A-566-79
La Reine (Appelante)
c.
David Benjamin Edward Greenway, exécuteur de
la succession d'Anthony Frederick Mancuso
(Intimé)
Cour d'appel, les juges Heald et Urie et le juge
suppléant Kerr—Ottawa, 31 mars et 6 avril 1981.
Fonction publique — Pension de retraite — Appel de la
décision du juge de première instance qui accorde à l'intimé
des dommages-intérêts en compensation de l'inexécution d'une
obligation légale — La Loi sur la pension de la Fonction
publique autorise le Conseil du Trésor à présumer que la
veuve d'un contributeur est décédée avant le contributeur en
certaines circonstances — Des prestations ont été versées à la
veuve sans passer par le Conseil du Trésor, bien que le
Ministère fût au courant d'un conflit des demandes — Il échet
d'examiner si des dommages-intérêts constituent le remède
approprié relativement à l'inexécution de l'obligation légale —
Loi sur la pension de la Fonction publique, S.R.C. 1970, c.
P-36, art. 13(5) — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2'
Supp.), c. 10, art. 44 — Règle 1723 de la Cour fédérale.
L'appel en cause est formé d'un jugement de la Division de
première instance qui a accordé à l'intimé des dommages-inté-
rêts en compensation de l'inexécution d'une obligation légale.
La preuve révèle qu'il y a litige entre la succession et la veuve
du défunt au sujet de la pension et de la prestation de décès du
défunt. L'article 13(5) de la Loi sur la pension de la Fonction
publique autorise le Conseil du Trésor à présumer que la veuve
d'un contributeur est décédée avant le contributeur lorsqu'elle a
vécu séparée du contributeur dans des circonstances qui l'au-
raient privée de tout droit à une ordonnance de pension alimen-
taire. Le Ministère qui applique la Loi, bien qu'au courant du
litige entre les réclamants, a versé des prestations à la veuve
sans renvoi de l'affaire devant le Conseil du Trésor. Le juge de
première instance a jugé que l'appelante n'a pas respecté une
obligation légale qui existe en faveur de l'intimé et a accordé à
ce dernier des dommages-intérêts. Il échet d'examiner si des
dommages-intérêts constituent le remède approprié, d'autant
plus que les conclusions de la déclaration n'en faisaient pas
mention.
Arrêt: l'appel est rejeté. Il appartient au juge de première
instance de déterminer s'il doit prononcer un jugement déclara-
toire. La Cour d'appel ne doit pas intervenir dans l'exercice de
ce pouvoir discrétionnaire. Le même raisonnement s'applique à
l'argument de l'appelante voulant qu'il aurait dû y avoir lance-
ment d'un mandamus. Même si une conclusion générale à un
recours innommé autorise la Cour à accorder tout redressement
que justifient les faits, «On ne peut pas sur le fondement d'une
conclusion à tout autre recours subsidiaire, obtenir droit à un
recours incompatible avec celui auquel on a expressément
conclu». L'attribution de dommages-intérêts n'est pas, en l'es-
pèce, incompatible avec la demande d'une ordonnance enjoi-
gnant de payer la pension et les prestations de décès à l'intimé.
L'intimé a été privé d'un droit et a donc le droit d'en être
compensé par des dommages-intérêts. Les Règles ne requièrent
nullement que le montant des dommages-intérêts généraux soit
énoncé dans les écritures. En conséquence, le principe du
recours innommé n'est donc pas restreint par le défaut d'indi-
quer le montant des dommages-intérêts réclamés. Le seul
moyen pratique d'indemniser l'intimé est de lui accorder des
dommages-intérêts. Quant au montant des dommages-intérêts,
la Cour d'appel n'interviendra pas à moins que le juge de
première instance n'ait appliqué un principe erroné ou qu'il
n'ait accordé un montant si inhabituellement bas ou élevé qu'il
constitue une évaluation absolument erronée du préjudice. La
Cour ne peut se persuader qu'elle doive réviser les dommages-
intérêts pour l'une ou l'autre de ces raisons. En matière con-
tractuelle comme en matière délictuelle, le demandeur n'a droit
à des dommages-intérêts symboliques que s'il ne parvient pas à
établir les dommages réellement subis. Le même principe
devrait prévaloir dans les cas d'inexécution d'une obligation
légale. Le demandeur a fait la preuve qu'il a subi des domma-
ges réels, évaluables. Il s'ensuit donc qu'il ne s'agit pas d'un cas
où les dommages-intérêts doivent être considérés comme sym-
boliques uniquement.
