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A-406-81
James Richardson & Sons, Limited (appelante) (requérante et demanderesse)
c.
Le ministre du Revenu national (intimé) (intimé et défendeur)
Cour d'appel, juges Urie et Le Dain, juge sup pléant Lalande—Winnipeg, 9 mars; Ottawa, 11 mai 1982.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Certiorari Demandes de bref de certiorari et action en jugement déclara- toire Impôt sur le revenu Le Ministre a demandé au courtier appelant de fournir des dossiers ou des renseigne- ments concernant les opérations commerciales de tous ses clients sur le marché des denrées à terme afin de vérifier l'observation de la Loi L'art. 231(3) de la Loi autorise le Ministre à exiger tout renseignement ou la production de documents pour toute fin relative à l'application ou à l'exécu- tion de la Loi Au début, l'appelante a fourni, à titre d'«essai», des renseignements afin de permettre au Ministère de déterminer la faisabilité du programme En 1979, le Ministère a décidé de procéder au traitement des dossiers, mais l'appelante a refusé de fournir des renseignements, parce que ceux-ci n'étaient pas destinés à une enquête véritable et sérieuse sur l'assujettissement d'une personne déterminée à l'impôt, et parce qu'on ne les avait pas demandés à d'autres maisons de courtage, ce qui compromettrait la réputation de l'appelante En 1980, le Ministère a formé des demandes de production de dossiers Il échet d'examiner si les demandes faites étaient destinées à une fin relative à l'application ou à l'exécution de la Loi L'appelante s'est appuyée sur l'affaire The Canadian Bank of Commerce v. The Attorney General of Canada L'appelante fait valoir que cette fin n'est respectée que si les renseignements se rapportent à l'enquête sur l'assu- jettissement d'une ou de plusieurs personnes déterminées à l'impôt La demande de renseignements relatifs à tous les clients de l'appelante n'est pas, soutient-on, une demande se rapportant à des personnes déterminées, c'est-à-dire à des personnes nommées L'intimé reconnaît n'avoir pas essayé d'obtenir des renseignements concernant l'assujettissement d'une personne déterminée à l'impôt L'appelante soutient également que les renseignements sur une catégorie de person- nes ne peuvent être obtenus qu'au moyen de déclarations de renseignements déposées en vertu du règlement pris sous le régime de l'art. 221(1)d) de la Loi L'art. 231(3) est-il ultra vires? Il s'agit d'examiner si les demandes de renseigne- ments sont invalides parce que faites pour le compte de Revenu Canada Impôt, une entité qui n'existe pas Les demandes sont-elles invalides parce qu'elles exigent qu'on s'y conforme «sans délai» au lieu de fixer un délai raisonnable comme le prévoit l'art. 231(3)? Appel rejeté La vérification de l'observation de la Loi est une fin se rapportant à l'application ou à l'exécution de la Loi Il a été discuté du sens des expressions «une ou plusieurs personnes déterminées», «enquête véritable et sérieuse» et «faisant l'objet d'une enquête» dans l'affaire Canadian Bank of Commerce Il a
également été discuté du sens de l'expression «déclarations renfermant des renseignements» employée à l'art. 221(1)d) --- L'art. 231(3) relève de la compétence législative du gouverne- ment fédéral en vertu de l'art. 91(3) de l'A.A.N.B., sous la rubrique prélèvement de deniers par tous modes ou systèmes de taxation, qui embrasse nécessairement les mesures relatives à l'application et à l'exécution de la loi fiscale Il ressort du corps des demandes et des signatures compétentes que ces demandes proviennent du ministère du Revenu national L'emploi de l'expression «sans délai» ne saurait invalider les demandes La question de savoir si un délai raisonnable a été accordé à l'appelante pour qu'elle se conforme aux deman- des est une question de fait qui, en tout cas, est pertinente pour déterminer s'il y a eu observation ou non-observation, mais non pour déterminer si les demandes sont valides Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 221(1)d), 231(3).
