Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-3907-81
Gary Blachford (demandeur) c.
La Commission de la Fonction publique du Canada et la Commission de l'emploi et de l'immi- gration du Canada (défenderesses)
Division de première instance, le juge Marceau— Montréal, 23 février; Ottawa, 12 mars 1982.
Contrôle judiciaire Recours en equity Jugements déclaratoires Le demandeur a interjeté appel devant la Commission de la Fonction publique de la nomination d'un collègue de travail sans concours L'art. 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique prévoit que lorsqu'on pro- cède à une nomination sans concours, chaque personne dont les chances d'avancement, de l'avis de la Commission, sont ainsi amoindries, peut en appeler de la nomination à un comité établi par la Commission La Commission a conclu que les chances d'avancement du demandeur n'avaient pas été amoin- dries Le demandeur réclame un jugement déclarant que ses chances d'avancement ont été amoindries par la nomination de son collègue de travail, que la recommandation formulée par la Commission de la Fonction publique était erronée et qu'il avait droit d'être nommé au poste et d'être remboursé des pertes de traitement Subsidiairement, il demande à la Cour de déclarer qu'il a droit à ce que sa cause soit entendue par un comité constitué en vertu de l'art. 21 de la Loi Action rejetée La Cour n'a pas compétence pour accorder les quatre premières conclusions demandées car la Commission possède «de façon exclusive le droit et l'autorité de nommer à des postes de la Fonction publique des personnes qui sont déjà membres de la Fonction publique ou qui n'en font pas partie» suivant l'art. 8 de la Loi et elle a compétence exclusive pour connaître de l'appel prévu à l'art. 21 de la Loi Les conclu sions subsidiaires sont rejetées puisque l'«avis» qui constitue une condition préalable à l'exercice du droit d'appel prévu à l'art. 21 est celui de la Commission et non celui de la Cour La Cour a compétence pour examiner un «avis» en vertu de l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale et pour accorder un bref de certiorari pourvu que les conditions donnant ouverture au certiorari existent La Commission a-t-elle agi «capricieu- sement et de mauvaise foi, et sans tenir compte des documents produits devant elle»? Les motifs de la Commission indi- quent qu'elle a tenu compte des dossiers du Ministère et de l'intention de celui-ci de fixer la date et le lieu de la nomina tion La Commission était justifiée de traiter cette cause comme elle l'a fait Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-32, art. 8, 21 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 18.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS CITÉES:
Nenn c. Sa Majesté La Reine, [1981] 1 R.C.S. 631; Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Marti- neau c. Le Comité de discipline de l'Institution de Mats- qui, [1980] 1 R.C.S. 602.
ACTION. AVOCATS:
Janet Cleveland pour le demandeur. James Mabbutt pour les défenderesses.
PROCUREURS:
Rivest, Castiglio, Castiglio, Lebel & Schmidt, Montréal, pour le demandeur. Le sous-procureur général du Canada pour les défenderesses.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU: Il convient de placer dans son contexte la présente demande de jugement déclaratoire contre la Commission de la Fonction publique du Canada («la Commission») et contre la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (CEIC), afin d'en bien saisir la significa tion et l'objet. Suite à la nomination d'une collègue de la CEIC à un poste d'arbitre (PM-4), dont le sigle descriptif est EIC -6024, le demandeur a eu recours à l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-32, (ci- après appelée «la Loi»), pour interjeter appel de la nomination devant la Commission. Cet article se lit comme suit:
21. Lorsque, en vertu de la présente loi, une personne est nommée ou est sur le point de l'être et qu'elle est choisie à cette fin au sein de la Fonction publique
a) à la suite d'un concours restreint, chaque candidat non reçu, ou
b) sans concours, chaque personne dont les chances d'avance- ment, de l'avis de la Commission sont ainsi amoindries,
peut, dans le délai que fixe la Commission, en appeler de la nomination à un comité établi par la Commission pour faire une enquête au cours de laquelle il est donné à l'appelant et au sous-chef en cause, ou à leurs représentants, l'occasion de se faire entendre. La Commission doit, après avoir été informée de la décision du comité par suite de l'enquête,
c) si la nomination a été faite, la confirmer ou la révoquer, ou
d) si la nomination n'a pas été faite, la faire ou ne pas la
faire,
selon ce que requiert la décision du comité.
