée sur l'article 7b) ou sur la common law peut être engagée. De même, la marque pourrait être déclarée invalide pour l'un
quelconque des trois motifs principaux ou pour tous les trois prévus par la Loi, et la radiation de l'enregistrement être ordonnée, lors même qu'une action de passing off serait rejetée sur le fond.
Les domaines il existe des différences consi- dérables entre une action de passing off fondée sur l'article 7b) et une action tendant à faire invalider une marque de commerce pourraient être résumés comme suit: la «chose» ou le droit protégé, la cause d'action, les motifs sur lesquels repose l'action, la nature des preuves à produire et l'époque à laquelle celles-ci doivent se rapporter. D'autre part, je ne trouve rien de vraiment commun entre une action de passing off fondée sur l'article 7 et l'une quelconque des actions susmentionnées. Par conséquent, je ne vois pas comment on peut consi- dérer une action fondée sur l'article 7b), ou l'arti- cle 7b) lui-même, comme [TRADUCTION] «un com- plément de la loi fédérale sur les marques de commerce». Enfin, lorsqu'une marque de com merce est déclarée invalide, il s'agit d'une décision in rem. Dans une action de passing off, le juge- ment, de par sa nature même, ne saurait en aucun cas être considéré comme une décision in rem.
J'estime donc que l'article 7b) de la Loi sur les marques de commerce est ultra vires du pouvoir législatif fédéral, et que la présente Cour est incompétente pour juger la question soit sur le fondement de cet article, soit, a fortiori, sur la base de l'action de passing off de la common law. Cette partie de la demande de la demanderesse sera, par conséquent, rejetée.
CONSTATATIONS DE FAIT RELATIVES À L'ARTI- CLE 7b)
Les avocats des deux parties ont déclaré que quelle que soit ma décision sur la question de la constitutionnalité de l'article 7b), il en sera fait appel. C'est pour cette raison qu'ils m'ont demandé de procéder aux constatations de fait qui permettront de statuer au fond et d'éviter un nou- veau procès, au cas cet article serait en fin de compte déclaré intra vires.
Ayant examiné mes motifs, j'estime qu'à l'ex- ception de quelques constatations secondaires aux- quelles je vais maintenant procéder, toutes les constatations de fait requises pour statuer au fond sur une action de passing off fondée sur l'article 7b) ont été faites lorsque j'ai abordé les diverses autres questions soulevées par la présente action.
Je constate que la défenderesse a toujours agi en connaissance de cause: par son dirigeant Harrison, elle connaissait bien l'existence de la marque, du nom et de l'entreprise de la demanderesse lors- qu'elle a décidé d'adopter son propre nom et sa propre marque. Au vu de tous les éléments de preuve, j'estime que, selon la prépondérance de la preuve, c'est précisément à cause de l'existence du nom, de la marque et de la réputation de la demanderesse que la défenderesse a adopté le nom «Motel comme partie de sa marque et que la marque choisie ressemble tant à celle de la deman- deresse. Il est permis de conclure que la conduite de la défenderesse touche à la pratique commer- ciale répréhensible, puisque je suis convaincu qu'elle voulait amener les automobilistes à croire qu'il existait des rapports entre les deux sociétés considérées. Elle voulait tirer parti de la bonne réputation que s'était faite la demanderesse sur ce marché. A partir du ler juin 1973, date à laquelle la défenderesse a ouvert son motel à Vernon, il est très probable que quelques automobilistes aient cru que ce motel appartenait à la chaîne améri- caine. Il existe des preuves quant à l'existence d'un «Big 6 Motel» à Revelstoke, en Colombie-Britanni- que, mais il n'existe, semble-t-il, aucune autre preuve quant à l'emploi du chiffre «6» en liaison avec des motels au Canada.