Arrêts examinés: Duryea c. Kaufman (1910) 21 O.L.R.
161; Slater c. The Central Canada R. W. Co. (1878) 25
Gr. 363. Arrêts mentionnés: Cargill c. Bower (1878) 10
Ch. D. 502; Brickles c. Snell [1916). 2 A.C. 599; Zamu-
linski c. La Reine [1956-1960] R.C.E. 175.
APPEL.
AVOCATS:
L. S. Holland pour l'appelante.
Edward Greenway pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante.
Edward Greenway, Ottawa, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: L'appel en cause est formé d'un
jugement de la Division de première instance
[[1980] 1 C.F. 269] qui a accordé à l'intimé
$7,500 en dommages-intérêts que doit lui payer
l'appelante motif pris d'inexécution d'une obliga
tion légale dont, a-t-on constaté, l'intimé était
créancier.
Le distingué premier juge a procédé à un
examen exhaustif des faits; aussi n'est-il pas néces-
saire de les étudier en détail pour les fins de
l'appel. Brièvement énoncés, ceux qui importent se
résument comme suit.
Anthony Frederick Mancuso, comme fonction-
naire, a contribué au régime de la Loi sur la
pension de la Fonction publique, S.R.C. 1970, c.
P-36, tant que dura son emploi; il est mort le 8
janvier 1974, laissant un testament. Il avait eu
deux enfants d'un premier mariage qui, au
moment de sa mort, n'avaient pas droit aux presta-
tions d'après cette Loi en raison de leur âge respec-
tif. Monsieur Mancuso s'était remarié, en octobre
1953, avec Frances Mancuso et un fils était né de
cette union. Madame Mancuso quitta le domicile
conjugal en 1955 pour n'y plus revenir. A compter
de ce moment, elle ne demanda ni ne reçut aucun
aliment de son mari quoique celui-ci ait versé une
petite pension mensuelle, volontairement, pour son
fils.
En vertu de son testament, M. Mancuso laissait
l'universalité de ses biens aux deux enfants de son
premier mariage, à partager en parts égales. Le 22
octobre 1970, il avait fait verser à son dossier chez
son employeur un mémoire, à prendre en compte le
cas échéant, dont voici, en partie, le contenu:
[TRADUCTION] Mon testament ordonne de diviser ma succes
sion entre mes deux enfants, en parts égales. Ce document a
pour objet de consigner par écrit que toutes les prestations et
produits, de quelque nature qu'ils soient, dérivant de mes
années de service dans la Fonction publique, et notamment
toutes les prestations de décès et de pension de retraite, doivent
être versés à ma succession et répartis conformément à mon
testament.
Je suis marié, mais je n'ai pas vécu avec mon épouse depuis
seize ans et je ne lui ai versé ni pension alimentaire ni
indemnité.
Le distingué premier juge a jugé [à la page 274]
que le sens de cette pièce était parfaitement clair:
Il n'a pas versé de pension alimentaire parce qu'il n'était pas
obligé de le faire et il n'a pu en être ainsi que si elle a vécu
séparée de lui dans des circonstances qui l'ont privée de tout
droit à une pension alimentaire. Si tel fut effectivement le cas,
la Loi sur la pension de la Fonction publique prévoit alors
certaines procédures autorisant, advenant le décès de M. Man-
cuso, que les prestations de décès et de pension de retraite
soient versées à sa succession et distribuées conformément à son
testament.