La Division de première instance [[1983] 1 C.F. 3], a rejeté les demandes en ordonnance de certiorari et une action en jugement déclaratoire contestant la validité des demandes de renseignements faites sous le régime du paragraphe 231(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le paragraphe 231(3) prévoit que pour toute fin relative à l'application ou à l'exécution de la Loi, le Ministre peut exiger de toute personne tout renseigne- ment ou la production de documents. Le Ministre a demandé au courtier appelant des dossiers ou des renseignements concer- nant les opérations commerciales de tous ses clients sur le marché des denrées à terme afin de vérifier l'observation de la Loi. En 1977, l'appelante a accepté de fournir le dossier des états des opérations à terme d'un mois aux fins d'essai, pourvu que ces renseignements soient utilisés «aux seules fins d'essai», et qu'on ait demandé «aux autres négociants en valeurs de ... communiquer des renseignements similaires». Lorsqu'en 1979, le Ministère a décidé de mettre à exécution le «Programme de vérification de l'observation de la Loi de l'impôt sur le revenu», l'appelante a refusé de fournir les renseignements demandés au motif que ceux-ci ne se rapportaient pas à une enquête sérieuse et véritable sur l'assujettissement à l'impôt d'une personne déterminée, et qu'on ne les avait pas demandés à d'autres maisons de courtage, ce qui compromettrait la réputation de l'appelante. En 1980, le Ministère a formé deux «Demandes de production de dossiers» que l'appelante conteste pour les quatre motifs suivants: (1) Les demandes n'ont pas été faites pour une fin relative à l'application ou à l'exécution de la Loi au sens du paragraphe 231(3). L'appelante invoque l'affaire The Cana- dian Bank of Commerce v. The Attorney General of Canada, [1962] R.C.S. 729, pour faire valoir qu'une demande de rensei- gnements visée au paragraphe 231(3) n'est pas faite pour une fin relative à l'application ou à l'exécution de la Loi, à moins qu'elle ne vise à obtenir des renseignements qui se rapportent à l'assujettissement à l'impôt d'une ou de plusieurs personnes déterminées. Il est dit qu'une demande de renseignements concernant tous les clients de l'appelante engagés dans le commerce des denrées à terme n'est pas une demande relative à une ou plusieurs personnes déterminées, si ces mots s'entendent de personnes précises qui sont nommées, et non de toutes les personnes d'une certaine catégorie. La défenderesse reconnaît n'avoir pas essayé d'obtenir des renseignements concernant l'assujettissement à l'impôt d'une ou de plusieurs personnes déterminées. De plus, l'appelante soutient que les renseigne- ments du genre demandé relativement à une catégorie tout
entière de personnes ne pouvaient être obtenus qu'au moyen d'une déclaration de renseignements prévue par un règlement pris par le gouverneur en conseil en vertu de l'alinéa 221(1)d) de la Loi. L'alinéa 221(1)d) autorise le gouverneur en conseil à établir des règlements enjoignant à toute catégorie de personnes de faire des déclarations renfermant des renseignements en ce qui concerne tout genre de renseignements requis relativement aux cotisations sous le régime de la Loi. (2) Le paragraphe 231(3) est ultra vires s'il autorise des demandes de renseigne- ments aussi vastes qu'en l'espèce quant à leur portée et à leur fin. (3) Les demandes de renseignements sont invalides parce que faites pour le compte de «Revenu Canada Impôt», une entité qui n'existe pas. (4) Les demandes de renseignements sont invalides parce qu'elles n'ont pas fixé de délai raisonnable pour s'y conformer, comme l'exige le paragraphe 231(3).
Arrêt: l'appel est rejeté. (1) Les demandes de renseignements ont été faites pour vérifier s'il y avait eu observation de la Loi de l'impôt sur le revenu, une fin relative à l'application ou à l'exécution de la Loi. Il ne ressort pas de l'affaire The Cana- dian Bank of Commerce qu'une enquête véritable et sérieuse sur l'assujettissement à l'impôt d'une ou de plusieurs personnes déterminées est la seule fin valide sous le régime du paragraphe 231(3). En tout cas, l'espèce présente n'est peut-être pas diffé- rente de l'affaire The Canadian Bank of Commerce. Dans l'avis majoritaire, l'expression «une ou plusieurs personnes détermi- nées» voulait dire, non pas des personnes nommées, mais sim- plement des personnes existantes et qu'on peut identifier. La mention de tous les clients de l'appelante qui font le commerce des denrées à terme tombe dans le sens de cette expression. Quant à la nature de l'enquête, il n'est pas déterminé si les mentions dans l'affaire The Canadian Bank of Commerce de l'assujettissement à l'impôt de personnes déterminées faisant l'objet d'«une enquête» signifiaient que le Ministère avait des raisons de croire que des personnes déterminées avaient tenté de se soustraire à l'impôt, ou voulaient simplement dire que le Ministère cherchait à déterminer si des personnes déterminées s'étaient conformées à la Loi. Il peut y avoir une enquête véritable et sérieuse sur l'assujettissement à l'impôt sans que nécessairement le Ministère ait des raisons de croire que des personnes déterminées ont essayé de se soustraire à l'impôt. Une fois les demandes faites, le Ministère a clairement décidé de tenir l'enquête envisagée au cours de la «période d'essai». Ces demandes représentaient une enquête véritable et sérieuse visant à déterminer, à partir de la meilleure source de rensei- gnements disponible, s'il y avait eu observation de la Loi. Quant à l'argument invoqué pour prétendre que les renseignements du genre demandé ne pouvaient être obtenus qu'au moyen d'une déclaration de renseignements prévue par un règlement pris en vertu de l'alinéa 221(1)d), ce que vise généralement une décla- ration de renseignements, c'est une déclaration de paiements ou de recettes qui sont imposables. Les renseignements requis dans les demandes ne sont pas des déclarations de paiements effec- tués par l'appelante à ses clients, mais des données sur les opérations commerciales de ceux-ci qui permettront de vérifier le revenu des clients, tel qu'il est déclaré dans leurs déclarations d'impôt. (2) La prétention que le paragraphe 231(3) est ultra vires va à l'encontre de la proposition que le gouverneur en conseil puisse exiger que ces renseignements soient fournis par une déclaration de renseignements. Si la fin pour laquelle ces renseignements sont demandés est une fin relative à l'applica- tion ou à l'exécution de la Loi, alors le paragraphe 231(3)
relève de la compétence législative du Parlement du Canada en vertu du paragraphe 91(3) de l'A.A.N.B., sous la rubrique prélèvement de deniers par tous modes ou systèmes de taxation, qui embrasse nécessairement les mesures relatives à l'applica- tion et à l'exécution de la loi fiscale. (3) Il ressort clairement du corps des demandes qu'elles proviennent du ministère du Revenu national. Elles portent aussi la signature d'un fonction- naire du ministère du Revenu national. (4) L'emploi de l'ex- pression «sans délai» dans la demande ne saurait l'invalider. L'injonction de se conformer «sans délai» doit être examinée à la lumière du fait que l'appelante savait que le Ministère avait demandé ces renseignements en décembre 1979. La question de savoir si un délai raisonnable a été accordé avant de considérer l'appelante comme ne se conformant pas à la demande est une question de fait qui est pertinente pour déterminer s'il y a eu observation ou non-observation, mais non pour déterminer si la demande est valide.