Pour ce qui est du nom de la défenderesse et de son intention de profiter de la clientèle de la demanderesse, la première a originairement essayé de se constituer exactement sous le même nom que la dernière. Le nom «No. 6 Motel Ltd.» a été adopté parce que les autorités compétentes de la province ont rejeté «Motel 6 Ltd.» comme dénomi- nation sociale. A cet égard, j'attribue peu d'impor- tance et peu de foi à la preuve que le public n'est pas trompé sur l'identité de la demanderesse puis- que les téléphonistes de la défenderesse ont reçu l'ordre d'identifier, et identifient effectivement, ses motels comme «No. 6 Motel» et non comme «Motel 6». Finalement, je ne suis certainement pas disposé à dire que la marque de la demanderesse est faible. Elle a été imitée d'une manière flagrante par la défenderesse.
Les constatations précédentes ainsi que celles que j'ai faites en jugeant les autres points soulevés sont, à mon avis, toutes celles propres à permettre de trancher la question de passing off Je m'abs-
tiens délibérément de statuer au fond, puisqu'il est toujours possible que la demanderesse intente devant la Cour suprême de la Colombie-Britanni- que une action de passing off en se fondant sur la common law si elle n'a pas eu gain de cause après avoir épuisé tous les recours dans la présente action. Si une telle action était intentée, se pose- rait, bien entendu, la très importante question de savoir si l'action de common law a évolué au point les parties n'ont pas besoin d'être des concur- rentes, et dans l'affirmative, celle de savoir si cette action est ouverte lorsque la demanderesse n'a pas, au Canada, d'existence matérielle, de représenta- tion, d'organisation ou de système de quelque nature.
DOMMAGES-INTÉRÊTS
Les seuls dommages-intérêts réclamés, et les seuls qui, en fait, sont susceptibles d'être accordés eu égard aux faits de l'espèce, sont ceux qui se rapportent au prétendu délit de passing off.
Aucun préjudice spécial n'a été établi et il n'existe aucune preuve de préjudice général à la clientèle de la demanderesse. Rien ne prouve, par exemple, que les services et le logement fournis par la défenderesse soient d'une qualité inférieure à ceux de la demanderesse, ce qui pourrait causer un préjudice à l'achalandage de celle-ci. Puisqu'elles exercent leurs activités sur des marchés différents, c'est-à-dire dans des pays différents, la défende- resse ne saurait enlever des clients à la demande- resse. La société défenderesse a, lors de l'achat de «Motel en 1973 aux trois particuliers Haw- thorne, Harrison et Mitchell, attribué une valeur de $75,000 à son achalandage dans le prospectus émis pour la vente des actions de la société. Il s'agissait toutefois d'un chiffre purement arbitraire et le prospectus émis à l'époque portait la mention suivante:
[TRADUCTION] Ces actions ont été émises au prix de $0.10 chacune pour un total de $75,000.00, montant qui n'a pas nécessairement de rapport avec la valeur de la marque de commerce originairement acquise par les vendeurs à un prix estimatif de $5,000.00.
Je constate aussi qu'en novembre 1972, la demanderesse a déposé une demande d'enregistre- ment de sa marque de commerce au Canada. Cette demande ne reposait ni sur un emploi actuel ni sur un emploi projeté au Canada, mais bien sur une utilisation et un enregistrement américains.
JUGEMENT
Sera rendu un jugement ordonnant que soient radiées du registre des marques de commerce la marque de la société défenderesse enregistrée le 23 août 1974 sous le 201,351, et aussi celle du défendeur Hawthorne enregistrée le 28 août 1970 sous le 170,826. Toutes les autres demandes de la demanderesse seront rejetées, la demande fondée sur l'article 7b) de la Loi sur les marques de commerce étant toutefois rejetée uniquement pour défaut de compétence. La requête par laquelle la défenderesse demande un jugement déclarant que la demanderesse n'a aucun droit d'auteur sur sa marque ne sera pas accueillie, puisqu'un tel jugement n'aurait eu d'effet qu'entre les parties et serait inutile étant donné les motifs par lesquels la réclamation que fait valoir la demanderesse contre la défenderesse pour violation de droit d'auteur est rejetée.
FRAIS
Un jugement en bonne et due forme sera rendu en ce sens. Toutefois, je réserve ma décision sur les dépens, puisque les avocats des deux parties ont demandé à présenter des observations sur la ques tion au cas le succès ne serait pas entier.
ANNEXE «A»
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