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T-3848-80
Zaiboon Nesha (Requérante) c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration et Paul Tetreault en sa qualité d'arbitre nommé en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976 (Intimés)
Division de première instance, le juge suppléant Smith—Winnipeg, 18 août 1980 et 7 février 1981.
Brefs de prérogative Prohibition La requérante solli- cite un bref de prohibition afin d'interdire, en attendant la décision du Ministre à l'égard de sa demande de permis ministériel de séjour au Canada, la poursuite d'une enquête ouverte à la suite d'un rapport établi conformément à l'art. 27(2) de la Loi sur l'immigration de 1976 La demande d'ajournement de l'enquête a été formulée avant l'administra- tion des preuves Il échet d'examiner s'il y a lieu à bref de prohibition Le bref de prohibition ne sera pas décerné, mais nulle ordonnance d'expulsion ne peut être émise en attendant la décision du Ministre Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, art. 27(2), 37(2), 123.
La requérante sollicite la délivrance d'un bref de prohibition afin d'interdire la poursuite d'une enquête ouverte à son sujet à la suite d'un rapport établi conformément à l'article 27(2) de la Loi sur l'immigration de 1976. Après son arrestation, la requé- rante a demandé au ministre de l'Emploi et de l'Immigration de lui accorder un permis ministériel de séjour au Canada. Le lendemain, une enquête a été ouverte. La requérante a demandé l'ajournement de cette enquête avant l'administration des preuves en attendant la décision du Ministre sur le redresse- ment sollicité. La demande d'ajournement a été rejetée. L'arti- cle 37(2) exclut du bénéfice du permis ministériel les personnes ayant fait l'objet d'une ordonnance de renvoi ou d'un avis d'interdiction de séjour. Il échet d'examiner s'il y a lieu à bref de prohibition en attendant la décision du Ministre à l'égard de la demande de permis ministériel de la requérante.
Arrêt: une ordonnance d'expulsion ne doit pas être émise tant que le Ministre n'a pas statué sur la demande. Cette dernière a été présentée au Ministre en temps utile. Le fait que le pouvoir d'accorder, dans des cas spéciaux, des permis de séjour au Canada découle de la loi signifie qu'on s'attend à ce qu'il soit exercé dans des cas le Ministre ou une personne à qui il a régulièrement délégué ce pouvoir le juge approprié. Pour déter- miner si une demande d'autorisation de demeurer au Canada devrait être accueillie ou non, le Ministre, ou son délégué, doit être saisi de la demande et des éléments de preuve tendant à l'appuyer ou à la combattre. Il est raisonnable de conclure que le pouvoir du Ministre ne doit pas être anéanti par la délivrance par un arbitre d'une ordonnance d'expulsion alors qu'une demande de redressement spécial est pendante.
Arrêts appliqués: Ramawad c. Le ministre de la Main- d'oeuvre et de l'Immigration [1978] 2 R.C.S. 375; Laneau c. Rivard [1978] 2 C.F. 319. Arrêts examinés: Louhisdon c. Emploi et Immigration Canada [1978] 2 C.F. 589; Oloko c. Emploi et Immigration Canada [1978] 2 C.F. 593; Murray c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion [1979] 1 C.F. 518; Nelson c. Ormston (non publié, T-4924-78).
DEMANDE de bref de prohibition. AVOCATS:
Ken Zaifman pour la requérante. Brian Hay pour les intimés.
PROCUREURS:
Kopstein & Company, Winnipeg, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs dl l'ordonnance rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT SMITH: Par la présente demande, la requérante sollicite la délivrance d'un bref de prohibition qui interdirait à Paul Tetreault, un arbitre, de poursuivre l'enquête ouverte au sujet de la requérante à la suite du rapport dont cette dernière a fait l'objet en vertu du paragraphe 27(2) de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52. Cette enquête a commencé le 31 juillet 1980.