Le 10 janvier 1974, deux jours après la mort de
son mari, M me Mancuso écrivit au directeur du
personnel de l'employeur de M. Mancuso, l'Office
national du film, pour réclamer la pension et les
prestations de décès.
Par lettre, datée du 30 juillet 1974, l'avocat de
la succession a remis au ministère des Approvision-
nements et Services, chargé de l'application de
cette Loi au nom du Conseil du Trésor, copie de la
vérification du testament, du certificat de décès et
du mémoire du 22 octobre 1970 dont un extrait a
été cité ci-dessus. Ces pièces ainsi que la corres-
pondance subséquente émanant de l'avocat démon-
trent clairement que la succession réclamait la
pension et les prestations de décès malgré les
prétentions de la veuve. En fait, il prévenait que
l'ouverture d'une instance en Cour fédérale du
Canada à cet égard était imminente.
La disposition de la Loi sur la pension de la
Fonction publique qui a fait l'objet des commen-
taires du premier juge dans l'extrait précité des
motifs de son jugement est le paragraphe 13(5)
que voici:
13....
(5) Quand, au décès d'un contributeur, il apparaît au conseil
du Trésor que la veuve du contributeur avait, pendant un
certain nombre d'années précédant immédiatement son décès,
vécu séparée de lui dans des circonstances qui l'auraient privée
de tout droit à une ordonnance de pension alimentaire selon la
législation de la province où résidait ordinairement le contribu-
teur, et quand le conseil du Trésor l'ordonne, en tenant compte
des circonstances de l'espèce, y compris le bien-être des enfants
en cause, cette veuve est, aux fins de la présente Partie, réputée
décédée avant le contributeur.
De tout ceci, il concluait, vu qu'il y avait litige
entre deux réclamants rivaux, qu'il y avait lieu
d'appliquer le paragraphe 13(5). Cela étant, la
décision que ce paragraphe obligeait à rendre n'en
était pas une qui appartenait au ministère des
Approvisionnements et Services; on aurait dû ren-
voyer l'affaire au Secrétaire du Conseil du Trésor
pour que soit prise une décision ministérielle. Pour-
tant, c'est un fonctionnaire du ministère des
Approvisionnements et Services, M. Hagglund, qui
avait ordonné la remise des prestations litigieuses à
la veuve sans en référer au Conseil du Trésor. En
conséquence, le juge du fond, aux pages 293 et 294
déclare:
Pour les raisons que je viens d'exposer, j'estime que M.
Hagglund n'était nullement autorisé à décider si Mme Mancuso
a vécu séparée de son mari dans des circonstances qui l'auraient
privée de tout droit à une pension alimentaire et, par voie de
conséquence, à décider si elle doit être réputée décédée avant
lui.
Dans les circonstances de l'espèce, M. Hagglund et le person
nel qu'il dirige ou qui lui fait rapport n'étaient autorisés qu'à
recueillir l'information nécessaire et à renvoyer ensuite l'affaire
au Secrétaire du Conseil du Trésor pour décision ministérielle.
Comme on l'a vu, M. Hagglund a agi différemment. Il a
préféré régler l'affaire lui-même sans y être autorisé et, en ne
renvoyant pas l'affaire au Conseil du Trésor comme il était
astreint à le faire, il a privé le demandeur de son droit à ce que
l'affaire soit réglée par le Conseil du Trésor. Pour reprendre les
termes de lord Denning dans l'affaire Woollett, sa directive est
ainsi entachée d'un défaut irrévocable et elle ne peut être
ratifiée d'aucune façon.
En outre, l'enquête que M. Hagglund a menée dans le
secteur administratif qui lui est imparti, ne fut pas, à mon avis,
conforme à l'obligation générale d'impartialité.
En outre, à la page 295, il ajoute, parlant de
partialité:
En bref, M. Hagglund, qui était au courant du conflit ou qui
aurait dû l'être, n'a réclamé des observations et des preuves que
d'une seule partie au conflit et a complètement ignoré l'autre.
