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T-2478-80 T-5461-80 T-5580-80
James Richardson and Sons Limited (requérante et demanderesse)
c.
Le ministre du Revenu national (intimé et défendeur)
Division de première instance, juge suppléant Smith—Winnipeg, 10 et 11 décembre 1980; 11 juin 1981.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Certiorari Demandes de certiorari et action visant à obtenir un jugement déclaratoire Le Ministre cherchait à obtenir des renseigne- ments auprès d'un courtier pour vérifier si les négociants en denrées à terme respectaient la Loi de l'impôt sur le revenu Le courtier a refusé de donner les renseignements pour le motif qu'ils étaient destinés à un essai et non à une enquête véritable sur l'assujettissement de tel ou tel contribuable à l'impôt La constitutionnalité de l'art. 231(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu qui habilite le Ministre à exiger des renseignements de toute personne est contestée Les ordonnances exigeant la communication des renseignements ont été rendues par un fonctionnaire et non par le Ministre La délégation des pouvoirs conférés au Ministre par l'art. 231(3) est valide L'argument technique selon lequel l'autorisation est manifes- tement invalide puisque «Revenu Canada» n'existait pas et ne saurait avoir de sous-ministre est irrecevable Les cas relevant de l'art. 231(3) ne sont pas soumis à la condition relative aux motifs raisonnables et probables Les pouvoirs d'imposition prévus à l'art. 91 de l'A.A.N.B. incluent la possi- bilité de prendre des mesures pour déterminer quelles person- nes sont assujetties à l'impôt Obliger un courtier à fournir des renseignements relève de «l'application ou ... l'exécution» de la Loi On ne peut interdire la démarche entreprise pour obtenir ces renseignements pour le motif qu'elle est fondée «sur une hypothèse gratuite» L'applicabilité de l'arrêt The Canadian Bank of Commerce v. The Attorney General of Canada, 11962] R.C.S. 729 aux faits en l'espèce a été analysée «Personne ou personnes déterminées» ne signifie pas seule- ment «personne ou personnes nommées» Compte tenu des pouvoirs très étendus prévus par l'art. 231(3), ces mots dési- gnent «une personne ou des personnes décrites avec suffisam- ment de détails pour pouvoir être facilement identifiées» L'argument selon lequel le Ministre ne faisait pas une enquête véritable et sérieuse sur un cas spécifique d'assujettissement à l'impôt est mal fondé L'art. 231(3) se situe, de par son caractère véritable, dans les limites des pouvoirs énumérés à l'art. 91 de l'A.A.N.B. et il est valide même s'il touche la propriété et les droits civils dans une province L'obligation de fournir des renseignements «sans délai» est suffisamment conforme à la disposition législative selon laquelle ceux-ci doivent être fournis «dans le délai raisonnable qui peut y être fixé» Cette obligation ne porte pas atteinte au droit de l'individu à la jouissance de ses biens garanti par la Déclara- tion canadienne des droits La Cour doit faire l'équilibre entre les droits de l'individu et les besoins d'un gouvernement
efficace dans l'exercice de ses responsabilités Seuls les courtiers peuvent fournir les renseignements demandés Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 221(1)f), 231(3) Règlements de l'impôt sur le revenu, DORS/73-390, modifiés par DORS/75-298, art. 900(2)6) Loi sur le ministère du Revenu national, S.R.C. 1970, chap. N-15, art. 2(1), 3(1) Acte de l'Amérique du Nord britanni- que, 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) /S.R.C. 1970, Appendice II, 5/, art. 91(3), 92(13) Déclaration cana- dienne des droits, S.C. 1960, chap. 44 /S.R.C. 1970, Appendice 1111, art. la), 2e).
La requérante demande un bref de certiorari en vue d'annu- ler deux ordonnances l'enjoignant de produire certains rensei- gnements concernant les transactions de ses clients sur le marché des obligations à terme. Elle tente en outre d'obtenir un jugement déclarant que les ordonnances de l'intimé sont nulles pour le motif que le paragraphe 231(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui habilite le Ministre à exiger de quiconque des renseignements ou documents pour les fins de l'application ou de l'exécution de la Loi, va à l'encontre de la Déclaration canadienne des droits. L'intimé a demandé les renseignements en question afin de vérifier si les négociants en denrées à terme respectaient la Loi de l'impôt sur le revenu. Les renseignements ont été fournis à titre d'essai pour permettre au Ministère de déterminer la faisabilité du projet. Lorsque celui-ci a décidé de donner suite au projet et demandé des renseignements plus spécifiques pour pouvoir identifier les transactions de chaque client, la requérante s'y est opposée pour le motif que les renseignements n'étaient pas destinés à aune enquête véritable et sérieuse sur l'assujettissement de tel ou tel contribuable à l'impôt», et que, par conséquent, le Ministère n'était pas habi- lité à demander les renseignements. La requérante soutient que les lettres-sommations étaient nulles parce qu'elles n'ont pas été rédigées par le Ministre lui-même. L'alinéa 221(1)f) de la Loi de l'impôt sur le revenu permet au gouverneur en conseil d'établir des règlements autorisant un fonctionnaire désigné à exercer les pouvoirs ou remplir les fonctions du Ministre sous le régime de la Loi. L'alinéa 900(2)b) des Règlements de l'impôt sur le revenu délègue au directeur de l'Impôt auprès d'un bureau de district les fonctions attribuées au Ministre par les paragraphes 231(2) et (3). On prétend que les fonctions du Ministre prévues à l'article 231 ne peuvent être déléguées parce qu'il s'agit d'un pouvoir de nature judiciaire. La requérante soutient en outre que les lettres-sommations sont nulles parce que les termes «Revenu Canada Impôt», qui est une entité inexistante, apparaissaient en tête de ces lettres. Elle ajoute que l'intimé n'avait pas compétence car les ordonnances n'ont pas été produites aux fins de l'application ou de l'exécution de la Loi de l'impôt sur le revenu et qu'elles n'étaient pas destinées à une enquête véritable et sérieuse sur l'assujettissement de tel ou tel contribuable à l'impôt. Elle fait en outre valoir que le paragraphe 231(3) est inconstitutionnel parce qu'il contrevient au paragraphe 92(13) de l'Acte de l'Amérique du Nord britan- nique, 1867, qui accorde aux provinces le pouvoir exclusif de légiférer en matière de propriété et de droits civils. L'intimé lui répond qu'elle n'a pas repoussé la présomption de compétence énoncée dans l'arrêt Hewson v. The Ontario Power Company of Niagara Falls (1905), 36 R.C.S. 596. La requérante prétend que le paragraphe 231(3) va à l'encontre de l'alinéa la) de la Déclaration canadienne des droits, qui garantit le droit de l'individu à la jouissance de ses biens et le droit de ne s'en voir
privé que par l'application régulière de la loi, et de l'alinéa 2e), qui interdit d'interpréter les lois de façon à priver une personne du droit à une audition impartiale. Enfin, le paragraphe 231(3) prévoit qu'il faut préciser dans la lettre-sommation que les renseignements ou documents peuvent être exigés «dans le délai raisonnable qui peut y être fixé». L'une d'elles ne précisait aucune date mais elle exigeait que les renseignements soient fournis «sans délai». La requérante soutient que cette lettre- sommation est nulle parce qu'elle n'est pas conforme à la loi.