Il ressort de son affidavit et d'une lettre datée du 29 juillet 1980 par elle adressée au ministre de l'Emploi et de l'Immigration que la requérante est née le 9 mars 1941 Georgetown, en Guyane, et est citoyenne de la Guyane. Elle est venue au Canada en novembre 1975 et y est restée jusqu'à ce jour. Il semble qu'elle ait eu des emplois stables depuis son arrivée au Canada jusqu'au 25 juillet 1980, tout d'abord à Toronto comme ménagère et gardienne d'enfants jusqu'en août 1976, et ensuite comme ménagère à Winnipeg. Rien dans le dossier n'indique comment ou en quelle qualité elle a été admise au Canada, mais il ressort de la lettre qu'elle a envoyée au Ministre qu'elle est [TRADUC- TION] «une personne se trouvant illégalement» au Canada.
Le 25 juillet 1980, elle fut arrêtée en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976. Le 28 juillet 1980, elle fut libérée moyennant un cautionnement de $750. Le jour suivant, elle écrivit au Ministre une lettre qui fut envoyée à ce dernier le 30 juillet 1980.
Le 31 juillet 1980, M. Tetreault a, en vertu du paragraphe 27(2) de la Loi sur l'immigration de 1976, ouvert une enquête. Dès le début, la requé- rante a présenté à M. Tetreault une copie de la lettre envoyée au Ministre et son avocat a demandé l'ajournement de l'enquête avant que toute preuve ne soit produite, jusqu'à ce qu'une décision ait été rendue par le Ministre sur le redressement sollicité. La demande d'ajournement a été rejetée.
Fait à noter, la requérante, dans . sa lettre, ne demande pas expressément au Ministre de permis l'autorisant à demeurer au Canada. Elle y précise toutefois que si elle est renvoyée en Guyane, elle risque de se faire tuer par son ex-concubin qui, selon elle, l'a menacée de mort. Elle supplie le Ministre de lui sauver la vie en lui permettant de rester au Canada, déclarant qu'il est la seule per- sonne qui puisse l'aider. La façon évidente, et à mon avis la seule, qu'a le Ministre de l'aider à demeurer au Canada est de lui délivrer, en vertu du pouvoir discrétionnaire qu'il tient du paragra- phe 37(1) de la Loi sur l'immigration de 1976, un permis écrit l'autorisant à y demeurer. A mon avis, sa lettre révèle bien son intention de demander au Ministre un permis de demeurer au Canada.
Pour ce qui est de la demande de bref de prohibition, le paragraphe 37(2) est en l'espèce pertinent. Ce paragraphe porte ce qui suit:
37... .
(2) Par dérogation au paragraphe (1), ne peuvent obtenir le permis
a) les personnes ayant fait l'objet d'une ordonnance de renvoi, qui se trouvent encore au Canada sauf si l'appel interjeté de cette ordonnance a été accueilli;
b) les interdits de séjour qui n'ont pas encore quitté le Canada; ou
La requérante craint que si l'enquête ouverte par l'arbitre est reprise et aboutit à une ordon- nance de renvoi ou d'expulsion ou à un avis d'inter- diction de séjour, le Ministre n'ait plus le pouvoir de lui accorder un permis de demeurer au Canada et les motifs humanitaires ou de compassion qu'elle a avancés pour la délivrance du permis ne soient jamais pris en considération. La question de droit dont je suis saisi est de savoir si, dans les circonstances, la Cour devrait accueillir sa
demande de bref de prohibition temporaire, en attendant que le Ministre statue sur la demande de permis qu'elle lui a présentée.