Comme il y avait eu absence de concours, c'était l'alinéa b) qui s'appliquait. Ainsi, la Commission devait d'abord trancher la question de savoir si les chances d'avancement du demandeur avaient été
amoindries. Elle a conclu que non. C'est contre cette conclusion, préliminaire mais décisive, que le présent pourvoi est dirigé. Le demandeur conteste la validité d'une telle conclusion, prétend que c'est lui qui aurait être nommé, et prie la Cour de faire les déclarations suivantes:
[TRADUCTION] DÉCLARER que les chances d'avancement du demandeur ont été amoindries par la nomination de Mme Pat Ellis au poste EIC 6024 Mirabel;
DÉCLARER que la recommandation formulée le 6 janvier 1981 par la Commission de la Fonction publique est erronée, sans fondement et sans effet;
DÉCLARER que le demandeur avait droit d'être nommé au poste EIC 6024, comme arbitre à Mirabel, le 30 juillet 1979 ou vers cette date;
DÉCLARER que le demandeur a droit au remboursement des pertes de traitement et autres avantages qu'il a subies par suite de la décision de la Commission de la Fonction publique de ne pas le nommer au poste d'arbitre EIC 6024, le 30 juillet 1979 ou vers cette date;
OU, SUBSIDIAIREMENT MAIS SANS PRÉJUDICE AUX CONCLU SIONS ÉNONCÉES DANS LES DEUX DERNIERS PARAGRAPHES:
DÉCLARER que le demandeur a droit à ce que sa cause soit entendue et jugée au fond par un comité d'appel, conformément à l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique;
Il m'apparaît évident, et le procureur du deman- deur en a convenu lors des plaidoiries, que la Cour ne pourrait même pas penser accorder l'une quel- conque des quatre premières déclarations recher- chées par le demandeur dans son action. La Com mission possède «de façon exclusive le droit et l'autorité de nommer à des postes de la Fonction publique des personnes qui sont déjà membres de la Fonction publique ou qui n'en font pas partie» (article 8 de la Loi), et elle a compétence exclusive pour connaître de l'appel prévu à l'article 21 de la Loi. Il est tout aussi évident qu'il est impossible d'accorder la déclaration subsidiaire dans son libellé actuel, puisque l'«avis» qui constitue une condition préalable à l'exercice du droit d'appel prévu à l'article 21 de la Loi, est celui de la Commission et non celui de la Cour.
Cependant, je suis prêt à admettre que lorsque la Commission exprime l'«avis» prévu à l'alinéa 21b) de la Loi, elle prend une décision, laquelle, bien qu'étant de nature administrative et faisant partie de ses fonctions administratives régulières
(Nenn c. Sa Majesté La Reine'), est soumise au pouvoir de surveillance que l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, attribue à cette Cour, pouvoir de surveil lance dont l'exercice pourrait donner lieu à un redressement comme le certiorari. Le demandeur peut avoir droit à ce que la Cour déclare que la décision de la Commission n'a pas été prise de façon régulière et que l'affaire devrait être ren- voyée à la Commission pour qu'elle la réexamine. Cependant, pour avoir droit à ce recours extraordi- naire, le demandeur doit évidemment démontrer l'existence des conditions donnant ouverture au certiorari.
Il est incontestable que la Commission a agi dans les limites de sa compétence et de ses pou- voirs, de bonne foi et en conformité avec la loi, lorsqu'elle a rendu sa décision. Rien ne laisse supposer qu'elle ait pu déroger à la doctrine de l'équité adoptée par la Cour suprême dans deux arrêts récents et bien connus (Nicholson c. Haldi- mand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Martineau c. Le Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602). Le demandeur affirme, au soutien de son action, qu'un examen approprié des faits ne pouvait pas mener à la conclusion que ses chances d'avancement n'avaient pas été amoin- dries par la nomination, et que la Commission ne pouvait donc y être arrivée qu'en agissant [TRA- DUCTION] «capricieusement et de mauvaise foi, et sans tenir compte des documents produits devant elle». Même si le ton de l'argument est très dur, celui-ci ne fait rien de plus que remettre en ques tion l'appréciation que la Commission a faite des faits qui lui ont été soumis, et je doute sérieuse- ment que ce motif constitue un fondement valable à un recours en certiorari. Quoi qu'il en soit, la prétention est, à mon avis, complètement injusti- fiée.