Jugement: les demandes sont rejetées. En adoptant l'alinéa 221(1)J), le législateur visait manifestement les pouvoirs et fonctions que le Ministre tient de la loi. Le gouverneur en conseil était donc habilité à déléguer les pouvoirs de la façon prévue à l'alinéa 900(2)b) des Règlements et la délégation est donc valide. Même si les mots «Revenu Canada Impôt» appa- raissent en tête des lettres-sommations, il ressort clairement du contexte des lettres, des échanges de correspondance et des entretiens antérieurs que ces lettres émanaient d'un fonction- naire du ministère du Revenu national. Quant à savoir si les actes de l'intimé étaient destinés à «l'application ou à l'exécu- tion de la présente loi», le paragraphe 91(3) de l'A.A.N.B. investit le Parlement du Canada du pouvoir législatif exclusif en matière de «prélèvement de deniers par tous modes ou systèmes de taxation». Le mot «prélèvement» embrasse l'établis- sement et la levée d'impôt ainsi que les mesures prises pour déterminer quelles personnes sont assujetties à l'impôt et pour percevoir cet impôt. Le Parlement est donc investi de pouvoirs législatifs étendus en matière d'application et d'exécution de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le Ministre cherche à obtenir des renseignements qui permettent de vérifier l'exactitude des déclarations d'impôt sur le revenu, manifestement pour les fins de l'application ou de l'exécution de la Loi. L'intimé peut avoir des motifs raisonnables de croire que les clients de la requé- rante ne se sont pas conformés aux dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu, mais il ne peut prouver quoi que ce soit contre un client donné sans les renseignements exigés. Il incombe à l'intimé d'essayer d'établir les faits et on ne peut interdire la démarche entreprise par celui-ci pour le motif qu'elle est fondée sur une hypothèse gratuite. Les prétentions de la requérante selon lesquelles les demandes de renseigne- ments sont discriminatoires parce que les autres courtiers en valeurs mobilières ne sont pas tenus de fournir ces renseigne- ments, et sont fondamentalement injustes sont sans fondement parce que rien dans la preuve ne permet de conclure qu'il en est ainsi. L'argument selon lequel les demandes de renseignements vont à l'encontre des règles de la justice naturelle est irreceva- ble parce qu'il est trop vague. Quant à savoir s'il s'agit d'une enquête sérieuse portant sur l'assujettissement d'un ou de plu- sieurs contribuables à l'impôt, les termes «personne ou person- nes déterminées» désignent, dans le contexte des dispositions législatives et des pouvoirs très étendus que prévoit le paragra- phe 231(3), «une personne ou des personnes décrites avec suffisamment de détails pour pouvoir être facilement identi fiées». Ils peuvent donc s'appliquer à toutes les personnes faisant partie d'un groupe décrit ou identifié. En l'espèce, le groupe décrit est constitué de tous les clients de la requérante qui ont effectué des transactions sur le marché des bons et obligations à terme au cours des années en question. Le Minis- tre cherche à vérifier les déclarations de chacun des clients séparément, chacun d'eux étant considéré comme une personne déterminée, non encore nommée, dont l'assujettissement à l'im-
pôt fait l'objet d'une enquête. Les demandes de renseignements ne peuvent être assimilées à une «recherche à l'aveuglette». Elles constituaient par conséquent des enquêtes sérieuses sur des cas spécifiques d'assujettissement à l'impôt. En ce qui concerne la question de savoir si le paragraphe 231(3) contre- vient à l'A.A.N.B., il a déjà été décidé que les demandes de renseignements ont été faites par le Ministre aux fins d'applica- tion et d'exécution de la Loi de l'impôt sur le revenu. Rien n'indique que le paragraphe 231(3) ait pour objet véritable d'empiéter sur la compétence des provinces en matière de propriété et de droits civils. Le paragraphe 231(3) est, de par son caractère véritable, une disposition fiscale et il est donc valide parce qu'il s'autorise du paragraphe 91(3) de l'A.A.N.B. Une loi fédérale est constitutionnelle si, de par son caractère véritable, elle porte sur un ou des domaines de compétence de l'article 91, peu importe qu'elle touche aux domaines de compé- tence provinciale. Puisque le paragraphe 231(3) a été déclaré constitutionnel, le fait de ne pas avoir repoussé la présomption de compétence justifie une telle conclusion. Le paragraphe 231(3) confère au Ministre les pouvoirs qui lui sont nécessaires pour remplir les obligations que lui impose la Loi. En ce qui concerne l'argument selon lequel le paragraphe 231(3) doit être interprété restrictivement parce qu'il s'agit d'une loi fiscale, cette règle ne s'applique pas lorsque le sens de la loi est clair. Le paragraphe 231(3) habilite le Ministre à exiger de toute personne tout renseignement pour toute fin visée. Cette phrase dit bien ce qu'elle veut dire, sous cette seule réserve que les renseignements demandés doivent porter sur un revenu. On a prétendu que l'action du Ministre ne visait pas à l'application ou à l'exécution de la Loi parce qu'il n'y avait aucune enquête sur une ou des personnes déterminées. Aucune règle de droit ne dit à quel stade de l'enquête le Ministre peut autoriser la demande de renseignements, ni même qu'une enquête doit avoir lieu au préalable. Le mot «relative» peut s'appliquer tout aussi bien à une enquête envisagée qu'à une enquête déjà commen cée. Le fait que le Ministère a demandé des renseignements sur les transactions et les bénéfices des négociants en bons et obligations à terme pendant de nombreuses années prouve qu'il s'agit de quelque chose de véritable et de sérieux que l'on peut certainement qualifier d'enquête. En ce qui concerne l'argument selon lequel le paragraphe 231(3) va à l'encontre de la Déclaration canadienne des droits, tout ce que le Ministre demande, ce sont des renseignements. Les sommations ne por tent pas atteinte au droit de qui que ce soit à la jouissance de ses biens, ni n'impliquent-elles que quelqu'un sera ou pourra être privé de ce droit. Quoi qu'il en soit, les derniers mots de l'alinéa la) «que par l'application régulière de la loi» suffisent à annihiler cet argument. La présente audition constitue l'audi- tion impartiale garantie par l'alinéa 2e). Bien que les clients de la requérante, dont le droit au secret pour ce qui est de leurs transactions peut être menacé, ne soient pas parties à l'instance, la Cour a pleine conscience de leurs droits. Lorsqu'il y a conflit entre les droits de l'individu et les besoins d'un gouvernement efficace dans l'exercice de ses responsabilités, il faut faire l'équilibre entre les deux. Le Ministère a donc réellement besoin de déterminer les faits dont il s'agit en raison de la perte qu'il peut subir. La méthode suivie est le seul moyen pratique d'obtenir les renseignements. L'intimé s'est engagé à garder ces renseignements strictement confidentiels. La position de chacun des négociants n'a donc pas le même poids que celle du Ministère et le droit de ces négociants à la vie privée cède au besoin de gouvernement efficace. La Déclaration canadienne
des droits n'a pas été enfreinte. Enfin, la demande n'était pas nulle du fait de sa non-conformité aux dispositions de la loi concernant le délai dans lequel elle devrait être présentée. Le but de cette disposition législative est de garantir que la per- sonne qui fait l'objet d'une demande de renseignements dispose d'un délai raisonnable pour s'y conformer. Un délai raisonnable n'est pas un délai précis mais on peut le déterminer par les faits selon chaque cas d'espèce. Le Ministre devra convaincre le tribunal qu'il n'a engagé les procédures judiciaires qu'au terme d'un délai raisonnable, accordé à la requérante pour qu'elle puisse se conformer à la demande. Même lorsqu'il s'agit d'un délai précis, il se peut que le Ministre ait à convaincre la Cour que c'est un délai raisonnable. En l'espèce, les mots «sans délai» sont conformes au but visé par la loi.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Proprietary Articles Trade Association, et al. v. Attor- ney -General for Canada, et al., [1931] A.C. 310; Attor- ney -General for British Columbia v. Attorney -General for Canada et al., [1937] A.C. 368; Nykorak v. The Attorney General of Canada, [1962] R.C.S. 331; 33 D.L.R. (2d) 373; The Attorney General of Canada v. The Canadian Pacific Railway et al., [1958] R.C.S. 285.
DISTINCTION FAITE AVEC:
In re Solway, [1979] 2 C.F. 471; 79 DTC 5116; [1979] CTC 154 (C.F. 1"e inst.); In re M.N.R. v. Paroian, Courey, Cohen & Houston (1980), 80 DTC 6077 (C.A. Ont.); Duma Construction Company Ltd. v. Her Majesty The Queen, [1975] 3 W.W.R. 286; 75 DTC 5273 (C. distr. Alb.); In re The Insurance Act of Canada, [1932] A.C. 41; In re The Board of Commerce Act, 1919 and The Combines and Fair Prices Act, 1919, [1922] 1 A.C. 191.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Attorney General of Canada v. Bélanger (1962), 63 DTC 1289 (B.R. Qué.); Granby Construction and Equipment Ltd. v. Milley (1974), 47 D.L.R. (3d) 427; 74 DTC 6300 (C.S.C.-B.); Re Corsini and The Queen (1979), 49 C.C.C. (2d) 208 (H.C. Ont.); The Canadian Bank of Commerce v. The Attorney General of Canada, [1962] R.C.S. 729; 62 DTC 1236 (C.S.C.), confirmant (1961), 62 DTC 1014; 31 D.L.R. (2d) 625 (C.A. Ont.), confir- mant (1961), 61 DTC 1264 (H.C. Ont.); Attorney -Gen eral for the Dominion of Canada v. Attorney -General for the Province of Alberta et al., [1916] 1 A.C. 588.