JURISPRUDENCE
DÉCISION EXAMINÉE:
The Canadian Bank of Commerce v. The Attorney Gen eral of Canada, [ 1962] R.C.S. 729.
APPEL.
AVOCATS:
W. C. Kushneryk pour l'appelante.
Brian J. Meronek et Brian Hay pour l'intimé.
PROCUREURS:
Pitblado & Hoskin, Winnipeg, pour l'appe- lante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Appel est formé contre le jugement par lequel la Division de première ins tance [[1983] 1 C.F. 3] a rejeté des demandes en ordonnance de certiorari et une action en juge- ment déclaratoire contestant la validité des deman- des de renseignements faites sous le régime du paragraphe 231(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, dont voici le libellé:
231... .
(3) Pour toute fin relative à l'application ou à l'exécution de la présente loi, le Ministre peut, par lettre recommandée ou par demande signifiée à personne exiger de toute personne
a) tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire, ou
b) la production ou la production sous serment de livres, lettres, comptes, factures, états (financiers ou autres) ou autres documents,
dans le délai raisonnable qui peut y être fixé.
L'appel a trait à deux demandes, adressées au courtier appelant les 8 mai 1980 et 8 octobre 1980 respectivement, lui enjoignant de lui fournir des dossiers ou des renseignements concernant les opé- rations commerciales de tous ses clients sur le marché des denrées à terme. La demande du 8 mai fait l'objet d'une demande en ordonnance de cer- tiorari (no du greffe T-2478-80), et celle du 8 octobre, de l'autre (no du greffe T-5461-80). La validité de ces deux demandes est également con- testée dans une action en jugement déclaratoire (no du greffe T-5580-80). Pour plus de certitude quant à la procédure ou à la compétence, l'appelante a également saisi cette Cour de ces demandes au moyen de l'article 28 (n°s du greffe A-317-80 et A-731-80). Avec ce qui semble avoir été le consen- tement des parties ou, du moins, sans contestation, les demandes en ordonnance de certiorari et l'ac- tion en jugement déclaratoire ont été «réunies» par ordonnance de la Division de première instance en date du 10 décembre 1980. Les parties et la Cour ont manifestement voulu que la contestation de la validité soit tranchée au fond, que le moyen appro- prié fût une demande en ordonnance de certiorari ou une action en jugement déclaratoire. Bien qu'à l'audition, cette Cour ait soulevé la question de savoir si ces procédures pouvaient valablement être réunies, et qu'il y ait été discuté de la qualification des demandes aux fins d'examen judiciaire, il est clair que l'intimé, qui ne s'était pas opposé à la réunion, était d'accord pour que les litiges soient tranchés sur la base suivante: si les demandes étaient jugées non valables, l'appelante aurait droit ou bien à une ordonnance de certiorari ou bien à un jugement déclaratoire. L'opposition de l'intimé en matière de compétence portait sur les demandes fondées sur l'article 28. C'est donc sur cette base que je propose d'examiner les questions en litige.
La preuve se compose des affidavits, avec pièces jointes, de M. M. R. Kotchan, trésorier adjoint de l'appelante, à l'appui des demandes en ordonnance de certiorari et, du côté de la partie adverse, des affidavits, accompagnés de pièces, de M. H. T. Yaeger, vérificateur du ministère du Revenu natio nal, ainsi que du contre-interrogatoire de M. Yaeger sur ses affidavits. Selon les affidavits de ce
dernier, le ministre du Revenu national a, vers octobre 1975, décidé qu'il était nécessaire de véri- fier si les négociants en denrées à terme respec- taient la Loi de l'impôt sur le revenu. Il y est dit en outre qu'on ne peut obtenir des renseignements précis et impartiaux sur les opérations de ces négociants qu'auprès des courtiers de denrées à terme, et que l'appelante est l'un de ces courtiers les plus importants au Canada.
Entre janvier 1976 et janvier 1979, il y a eu, entre le Ministère et l'appelante, échange de cor- respondance relativement à la possibilité d'un «Programme de vérification de l'observation de la Loi de l'impôt sur le revenu» comportant accès automatisé aux «états mensuels des opérations à terme des clients» établis par l'appelante pour l'an- née 1976. En janvier 1976, l'appelante a consenti à établir ces états sous «forme assimilable par machine» à partir du 1" janvier 1976. Dans une lettre en date du 17 février 1977, concernant ce programme, le Ministère a reconnu que l'appe- lante mettait en doute le pouvoir légal d'exiger ces renseignements, mais a proposé que la faisabilité du programme soit déterminée avant d'essayer de résoudre le point de droit. Le Ministère a demandé à l'appelante de lui fournir le dossier des états des opérations à terme d'un mois aux fins d'essai, s'engageant à respecter le caractère confidentiel de ces renseignements et garantissant qu'il ne serait fait aucun usage direct ou indirect des renseigne- ments au cours de la «période d'essai». Le dossier serait retourné après la période d'essai même si d'autres mesures devaient, le cas échéant, être prises par le Ministère et, si ce dernier décidait de poursuivre le programme, une demande officielle de renseignements et de production de documents serait faite. Par lettre en date du 3 mars 1977, l'appelante a accepté cette proposition, ajoutant qu'il était entendu que ces renseignements seraient utilisés [TRADUCTION] «aux seules fins d'essai», et à la condition que [TRADUCTION] «le Ministère ait demandé aux autres négociants en valeurs de lui communiquer des renseignements similaires». En décembre 1977, le Ministère a retourné à l'appe- lante le dossier sur bande magnétique qu'elle avait fourni, indiquant qu'il n'était pas en mesure d'uti- liser ces renseignements à cette époque en raison de ses moyens limités. En attendant une décision finale quant à la faisabilité, il a demandé à l'appe- lante de conserver, jusqu'au 30 juin 1978, le dos-
sier de 1976 des états mensuels des opérations à terme de ses clients. En septembre 1978, il a demandé à l'appelante de conserver le dossier de 1976 jusqu'au 31 décembre 1978.