Il n'est pas nécessaire d'étudier les faits en détail; la Commission l'a fait de façon précise et exhaustive dans le long exposé qui accompagnait sa décision. Quelques explications, et un bref survol de certains passages de cet exposé devraient suffire. Cette affaire, telle qu'elle se présentait à la Commission, soulevait une question fondamentale, dont la réponse se devait d'être décisive: quel était le lieu de travail lorsque la nomination a été faite,
' 11981] 1 R.C.S. 631.
et puisque l'on considérait que cette nomination, même si on n'y avait pas procédé formellement, s'imposait suite aux modifications apportées aux exigences linguistiques qui se rattachaient audit poste, quel était le lieu de travail quand les exigen- ces linguistiques s'y rattachant ont été modifiées? Si ce lieu de travail était alors Mirabel, parce qu'il avait déjà été changé de Mississauga à Mirabel, alors le demandeur avait droit à un appel. Mais si ce lieu de travail était encore Mississauga, le demandeur n'avait aucune raison de se plaindre. La CEIC a expliqué que la décision de modifier les exigences linguistiques du poste et la mise en application de cette décision étaient antérieures à la décision de transférer le poste à Mirabel avec la personne qui l'occupait. L'explication était corro- borée par une preuve documentaire, mais un pro- blème demeurait: la Formule d'intrant pour les langues officielles qui avait été distribuée pour confirmer la modification des exigences linguisti- ques n'avait pas été remplie correctement. En effet, il y avait erreur soit en ce qui concerne la date d'entrée en vigueur de la modification, soit en ce qui concerne le lieu de travail. Le Ministère aurait demander que la formule soit modifiée, mais il a tout simplement omis de le faire. La Commission a résolu le problème ainsi:
[TRADUCTION] 5. Des faits énoncés aux différents alinéas du paragraphe 5, sous la rubrique «Historique» de cet exposé, il appert que la nomination en question a eu lieu le 3 juillet 1979, à Mississauga, Ontario. La Commission parvient à cette con clusion tout en étant consciente du fait que les dossiers du Ministère montrent que, tout en ayant demandé une mutation à Mirabel, Mme Ellis devait en fait être en «affectation par roulement» du 3 juillet 1979 au 31 août 1979, Mirabel. Le Ministère avait aussi l'intention de rendre officielle la mutation de Mme Ellis à Mirabel, le 30 juillet 1979, de façon à lui rembourser les dépenses qu'elle avait engagées jusqu'à son déménagement définitif à cet endroit en conformité des règle- ments concernant les déplacements.
6. La Commission est aussi consciente du fait que les docu ments concernant les langues officielles (FILO) n'ont pas été corrigés de façon à refléter les intentions de la direction dans cette affaire; mais une telle erreur n'a pas pour effet de nier l'intention du Ministère de modifier la date d'entrée en vigueur officielle de la mutation à Mirabel. Il demeure toutefois que les exigences linguistiques du poste de Mme Ellis ont été changées le 3 juillet 1979 alors qu'elle travaillait toujours à Mississauga.
7. Dans cette affaire, si la Commission était persuadée que le Ministère s'était livré volontairement à des manoeuvres douteu- ses concernant la date officielle de la mutation, en ayant en tête la possibilité d'un appel, sa conclusion aurait probablement été différente. Il n'y a cependant aucune preuve à cet effet en l'instance.
La Commission était amplement justifiée de traiter cette cause comme elle l'a fait, et l'on ne saurait dire qu'elle est parvenue â sa conclusion en agissant «capricieusement et de mauvaise foi, et sans tenir compte des documents produits devant elle».
Cette action n'est pas fondée. Elle est donc rejetée avec dépens.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.