DÉCISIONS CITÉES:
Granby Construction and Equipment Ltd. v. Milley (1974), 50 D.L.R. (3d) 115; [1975] 1 W.W.R. 730; 74 DTC 6543 (C.A.C.-B.); Hewson v. The Ontario Power Company of Niagara Falls (1905), 36 R.C.S. 596; The Citizens Insurance Company of Canada v. Parsons (1881), 7 A.C. 96; The King v. Imperial Tobacco Com pany of Canada Limited, [1938] R.C.E. 177; His Majesty The King v. Imperial Tobacco Company of Canada Limited, [1939] R.C.S. 322; In the Matter of Three Bills Passed by the Legislative Assembly of Alberta At the 1937 (Third Session) Thereof Entitled Respectively: An Act Respecting the Taxation of Banks; An Act to Amend and Consolidate the Credit of Alberta
Regulations Act; An Act to Ensure the Publication of Accurate News and Information, [1938] R.C.S. 100; Attorney -General for Canada v. Attorney -General for Ontario et al., [1937] A.C. 355; The Queen v. Wel Holdings Ltd. et al. (1979), 79 D.T.C. 5081; [1979] CTC 116 (C.F. 1r inst.).
DEMANDES. AVOCATS:
W. C. Kushneryk pour la requérante.
B. J. Meronek et B. H. Hay pour l'intimé.
PROCUREURS:
Pitblado & Hoskin, Winnipeg, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT SMITH: La requérante- demanderesse a exercé plusieurs voies de recours portant sur les mêmes questions. Devant cette Cour, elle a intenté les trois procédures suivantes:
1. Par avis introductif de requête, daté du 16 mai 1980 et produit le 20 mai 1980, une demande en ordonnance de certiorari contre une décision ou ordonnance, datée du 8 mai 1980 et signifiée le même jour, par laquelle le défendeur a enjoint à la demanderesse de produire aux fonctionnaires du ministère du Revenu national:
a) La liste complète de ses clients avec leurs noms, adresses et numéros de compte pour l'an- née civile 1977,
b) Le répertoire des adresses des succursales avec le numéro de ces dernières pour l'année civile 1977,
dont le service des valeurs mobilières de la demanderesse se sert dans l'établissement des états mensuels des opérations à terme de ses clients.
2. Par avis introductif de requête, daté du 14 novembre 1980 et produit le 20 novembre 1980, une demande en ordonnance de certiorari contre une décision ou ordonnance semblable, datée du 8 octobre 1980 et signifiée le même jour, par laquelle le défendeur enjoignait à la demande- resse de fournir au Ministre les mêmes rensei- gnements pour les années civiles 1978 et 1979.
Cette dernière décision allait plus loin que celle du 8 mai 1980, en tant qu'elle enjoignait à la demanderesse de produire non seulement les noms, adresses et numéros de compte de tous les clients pour lesquels la demanderesse a effectué des opérations à terme au cours de ces années civiles, et l'adresse des succursales de la société ces opérations ont été effectuées, mais encore le détail de toutes les opérations mensuelles qui se sont soldées par un gain net ou une perte nette au cours de chacune de ces années civiles et pour chacun de ces clients, autant de rensei- gnements dont se sert le service des valeurs mobilières dans l'établissement des états men- suels des opérations à terme de ses clients;
3. Par déclaration déposée le 20 novembre 1980, une action tendant à plusieurs jugements décla- ratoires portant, sous divers chefs, invalidité des décisions ou ordonnances du défendeur en date du 8 mai 1980 et du 8 octobre 1980, dont un jugement déclarant que les alinéas 231(3)a) et b) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, violent les alinéas la) et 2e) de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, chap. 44 [S.R.C. 1970, Appendice III]. Les deux avis introductifs de requête sus- mentionnés ne contiennent aucune allégation de violation des dispositions de la Déclaration canadienne des droits.
Par avis introductif de requête en date du 16 mai 1980, la requérante a saisi la Cour du Banc de la Reine du Manitoba des mêmes recours. Cette requête, entendue par le juge Morse le 30 octobre 1980, a été déclarée irrecevable en raison de l'in- compétence de la Cour. Le 27 novembre 1980, la requérante a fait appel de cette décision devant la Cour d'appel du Manitoba. Cet appel fut inscrit au rôle pour le 6 janvier 1981.
Saisi le 2 juin 1980 de la demande visant la décision ou ordonnance du 8 mai 1980, 1, précitée, je l'ai ajournée sine die, du consentement des deux parties. Elle a été inscrite de nouveau au rôle pour le 10 décembre 1980 en même temps que la deuxième demande visant la décision ou ordon- nance du 8 octobre 1980.
A l'ouverture, le 10 décembre 1980, de l'audi- tion consacrée à la présente demande, l'avocat de la requérante a, conformément à un avis de
requête déposé le 5 décembre 1980, demandé à la Cour de rendre les ordonnances suivantes:
1. Une ordonnance portant réunion des avis introductifs de requête en ordonnances de cer- tiorari contre les décisions ou ordonnances, en date du 8 mai 1980 et du 8 octobre 1980, du défendeur (intimé), et de la déclaration déposée le 20 novembre 1980 devant cette Cour dans l'action en jugements déclaratoires portant inva- lidité de ces décisions ou ordonnances.
2. Une ordonnance prescrivant le mode de signi fication à toutes les parties intéressées de la notification, faite par la requérante, directement ou par personne interposée, de son intention de contester la constitutionnalité des alinéas 231(3)a) et b) de la Loi de l'impôt sur le revenu du Canada.
3. Une ordonnance d'ajournement de l'audition en vue du contre-interrogatoire d'Herman Theo- dore Yaeger au sujet de ses affidavits, versés le 25 novembre 1980 aux dossiers T-2478-80 et T-5461-80 de cette Cour (c'est-à-dire aux dos siers des deux avis introductifs de requête).
4. Une ordonnance d'ajournement de toute la procédure susmentionnée en attendant l'instruc- tion de l'affaire et la décision de la Cour d'appel du Manitoba, qui devait entendre l'affaire le 6 janvier 1981, et en attendant l'issue de tout pourvoi éventuel contre cette décision.
L'avocat de l'intimé n'a fait aucune objection à la réunion des deux avis introductifs de requête et de la déclaration. J'ai donc ordonné la réunion des procédures qui était manifestement indiquée.
L'avocat de l'intimé n'a pas, non plus, opposé d'objection à la demande tendant à la deuxième ordonnance (ci-dessus). Les parties n'ont présenté aucun argument à ce sujet.
L'avocat de l'intimé s'est opposé avec vigueur à tout ajournement destiné au contre-interrogatoire de M. Yaeger au sujet de ses affidavits, par ce motif que ce dernier était présent à l'audience et pouvait être interrogé dans la journée ou le lende- main. Après un court débat, l'avocat de la requé- rante s'est déclaré prêt à contre-interroger M. Yaeger dans l'après-midi. J'ai donc ordonné que le contre-interrogatoire ait lieu à 15 h le même jour, savoir le 10 décembre 1980. Le contre-interroga-
toire a commencé à l'heure prévue et s'est terminé au cours de l'après-midi.
L'avocat de l'intimé s'est opposé à tout ajourne- ment jusqu'à la décision finale de la Cour d'appel du Manitoba. Il s'en est suivi un long débat. Après avoir pesé les arguments présentés par les avocats des deux parties, j'ai conclu qu'il y avait lieu de poursuivre l'audition de la cause et c'est ce que j'ai ordonné.
Les faits qui ont donné lieu aux procédures ci-dessus s'étaient produits au cours d'une longue période.
Vers octobre 1975, l'intimé a décidé qu'il était nécessaire de vérifier si les négociants en denrées à terme respectaient la Loi de l'impôt sur le revenu. Or, on ne peut obtenir des renseignements précis et impartiaux sur les opérations de ces négociants qu'auprès des courtiers de denrées à terme. La requérante est l'un de ces courtiers les plus impor- tants au Canada.
A la demande de l'intimé, la requérante a con- senti à établir, à partir du l er janvier 1976, les états mensuels des opérations à terme de ses clients sous forme assimilable par machine. En février 1977, l'intimé a demandé à la requérante de mettre à la disposition du Ministère le dossier de ces états dans le cadre de son programme de vérification de l'observation de la Loi de l'impôt sur le revenu. La requérante a refusé mais, à la demande du Minis- tère, a consenti à lui fournir le dossier des états des opérations à terme d'un mois, pour qu'il puisse déterminer si les renseignements contenus dans les états, sous la forme présentée, pouvaient servir aux fins prévues. Ces renseignements ont été communi- qués à titre confidentiel et aux seules fins d'essai, à la condition que le Ministère ait demandé aux autres négociants en valeurs de lui communiquer des renseignements similaires.