J'ai entendu la présente demande le 18 août 1980 et ai sursis à statuer afin de pouvoir examiner la jurisprudence. Deux ou trois jours plus tard, l'avocat de la requérante m'a informé verbalement que certaines autres mesures ayant été prises, il n'y avait plus urgence à statuer. Puisque à l'époque j'avais à trancher beaucoup d'autres questions, j'ai donc décidé de mettre de côté la présente affaire, prévoyant recevoir peu après des nouvelles de l'un ou l'autre avocat, ou des deux. N'ayant pas reçu de leurs nouvelles et ayant été informé par un fonc- tionnaire du bureau de Winnipeg de la Cour fédé- rale que rien n'a été déposé par les deux parties depuis la date de l'audition, j'estime qu'il est main- tenant nécessaire de juger la présente demande.
Il convient de souligner que le Parlement a adopté une nouvelle Loi sur l'immigration qui est entrée en vigueur le 10 avril 1978. Bien que beau- coup des dispositions de l'ancienne Loi soient reprises dans la nouvelle, celle-ci contient beau- coup de nouvelles dispositions et la numérotation des articles est complètement changée.
Les avocats ont cité plusieurs causes qui méri- tent d'être prises en considération. La première est l'affaire Ramawad c. Le ministre de la Main- d'oeuvre et de l'Immigration, une décision que la Cour suprême du Canada a rendue le 23 novembre 1977 et qui a été publiée à [1978] 2 R.C.S. 375. L'appelant dans cette affaire était entré au Canada à titre de non-immigrant, puis avait obtenu un visa d'emploi. En apprenant qu'il devait quitter le pays parce que son visa avait expiré puisqu'il avait enfreint une de ses conditions, l'ap- pelant demanda un nouveau visa d'emploi et fut considéré comme une personne cherchant à être admise au Canada aux termes du paragraphe 7(3) de l'ancienne Loi. L'appelant fut interrogé confor- mément à l'ancien article 22 et signalé à un enquê- teur spécial qui tint une enquête en vertu de l'ancien paragraphe 23(2). L'enquêteur spécial jugea que l'appelant ne pouvait obtenir un visa d'emploi en raison de l'alinéa 3D(2)b) du Règle- ment, qui interdisait de délivrer un visa à un requérant qui «a enfreint les conditions d'un visa
d'emploi qui lui a été délivré au cours des deux années précédentes». L'appelant invoqua l'alinéa 3Gd) du Règlement, qui autorisait le Ministre à lever l'interdiction «en raison de circonstances par- ticulières». L'enquêteur spécial décida qu'aucune circonstance particulière ne permettait de lever l'interdiction et conclut que l'appelant ne pouvait être autorisé à demeurer au Canada. Une ordon- nance d'expulsion fut rendue sur-le-champ. L'ap- pelant présenta, sur le fondement de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, une demande tendant à l'examen et à l'annulation par la Cour d'appel fédérale de cette ordonnance. La demande fut rejetée par décision non motivée.
La Cour suprême a, à l'unanimité, accueilli l'appel formé contre la décision de la Cour d'appel fédérale. Voici les motifs invoqués pour accueillir l'appel tels qu'ils sont énoncés dans le sommaire:
Le pouvoir du Ministre, aux termes de l'al. 3Gd) du Règle- ment, de se prononcer sur l'existence de circonstances particu- lières qui justifieraient la levée de l'interdiction prescrite par l'al. 3D(2)b), ne pouvait être exercé par l'enquêteur spécial en vertu d'une délégation de pouvoir implicite du Ministre. En conséquence, la décision de l'enquêteur spécial selon laquelle il n'y avait aucune circonstance particulière était invalide. L'inva- lidité de cette décision a vicié l'ordonnance d'expulsion.
L'ordonnance d'expulsion a été infirmée.
Le pouvoir d'un enquêteur spécial de tenir une enquête comme celle de l'affaire Ramawad appar- tient maintenant à un fonctionnaire appelé arbitre.
