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T-3557-79
La Reine (Demanderesse)
c.
Marsh & McLennan, Limited (Défenderesse)
Division de première instance, le juge en chef adjoint Jerome—Toronto, 5 et 26 mai; Ottawa, 6 octobre 1981.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Appel formé contre la décision par laquelle la Commission de révision de l'impôt a jugé que le revenu en intérêts provenant des primes d'assurance que la défenderesse avait investies dans des certi- ficats à court terme était un «revenu de placements au Canada» au sens de l'art. 129(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu Il échet d'examiner si la défenderesse était proprié- taire des fonds qui ont produit le revenu en intérêts Il y a à déterminer si les transactions constituaient l'accessoire de l'entreprise principale de la défenderesse ou si elles consti- tuaient une entreprise activement exploitée Il faut détermi- ner si les fonds tombent dans l'exception prévue à l'art. 129(4)a)(ii), c'est-à-dire s'il s'agit d'«un bien dont la corpora tion a eu l'usage ou la possession dans l'année aux fins de son entreprise» Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, modifiée par S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 129(1),(4)a), 172.
La défenderesse est une société de courtage en assurances qui reçoit des primes de ses clients et doit les remettre aux assu- reurs, une fois sa commission prise. D'habitude, ceux-ci exigent que paiement de ces primes soit effectué 60 jours après la date de leur réception par la défenderesse. Pendant cette période, la défenderesse investissait ces fonds dans des certificats à court terme. En 1976, elle a reçu des intérêts sur ces transactions et a fait valoir, devant la Commission de révision de l'impôt, que le revenu en intérêts était un «revenu de placements au Canada», au sens de l'article 129(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu, et qu'elle avait droit au remboursement au titre de dividendes prévu à l'article 129(1) de la Loi. La Commission de révision de l'impôt a accueilli l'appel de la défenderesse. Il échet d'exami- ner si la défenderesse était propriétaire des fonds qui ont produit le revenu en intérêts, si les transactions constituaient l'accessoire de l'entreprise principale de la défenderesse ou si elles constituaient une entreprise activement exploitée, et si les fonds tombent dans l'exception visée à l'article 129(4)a)(ii), c'est-à-dire, s'il s'agit d'«un bien dont la corporation a eu l'usage ou la possession dans l'année aux fins de son entreprise..
Arrêt: l'appel est rejeté. La défenderesse est propriétaire des fonds qu'elle reçoit de ses clients-assurés à titre de paiement. Il ne ressort nullement de la preuve qu'un assureur ait déjà essayé d'imposer à la défenderesse des restrictions à l'égard de ces sommes d'argent. Au contraire, la preuve semble indiquer que la défenderesse a toujours joui d'une liberté absolue à l'égard de la gestion de ces fonds, sans la moindre indication de contrôle de la part des assureurs avec lesquels la défenderesse fait affaires. La preuve est très loin d'établir l'existence de rapports d'un caractère fiduciaire susceptibles de soustraire à la défende- resse la propriété de ses revenus bruts. La preuve confirme également que l'entreprise principale de la défenderesse est le
courtage en assurances et que le placement de ces fonds se fait toujours dans des certificats à court terme et presque toujours auprès de banques à charte. Le placement de ces fonds relève entièrement des responsables du contrôle financier de chaque région qui doivent y consacrer pas plus de quelques minutes tous les jours ou tous les deux ou trois jours. Donc, les transactions constituent l'accessoire de l'entreprise principale de la défenderesse. Un simple profit tiré par la société ne peut suffire à étayer la conclusion selon laquelle ces fonds consti tuent «un bien dont la corporation a eu l'usage ou la possession dans l'année aux fins de son entreprise». Il faut qu'il y ait un facteur qui incorpore ces transactions à l'entreprise principale du contribuable. Or, en l'espèce, il n'existe aucun facteur semblable.
Arrêt mentionné: Vancouver Pile Driving & Contracting Co. Ltd. c. Le ministre!du ,Revenu national [1963] R.C.E. 162. Arrêt approuvé: March Shipping Ltd. c. Le ministre du Revenu national 77 DTC 371.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
J. S. Gill et S. Hershberg pour la demande-
resse.