S'ensuivent discussions et échanges de corres- pondance pendant deux ans et trois mois. Le 28 juin 1979, l'intimé a écrit à la requérante (pièce «H» annexée à l'affidavit en date du 25 novembre 1980 de H. T. Yaeger) pour l'informer que le Ministère était prêt à traiter les renseignements contenus dans ces dossiers pour tous les mois de 1977 l'exception du mois de janvier pour lequel le dossier n'a pas été retenu). La lettre porte:
[TRADUCTION]—le Ministère respectera le caractère confiden- tiel de ces renseignements, et garantit qu'il ne sera fait aucun usage direct ou indirect des renseignements tirés des dossiers au cours de la période d'essai.
—à la fin de notre période d'essai:
(1) le Ministère préviendra la société, le cas échéant, de son intention d'utiliser ces renseignements dans le cadre du programme de vérification de l'observation de la Loi de l'impôt sur le revenu, auquel cas nous vous signifierons comme convenu la demande de production des rensei- gnements contenus dans ces dossiers.
(2) le Ministère s'engage à faire de même avec les autres courtiers canadiens en denrées à terme, en leur deman- dant de produire leurs dossiers et en utilisant les rensei- gnements obtenus dans le cadre du programme.
La requérante a fourni (sauf pour le mois de janvier) un exemplaire des dossiers de 1977 qui ont été traduits pour servir dans le programme. Ces dossiers ne contenaient cependant pas tous les renseignements requis. Le 21 décembre 1979, le Ministère écrit à la requérante (pièce «J» annexée à l'affidavit de M. Yaeger) pour l'informer qu'à l'étape suivante du programme, le Ministère a besoin de ce qui suit:
[TRADUCTION] (1) Le répertoire complet des bureaux avec leurs adresse et numéro de bureau.
(2) La liste complète des clients avec leurs noms, adresses et numéros de compte.
Le 25 février 1980, les procureurs de la requé- rante, Pitblado & Hoskin, ont répondu à cette lettre notamment en ces termes (voir la pièce «K» annexée à l'affidavit de M. Yaeger):
[TRADUCTION] Il était entendu que ces renseignements sont destinés à un essai, et non à une enquête véritable et sérieuse sur l'assujettissement de tel ou tel contribuable à l'impôt.
Il appert que cet essai préliminaire est fondé sur les rensei- gnements obtenus de Richardsons uniquement, et non sur des renseignements obtenus de toute autre maison de courtage.
En notre qualité de procureurs de Richardsons, nous nous demandons si le Ministère est habilité à réclamer ces renseigne- ments et si Richardsons a le droit de les fournir, en l'absence d'une disposition légale expresse et d'une ordonnance ou som- mation exécutoire.
Richardsons est tenue au secret professionnel à l'égard des affaires de ses clients. Toute indiscrétion volontaire de Richard- sons serait répréhensible et porterait atteinte, si elle venait à être connue, à sa réputation et à sa position sur le marché.
A notre avis, ni l'article 231(3), ni aucun autre article de la Loi de l'impôt sur le revenu, n'habilite le Ministère à exiger les renseignements dont s'agit, à moins qu'ils ne soient destinés à aune enquête véritable et sérieuse portant sur l'assujettissement de tel ou tel contribuable à l'impôt».
Les mots entre guillemets du paragraphe précédent sont tirés de l'arrêt Canadian Bank of Commerce vs Attorney General of Canada, en date du 25 juin 1962, de la Cour suprême du Canada, 62 DTC 1236 la page 1238.
Ces deux lettres, en date du 21 décembre 1979 et du 25 février 1980, font clairement ressortir les vues opposées des parties. D'une part, chacun des états mensuels fournis à l'intimé contient les numéros de compte pour lesquels des transactions ont été effectuées durant le mois, le numéro du bureau qui a effectué la transaction et le montant du bénéfice ou de la perte du client à la suite de la transaction, mais n'indique ni le nom, ni l'adresse du client, ni l'adresse du bureau. Les bénéfices et pertes qui figurent sur ces états ne servent à rien au programme de vérification de l'observation de la Loi de l'impôt sur le revenu, si l'on ne peut les rattacher aux clients pour lesquels ces opérations ont été effectuées.
D'autre part, la requérante craint que la divul- gation des noms et adresses de ses clients, pour lesquels les opérations ont été effectuées, ne consti- tue une violation du secret professionnel auquel elle est tenue envers ces clients et que, si ce manquement venait à être connu, il ne porte sérieusement préjudice à sa réputation et à sa position sur le marché. Les parties s'opposent encore l'une à l'autre par leur interprétation res pective de la loi. L'intimé a toujours soutenu que le Ministère était pleinement habilité à exiger de la requérante qu'elle fournisse tous les renseigne- ments demandés, alors que celle-ci a soutenu avec tout autant de conviction que l'intimé ne l'était nullement.
Les parties n'arrivaient pas à régler leur diffé- rend. Le 8 mai 1980, l'intimé a, par décision ou ordonnance formelle, enjoint à la requérante de lui fournir les renseignements dont s'agit pour l'année 1977. La requérante réplique en déposant, le 20 mai 1980, l'avis introductif de requête, en date du 16 mai 1980. Comme indiqué plus haut, cette demande fut ajournée sine die le 2 juin 1980. Par la suite, l'intimé, par décision ou ordonnance for- melle en date du 8 octobre 1980, a enjoint à la requérante de fournir des renseignements similai- res pour les années 1978 et 1979, et la requérante a déposé le deuxième avis introductif de requête. La requérante a également saisi cette Cour par
déclaration, déposée le 20 novembre 1980, par laquelle elle conclut aux mêmes remèdes que par les deux avis de requête. De plus, la requérante a produit un avis en date du 9 décembre 1980, pour annoncer son intention de contester, au cours de l'action ou de la procédure, la constitutionnalité des alinéas 231(3)a) et b) de la Loi de l'impôt sur le revenu du Canada.
Le paragraphe (3) de l'article 231 de la Loi de l'impôt sur le revenu porte:
231... .
(3) Pour toute fin relative à l'application ou à l'exécution de la présente loi, le Ministre peut, par lettre recommandée ou par demande signifiée à personne exiger de toute personne
a) tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire, ou
b) la production ou la production sous serment de livres, lettres, comptes, factures, états (financiers ou autres) ou autres documents,
dans le délai raisonnable qui peut y être fixé.
La requérante (demanderesse) conteste la cons- titutionnalité de l'ensemble du paragraphe (3) de la Loi de l'impôt sur le revenu, alors que l'ordon- nance-sommation du 8 mai 1980 était fondée sur l'alinéa 231(3)b) de cette Loi, et celle du 8 octobre 1980, fondée sur l'alinéa 231(3)a) de cette même Loi.
Les motifs de contestation des décisions ou ordonnances du 8 mai 1980 et du 8 octobre 1980, sont énoncés de manière presque identique dans les deux avis introductifs de requête déposés devant la Cour, comme suit:
[TRADUCTION] 1. L'intimé n'avait pas compétence ou excédait sa compétence lorsqu'il rendait la décision ou ordonnance dont s'agit.
2. Ladite décision ou ordonnance:
a) n'a rien à voir avec l'application ou l'exécution de la Loi de l'impôt sur le revenu;
b) est fondée sur une hypothèse gratuite;
c) est discriminatoire;
d) est fondamentalement injuste;
e) va à l'encontre des règles de justice naturelle;
f) ne se rapporte pas à une enquête véritable et sérieuse sur l'assujettissement d'un contribuable à l'impôt.
3. S'il autorise pareille décision ou ordonnance, le paragraphe 231(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu va à l'encontre des dispositions du paragraphe 92(13) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, modifié, et échappe à la compétence législative du Parlement, que ce soit au regard de l'article 91 ou de tout autre article de cet Acte.
4. Tout autre motif que les avocats peuvent soulever avec la permission de la Cour.
Le premier paragraphe de ces motifs constitue une allégation générale d'incompétence ou d'excès de compétence. De nombreux facteurs, invoqués à l'appui de cette allégation, se retrouvent dans les six alinéas a) à f) inclusivement du deuxième paragraphe et dans le troisième paragraphe. D'au- tres facteurs n'y sont cependant pas consignés.