La deuxième cause invoquée est Laneau c. Rivard, affaire tranchée le 21 décembre 1977 par le juge Decary de la Division de première instance de la Cour fédérale, dont la décision a été publiée à [1978] 2 C.F. 319. Dans cette affaire, l'appe- lante avait demandé au ministre de l'Immigration de lui délivrer un permis l'autorisant à demeurer au Canada en vertu du pouvoir discrétionnaire que lui conférait l'article 8 de la Loi sur l'immigration. (Ce pouvoir est maintenant conféré au Ministre par l'article 37.) A la page 320, le juge Decary s'exprime en ces termes: «... cette demande, il est important de le souligner, fut faite avant même que les autorités de l'immigration n'aient convo- qué, ou communiqué avec la requérante.» Dans l'affaire Ramawad, la demande avait été formulée à l'issue de l'enquête spéciale, mais avant que l'enquêteur spécial n'ait donné le dispositif de sa
décision et n'ait ordonné la détention et l'expulsion de l'appelant. La Cour suprême a statué que la demande avait été faite en temps utile. En l'espèce, la demande, sous forme de lettre, a été postée le jour précédant celui de l'ouverture de l'enquête, et le jour suivant, avant que quelque preuve ait été produite, l'avocat de l'appelante a demandé un ajournement de l'enquête en attendant la décision du Ministre. Je conclus donc qu'en l'espèce, la demande a été présentée au Ministre en temps utile.
Dans l'affaire Laneau, la requérante avait été convoquée à une enquête spéciale avant de recevoir du Ministre une réponse à sa demande. L'avocat de la requérante avait, dès le début de l'enquête, tout comme dans le cas qui nous occupe, contesté le pouvoir pour l'enquêteur spécial de tenir une enquête avant que le Ministre ait répondu à la requérante. L'enquêteur spécial (tout comme l'ar- bitre en l'espèce) avait refusé d'ajourner l'enquête. C'est alors que la requérante avait demandé un bref de prohibition en vue de l'empêcher de conti- nuer l'enquête.
Le juge Decary a examiné les pouvoirs d'un enquêteur spécial en vertu des articles en vigueur à l'époque, savoir les articles 11 et 27, de même que le pouvoir du Ministre en vertu de l'article 8 (devenu l'article 37) de la Loi sur l'immigration. A propos des pouvoirs du Ministre, il dit ceci à la page 329:
A mon avis, ces pouvoirs ont préséance sur ceux que détient l'enquêteur spécial en vertu des articles 11 et 27 de la même loi dans les cas tous les deux seraient saisis de la même cause; les dispositions de l'article 8(1) explicitent sans équivoque le fait que le Ministre peut délivrer un permis écrit autorisant toute personne entrée au Canada à y demeurer à l'exclusion de deux catégories, auxquelles, indiscutablement, la requérante n'appartient pas.
(La requérante en l'espèce n'appartient à aucune de ces catégories.)
Et à la page 330, il s'exprime en ces termes:
Le pouvoir du Ministre d'émettre ou de refuser un permis est de sa juridiction exclusive. En effet, les pouvoirs que le Ministre peut déléguer à ses représentants sont strictement limités à ce que le Parlement a autorisé. Or, il n'existe nulle part dans la Loi et le Règlement une disposition autorisant le Ministre, directement ou indirectement, à déléguer à un enquêteur spé- cial ces pouvoirs conférés à l'article 8.
Se fondant sur ce que je viens de citer, le juge poursuit:
En l'absence de telle autorisation législative, la doctrine et la maxime udelegatus non potest delegare» interdisent à l'intimé de poser quelque geste que ce soit qui, à toute fin pratique, empêche ultérieurement le Ministre de rendre une décision favorable à la requérante en réponse à sa demande en vertu de l'article 8.
Le renvoi à l'article 8 vise l'alinéa (1)b) de cet article, qui correspond à l'alinéa 37(2)b) de la nouvelle Loi (cité plus haut dans les présents motifs).