R. Couzin et R. Durand pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la demanderesse.
Stikeman, Elliott, Robarts & Bowman, Toronto, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME: Bien qu'elle revête la forme d'un procès, cette action constitue, en vertu de l'article 172 de la Loi de l'impôt sur le revenu', un appel de la décision rendue par la. Commission de révision de l'impôt 2 . Le sommaire qui suit, à la page 315, résume de façon précise et succincte les questions de fait et de droit, de même que les conclusions de la Commission:
[TRADUCTION] Le contribuable est une société de courtage en assurances qui reçoit des primes de ses clients et doit les remettre aux sociétés d'assurances appropriées, une fois sa commission prise. La partie la plus importante de ses revenus provient de commissions. Il s'écoule souvent un délai d'environ deux mois entre la date de réception des primes par le contri- buable et la date celui-ci les remet aux sociétés d'assurances. Pendant cette période, le contribuable investit ces «primes non remises» dans des obligations à court terme. C'est ainsi qu'en 1976, il a reçu $1,345,632 en intérêts sur ces investissements.
' S.R.C. 1952, c. 148, modifiée par S.C. 1970-71-72, c. 63. 2 Marsh & McLennan Ltd. c. M.R.N. 79 DTC 314.
Le contribuable soutient que cette somme fait partie de son «revenu de placements au Canada» et qu'il a droit au rembour- sement au titre de dividendes prévu par le paragraphe 129(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il allègue trois motifs au soutien de ses prétentions: (1) cette somme ne constitue pas un revenu provenant d'une entreprise indépendante de placement exploitée activement; (2) cette somme ne forme pas un revenu essentiel de l'entreprise de courtage ni un revenu qui fait partie intégrante de cette entreprise, au point de devenir un revenu provenant de cette entreprise; et (3) cette somme constitue un revenu tiré de biens, lesquels biens ne sont pas employés ou détenus aux fins de l'exploitation de l'entreprise. Le Ministre prétend que l'intérêt sur les primes non remises constitue un revenu provenant de l'entreprise du contribuable. Le Ministre soutient que le contribuable n'était pas propriétaire des primes non remises qui ont produit le revenu en intérêts, et que le contribuable n'a donc pas droit au remboursement au titre de dividendes, prévu au paragraphe 129(1). Si les primes non remises appartiennent au contribuable, le Ministre soutient que le revenu qui en est tiré constitue un revenu provenant d'une entreprise exploitée activement. Le contribuable est en désac- cord avec l'analyse du Ministre et il fait appel devant la Commission de révision de l'impôt.
Décision: La Commission accueille l'appel du contribuable. Puisque les sociétés d'assurances ne peuvent exiger paiement des primes non remises avant la date de leur exigibilité, le contribuable est entre-temps propriétaire de ces fonds et il est libre de les investir. Le revenu en intérêts provenant d'investis- sements à court terme ne constitue qu'une partie secondaire ou accessoire de l'exploitation de l'entreprise du contribuable, laquelle partie ne constitue ni un projet comportant un risque à caractère commercial ni une entreprise exploitée activement. Un tel revenu est compris dans la définition de «revenu de placements au Canada», et la Commission accueille donc l'ap- pel du contribuable.
Le procès de cette affaire a débuté à Toronto, le 5 mai 1981. La demanderesse n'a présenté aucune
preuve et la défenderesse a fait entendre un témoin, John Charles Meuller, le directeur des affaires financières de la défenderesse, Marsh & McLennan, Limited; Harry Price et Hillborn In surance Limited, défendeurs dans le dossier con- nexe portant le numéro du greffe T-3556-79, sont des filiales en propriété exclusive de Marsh & McLennan, Limited; la preuve, les arguments et le jugement de la présente affaire leur seront égale- ment applicables. En plus de faire entendre Meul- ier, la défenderesse a produit ce jour-là douze pièces et, une fois toute la preuve présentée, la cause a été remise au 26 mai 1981 pour l'audition de la plaidoirie des procureurs.
Après une étude attentive de la preuve et de la plaidoirie très habile des avocats des deux parties, et après une étude de la jurisprudence pertinente, je souscris pleinement à la décision de la Commis-
Sion, tant sur les faits pertinents que sur le droit applicable.