En décembre 1978, l'appelante a confirmé qu'elle avait gardé, à la demande du Ministre, ses dossiers des états mensuels des opérations à terme de 1976, 1977 et de 1978, sauf les états de janvier 1977 et de janvier 1978 qu'elle n'avait pas en sa possession. Par lettre datée du 25 janvier 1979, le Ministère a confirmé qu'il était [TRADUCTION] «prêt à procéder au traitement» du dossier des états mensuels des opérations à terme des clients de l'appelante [TRADUCTION] «à titre d'essai pour l'année civile 1977, dans le cadre de ce qui a précédemment été appelé le programme de vérifi- cation de l'observation de la Loi de l'impôt sur le revenu», et il a demandé quand il pourrait com- mencer le projet. Le 13 février 1979, l'appelante a répondu que [TRADUCTION] «en raison du person nel et du nombre d'heures-machine que cela exige- rait, il n'est pas pratique de procéder sur la base soulignée dans votre lettre». Elle a ajouté que [TRADUCTION] «les renseignements sont disponi- bles sous d'autres formes», et qu'elle voudrait rece- voir la confirmation qu'il n'était plus nécessaire de conserver les dossiers sur bandes magnétiques des états mensuels des opérations à terme de 1977.
Le 28 juin 1979, M. Yaeger, au nom du Minis- tère, a écrit à l'appelante une lettre qui est ainsi rédigée:
[TRADUCTION] La présente confirme notre rencontre du 27 juin, nous vous avons demandé la production d'une copie du dossier mensuel sur bande magnétique, connu sous le nom d'états mensuels des opérations à terme des clients, pour chacun des mois de l'année civile 1977. Nous croyons compren- dre qu'une recherche dans votre bibliothèque de bandes a révélé que le dossier de janvier 1977 n'avait pas été conservé.
Depuis notre dernier échange de lettres à ce sujet en février 1979, nous avons obtenu les moyens techniques qui nous per- mettront, nous en sommes persuadés, de traiter les renseigne- ments tirés de ces dossiers. Nous proposons maintenant la procédure suivante dans le traitement, à titre d'essai, de ces renseignements:
—nous fournirons les bandes magnétiques dont la société aura besoin pour reproduire les dossiers pour l'année civile 1977. La société nous fournira des clichés d'enregistrement et d'autres renseignements techniques concernant les bandes reproduites.
—le Ministère respectera le caractère confidentiel de ces ren- seignements, et garantit qu'il ne sera fait aucun usage direct ou indirect des renseignements tirés des dossiers au cours de la période d'essai.
—à la fin de notre période d'essai:
(1) le Ministère préviendra la société, le cas échéant, de son intention d'utiliser ces renseignements dans le cadre du programme de vérification de l'observation de la Loi l'impôt sur le revenu, auquel cas nous vous signifierons comme convenu la demande de production des rensei- gnements contenus dans ces dossiers.
(2) le Ministère s'engage à faire de même avec les autres courtiers canadiens en denrées à terme, en leur deman- dant de produire leurs dossiers et en utilisant les rensei- gnements obtenus dans le cadre du programme.
Veuillez communiquer avec le soussigné pour déterminer quand et à qui les bandes destinées à la reproduction devront être remises. Nous vous remercions de l'intérêt que vous porterez à cette question.
A la suite de cette lettre, l'appelante a fourni certaines bandes au Ministère, mais elles ne conte- naient pas tous les renseignements que voulait le Ministère. Le 21 décembre 1979, M. Yaeger a écrit à l'appelante la lettre qui suit:
[TRADUCTION] La présente confirme notre conversation télé- phonique du 19 décembre nous avons expliqué l'état actuel du «programme des opérations à terme».
Jusqu'à ce jour, nous avons réussi à traduire vos dossiers mensuels de 1977 mis sur bandes magnétiques pour le pro gramme, et pour faciliter la prochaine étape, nous avons besoin de ce qui suit:
(1) Le répertoire complet des bureaux avec leurs adresse et numéro de bureau.
(2) La liste complète des clients avec leurs noms, adresses et numéros de compte.
Comme il a été indiqué dans notre lettre du 28 juin 1979, nous vous aviserons si nous avons l'intention d'utiliser ces renseigne- ments pour fins de nouvelles cotisations.
Le 25 février 1980, les procureurs de l'appelante ont écrit une lettre à M. Yaeger pour exposer la raison pour laquelle l'appelante avait refusé de fournir les renseignements demandés:
[TRADUCTION] Il était entendu que ces renseignements sont destinés à un essai, et non à une enquête véritable et sérieuse sur l'assujettissement de tel ou tel contribuable à l'impôt.
Il appert que cet essai préliminaire est fondé sur les rensei- gnements obtenus de Richardsons uniquement, et non sur des renseignements obtenus de toute autre maison de courtage.
En notre qualité de procureurs de Richardsons, nous nous demandons si le Ministère est habilité à réclamer ces renseigne- ments et si Richardsons a le droit de les fournir, en l'absence d'une disposition légale expresse et d'une ordonnance ou som- mation exécutoire.