Sans être en désaccord avec ce que dit le juge Decary de la faculté pour le Ministre de déléguer des pouvoirs à un enquêteur spécial sous le régime de l'ancienne Loi, la situation est entièrement dif- férente sous la nouvelle Loi. L'article 123 de la nouvelle Loi est ainsi rédigé:
123. Le Ministre ou le sous-ministre peut, lorsqu'il le juge nécessaire, déléguer à des employés de la fonction publique du Canada les pouvoirs et fonctions que lui confèrent la présente loi ou les règlements, à l'exception de ceux qui sont visés aux alinéas 19(1)e) et 19(2)a), aux paragraphes 39(1) et 40(1), à l'alinéa 42b) et au paragraphe 83(1). Les actes accomplis par lesdits fonctionnaires sont réputés l'avoir été par le Ministre ou le sous-ministre, selon le cas.
Le Ministre est, en vertu de cet article, doté d'un très large pouvoir de délégation. L'article 37 ne figure pas parmi ceux auxquels l'interdiction de délégation s'applique. Par conséquent, rien n'em- pêche le Ministre de déléguer à un arbitre le pouvoir discrétionnaire qu'il tient de l'article 37 de délivrer un permis écrit autorisant à demeurer au Canada toute personne qui a fait ou peut faire l'objet d'un rapport en vertu du paragraphe 27(2). La seule question est de savoir si le Ministre a délégué ce pouvoir. Rien ne tend à le prouver. En l'absence de la preuve d'une telle délégation, de- vrait-on conclure par l'affirmative? Vu qu'il est courant d'affirmer que le pouvoir du Ministre à ce sujet ne doit s'exercer favorablement que dans des cas exceptionnels, et que ce pouvoir lui a été conféré par le législateur dans, le dessein manifeste de permettre d'éviter l'application d'une disposi tion législative rigide dans des cas cette applica tion serait complètement injuste et déraisonnable étant donné les circonstances, je doute fort qu'il faille ainsi conclure.
Le juge Decary a accueilli la demande dans l'affaire Laneau et rendu une ordonnance interdi- sant à l'enquêteur spécial intimé de continuer son enquête sur la requérante tant que le Ministre n'aurait pas exercé son pouvoir discrétionnaire.
Les deux autres décisions ont été rendues le même jour, soit le 13 mars 1978, par la Cour d'appel fédérale constituée des mêmes juges. Il s'agit des affaires Louhisdon c. Emploi et Immi gration Canada [1978] 2 C.F. 589 et Oloko c. Emploi et Immigration Canada [1978] 2 C.F. 593. Dans ces deux affaires, des requêtes avaient été introduites en vue de l'ajournement des enquê- tes tenues par des enquêteurs spéciaux en atten dant qu'il ait été statué sur les demandes de permis présentées au Ministre. Dans les deux cas, les requêtes ont été rejetées et des ordonnances d'ex- pulsion ont été rendues contre les requérants. Ceux-ci se sont adressés à la Cour d'appel fédérale pour faire annuler les ordonnances d'expulsion. La Cour a rejeté les appels à la majorité, majorité constituée des juges Pratte et Ryan, le juge Le Dain étant dissident dans les deux cas.
Les motifs de la majorité étaient les mêmes dans les deux affaires, tout comme ceux de la minorité. Les motifs que le juge Pratte a prononcés pour la majorité sont énoncés dans l'arrêt Louhisdon. Le seul moyen du requérant était que l'enquêteur spécial avait commis une erreur qui lui avait fait perdre compétence en refusant de se rendre à la demande du requérant d'ajourner le prononcé de l'ordonnance d'expulsion et de déférer l'affaire au Ministre pour qu'il décide s'il consentait à délivrer un permis autorisant le requérant à demeurer au Canada. Suivant l'avocat du requérant, l'enquê- teur spécial avait agi illégalement en prononçant l'ordonnance d'expulsion, parce que ce faisant il avait privé le requérant de la possibilité d'obtenir un permis du Ministre. L'avocat s'est appuyé sur la décision que la Cour suprême a rendue dans l'affaire Ramawad.