La principale question de fait se rapporte à la propriété des fonds reçus par la défenderesse de ses clients-assurés. Il est manifeste que le versement de ces sommes a pour contrepartie l'obligation de la défenderesse de souscrire une assurance au nom du client et d'en payer la prime. D'autre part, la preuve révèle que l'assureur, de manière habituelle dans ce commerce, émet une police d'assurance à la demande d'un courtier reconnu et se fie entière- ment à la bonne réputation de ce courtier pour le paiement au moment et selon les modalités fixés par l'assureur. En fait, dans presque tous les cas, c'est seulement lorsque l'assureur confirme qu'il a accepté le risque que la défenderesse facture son client, de telle sorte que la souscription d'une police d'assurance précède nettement la réception de toute somme d'argent par Marsh & McLennan, Limited. Même si la défenderesse fait surtout affaires avec trente-cinq ou quarante grandes sociétés réparties dans le monde entier, elle traite avec plus de deux cents assureurs, ce qui entraîne une grande diversité du contenu et de la forme de ses ententes. Dans plusieurs cas, la défenderessse a traité un volume substantiel d'affaires pendant plusieurs années en se fondant sur rien de plus qu'une entente verbale. Il faut reconnaître qu'il existe des ententes écrites avec certains assureurs et que ces ententes peuvent s'interpréter de manière à constituer fiduciaires des primes non remises les courtiers de ces assureurs, mais ces ententes sont l'exception plutôt que la règle. Dans les rares cas elles existent, ces ententes écrites ne sont pas respectées. De plus, même lorsque ces ententes existent, la preuve ne démontre nullement qu'il y ait eu tentative de déterminer la proportion des sommes que la défenderesse aurait reçues et dont elle serait fiduciaire. Le délai de paiement fixé par l'assureur varie selon chaque société, mais s'étend habituellement jusqu'à soixante et, dans des cas exceptionnels, jusqu'à quatre-vingt-dix jours. Il ne ressort nullement de la preuve qu'un assureur ait déjà essayé d'imposer à la défende- resse des restrictions à l'égard de ces sommes d'argent. Au contraire, la preuve semble indiquer que la défenderesse a toujours joui d'une liberté absolue à l'égard de la gestion de ces fonds, sans la moindre indication de contrôle de la part des assu- reurs avec lesquels la défenderesse fait affaires. Je
pense donc que le contribuable défendeur est pro- priétaire des fonds qu'il reçoit de ses clients-assu- rés à titre de paiement. La preuve confirme l'exis- tence des obligations habituelles des courtiers en matière d'assurances générales, autant envers leurs assurés qu'envers leurs assureurs, mais elle est très loin d'établir l'existence de rapports d'un caractère fiduciaire susceptibles de soustraire à la défende- resse la propriété de ses revenus bruts.
La preuve confirme également que l'entreprise principale de la défenderesse est le courtage en assurances et que le placement de ces fonds se fait toujours dans des certificats à court terme et pres- que toujours auprès de banques à charte. Le place ment de ces fonds relève entièrement des responsa- bles du contrôle financier de chaque région qui, en plus de remplir leurs fonctions générales de ges- tion, doivent y consacrer pas plus de quelques minutes tous les jours ou tous les deux ou trois jours. Il est donc évident, que ce soit en fonction du revenu, du temps et du soin qu'elles exigent ou de la nature de l'entreprise visée, que les transac tions dont s'agit constituent l'accessoire de l'entre- prise principale de la défenderesse et ne peuvent nullement, selon moi, être considérées comme une entreprise activement exploitée.
Je pense que tirer de cette manière un revenu de fonds déposés relève essentiellement d'une transac tion de placement; ce revenu me semble, à pre- mière vue, être visé par l'article 129(4)a) parce que le contribuable n'exploite pas une entreprise de placement. Cet article 129(4)a) est ainsi conçu:
129....