Il s'agit là d'une attitude contraire à l'obligation élémentaire
d'équité. Les deux parties ont le droit d'être entendues.
L'avocat de la succession n'a pas été empêché de présenter
des observations, mais il n'y a pas été invité non plus. Il avait le
droit de connaître les reproches adressés à son client et d'avoir
l'occasion d'y répondre. Il n'en a pas été informé et n'a donc
pas eu l'occasion de répondre aux allégations contraires aux
intérêts de son client.
Les conclusions de la déclaration de l'intimé appa-
raissent aux deux paragraphes suivants:
[TRADUCTION] 9. Par conséquent, le demandeur sollicite que
les prestations de décès et de pension de retraite revenant au
défunt Anthony Frederick Mancuso soient versées à la succes
sion, conformément à son testament et aux désirs qu'il a
exprimés dans son mémoire du 22 octobre 1970.
10. Le demandeur réclame donc ce qui suit:
a) une ordonnance portant que les fonds provenant des
prestations de. décès et de pension de retraite soient versés à
la succession d'Anthony Frederick Mancuso;
b) ses dépens afférents à la présente action;
c) tout autre redressement que cette Cour jugera à propos.
Le premier juge décida donc, tout à fait à bon
droit à mon avis, qu'il ne pouvait ordonner que les
prestations soient payées à la succession de feu M.
Mancuso. Cela, a-t-il jugé, aurait équivalu à pro-
noncer une décision qu'il appartenait au Conseil
du Trésor de prononcer et que le geste de M.
Hagglund avait empêché le Conseil de prononcer.
Il jugea ensuite que les modifications apportées à
la déclaration, qu'il avait autorisées à l'instruction,
avaient pour effet d'inclure, comme fait articulé,
que l'appelante avait, en vertu du paragraphe
13(5), une obligation légale et qu'elle ne l'avait pas
exécutée, ce qui donnait droit à l'intimé à des
dommages-intérêts. Il avait fixé ces dommages-
intérêts à $7,500. C'est cette attribution des dom-
mages-intérêts uniquement que conteste l'appe-
lante.
L'avocate de l'appelante, au début de l'instance,
a fait les concessions suivantes:
1. Qu'en vertu du paragraphe 13(5) de la Loi, il
y avait obligation, dont l'intimé était créancier,
que le Conseil du Trésor départage les réclama-
tions contradictoires et, advenant que la récla-
mation de la succession prévale, de décider si oui
ou non, en l'espèce, il fallait présumer que la
veuve avait prédécédé M. Mancuso;
2. qu'il y avait eu inexécution de cette
obligation;
3. que l'intimé disposait d'un recours à cet
égard; et
4. qu'il pouvait y avoir attribution de domma-
ges-intérêts en conséquence de cette inexécution
de l'obligation mais qu'il ne pouvait s'agir que
de dommages-intérêts symboliques.
Il découle de ces concessions fort importantes et
bien fondées, je crois, que le seul litige qui
demeure en l'appel est de savoir si les dommages-
intérêts constituent en l'espèce le remède appro-
prié.
L'avocate de la Couronne a d'abord soutenu que
c'est à tort que le juge de première instance a
choisi d'accorder des dommages-intérêts; il aurait
été plus approprié d'après elle de prononcer un
jugement déclaratoire des droits des parties ou, sur
le fondement de l'article 44 de la Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10, de lancer
une ordonnance de mandamus enjoignant au Con-
seil du Trésor de se saisir de l'affaire. Subsidiaire-
ment, comme position de repli, elle faisait valoir
qu'aucun dommage n'avait été prouvé ni subi et
que si aucun autre recours n'existait, les domma-
ges-intérêts à accorder devraient être purement
symboliques, notre juridiction étant autorisée à en
fixer le montant.