Richardsons est tenue au secret professionnel à l'égard des affaires de ses clients. Toute indiscrétion volontaire de Richard- sons serait répréhensible et porterait atteinte, si elle venait à être connue, à sa réputation et à sa position sur le marché.
A notre avis, ni le paragraphe 231(3), ni aucun autre article de la Loi de l'impôt sur le revenu, n'habilite le Ministère à exiger les renseignements dont s'agit, à moins qu'ils ne soient destinés à «une enquête véritable et sérieuse portant sur l'assu- jettissement de tel ou tel contribuable à l'impôt».
Les mots entre guillemets du paragraphe précédent sont tirés de l'arrêt Canadian Imperial [sic] Bank of Commerce v. Attor ney General of Canada, en date du 25 juin 1962, de la Cour suprême du Canada, 62 DTC 1236 à la page 1238.
Le 8 mai 1980, le directeur de l'Impôt auprès du bureau de district de Winnipeg a formulé une [TRADUCTION] «Demande de production de dos siers» relativement à l'année civile 1977, et cette demande a été signifiée à l'appelante. La demande est rédigée en ces termes:
[TRADUCTION] Aux fins relatives à l'application ou à l'exécu- tion de la Loi de l'impôt sur le revenu et en vertu de l'alinéa 231(3)b) de celle-ci, je vous demande par la présente de produire:
1) La liste complète de vos clients avec leurs noms, adresses et numéros de compte pour l'année civile 1977,
2) Le répertoire des adresses des succursales avec le numéro de ces dernières pour l'année civile 1977,
dont votre service des valeurs mobilières se sert dans l'établis- sement des états mensuels des opérations à terme de vos clients;
Pour vous conformer à cette demande, vous devez produire sans délai tous les dossiers susmentionnés au fonctionnaire ou aux fonctionnaires du ministère du Revenu national qui vous signi- fient cette demande. A défaut par vous de vous y conformer, vous êtes passible de poursuite sans nouvel avis en vertu du paragraphe 238(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Par lettre en date du 14 mai 1980, les procu- reurs de l'appelante ont accusé réception de cette demande; ils y ont fait savoir qu'ils avaient informé leur cliente qu'elle n'était pas légalement tenue de se conformer à la demande, et qu'ils avaient reçu l'instruction de faire trancher la ques tion du pouvoir légal au moyen d'actions devant la Cour fédérale.
Le 8 octobre 1980, une [TRADUCTION] «De- mande de renseignements sous le régime de l'ali- néa 231(3)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu», relativement aux années civiles 1978 et 1979, a été faite par le directeur de l'Impôt et signifiée à l'appelante. Cette demande est rédigée en ces termes:
[TRADUCTION] A la suite d'une série de rencontres et d'échanges de lettres entre votre représentant et des membres de ce Ministère, au cours d'une période d'environ cinq ans, vous savez que le ministre du Revenu national désire obtenir de vous un répertoire des clients pour lesquels vous vous occupez d'opé-
rations à terme. Le 8 mai 1980, une demande de production de dossiers relativement à l'année civile 1977 vous a été signifiée, et la question du droit du Ministre à la production des dossiers demandés est actuellement portée devant la Cour du Banc de la Reine, devant la Division de première instance de la Cour fédérale et devant la Cour d'appel fédérale.
Aux fins de la présente demande, qui se rapporte aux années civiles 1978 et 1979, je désire préciser que le Ministre n'a aucune raison de croire qu'un client quelconque de votre société, pour qui vous avez fait le commerce des denrées à terme pendant ces années-là, a éludé l'impôt ou s'est soustrait à l'impôt. Le Ministre estime que pour être en mesure d'assurer adéquatement et justement l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu d'une manière uniforme et équitable, il lui faut disposer des renseignements se trouvant dans vos dossiers qui indiquent les opérations qu'ont effectuées vos clients et qui identifient toutes les personnes qui ont fait, en 1978 et 1979, le commerce des denrées à terme par l'entremise de votre société. Ceci, dans le but de pouvoir comparer ces renseignements avec les renseignements sur l'impôt sur le revenu que les personnes redevables d'impôt attestent constituer une déclaration véridi- que et exacte de leur revenu pour les périodes considérées. Sans les moyens pour effectuer même une vérification fragmentaire ou faite au hasard de ces renseignements, il est, à l'évidence, impossible pour le Ministre de préciser, le cas échéant, quels cas peuvent exiger une enquête plus poussée ou d'autres rensei- gnements, ou même pour déterminer si l'une quelconque de ces personnes, qui peut ne pas avoir produit de déclaration de revenu, est, en fait et en droit, redevable d'impôt sur le revenu au Canada.
Le Ministre estime qu'un programme de ce genre, qui com- prend une vaste enquête sur les personnes faisant le commerce des denrées à terme pour vérifier et déterminer le degré d'ob- servation de la loi par ces personnes, est nécessaire et constitue une fin reliée à l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Il vous est donc enjoint à cette fin, en vertu de l'alinéa 231(3)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, de fournir au Ministre, d'ici le 8 décembre 1980, les renseignements suivants pour la période allant du ler janvier 1978 au 31 décembre 1979:
toutes les personnes pour qui vous avez exercé le commerce des denrées à terme, avec leurs noms et adresses et numéros de compte;
le bureau de votre société par l'entremise duquel a été exercé ce commerce;
et les détails de toutes les opérations mensuelles entraînant un bénéfice net ou une perte nette pour chaque année civile et pour chaque client susdit, dont votre service des valeurs mobi- lières se sert dans l'établissement des états des opérations à terme de vos clients.