(4) Dans le paragraphe (3),
a) «revenu de placements au Canada» d'une corporation pour une année d'imposition signifie la fraction, si fraction il y a, du total
(i) de la fraction, si fraction il y a, du total de la partie des gains en capital imposables que la corporation a tirés dans l'année de la disposition de biens, qui peut raisonnable- ment être considérée comme étant un revenu provenant de sources situées au Canada, qui est en sus du total des pertes en capital déductibles de la corporation pour l'an- née, résultant de la disposition de biens, qui peuvent raisonnablement être considérées comme des pertes prove- nant de sources situées au Canada,
(ii) des sommes dont chacune est le revenu de la corpora tion pour l'année (sauf le revenu exonéré ou tout dividende dont le montant était déductible, en vertu de l'article 112, de son revenu pour l'année) tiré d'un bien situé au Canada, l'exclusion d'un bien dont la corporation a eu l'usage ou la possession dans l'année aux fins de son entreprise),
déterminé pour plus de précision, après déduction de tous les frais et dépenses déductibles lors du calcul du revenu de la corporation pour l'année, dans la mesure ils peuvent raisonnablement être considérés comme ayant été engagés ou supportés aux fins de gagner le revenu tiré de ce bien,
(iii) des sommes dont chacune est le revenu de la corpora tion pour l'année (autre qu'un revenu exonéré), tiré d'une entreprise autre qu'une entreprise activement exploitée, et située au Canada, déterminé, pour plus de précision, après déduction de tous les frais et dépenses déductibles lors du calcul du revenu de la corporation pour l'année, dans la mesure ils peuvent raisonnablement être considérés comme ayant été engagés ou supportés aux fins de gagner le revenu tiré de cette entreprise,
qui est en sus du total des sommes dont chacune est une perte subie par la corporation pour l'année, provenant d'un bien, ou d'une entreprise autre qu'une entreprise activement exploitée, situés au Canada; et
Il est bien entendu que tout doute doit être résolu en se rapportant expressément aux termes de la loi. A cet égard, de nombreuses décisions antérieures à 1974 ont établi que le mot «bien», figurant au sous-alinéa (ii), comprend de l'argent, de sorte que le revenu produit par de l'argent investi peut constituer un «revenu ... tiré d'un bien situé au Canada». L'amendement de 1974 a modi- fié ce sous-alinéa par l'adjonction des mots «à l'exclusion d'un bien dont la corporation a eu l'usage ou la possession dans l'année aux fins de son entreprise». Pour interpréter cette exception, on peut s'aider de décisions qui se rapportent à une distinction toute autre, bien qu'elle soit manifeste- ment analogue, soit la distinction entre un revenu tiré de biens en immobilisations ou de transactions sur un bien en immobilisations et un revenu d'en- treprise. On retrouve cette distinction dans la juris prudence canadienne avec l'arrêt Tip Top Tailors Limited c. M.R.N. 3 , et dans la jurisprudence bri- tannique avec les arrêts Davies c. Shell Company of China Ltd. 4 et Imperial Tobacco Co. (of Great Britain and Ireland), Ltd. c. Kelly (H.M. Inspector of Taxes) 5 . Dans l'arrêt Davies, la société Shell Oil avait reçu des sommes d'argent en dépôt de ses distributeurs en Chine à titre de cautionnement d'exécution. Par la conversion de ces sommes en devises sterling, la société mère a réalisé un gain en capital lorsqu'on l'a finalement sommée de remettre ces dépôts. Il est intéressant de souligner
3 [1957] R.C.S. 703.
4 [1951] T.R. 121.
5 (1943) 25 T.C. 292.
qu'en dépit de plusieurs facteurs qui rattachaient ces sommes à l'exploitation de l'entreprise, la Cour a jugé qu'il s'agissait de gains en capital et non de bénéfices d'exploitation. Dans Imperial Tobacco,
la Cour est parvenue à une décision contraire au motif que l'achat de devises étrangères par la société avait été effectué dans le but d'acquitter ses achats courants de tabac, lequel constitue manifes- tement l'approvisionnement de ce contribuable. De même, dans Tip Top Tailors, la Cour a jugé que l'achat de devises étrangères dans le but de faire l'acquisition de tissus, qui font partie de l'approvi- sionnement du contribuable, constituait une tran saction commerciale. Ces décisions ont été étudiées en profondeur dans Vancouver Pile Driving & Contracting Co. Ltd. c. M.R.N. 6 Dans cette affaire, le contribuable avait déposé une somme d'argent à titre de cautionnement pour garantir l'exécution d'un contrat conclu avec un gouverne- ment provincial et avait substitué à la somme d'argent une obligation du Canada achetée à cet effet. Le tribunal devait déterminer si la perte subie plus tard lors de la vente de l'obligation constituait une perte en capital ou une perte d'en- treprise. Il est révélateur que la Cour de l'Échi- quier ait confirmé par sa décision qu'il s'agissait d'une perte en capital, même si le contribuable avait employé cet élément de son actif pour contri- buer à l'exploitation de son entreprise. Le juge Thurlow, plus tard juge en chef, rend le jugement de la Cour et déclare en partie [aux pages 165 à
167]:
[TRADUCTION] Lorsqu'il s'agit de déterminer si la perte dont s'agit constitue une perte en capital au sens de l'art. 12(1)b), je pense qu'il est important de souligner que l'entreprise de l'appe- lante consiste à conclure et à exécuter des contrats de construc tion, et qu'elle ne comprend pas l'achat et la vente d'obliga- tions. De ce qui précède, il me semble découler, à première vue du moins, qu'un gain ou une perte résultant d'une augmenta tion ou d'une diminution de la valeur d'obligations que détient l'appelante, ne peut entrer dans le calcul du revenu de l'entre- prise de l'appelante, mais constituerait seulement un élément dans le calcul de son capital. De plus, je pense que ni l'intention de la société, au moment de l'achat des obligations, de ne les détenir que peu de temps ou pour une période de temps restreinte ni l'inexistence de fonds à affecter par la société à des investissements, si ce n'est de la somme empruntée par la société pour effectuer le dépôt du cautionnement, ne permettent de transformer le caractère premier de l'achat de ces obliga tions. Ainsi, je ne pense pas qu'une transaction afférente au capital puisse devenir une transaction commerciale ou une transaction d'entreprise, ni que le gain ou la perte pouvant résulter d'une augmentation ou d'une diminution subséquente
6 [1963] R.C.É. 162.