L'avocat conteste la validité des décisions ou ordonnances portant communication des rensei- gnements demandés. Ces décisions ou ordonnances n'ont pas été rendues par le Ministre lui-même, mais par M. Stubel, directeur de l'Impôt au bureau de Winnipeg. L'alinéa 221(1)J) de la Loi de l'impôt sur le revenu porte:
221. (1) Le gouverneur en conseil peut établir des règlements
f) autorisant un fonctionnaire désigné ou une catégorie dési- gnée de fonctionnaires à exercer les pouvoirs ou remplir les fonctions du Ministre sous le régime de la présente loi,
L'alinéa 900(2)b) des Règlements de l'impôt sur le revenu, DORS/73-390, modifié par DORS/75-298, pris par voie de décret, porte notamment:
900... .
(2) Un fonctionnaire qui occupe le poste de Directeur de l'Impôt auprès d'un bureau de district du Ministère du Revenu national, Impôt, peut exercer les pouvoirs et remplir les fonc- tions que la Loi attribue au Ministre en vertu:
b) les paragraphes ... 231(2) et (3) de la Loi,
L'avocat soutient que le Ministre ne peut pas déléguer le pouvoir de rendre des décisions ou ordonnances visées aux paragraphes 231(2) et (3) de la Loi, car il s'agit d'un pouvoir de nature judiciaire qui, à l'opposé d'un pouvoir administra- tif, ne peut être délégué. Cet avocat cite trois précédents, qu'il y a lieu d'étudier.
Le plus ancien de ces précédents est l'affaire Granby Construction and Equipment Ltd. v. Milley (1974), 47 D.L.R. (3d) 427; 74 DTC 6300 (C.S.C.-B.). Dans cette affaire, le Ministre avait fait saisir des documents gardés chez un contribua- ble de Vancouver et dans des coffrets de sûreté tenus à son nom, dans une banque de Prince Rupert. La saisie était fondée sur le paragraphe
231(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Ce texte prévoit que si le Ministre a des motifs raisonnables de croire qu'une infraction à la Loi a été commise, il peut, avec l'agrément d'un juge d'une cour de comté, autoriser une perquisition et une saisie. L'autorisation a été signée par le directeur des Enquêtes spéciales et approuvée par un juge d'une cour de comté. Saisi de l'action en restitution des documents saisis, le juge de première instance a accueilli la requête en mainlevée de saisie et jugé invalide l'autorisation par ce motif que le paragra- phe 231(4) investit le Ministre d'un pouvoir de nature judiciaire qui ne peut être délégué sans autorisation expresse de la loi. On ne peut inter- préter l'alinéa 221(1)f), qui prévoit la délégation de «pouvoirs et fonctions», de façon à l'étendre à un pouvoir de nature judiciaire. Le juge Bouck s'est prononcé en ces termes, vers la fin de la page 435 du recueil des D.L.R.:
[TRADUCTION] La première phrase du paragraphe 231(4) [de la Loi de l'impôt sur le revenu de 1972], «Lorsque le Ministre a des motifs raisonnables pour croire», indique la volonté du législateur de prévoir que le Ministre doit avoir des motifs raisonnables de croire qu'une infraction à la Loi ou à un règlement a été ou sera probablement commise. Cette exigence ne figurait pas dans l'ancienne loi par laquelle le législateur habilitait le Ministre à agir «pour toute fin ayant trait à l'application ou à l'exécution de la présente loi».
Et d'ajouter:
[TRADUCTION] Le nouveau paragraphe prévoit un rôle plus actif, sinon exclusivement principal, pour le Ministre lorsqu'il s'agit de décider s'il y a lieu d'invoquer le paragraphe 231(4). Celui-ci modifie le statut du Ministre et, de simple décision ministérielle, son acte est devenu l'exercice d'un pouvoir judi- ciaire discrétionnaire que lui confie le législateur.
A la page 439:
[TRADUCTION] Le pouvoir de délégation visé à l'alinéa 221(1)0 a pour objet des «pouvoirs» et «fonctions», mais ne porte pas expressément sur la fonction judiciaire du Ministre. Je dois donc appliquer la règle d'interprétation des lois selon laquelle on ne peut déléguer un pouvoir de nature judiciaire sans autorisation formelle de la loi.
Il a donc annulé l'autorisation de perquisition et de saisie. Cette décision a été portée en appel devant la Cour d'appel de Colombie-Britannique, dont l'arrêt est rapporté à (1974), 50 D.L.R. (3d) 115; [1975] 1 W.W.R. 730; 74 DTC 6543 (C.A.C.-B.). La Cour d'appel a infirmé la décision du juge Bouck. Le juge McFarlane, rendant le jugement de la Cour d'appel, s'est prononçé en ces termes à la page 120 du recueil des D.L.R.:
[TRADUCTION] Tout en admettant que l'exercice des pou- voirs conférés par le paragraphe 231(4) peut représenter une grave atteinte au droit de propriété et au droit à la vie privée, je dois dire que la volonté du législateur est clairement énoncée à l'alinéa 221(1)f).
A mon avis, les pouvoirs et fonctions du Ministre sont ceux qu'il tient de la loi, dont les pouvoirs et fonctions visés au paragraphe 231(4). Puisque le sens est clair, j'estime qu'il est futile de donner à ces pouvoirs et fonctions des qualificatifs comme administratif, législatif, judiciaire ou quasi judiciaire. Je conclus donc que l'alinéa 221(1)f) habilite le gouverneur en conseil à déléguer au directeur, conformément au paragraphe 900(5) des Règlements, les pouvoirs et fonctions prévus par le paragraphe 231(4) pour le Ministre, et je tiens cette délégation de pouvoirs pour valide.
Le même raisonnement s'applique à la déléga- tion des pouvoirs que le Ministre tient du paragra- phe 231(3), laquelle délégation est, à mon avis, également valide.
Le deuxième précédent cité est, par ordre chro- nologique, le jugement Re Corsini and The Queen (1979), 49 C.C.C. (2d) 208 (H.C. Ont.), rendu par le juge Cory de la Cour suprême de l'Ontario. Il s'agit également d'une affaire de perquisition et de saisie. Il fallait déterminer s'il y avait, entre autres, erreur ressortant du dossier par ce motif que l'autorisation avait été accordée à un orga- nisme inexistant. Dans le coin supérieur gauche de la formule de demande et d'autorisation, figuraient les mots «Revenu Canada Impôt» et en-dessous, les mots «Sous-ministre». Le contribuable soutenait qu'il n'existait aucun organisme appelé Revenu Canada Impôt.
Le paragraphe 2(1) de la Loi sur le ministère du Revenu national, S.R.C. 1970, c. N-15, porte:
2. (1) Est établi un ministère du gouvernement du Canada, appelé ministère du Revenu national, auquel préside le ministre du Revenu national nommé par commission sous le grand sceau.
Le paragraphe 3(1) prévoit de même la nomina tion de deux fonctionnaires, savoir le «sous-minis- tre du Revenu national pour l'impôt» et le «sous- ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise».
Le contribuable soutenait que «Revenu Canada» n'existait pas et, de ce fait, ne saurait avoir de sous-ministre, et que, par suite, l'autorisation était manifestement invalide. Le juge Cory s'est pro- noncé en ces termes à la page 215:
[TRADUCTION] Voilà un argument solide et convaincant. On ne saurait trop répéter le principe applicable selon lequel charbon- nier est maître dans sa maison. Le droit d'entrer, d'inspecter, de perquisitionner et de saisir doit être restrictivement défini par les termes de la loi qui autorise cette entrée, perquisition ou saisie.
Le distingué juge cite ensuite deux décisions du juge Cattanach, de la Division de première ins tance de la Cour fédérale du Canada, que le contribuable a invoquées à l'appui de l'argument ci-dessus. Dans la première affaire, In re Solway, [1979] 2 C.F. 471; 79 DTC 5116; [1979] CTC 154 (C.F. lie inst.), la Cour avait à se prononcer sur un affidavit, produit à l'appui d'une demande en ordonnance enjoignant à Solway de comparaî- tre en qualité de débiteur confirmé par jugement. Après avoir analysé le paragraphe 2(1) de la Loi sur le ministère du Revenu national, le juge Catta- nach s'est prononcé en ces termes aux pages 472 et 473 [Recueil des arrêts de la Cour fédérale]:
Donc, en décrétant l'article 2(1) (précité) en ces termes, le Parlement a nommé ce ministère du Gouvernement du Canada le «ministère du Revenu national». Cela étant, on ne peut appeler ce ministère par un autre nom, tel que «Revenu Canada, Impôt», à moins que pareil changement de nom ne soit autorisé par l'adoption d'une disposition législative appropriée par le Parlement, ce qu'il n'a pas fait. De plus, aucun acte exécutif ou administratif, ce qui a être le cas ici, et encore moins un acte donnant suite au caprice d'un particulier, ne peut changer le nom d'un ministère prescrit par une loi du Parle- ment du Canada.