Le juge Pratte dit ceci à la page 591:
Cette prétention, à mon sens, n'est pas fondée. L'article 8 de la Loi sur l'immigration n'accorde au Ministre que le pouvoir de décerner un permis; il ne crée aucun droit en faveur de ceux qui pourraient bénéficier de l'exercice de ce pouvoir. Il est vrai que le prononcé de l'ordonnance d'expulsion a eu pour effet de priver le requérant de la possibilité que le Ministre lui délivre un permis. Mais, de cela, le requérant ne saurait se plaindre; l'ordonnance d'expulsion produit cet effet en vertu de la loi
quelque soit le moment elle est prononcée. A mon avis, la décision de la Cour suprême dans l'affaire Ramawad ne peut aider le requérant. Tout ce qu'on a décidé dans cette affaire, selon moi, c'est que celui qui sollicite un visa d'emploi en vertu des articles 3B et suivants du Règlement sur l'immigration, Partie d, et qui demande que son cas soit soumis au Ministre pour qu'il exerce le pouvoir que lui confère l'article 3Gd) du Règlement ne peut, aussi longtemps que le Ministre n'a pas été saisi de l'affaire, être expulsé en raison du fait qu'il n'a pas de visa d'emploi.
Je conviens que le juge Pratte a exposé ce qui avait été réellement tranché dans l'affaire Rama - wad, mais, à mon avis, par analogie, le raisonne- ment tenu dans cette affaire pourrait s'appliquer aux faits de l'affaire Louhisdon et aussi à l'espèce présente. La personne dont le droit d'être au Canada dépend de la possession d'un permis de travail valide ne se trouve plus légalement au Canada et peut être expulsée lorsque ce permis expire sans être renouvelé, ou lui est retiré ou devient non valide en raison de la violation de ses conditions. Il en est de même pour la personne qui vient au Canada grâce à un permis de visiteur et qui y reste au-delà du délai permis. Il en va de même pour la personne qui est entrée illégalement au Canada. Je ne vois pas très bien pourquoi la Cour pourrait, du fait qu'il n'a pas encore été statué sur la demande d'autorisation de demeurer au pays présentée au Ministre, arrêter l'enquête susceptible de conduire au prononcé d'une ordon- nance d'expulsion ou annuler l'ordonnance d'ex- pulsion déjà prononcée, dans le premier type de cas alors qu'elle ne le pourrait pas dans d'autres types de cas, et plus particulièrement dans le dernier.
A mon avis, le fait que le pouvoir d'accorder, dans des cas spéciaux, des permis de séjour au Canada découle de la loi signifie qu'on s'attend à ce qu'il soit exercé dans des cas le Ministre ou une personne à qui il a régulièrement délégué ce pouvoir le juge approprié. Pour déterminer si une demande d'autorisation de demeurer au Canada devrait être accueillie ou non, le Ministre, ou son délégué, doit être saisi de la demande et des élé- ments de preuve tendant à l'appuyer ou à la com- battre. Compte tenu de ces faits, il est à mon avis raisonnable de conclure que le pouvoir du Ministre ne doit pas être anéanti par la délivrance par un arbitre d'une ordonnance d'expulsion alors qu'une demande de redressement spécial est pendante. L'article 37 de la Loi ne crée en faveur de l'auteur
d'une demande de permis aucun droit de demeurer au Canada, mais il accorde sûrement à une per- sonne comme la requérante à l'instance le droit de demander un tel permis et d'obtenir que sa demande soit étudiée. De quelle autre façon l'exer- cice du pouvoir discrétionnaire du Ministre pour- rait-il être demandé et son examen du cas entrer en jeu?