Pour vous conformer à cette demande, vous devriez fournir les renseignements demandés par la présente, sur bandes magnétiques pour ordinateur, au directeur de l'Impôt, 391 avenue York, Winnipeg (Manitoba), par courrier recommandé et ce, d'ici le 8 décembre 1980. Vous pouvez, dans votre accusé de réception, demander qu'un fonctionnaire du ministère du Revenu national se rende à votre bureau pour prendre livraison des renseignements demandés. La remise de ces renseignements au fonctionnaire qui se présentera à votre bureau sera suffi-
sante aux fins de cette demande, si votre accusé de réception nous parvient au plus tard le 8 décembre 1980.
Nous attirons votre attention sur la pénalité prévue au paragraphe 238(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu pour défaut de se conformer à cette demande.
Il est dit ceci au paragraphe 21 de l'affidavit de M. Yaeger:
[TRADUCTION] 21. Il est pratiquement exclu que le Ministre applique les dispositions de la Loi et s'assure sérieusement et véritablement de son observation de la part des négociants en denrées à terme s'il n'a pas à sa disposition les renseignements demandés, vu qu'il n'existe pas d'autre source indépendante qui permette d'établir l'existence de ces transactions.
Pour attaquer la validité des demandes des 8 mai et 8 octobre 1980, l'appelante invoque quatre motifs qui peuvent être ainsi résumés:
1. Les demandes n'ont pas été faites pour une fin relative à l'application ou à l'exécution de la Loi au sens du paragraphe 231(3).
2. Si le paragraphe 231(3) confère le pouvoir de faire des demandes de renseignements aussi vastes qu'en l'espèce quant à leur portée et à leur fin, il est ultra vires du Parlement du Canada.
3. Les demandes sont invalides, parce qu'elles ont été faites pour le compte de «Revenu Canada Impôt», une entité qui n'existe pas.
4. La demande du 8 mai 1980 est invalide, parce qu'elle n'a pas fixé un délai raisonnable pour observation comme l'exige le paragraphe 231(3).
La Division de première instance a rejeté toutes ces prétentions.
La première prétention est fondée principale- ment sur le jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire 'The Canadian Bank of Commerce v. The Attorney General of Canada, [1962] R.C.S. 729. Il s'agissait, dans cette affaire, d'une demande de renseignements faite sous le régime du paragraphe 126(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148, lequel paragraphe est rédigé exactement dans les mêmes termes que l'actuel paragraphe 231(3). On a signi- fié à la banque une demande de renseignements concernant toutes ses opérations commerciales avec l'Union Bank of Switzerland. Dans le mémoire spécial sur la base duquel la question de
la validité a été tranchée, il a été dit que les renseignements demandés comprenaient [TRADUC- TION] «beaucoup de renseignements confidentiels sur les affaires de l'Union Bank of Switzerland et de plusieurs autres sociétés et particuliers, certains d'entre eux résidant au Canada, certains autres n'y ayant pas leur résidence». Il a été admis devant la Haute Cour de l'Ontario que la demande se rap- portait à une enquête véritable et sérieuse sur l'assujettissement d'une ou de plusieurs personnes déterminées à l'impôt, bien qu'il n'ait pas été admis que l'assujettissement à l'impôt de l'Union Bank of Switzerland faisait l'objet d'une enquête. L'assujettissement à l'impôt de la Canadian Bank of Commerce ne faisait pas l'objet d'une enquête. Confirmant le jugement majoritaire de la Cour d'appel de l'Ontario, la Cour suprême du Canada a jugé que la demande était valide, puisqu'elle avait pour but l'application ou l'exécution de la Loi, au sens du paragraphe 126(2). La Cour fon- dait sa conclusion sur la présomption de fait, qui avait été reconnue, que la demande se rapportait à une enquête véritable et sérieuse portant sur l'assu- jettissement à l'impôt d'une ou de plusieurs per- sonnes déterminées. Le juge en chef Kerwin, dont le jugement a été partagé par trois autres membres de la Cour, estimait que la personne déterminée dont l'assujettissement à l'impôt faisait l'objet d'une enquête était l'Union Bank of Switzerland, qui était la seule personne nommée dans la demande. A la page 734, il conclut: [TRADUC- TION] «Donc, en ce qui concerne l'Union Bank of Switzerland, si elle exploite une entreprise au Canada, elle est assujettie à l'impôt, et appliquer ou exécuter la Loi consiste notamment à détermi- ner si l'Union Bank était assujettie à l'impôt.» Le juge Cartwright (tel était alors son titre), dont le jugement a été partagé par quatre autres membres de la Cour, ne fondait pas sa conclusion sur l'hypo- thèse que l'assujettissement à l'impôt de l'Union Bank of Switzerland faisait l'objet d'une enquête. Selon lui, on ne savait pas trop si elle faisait l'objet d'une enquête. Il se fondait plutôt sur l'hypothèse que la demande se rapportait à une enquête vérita- ble et sérieuse sur l'assujettissement d'une ou de plusieurs personnes déterminées à l'impôt, qu'il pût s'agir ou non de l'Union Bank of Switzerland. Il dit ceci à la page 739: [TRADUCTION] «La demande visait à obtenir des renseignements por- tant sur l'assujettissement à l'impôt d'une ou de plusieurs personnes déterminées faisant l'objet
d'une enquête à ce sujet; il s'agit d'une fin relative à l'application ou à l'exécution de la Loi.» Les membres de la Cour étaient unanimes à dire qu'il n'est pas nécessaire que la personne à qui est adressée une demande de renseignements soit celle dont l'assujettissement à l'impôt fait l'objet d'une enquête, et qu'en outre, une demande de rensei- gnements n'est pas rendue invalide par le fait que les renseignements demandés vont révéler des opé- rations confidentielles de plusieurs personnes qui ne font pas l'objet d'une enquête et qui peuvent ne pas être assujetties à l'impôt.