Si le signataire de l'affidavit est un employé de Revenu Canada, Impôt, comme il l'affirme sous serment, il n'est donc pas un employé du ministère du Revenu national et s'il n'est pas un employé de ce ministère, il n'a pas accès aux renseignements qu'il dit connaître dans son affidavit.
La deuxième affaire, The Queen v. Wel Hold ings Ltd. et al. (1979), 79 DTC 5081; [1979] CTC 116 (C.F. ire inst.), a été jugée de la même manière.
A la lumière des faits de la cause, le juge Cory n'a pas retenu l'argument ci-dessus, mais a conclu que le fonctionnaire qui avait rempli la demande, M. Bradshaw, était désigné à deux reprises dans la demande par son titre officiel exact, savoir celui de directeur général adjoint de l'observation pour les enquêtes spéciales du ministère du Revenu natio nal. Il a cependant ajouté:
[TRADUCTION] Je m'empresse d'ajouter que ma décision serait différente si la demande n'énonçait pas aussi clairement le titre exact de M. Bradshaw.
En l'espèce, les faits se rapprochent dans une certaine mesure des faits de la cause Corsini, à cette exception près qu'il s'agit d'une simple demande de renseignements et non d'une affaire de perquisition et de saisie. C'est donc le paragra- phe 231(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu qui s'applique en l'espèce, et non le paragraphe 231(4). Les seuls documents produits qui rappel- lent l'affaire Corsini sont les deux lettres-somma- tions en date du 8 mai 1980 et du 8 octobre 1980. Ces deux documents portent, dans leur coin supé- rieur gauche, les mots suivants, imprimés en anglais et en français:
Revenue Canada Revenu Canada
Taxation Impôt
La lettre du 8 mais 1980 porte, sous la signature de M. Stubel, son titre officiel exact, à savoir directeur de l'Impôt au ministère du Revenu natio nal. La lettre du 8 octobre 1980 porte, quant à elle, sous sa signature, les mots: directeur de l'Impôt, bureau de district de Winnipeg. Ce document ne mentionne nulle part le ministère du Revenu natio nal, mais on peut y lire au premier paragraphe: [TRADUCTION] «... comme vous le savez, le minis- tre du Revenu national désire obtenir de vous la liste des clients pour lesquels vous effectuez des transactions en votre qualité de courtier en den- rées». Il ressort du contexte de cette lettre, des échanges de correspondance et des entretiens anté- rieurs, qu'elle émanait du directeur de l'Impôt du bureau de district de Winnipeg du ministère du Revenu national. Aucun affidavit n'a été produit et personne n'affirme sous serment, ainsi que le rapporte le juge Cattanach dans In re Solway, qu'il est au service de Revenu Canada, Impôt.
Je ne peux donc accueillir cet argument très spécieux.
Le troisième précédent, cité par l'avocat de la requérante, est la décision In re M.N.R. v. Paroian, Courey, Cohen & Houston (1980), 80 DTC 6077 (C.A. Ont.), de la Cour d'appel de l'Ontario. Il s'agit aussi d'une affaire d'entrée et de perquisition, comme dans les deux affaires pré- cédentes. Comme indiqué plus haut, le paragraphe 231(4) requiert en pareils cas que le Ministre ait des motifs raisonnables de croire qu'une infraction à la Loi ou à un règlement a été ou sera probable- ment commise. Par ailleurs, le Ministre ne peut autoriser une entrée, une perquisition et une saisie,
sans recevoir d'abord l'agrément d'un juge. Le cas relevant du paragraphe 231(3) ne sont soumis à aucun de ces impératifs, sans doute parce qu'ils ne comportent pas une violation du droit de propriété privée. La seule condition prévue par le paragra- phe 231(3) est que la demande de renseignements soit faite «pour toute fin relative à l'application ou à l'exécution de la présente loi».
Tout valable qu'il soit à l'égard des causes comme celle dont il était saisi, j'estime que le raisonnement tenu par le juge Morden, qui a rendu la décision de la Cour d'appel dans Paroian, n'a pas d'application en l'espèce.
L'avocat a, en fait, cité une affaire qui relève du paragraphe 231(3), l'affaire Duma Construction Company Ltd. v. Her Majesty The Queen, [1975] 3 W.W.R. 286; 75 DTC 5273 (C. distr. Alb.). Le directeur de l'Impôt à Edmonton avait demandé à l'appelante, conformément à l'alinéa 231(3)b), de produire certains documents en les envoyant au bureau de district de l'impôt d'Edmonton. Le juge R. H. Belzil de la Cour de district a jugé que le pouvoir d'ordonner la production de documents ne comporte pas le pouvoir d'exiger qu'ils soient envoyés à un endroit donné, auquel cas l'intéressé aurait à se séparer des documents sans aucune garantie de récupération.
En l'espèce, les deux lettres-sommations ne demandent pas que la requérante envoie quelque part des documents en sa possession. Elles ne demandent que la communication des renseigne- ments tirés de documents ainsi que les listes des clients et des succursales. Je ne pense donc pas que cette jurisprudence puisse être de quelque secours à la requérante.
L'avocat de l'intimé s'appuie sur plusieurs pré- cédents pour défendre la constitutionnalité du paragraphe 231(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il cite d'abord l'arrêt Hewson v. The Ontario Power Company of Niagara Falls (1905), 36 R.C.S. 596, titre de magistère pour la règle de la présomption légale de la compétence du Parlement, règle qui préside à l'interprétation de ses lois. Au début des motifs de son jugement, le juge en chef Taschereau rappelle que le premier argument invoqué par l'appelant est que la loi du Dominion, portant constitution de la compagnie intimée, 50 & 51 Vict., chap. 120, excède la
compétence du Parlement et est inconstitution- nelle. Il déclare ensuite la page 603]:
[TRADUCTION] Il lui incombe de prouver le bien-fondé de cet argument; il y a une présomption de droit selon laquelle le Parlement du Dominion n'excède pas ses pouvoirs.
L'avocat soutient que la requérante ne s'est pas acquittée de cette charge de la preuve. J'en con- viens, ne serait-ce que pour souligner que, si les motifs sur lesquels je me fonde pour conclure à la constitutionnalité du paragraphe 231(3) ne sont pas entièrement convaincants, la requérante n'a pas, à mon avis, fait la preuve du contraire.
L'avocat de l'intimé cite encore la jurisprudence suivante:
1. Attorney -General for British Columbia v. Attorney -General for Canada et al., [1937] A.C. 368, arrêt également cité par l'avocat de la requérante.
2. Nykorak v. The Attorney General of Canada, [1962] R.C.S. 331; 33 D.L.R. (2d) 373.
3. The Attorney General of Canada v. The Canadian Pacific Railway et al., [1958] R.C.S. 285.
Ces trois arrêts établissent le principe général selon lequel une loi adoptée par le Parlement est constitutionnelle si elle relève essentiellement de l'un des domaines de compétence prévus par l'arti- cle 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord britanni- que, 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5], peu importe qu'elle puisse toucher à la propriété et aux droits civils, ou à tout autre domaine de compétence prévu à l'arti- cle 92, autant de domaines qui relèvent de la compétence exclusive des provinces.
Le premier de ces arrêts porte sur la constitu- tionnalité de l'article 498A du Code criminel. Lord Atkin, rendant le jugement du Conseil privé, s'est prononcé en ces termes à la page 375:
[TRADUCTION] La seule limitation des pouvoirs pléniers du Dominion dans la détermination de ce qui sera criminel ou non, c'est la condition que le Parlement ne doit pas, sous le couvert de légiférer réellement et essentiellement en matière criminelle, légiférer de façon à empiéter sur toute catégorie de sujets énumérés à l'art. 92. Le fait que cette législation y porte atteinte en fait ne constitue pas une objection. Si on tente réellement de modifier le droit criminel, les droits civils préexis- tants pourront évidemment être affectés.
Le deuxième arrêt porte sur l'article 50 de la Loi sur la Cour de l'Echiquier, S.R.C. 1952, chap. 98, qui traite, en matière de détermination de la res- ponsabilité dans toute action intentée par ou contre la Couronne, de la qualité de serviteur de la Couronne d'un membre des forces armées. Il a été jugé que, de par le paragraphe 91(7) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, le texte de loi en cause était valide, même s'il pouvait avoir pour effet accessoire d'affecter la propriété et les droits civils à l'intérieur de la province.