Selon l'appelante, la Règle 1723 fournit le fon-
dement permettant à la Cour, et l'obligeant en
l'espèce, à rendre un jugement déclaratoire des
droits des parties. Voici la Règle:
Règle 1723. II ne peut être fait opposition à une action pour le
motif que cette action ne vise qu'à l'obtention d'un jugement ou
d'une ordonnance purement déclaratoires; et la Cour pourra
faire des déclarations de droit obligatoires, qu'un redressement
soit ou puisse être demandé ou non en conséquence.
On doit d'abord observer qu'aucune des parties
dans leurs écritures n'a demandé un jugement ou
une ordonnance déclaratoires. Et même si l'alinéa
10c) de la déclaration précitée pouvait être inter-
prété comme autorisant la Cour à rendre un tel
jugement, c'était au juge du fond qu'il appartenait
de décider s'il y avait lieu ou non d'en prononcer
un. Nous avons appris que l'avocate de l'appelante
en première instance avait soutenu qu'une ordon-
nance de ce genre devrait être rendue. Le premier
juge, bien qu'il n'ait pas mentionné cela dans ses
motifs, a de toute évidence rejeté cette invitation
puisqu'en lieu et place il a accordé les dommages-
intérêts auxquels on s'opposait. Présumant qu'il
avait droit de les attribuer, je ne crois pas que
notre juridiction doive intervenir dans cet exercice
d'un pouvoir discrétionnaire.
Le même raisonnement s'applique à l'argument
de l'appelante voulant qu'il aurait dû y avoir lance-
ment d'un mandamus enjoignant au Conseil du
Trésor de se saisir de l'affaire. L'avocate à ce sujet
s'est appuyée sur l'article 44 de la Loi sur la Cour
fédérale que voici:
44. En plus de tout autre redressement que peut accorder la
Cour, cette dernière peut accorder un mandamus, une injonc-
tion ou une ordonnance d'exécution intégrale ou nommer un
séquestre dans tous les cas où il lui paraît juste ou convenable
de le faire; toute pareille ordonnance peut être rendue soit sans
condition soit selon les modalités que la Cour juge équitables.
Il est manifeste que l'application de cet article est
fonction de l'opinion que se fait le premier juge.
Une juridiction d'appel n'interviendra pas en cas
de défaut d'un juge de première instance d'en
arriver à l'opinion qu'il devrait y avoir mandamus
à moins que cela procède de sa part d'un principe
erroné. Rien dans les motifs du premier juge n'in-
dique qu'il ait commis quelque erreur en n'accor-
dant pas le mandamus demandé. Sa décision de ne
pas lancer de mandamus n'est pas donc en l'espèce
une erreur révisable.
J'en viens maintenant à la question des domma-
ges-intérêts. Ce moyen a deux branches. D'abord,
dit-on, non seulement on ne conduit pas à des
dommages-intérêts dans la déclaration mais encore
aucun dommage n'a été subi par suite du défaut de
M. Hagglund d'en référer au Conseil du Trésor,
certainement, en tout cas, aucun n'a été prouvé.
Tant que le Conseil n'a pas rendu de décision au
sujet des réclamations contradictoires, on ne peut
pas dire, de l'avis de l'avocate, que l'intimé a subi
un dommage.
Quant aux conclusions de la déclaration, les-
quelles ne contiennent aucune demande expresse
de dommages-intérêts, selon le premier juge [aux
pages 297 et 298]:
... les modifications apportées à la déclaration excipent d'une
différente cause d'action, à savoir une obligation légale envers
le demandeur, dont l'inobservation a pour conséquence d'entraî-
ner la responsabilité de la défenderesse. Bien que l'on n'en ait
fait aucune mention, cette responsabilité donne lieu de toute
évidence à des dommages-intérêts.
Tout cela serait inclus dans la clause «fourre-tout» de l'alinéa
10c) de la demande de redressement.
A mon avis, il était sur un terrain jurisprudentiel
des plus solides lorsqu'il a conclu que la déclara-
tion, vu les faits articulés, lui permettait d'attri-
buer des dommages-intérêts pour inexécution de
l'obligation même sans conclusion expresse en ce
sens.