Invoquant le jugement rendu dans l'affaire Canadian Bank of Commerce, l'appelante fait valoir qu'une demande de renseignements visée au paragraphe 231(3) n'est pas faite pour une fin relative à l'application ou à l'exécution de la Loi à moins qu'elle ne vise à obtenir des renseignements qui se rapportent à l'assujettissement à l'impôt d'une ou de plusieurs personnes déterminées qui font l'objet d'une enquête à ce sujet. On soutient que les demandes en l'espèce ne satisfont pas à ce critère. Il est dit qu'une demande de renseigne- ments concernant tous les clients de l'appelante engagés dans le commerce des denrées à terme n'est pas une demande relative à une ou plusieurs personnes déterminées au sens des dicta de la décision Canadian Bank of Commerce. On prétend en outre que de l'aveu du Ministère, aucun de ces clients n'est une personne dont l'assujettissement à l'impôt fait l'objet d'une enquête, au sens on l'entend dans l'affaire Canadian Bank of Com merce. Pour ce qui est du premier aspect de cet argument, l'appelante met l'accent sur le mot «s'orne» (une ou plusieurs), ainsi que sur le mot «specijIc» (déterminées) et soutient que ces mots s'entendent de personnes précises qui sont nom- mées, et ne sauraient s'appliquer à toutes les per- sonnes d'une certaine catégorie. L'appelante s'ap- puie également sur le dialogue suivant dans le contre-interrogatoire de M. Yaeger:
[TRADUCTION] Q. Donc vous, quand je dis «vous», je veux dire votre Ministère, ne tentiez pas d'obtenir des rensei- gnements ou des dossiers portant sur l'assujettissement à l'impôt d'une ou de plusieurs personnes déterminées?
R. Aucune personne déterminée, non.
Q. Aucune personne déterminée?
R. Non.
En ce qui concerne le deuxième aspect de l'argu- ment, l'appelante s'appuie particulièrement sur la déclaration suivante dans la demande du 8 octobre 1980:
Aux fins de la présente demande, qui se rapporte aux années civiles 1978 et 1979, je désire préciser que le Ministre n'a aucune raison de croire qu'un client quelconque de votre société, pour qui vous avez fait le commerce des denrées à terme pendant ces années-là, a éludé l'impôt ou s'est soustrait à l'impôt.
Finalement, l'appelante insiste sur ce que, dans les lettres du Ministère, on parle d'un «programme» de vérification de l'observation de la Loi, et d'une «période d'essai», et en déduit que les demandes ne se rapportaient pas à une enquête véritable et sérieuse sur l'assujettissement d'une ou de plu- sieurs personnes déterminées à l'impôt, comme dans l'affaire Canadian Bank of Commerce.
A mon humble avis, rien dans le jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Canadian Bank of Commerce ne m'empêche de conclure que la fin pour laquelle les demandes de dossiers ou de renseignements ont été faites en l'espèce était une fin valide. Cette fin, comme il en découle de l'affidavit de M. Yaeger et de la demande du 8 octobre 1980, était de vérifier si les clients de l'appelante qui faisaient le commerce des denrées à terme avaient observé la Loi de l'impôt sur le revenu. Il s'agit clairement, à mon avis, d'une fin relative à l'application ou à l'exécution de la Loi, au sens du paragraphe 231(3). Le jugement rendu dans Canadian Bank of Commerce était fondé sur le fait, reconnu par les parties, que la demande dans cette affaire portait sur une enquête véritable et sérieuse sur l'assujettissement d'une ou de plusieurs personnes déterminées à l'impôt, mais je n'interprète pas ce jugement comme voulant dire qu'il s'agissait de la seule fin valide sous le régime de ce qui est maintenant le paragraphe 231(3). En tout cas, je suis loin d'être certain que les faits de l'espèce présente soient vraiment diffé- rents de ceux sur lesquels la majorité de la Cour suprême fondait sa conclusion. Dans l'avis majori- taire du juge Cartwright [tel était alors son titre], l'expression [TRADUCTION] «une ou plusieurs per- sonnes déterminées» voulait dire, à l'évidence, non pas des personnes nommées, mais simplement des personnes existantes et qu'on peut identifier. La mention de tous les clients de l'appelante qui font le commerce des denrées à terme tombe dans le
sens de cette expression. Quant à la nature de l'enquête, la présomption de fait essentielle dans l'affaire Canadian Bank of Commerce était qu'il s'agissait d'une enquête véritable et sérieuse sur l'assujettissement d'une ou de plusieurs personnes . déterminées à l'impôt. Dans les opinions, il est fait mention de l'assujettissement à l'impôt de person- nes déterminées faisant l'objet [TRADUCTION] d'«une enquête». A mon avis, il n'est pas déterminé si cette expression signifiait que le Ministère avait des raisons de croire que des personnes détermi- nées avaient tenté de se soustraire à l'impôt ou voulait simplement dire, comme en l'espèce, que le Ministère cherchait à déterminer si des personnes déterminées s'étaient conformées à la Loi. Il peut y avoir une enquête véritable et sérieuse sur l'assu- jettissement à l'impôt sans que nécessairement le Ministère ait des raisons de croire que des person- nes déterminées ont essayé de se soustraire à l'im- pôt. Quant aux mentions dans les lettres du Minis- tère d'un «programme» de vérification de l'observation de la Loi et d'une «période d'essai», il y a incontestablement eu une période le Minis- tère essayait de déterminer la faisabilité du pro gramme, mais avec les demandes du 8 mai et du 8 octobre, il a clairement décidé de tenir l'enquête qu'il avait originellement décidé de tenter d'entre- prendre en octobre 1975. Il est certain que ces demandes représentaient une enquête véritable et sérieuse visant à déterminer, à partir de la meil- leure source de renseignements disponibles, s'il y avait eu observation de la Loi.