Le troisième arrêt porte sur la constitutionnalité de l'article 198 de la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1952, chap. 234, aux termes duquel une compagnie de chemin de fer, régie par cette Loi, n'a pas droit, à moins qu'elle ne les ait expressé- ment achetés et qu'ils lui aient été cédés, aux mines et minerais des terrains qu'elle achète ou prend en vertu de ses pouvoirs coercitifs. La Cour a jugé que le Parlement avait compétence pour adopter cet article qui se rapporte aux chemins de fer interprovinciaux, en vertu de l'exception prévue par l'alinéa a) du paragraphe 92(10), même s'il existait une loi provinciale prévoyant que la trans mission de la propriété d'un terrain était réputée opérer la cession des mines et minerais. Ci-dessous un passage des motifs prononcés par le juge Rand, à la page 290:
[TRADUCTION] Il est impossible de séparer les pouvoirs affé- rents aux matières qui tombent normalement dans le champ de compétence provincial, la propriété et les droits civils en parti- culier, et certains domaines de compétence prévus par l'art. 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, sous le régime desquels l'on ne pourrait faire deux pas sans toucher à ces pouvoirs. Dans chaque cas de ce genre, la question n'est pas tant de savoir dans quelle mesure le Parlement peut empiéter sur l'art. 92, mais de déterminer dans quelle mesure la pro- priété et les droits civils relèvent de la compétence prépondé- rante du Parlement.
Pour ce qui est du paragraphe 2 des motifs de contestation de la constitutionnalité des deux ordonnances-sommations, et en premier lieu de l'alinéa a), il y aurait lieu de rappeler ici le pouvoir fiscal du Parlement. Le paragraphe 91(3) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867 investit le Parlement du Canada du pouvoir législatif exclusif en matière de «prélèvement de deniers par tous modes ou systèmes de taxation». On peut difficilement concevoir des mots qui confèrent un pouvoir d'imposition plus étendu ou plus universel. Ces mots embrassent indéniablement le prélève-
ment de deniers par la levée d'un impôt sur le revenu. A mon avis, le mot «prélèvement» embrasse non seulement l'établissement et la levée d'impôts, mais aussi les mesures prises pour déterminer quels particuliers sont assujettis à l'impôt et pour percevoir cet impôt. Le Parlement est donc investi de pouvoirs législatifs étendus en matière d'appli- cation et d'exécution de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Pour se prononcer sur l'allégation contenue dans l'alinéa a) du paragraphe 2, il faut savoir ce qu'on entend par «application et exécution». En l'espèce, la question est nettement circonscrite par les faits de la cause: il ne s'agit que de savoir si ces termes s'entendent également de l'obligation faite à un courtier de fournir au Ministère les noms et adres- ses de tous les clients pour lesquels il a acheté ou vendu des valeurs mobilières, de même que le numéro de compte de chaque client et le montant des gains et pertes de chaque client relativement à ces opérations pour chaque mois de l'année. L'avo- cat de la requérante soutient que ces termes n'em- brassent pas pareille obligation.
A l'appui de cet argument, l'avocat a produit un cahier contenant neuf jurisprudences, pour la plu- part des arrêts du Conseil privé, ainsi que le texte des articles 91 et 92 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867 et des paragraphes 231(2),(3) et (4) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Les neuf arrêts portent sur la constitution- nalité ou non de certaines dispositions de lois fédérales et provinciales. Après une étude fouillée de ces neuf causes, je suis parvenu à la conclusion que, dans aucune d'elles, les faits ne ressemblent à ceux qui nous intéressent en l'espèce, et qu'aucune d'elles ne m'éclaire vraiment sur la question nette- ment délimitée sur laquelle je dois me prononcer, à savoir si les termes «application ou ... exécution de la présente loi» embrassent les démarches entre- prises par l'intimé pour obtenir de la requérante des renseignements sur les transactions de valeurs mobilières de ses clients. Je reviendrai sur ces jurisprudences à propos de la constitutionnalité du paragraphe 231(3) de la Loi.
L'avocat de la requérante n'a pas été convain- cant à cet égard. Ce que le Ministre cherche à obtenir, comme le souligne l'avocat de l'intimé, ce sont des renseignements qui permettent de vérifier l'exactitude de déclarations d'impôt sur le revenu.
A cette fin, il demande à voir les relevés de transactions qui peuvent être imposables. C'est ce qui ressort des sommations elles-mêmes et aussi de la correspondance échangée par les parties. Les démarches entreprises par le Ministre visent claire- ment, à mon avis, l'application ou l'exécution de la Loi. Je ne peux donc accueillir à cet égard l'argu- ment de l'avocat de la requérante.
Selon l'alinéa b) du paragraphe 2, la décision ou ordonnance est fondée sur une hypothèse gratuite. Cela est vrai dans la mesure l'intimé n'a pas lieu de croire ou de dire, avant qu'il n'ait obtenu les renseignements demandés, que tel ou tel client de la requérante a pu omettre, en violation de la Loi de l'impôt sur le revenu, de déclarer toutes ses transactions de bons et d'obligations à terme pour les trois années civiles dont s'agit. Si l'intimé pos- sédait déjà la preuve de pareil manquement, il aurait probablement déjà porté son attention sur cette personne.
L'intimé peut avoir de bonnes raisons de croire qu'un ou plusieurs clients de la requérante, dont il ignore les noms, ont pu, dans leurs déclarations d'impôt sur le revenu, passer sous silence leurs transactions de bons et d'obligations à terme pour ces trois années. La corroboration de ce soupçon pourrait se trouver au deuxième paragraphe des deux affidavits en date du 25 novembre 1980 de M. Yaeger, comme suit: [TRADUCTION] «Vers octobre 1975, l'intimé a décidé qu'il était néces- saire de vérifier si les négociants en denrées à terme respectaient la Loi de l'impôt sur le revenu.» Il est difficile de penser que l'intimé aurait pu procéder à la longue enquête dont s'agit s'il n'avait aucune raison de croire qu'il y avait infraction à la Loi de l'impôt sur le revenu. Il serait manifeste- ment injuste de sa part de formuler une allégation de cette nature sur la foi de simples soupçons et sans s'appuyer sur des faits bien établis. D'autre part, il incombe à l'intimé d'établir les faits s'il a lieu de croire, à partir de motifs raisonnables, que certains des négociants en valeurs mobilières ne déclarent pas comme il convient, les profits et pertes qui résultent de leurs opérations.
La requérante a soutenu, à un certain moment, que l'intimé pourrait obtenir par d'autres moyens les renseignements qu'il cherche. Rien dans la preuve, cependant, n'indique quels pourraient être ces autres moyens, à supposer même qu'ils exis-
tent. Le seul élément de preuve se rapportant à ce point se trouve au paragraphe 3 de l'affidavit de M. Yaeger il déclare sous serment: [TRADUC- TION] «On ne peut obtenir des renseignements précis et impartiaux sur les opérations de ces négociants qu'auprès des courtiers de denrées à terme. La requérante est l'un de ces courtiers les
plus importants au Canada».
M. Yaeger déclare encore au paragraphe 21 de son affidavit:
[TRADUCTION] 21. Il est pratiquement exclu que le Ministre applique les dispositions de la Loi et s'assure sérieusement et véritablement de son observation de la part des négociants en denrées à terme s'il n'a pas à sa disposition les renseignements demandés, vu qu'il n'existe pas d'autre source indépendante qui permette d'établir l'existence de ces transactions.
J'en conclus qu'on ne peut pas interdire, par ce motif qu'«elle est fondée sur une hypothèse gra- tuite», la démarche entreprise par l'intimé pour obtenir de la requérante les renseignements demandés.
La requérante soutient à l'alinéa c) que la déci- sion ou ordonnance de l'intimé «est discrimina- toire» du fait qu'à sa connaissance, elle est la seule société de courtage de valeurs mobilières à laquelle le Ministre a demandé des renseignements de ce genre. Rien ne permet de conclure qu'il en est ainsi. A ce sujet, M. Yaeger a fait l'objet d'un contre-interrogatoire assez détaillé de Me Kushne- ryk.
On peut lire les questions et réponses suivantes à la page 19 de la transcription de son contre-inter- rogatoire:
[TRADUCTION] Q. N'est-il pas vrai, M. Yaeger, que votre ministère cherche à obtenir ces renseignements et ces relevés uniquement chez James Richardson & Sons Limited?
R. Non, ce n'est pas vrai.
Q. Qu'avez-vous à dire alors?
R. Nous nous sommes enquis auprès d'autres maisons de courtage.
Q. Quelles autres maisons de courtage?
R. A Toronto.
Q. Quelles autres maisons de courtage?
R. Ça va. Je n'ai pas le document devant moi. J'ai vu au passage une note de service à ce sujet. Je sais qu'il y a eu des enquêtes auprès d'autres maisons de courtage.