de la valeur de ces obligations puisse prendre un caractère commercial plutôt que de demeurer un gain ou une perte en capital.
Je crois que l'on peut distinguer les faits de l'espèce de ceux des arrêts Tip Top Tailors et Imperia! Tobacco, parce que l'appelante est en tout temps demeurée propriétaire des obliga tions, bien qu'elle ait effectué leur achat aux fins du cautionne- ment prévu au contrat et qu'elle les ait, de fait, employées à cette fin. De plus, ces obligations n'ont pas servi, comme les devises sterling de l'arrêt Tip Top Tailors, ni n'ont été achetées pour servir, comme les dollars de l'arrêt Imperia! Tobacco, à l'acquittement d'obligations contractées dans le cadre de tran sactions commerciales. Ces obligations auraient, bien entendu, pu être vendues et le produit de leur vente aurait pu servir au paiement d'obligations commerciales. Il est incontestable que le Conseil des ponts possédait le droit de vendre les obligations pendant qu'elles étaient déposées à titre de cautionnement, et qu'il aurait pu, le cas échéant, garder le produit de leur vente en compensation de l'inexécution des obligations de l'appelante prévues au contrat. Je pense toutefois que cela ne démontre nullement que les obligations ont été acquises ou déposées pour servir au paiement d'obligations commerciales ou, en d'autres mots, qu'elles ont été ainsi acquises ou déposées en vue du paiement de telles obligations.
En l'espèce, il n'existe heureusement aucune de ces difficultés. Un commun dénominateur de tous ces arrêts est manifestement le profit réalisé par le contribuable sous forme de gain tiré de ces tran sactions, car autrement il n'y aurait pas eu de litige. Je pense toutefois qu'un simple profit tiré par la société ne peut suffire à étayer la conclusion selon laquelle ces fonds constituent «un bien dont la corporation a eu l'usage ou la possession dans l'année aux fins de son entreprise». Il faut sûre- ment qu'il y ait un facteur qui incorpore ces transactions à l'entreprise principale du contribua- ble. Or, en l'espèce, il n'existe aucun facteur semblable.
La Commission s'est déjà penchée sur une affaire très semblable dans March Shipping Ltd. c. M.R.N. 7 Dans cette' affaire, l'entreprise du contribuable consistait à fournir des services aux sociétés de transport' maritime. Le contribuable recevait des paiements anticipés, d'un caractère se rapprochant des provisions, qu'il plaçait dans des dépôts à court terme. La Commission a conclu qu'il s'agissait essentiellement de transactions de placement. Elle a également conclu qu'étant donné que le contribuable n'exploitait pas une entreprise de placement, ces transactions ne pouvaient consti-
7 77 DTC 371.