En plus de citer l'affaire Canadian Bank of Commerce, l'appelante soutient, à l'appui de son interprétation du paragraphe 231(3), que les ren- seignements du genre demandé en l'espèce relati- vement à une catégorie tout entière de personnes ne pouvaient être régulièrement obtenus qu'au moyen d'une déclaration de renseignements prévue par un règlement pris par le gouverneur en conseil en vertu de l'alinéa 221(1)d), qui est ainsi rédigé:
221. (I) Le gouverneur en conseil peut établir des règlements
d) enjoignant à toute catégorie de personnes de faire des déclarations renfermant des renseignements en ce qui con- cerne tout genre de renseignements requis relativement aux cotisations sous le régime de la présente loi,
Les dispositions de la Partie II du Règlement (articles 200 et suivants) indiquent que ce que vise généralement une déclaration de renseignements,
c'est une déclaration de paiements ou de recettes qui sont imposables. Cette déclaration de rensei- gnements doit être remplie par certaines personnes qui effectuent des paiements de diverses sortes à des contribuables. Les renseignements requis dans les demandes en l'espèce ne sont pas des déclara- tions de paiements effectués par l'appelante à ses clients, mais des données sur les opérations com- merciales de ceux-ci qui permettront de vérifier le revenu des clients, tel qu'il est déclaré dans leurs déclarations d'impôt. Même si l'alinéa 221(1)d) confère le pouvoir d'exiger, par règlement, que ces renseignements soient fournis par une déclaration de renseignements, cela, à mon avis, n'empêcherait pas, du moins jusqu'à ce que le pouvoir visé à cèt article soit exercé, l'exercice du pouvoir conféré par le paragraphe 231(3).
Le deuxième argument de l'appelante veut que si le paragraphe 231(3) autorise des demandes de renseignements aussi vastes qu'en l'espèce quant à leur portée et à leur fin, il est ultra vires du Parlement du Canada. A mon avis, cet argument n'est pas du tout fondé, et va, de fait, à l'encontre de la proposition que le gouverneur en conseil peut exiger que ces renseignements soient fournis par une déclaration de renseignements. Si la fin pour laquelle ces renseignements sont demandés en l'es- pèce est une fin relative à l'application ou à l'exé- cution de la Loi, alors le paragraphe 23F(3), ainsi interprété et appliqué, relève évidemment de la compétence législative du Parlement du Canada en vertu du paragraphe 91(3) de l'A.A.N.B.—«Le prélèvement de deniers par tous modes ou systèmes de taxation». Le prélèvement de deniers par voie de taxation embrasse nécessairement les mesures relatives à l'application et à l'exécution de la loi fiscale.
L'appelante prétend en troisième lieu que les demandes du 8 mai et du 8 octobre 1980 sont invalides, parce que faites pour le compte de «Revenu Canada Impôt», une entité qui n'existe pas. Les mots «Revenu Canada Impôt» figurent dans le coin supérieur gauche des demandes, mais il ressort clairement du corps des demandes qu'el- les proviennent du ministère du Revenu national, et elles portent la signature du directeur de l'Impôt qui, dans la demande du 8 mai 1980, porte le titre de [TRADUCTION] «directeur de l'Impôt au minis- tère du Revenu national, Impôt» et, dans la
demande du 8 octobre 1980, celui de [TRADUC- TION] «directeur de l'Impôt, bureau de district de Winnipeg». A la lecture de ces demandes, il ne fait pas de doute qu'elles sont signées par un fonction- naire du ministère du Revenu national, Impôt. En vertu du paragraphe 900(2) des Règlements de l'impôt sur le revenu, DORS/73-390, un fonction- naire qui occupe le poste de directeur de l'Impôt auprès d'un bureau de district du ministère du Revenu national, Impôt, peut exercer le pouvoir que le Ministre tient du paragraphe 231(3) de la Loi. Par ces motifs, j'estime donc que le troisième argument n'est pas fondé.
L'appelante fait valoir en dernier lieu que la demande du 8 mai 1980 est invalide parce qu'elle n'a pas fixé un délai raisonnable pour s'y confor- mer, comme l'exige le paragraphe 231(3), mais qu'elle a plutôt exigé que les renseignements soient fournis «sans délai». L'injonction de se conformer «sans délai» doit être examinée à la lumière du fait que l'appelante savait que le Ministère avait demandé ces renseignements en décembre 1979. A cet égard, je suis d'accord avec la position adoptée par le juge de première instance. L'emploi de l'expression «sans délai» dans la demande du 8 mai 1980 ne saurait l'invalider. La question de savoir si un délai raisonnable a été accordé avant de consi- dérer l'appelante comme ne se conformant pas à la demande est une question de fait qui est pertinente pour déterminer s'il y a eu observation ou non- observation, mais non pour déterminer si la demande est valide.
Par tous ces motifs, j'estime qu'il y a lieu de rejeter l'appel avec dépens.
LE JUGE URIE: Je souscris aux motifs ci-dessus.
LE JUGE SUPPLÉANT LALANDE: Je souscris aux motifs ci-dessus.
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