Dans Duryea c. Kaufman', le juge Riddell
énonça le principe comme suit:
[TRADUCTION] Nul doute, ... on conclut soit à un recours
simple, soit à un recours double, alternatif; il est établi cepen-
dant que conclure à un recours innommé autorise la Cour à
accorder celui que justifient les faits ....
Dans l'affaire antérieure de Slater c. The
Canada Central R. W. Co. 2 , le chancelier Spragge,
énonça, compte tenu des faits de l'espèce en cause,
ce principe comme suit:
[TRADUCTION] L'arrêt Wing c. The Grand Junction R. W.
Co. (L.R. 3 Chy. 740) règle la question: les parties, lorsqu'il y a
privilège de vendeur, peuvent le faire exécuter comme tout
autre privilège, c'est-à-dire par vente. Cela étant le recours
approprié, on aurait dû conclure en ce sens en l'espèce; la
question est de savoir si sur le fondement de cet effet de
commerce, les parties ne pouvant obtenir l'éviction, elles peu-
vent obtenir un autre recours. Je crois qu'elles le peuvent. Elles
demandent d'abord l'éviction mais elles concluent aussi «à
l'exercice de tout autre recours subsidiaire» et si, d'après les
' (1910) 21 O.L.R. 161, aux pp. 177 et 178.
2 (1878) 25 Gr. 363, la p. 368.
faits articulés, le recours applicable est la vente, elles y ont
droit.
Selon ces affaires et selon d'autres affaires
encore, ce principe est donc reconnu; il est vrai
cependant que [TRADUCTION] «On ne peut pas sur
le fondement d'une conclusion à tout autre recours
subsidiaire, obtenir droit à un recours incompatible
avec celui auquel on a expressément conclu» 3 . A
mon avis, accorder des dommages-intérêts en l'es-
pèce n'était pas incompatible avec la conclusion de
l'alinéa 10a) précité, la conclusion à une ordon-
nance enjoignant de payer la pension et les presta-
tions de décès à l'intimé. Le premier juge ne
pouvait accorder cette demande pour les motifs
précités mais, sur le fondement des écritures et des
faits démontrés, il constatait qu'il y avait eu inexé-
cution d'une obligation légale. Cette inexécution
donnait à l'intimé droit à des dommages-intérêts.
Il invoquait à cet effet l'arrêt Zamulinski c. La
Reine 4 . Comme il n'y avait aucune incompatibilité
entre les deux recours, il était, à mon avis, en droit
de se prévaloir du recours innommé auquel on
concluait à l'alinéa 10c) de la déclaration, pré-
cité, comme fondement des dommages-intérêts
accordés.
Dans l'espèce Zamulinski (précitée), le prési-
dent Thorson avait dit:
[TRADUCTION] A mon avis, le requérant a une réclamation
qui dérive d'un règlement émis par le gouverneur en conseil,
soit une réclamation déposée en vertu de l'article 118 des
Règlements sur le Service civil. En vertu de cet article, il a le
droit de se voir offrir l'occasion, avant son congédiement, de
présenter sa version de l'affaire à un fonctionnaire supérieur du
Ministère nommé par le sous-chef. J'estime que ce droit ne lui a
pas été effectivement donné. C'est un principe fondamental que
la violation d'un droit donne lieu à une cause d'action: voir
Ashby c. White. En l'espèce, il y a donc eu déni d'un droit
légalement dévolu au requérant: par conséquent, celui-ci a droit
à des dommages-intérêts.
S'appuyant sur cette jurisprudence, le premier
juge constatait donc que l'intimé s'était vu dénier
un droit que lui attribuait le paragraphe 13(5) de
la Loi sur la pension de la Fonction publique, ce
qui lui donnait droit à des dommages-intérêts.
Il échet d'examiner ensuite si le défaut d'énon-
cer le montant des dommages-intérêts réclamés
3 Cargill c. Bower (1878) 10 Ch. D. 502, la p. 508, le juge
Fry; voir aussi: Brickles c. Snell [1916] 2 A.C. 599, la p. 604,
lord Atkinson.