tuer une partie [TRADUCTION] «intégrante» de l'entreprise du contribuable que si l'activité précise dont s'agit formait un élément nécessaire de l'en- treprise entière, c'est-à-dire si elle avait un effet important sur l'ensemble des revenus gagnés. Dans cette affaire, la Commission a jugé que ces tran sactions ne formaient pas une partie intégrante de l'entreprise du contribuable, mais qu'elles consti- tuaient plutôt un aspect secondaire ou accessoire de l'entreprise principale du contribuable et repré- sentaient donc un revenu de placements au Canada, défini à l'article 129(4). Il convient de citer les extraits suivants tirés des motifs écrits par Delmer E. Taylor:
A la page 372:
[TRADUCTION] Je ne doute pas un instant que les fonds puissent être considérés comme des biens et il importe peu en l'espèce, à mon sens, que la compagnie ait eu ou non un droit de propriété sur ces biens ou que ces biens aient été des obligations envers ses clients; les fonds eux-mêmes étaient à la disposition de l'appelante et même, d'après toutes les dépositions, à la libre disposition de la compagnie, sous réserve de l'exécution des conditions des mandats.
A la page 373:
Je suis d'avis que puisque le revenu était un montant d'inté- rêts porté au compte de l'appelante par la Banque de Montréal pour l'usage d'une partie des biens de l'appelante, il y a une preuve suffisante de prime abord pour considérer ce revenu comme un revenu de placements plutôt qu'un revenu tiré d'une entreprise, seule autre possibilité offerte en l'espèce. On pour- rait soutenir qu'il s'agit à la fois d'un revenu de placements et d'un revenu tiré d'une entreprise, mais il faudrait alors, à mon sens, démontrer que l'appelante exploitait une entreprise de placement.
Et à la page 374:
La compagnie aurait pu soit s'abstenir de placer ces fonds (et ne pas en tirer d'intérêts), soit utiliser ses propres fonds ou emprunter des fonds plutôt que d'exiger des avances au titre de ses mandats (augmentant ainsi ses frais d'exploitation). Il n'a pas été établi que l'une ou l'autre de ces façons de procéder aurait nui en quoi que ce soit à l'exploitation principale de la compagnie, si ce n'est par la réduction de ses revenus ou par l'augmentation de ses dépenses. Je me rends bien compte que la compagnie n'aurait probablement pas bien accueilli cette éven- tualité et elle a manifestement pris la décision qui s'imposait, c'est-à-dire de chercher à gagner le maximum de revenus. Toutefois, je ne dis pas que cette réduction des revenus ou cette augmentation des frais d'exploitation de $56,972.00, par rap port à l'entreprise entière, peut avoir un effet important, néfaste ou non, sur ce que la compagnie recherche avant tout, c'est-à- dire fournir des services nécessaires aux compagnies de trans port maritime. II convient davantage de considérer le placement de ces fonds comme un aspect accessoire ou secondaire plutôt qu'un élément essentiel ou même une partie constitutive de l'entreprise.
Selon moi, les conclusions de la Commission dans l'affaire March Shipping sont absolument irréprochables et c'est à bon droit que la Commis sion s'en est servie pour appuyer sa décision dans l'affaire Marsh & McLennan.
En l'espèce, l'action a pris naissance à la suite de l'établissement par le ministre du Revenu national du remboursement auquel la société défenderesse a droit, conformément à l'article 129 de la Loi de l'impôt sur le revenu, à l'égard de l'année d'impo- sition 1976. Ce remboursement est établi dans un avis de cotisation en date du 11 octobre 1977, et il se fonde sur la déclaration initiale du revenu du contribuable pour l'année 1976. Dans cette décla- ration, le contribuable fait état d'une somme de $2,071,547 titre de revenu tiré des transactions en litige, mais ne déclare que la somme de $725,915 à titre de «revenu de placements au Canada», au sens de l'article 129. Après la produc tion de sa déclaration, il semble que le contribua- ble ait été avisé de la possibilité que la somme entière soit visée par les dispositions de l'article 129. Sur réception de l'avis de cotisation, le contri- buable a donc produit un avis d'opposition dans la forme prescrite. Le Ministre y a répondu par l'expédition d'un avis de ratification et le contri- buable a interjeté appel devant la Commission de révision de l'impôt. La demanderesse se porte en appel de la décision de la Commission qui a jugé que le plein montant de $2,071,547 constitue un «revenu de placements au Canada», conformément à l'article 129(4). Par tous les motifs qui précè- dent, je pense que la Commission a rendu une décision conforme au droit. Je rejette donc cet appel avec dépens, et je renvoie le dossier au Ministre pour qu'il établisse une nouvelle cotisa- tion à l'égard du remboursement auquel la défen- deresse a droit pour l'année d'imposition 1976.
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