Le Ministère craint, je crois, que si cette façon de voir est admise, il sera inondé de telles deman- des, la plupart d'entre elles futiles ou sans aucune chance d'être accueillies et visant simplement à gagner du temps. Compte tenu de mon expérience des deux ou trois dernières années, je dirais que cette préoccupation n'est pas sans fondement. C'est une possibilité qu'on ne saurait ignorer, mais, à supposer que la chose se produise, il me semble qu'une administration efficace devrait permettre de régler rapidement les cas futiles ou vains. Au fur et à mesure que ces rejets deviendront connus, le nombre de ces cas devrait sensiblement dimi- nuer. En tout cas, il ne semble pas juste que des cas sérieux, dont les faits connus révèlent qu'ils ont une chance raisonnable de succès, se voient fermés à l'avance un recours par la délivrance d'une ordonnance d'expulsion. Je ne saurais admettre que le Parlement a voulu un tel résultat.
Il ne m'appartient pas d'exprimer d'opinion sur le cas de la présente requérante. Je dirai seulement que si les allégations contenues dans la lettre qu'elle a adressée au Ministre le 29 juillet 1980 s'avèrent exactes, il est permis de penser que sa demande sera accueillie.
Depuis les affaires Louhisdon et Oloko, la juris prudence n'a pas été constante. Dans Murray c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration [1979] 1 C.F. 518 (décision rendue le 15 septembre 1978), la Cour d'appel fédérale a suivi le raisonnement de l'affaire Louhisdon et distingué la cause dont elle était saisie d'avec l'affaire Ramawad.
Dans l'affaire Nelson c. Ormston, entendue le 6 novembre 1978 (no de greffe T-4924-78), le juge Walsh, s'appuyant sur les arrêts Louhisdon et Oloko, a statué que rien ne justifiait l'interruption de l'enquête par voie de bref de prohibition pour la seule raison qu'une demande de permis de séjour au Canada avait été présentée au Ministre. Selon le juge Walsh, au vu des faits de l'affaire, «il
demeure évident que la présente demande pour l'obtention d'un permis introduite en vertu de l'ar- ticle 37 a peu de chances d'être accueillie et pour- rait, à juste titre, être classée parmi les demandes futiles qui ne visent qu'à obtenir des délais».
A la suite de l'audition de la présente affaire, l'avocat des intimés a attiré mon attention sur une décision qui ne semble pas avoir été encore pu- bliée. Le bureau d'Ottawa du ministère de la Justice l'a informé qu'il ne possédait pas le numéro de greffe de cette affaire, portée devant la Division de première instance de la Cour fédérale. Il s'agit d'une affaire concernant une certaine Mme Sidhu. Cette affaire a été entendue par le juge Collier de la Division de première instance de la Cour fédé- rale. Voici, selon ce qui a été relaté à l'avocat, les faits de la cause et la décision de la Cour:
[TRADUCTION] Mme Sidhu a été arrêtée sans mandat et a, semble-t-il, fait l'objet d'un rapport et d'une directive en vertu de l'article 27 de la Loi sur l'immigration de 1976. Son avocat a alors demandé un permis (article 37 de la Loi) au ministre de l'Emploi et de l'Immigration. Il a aussi demandé un bref de prohibition qui interdirait la tenue de l'enquête, bref que le juge Collier a accordé en attendant qu'une décision ait été rendue sur la demande de permis.
Comme je l'ai indiqué plus haut dans les pré- sents motifs, je n'ai été informé d'aucun développe- ment dans la présente affaire depuis l'audition. Sur la base de la situation à la date de l'audition, j'en suis arrivé à la conclusion, pour les motifs exposés plus haut, qu'une ordonnance d'expulsion ne devrait pas être émise contre la requérante tant que le Ministre n'aura pas statué sur la demande dont cette dernière l'a saisi en vertu de l'article 37 de la Loi sur l'immigration de 1976. Si une telle ordonnance a déjà été délivrée sans que le Ministre ait encore statué, elle devra être annulée. Je n'or- donnerai pas que l'enquête soit arrêtée en atten dant la décision du Ministre, mais seulement qu'aucune ordonnance d'expulsion ne soit émise en attendant cette décision.
La requérante aura droit aux dépens de la pré- sente demande.
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