4 [1956-1960] R.C.É. 175, à la p. 189.
vicie la conclusion voulant que le recours innommé
auquel on a conclu en l'espèce, autorisait la juri-
diction de première instance à accorder des dom-
mages-intérêts. A mon avis, ce n'est pas le cas.
Contrairement au règlement des juridictions supé-
rieures provinciales, les Règles et ordonnances
générales de notre juridiction ne requièrent pas,
que je sache, que le montant des dommages-inté-
rêts généraux soit énoncé dans les écritures. Cela
étant, le principe du recours innommé n'est donc
pas restreint par le défaut d'indication du montant
des dommages-intérêts demandés.
Je me tourne maintenant vers l'argument qu'au-
cun dommage n'a été subi par l'intimé par suite de
l'inexécution de l'obligation légale ni, en tout état
de cause, qu'aucun dommage n'a été prouvé. Il
suffit, pour répondre brièvement à cet argument,
de dire, me semble-t-il, que, selon la perception des
faits qu'a eue le premier juge, le seul moyen
pratique d'indemniser l'intimé de l'inexécution de
l'obligation était par des dommages-intérêts. Cela
me paraît découler de ses motifs. Nul doute qu'il
est arrivé à cette opinion en constatant que ren-
voyer l'affaire au Conseil du Trésor plus de cinq
ans après la mort du de cujus pour qu'il statue sur
les réclamations contradictoires, avec les difficul-
tés inhérentes à ce retard lorsqu'il s'agirait d'obte-
nir des preuves concluantes, serait une tâche vir-
tuellement impossible. Le fait que des versements
avaient déjà au cours de cette période été versés à
la veuve et à son fils exacerbait le problème auquel
le Conseil du Trésor était confronté. Cela étant, la
seule méthode pratique d'indemniser l'intimé ne
pouvait être qu'une attribution de dommages-inté-
rêts pour inexécution d'obligation. Je ne saurais
rien ajouter à cela sinon que je partage cet avis.
Dans la mesure où le montant des dommages-
intérêts est en cause, il faut se rappeler qu'il s'agit
en l'espèce de dommages-intérêts généraux.
Comme tels, on doit présumer qu'ils découlent
directement, naturellement ou qu'ils sont la consé-
quence probable de l'acte dont on se plaint. Suffi-
samment de faits ont été administrés en preuve
pour permettre au premier juge d'évaluer le dom-
mage avec une exactitude relative. C'est ce qu'il a
fait; il a aussi expliqué sa façon d'y arriver. Pour
que notre juridiction puisse intervenir, nous devons
être convaincu soit que le premier juge a appliqué
un principe erroné, soit que le montant accordé
était si inhabituellement bas, ou élevé, que c'était
là une évaluation absolument erronée. On n'est pas
parvenu à me persuader que la Cour devrait révi-
ser les dommages-intérêts en l'espèce pour l'une ou
l'autre de ces raisons.
La seconde branche de l'argument de l'appe-
lante au sujet des dommages-intérêts est que, s'il
s'agit bien du recours approprié, ceux-ci doivent
être symboliques. Je traiterai de cet argument
rapidement. Si je comprends bien, en matière con-
tractuelle comme en matière délictuelle, le deman-
deur a droit à des dommages symboliques unique-
ment s'il ne parvient pas à établir les dommages
réellement subis. Le même principe devrait donc
s'appliquer dans les cas d'inexécution d'une obliga
tion légale. Comme je l'ai déjà dit, je suis d'avis,
comme l'a été le premier juge, que l'intimé a
démontré par la preuve qu'il a administrée des
dommages réels, évaluables. Il s'ensuit donc qu'il
ne s'agit pas d'un cas où les dommages-intérêts
doivent être considérés comme symboliques uni-
quement.
Par ces motifs, je rejetterais donc l'appel.
* * *
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT KERR: J'y souscris aussi.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.