En réponse à une autre question, il reconnaît que le bureau de Winnipeg du Ministère (où il travaille) n'a affaire, en ce moment et dans le cadre de ce programme, qu'avec James Richard- son and Sons Limited. Me Meronek l'a alors inter- rogé à nouveau pour lui poser une seule question:
[TRADUCTION] Q. Qui faisait l'objet du programme consa- cré au marché des denrées à terme, qui mettait l'intéres- sée en cause?
R. Tous les négociants en denrées.
Je ne peux donc accueillir l'argument de la requérante selon lequel la décision ou ordonnance de l'intimé est discriminatoire.
La requérante soutient à l'alinéa d) que la déci- sion ou ordonnance de l'intimé «est fondamentale- ment injuste». Il est évident que cette allégation est fondée sur la même interprétation erronée des faits qu'à l'alinéa c), savoir que le programme ne vise que James Richardson and Sons Limited. Cet argument succombe donc par le même motif.
La requérante soutient à l'alinéa e) que la déci- sion ou ordonnance de l'intimé va à l'encontre des règles de justice naturelle. Cet argument est trop vague. Ni les plaidoiries, ni l'argument présenté par l'avocat, n'indiquent quelles règles de justice naturelle auraient été violées par la décision ou ordonnance. Qui plus est, il est constant que les règles de justice naturelle, aussi bien établies soient-elles, n'anéantissent pas les règles détermi- nées qu'a adoptées l'autorité législative compé- tente. Par ces motifs, je ne peux accueillir cet argument non plus.
La requérante soutient à l'alinéa f) que la déci- sion ou ordonnance de l'intimé «ne se rapporte pas à une enquête véritable et sérieuse sur l'assujettis- sement d'un contribuable à l'impôt». L'un des prin- cipaux arguments de l'avocat de la requérante repose sur cette allégation. La requérante invoque le précédent The Canadian Bank of Commerce v. The Attorney General of Canada (1961), 61 DTC 1264 (H.C. Ont.). Cette décision du juge Morand, de la Cour suprême de l'Ontario, a été portée par la suite devant la Cour d'appel de l'Ontario, (1961), 62 DTC 1014; 31 D.L.R. (2d) 625 (C.A. Ont.), puis devant la Cour suprême du Canada, [1962] R.C.S. 729; 62 DTC 1236.
Dans l'affaire Bank of Commerce, le Ministre demandait à la banque de fournir des renseigne- ments et de produire des documents sur les comp- tes de l'un de ses clients, l'Union Bank of Switzer- land. Les faits de cette cause étaient fort différents de ceux de l'espèce, parce que le Ministre enquê- tait sur les transactions d'un seul client, lequel était identifié, alors qu'en l'espèce, le Ministre réclame des informations sur toutes les transac tions de tous les clients de la demanderesse en bons et obligations à terme, sans qu'aucun d'eux ne soit identifié. Ils ne sont mentionnés qu'en leur qualité de clients de la demanderesse (requérante), qui ont effectué des transactions dans ce domaine au cours des années civiles 1977 à 1979 inclusivement. Chacun d'eux possède un numéro de compte et la demanderesse (requérante) peut facilement les identifier, tout comme leurs transactions.
Rendant le jugement en Cour suprême de l'On- tario dans l'affaire Bank of Commerce, le juge Morand s'est prononcé en ces termes à la page 1265:
[TRADUCTION] Il a été reconnu à Faudition de la requête que le Ministre agissait de bonne foi et que la demande (de renseigne- ments et de production de documents) se rapporte à une enquête véritable et sérieuse portant sur l'assujettissement d'une ou de plusieurs personnes déterminées à l'impôt, et que le Ministre avait de bonnes raisons de croire que ces contribuables sont parmi les personnes mentionnées dans le mémoire spécial. Le Ministre a refusé d'identifier la ou les personnes visées, soit par leur nom, soit par quelque description que ce soit.
Je note que les parties étaient convenues d'un mémoire spécial et que le paragraphe 11 de ce mémoire comportait des renseignements confiden- tiels sur les affaires d'autres personnes, en sus de l'Union Bank of Switzerland. C'est à ces personnes que le juge Morand fait allusion à la fin de l'ex- trait ci-dessus.
Il a conclu que la demanderesse devait fournir les renseignements et produire les documents demandés dans la sommation.
La décision majoritaire de la Cour d'appel de l'Ontario, rendue par le juge en chef Porter, par- tage la même conclusion. Voici le sommaire de l'arrêt rapporté dans le recueil des DTC:
[TRADUCTION] Arrêt: L'appel est rejeté (avec une dissi dence). La banque appelante est tenue de fournir les renseigne- ments et de produire les documents requis par le Ministre, et encourt l'amende prévue pour son défaut de se conformer à la
sommation du Ministre. Le paragraphe 126(2) habilite le Ministre à exiger de n'importe qui tout renseignement pour toute fin relative à l'application ou à l'exécution de la Loi. [Note: Le paragraphe 126(2) qui était en vigueur à l'époque a été renuméroté 231(3).] Même si le Ministre ne fait pas enquête sur l'impôt exigible de l'appelante, il tient de cette disposition le pouvoir de demander, dans un but déterminé, à l'appelante de lui fournir les renseignements et documents en sa possession se rapportant à l'assujettissement de tiers à l'impôt. Il a été établi que le Ministre visait à l'application ou à l'exécution de la Loi, et non à une fin quelconque sans rapport avec l'assujettissement à l'impôt. Puisqu'ils visent des fins expressément prévues par la Loi, les actes du Ministre sont des actes administratifs et non judiciaires et, à ce titre, ils ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire. Que, dans l'exercice de ses fonctions, le Ministre ait imposé sans nécessité à l'appelante un fardeau onéreux, voilà une question qui n'est pas non plus susceptible de contrôle judiciaire.
Le juge Schroeder a vigoureusement affirmé ses vues dans ses motifs dissidents en Cour d'appel. D'après lui, le législateur ne visait pas à conférer au Ministre ou à certains fonctionnaires de son Ministère les pouvoirs absolus qui ressortiraient d'une interprétation littérale de l'alinéa 126(2)b), lequel alinéa devrait être restrictivement interprété comme n'autorisant qu'une demande de renseigne- ments ou de production de documents à l'égard d'une personne ou d'une société donnée, ou une demande comportant par ailleurs des détails précis.
Les neufs juges de la Cour suprême du Canada ont rejeté l'appel de la demanderesse. Deux opi nions ont été rendues, l'une par le juge en chef Kerwin, dont le jugement a été partagé par les juges Taschereau, Abbott et Judson. Le juge Cartwright [tel était alors son titre] a rendu l'autre opinion à laquelle ont souscrit les juges Locke, Fauteux, Martland et Ritchie. A la lumière des plaidoiries et de l'exposé conjoint des faits, le juge en chef a conclu que l'Union Bank of Switzerland était [TRADUCTION] «une personne faisant l'objet d'une enquête», alors que d'après le juge Cartwright, on ne savait pas trop si elle faisait ou non l'objet d'une enquête. L'importance que repré- sente cette divergence d'opinions pour l'affaire en instance tient à ce que l'Union Bank of Switzer- land était la seule personne nommée dans la demande de renseignements (bien que le mémoire fasse état de plusieurs autres particuliers et socié- tés). Si l'Union Bank ne faisait pas l'objet d'une enquête, les faits de cette cause offrent une plus grande analogie avec ceux de l'espèce nulle personne ou société n'a été «identifiée» comme faisant l'objet d'une enquête.
Les juges de la Cour suprême du Canada con- cluaient à l'unanimité que la sommation adressée par le Ministre à l'appelante visait à l'application ou à l'exécution de la Loi de l'impôt sur le revenu et avait pour but d'obtenir des renseignements sur l'assujettissement à l'impôt d'une ou plusieurs per- sonnes données qui faisaient l'objet d'une enquête. Les deux jugements confirment expressément les principales conclusions du juge en chef Porter dans l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario. Ni l'un ni l'autre ne fait état des motifs du juge Schroeder en Cour d'appel, mais il ressort des deux jugements qu'aucun juge de la Cour suprême du Canada n'a souscrit à ses conclusions.
Il reste encore à élucider un point, savoir ce qu'on entend par les mots «personne ou personnes déterminées» dans les jugements qui précèdent. Ont-ils pour seule signification «personne ou per- sonnes nommées»? Je ne le crois pas. Dans l'affaire Bank of Commerce, l'Union Bank of Switzerland était la seule personne «nommée» dans la demande. Le juge Cartwright ne semble attacher aucune importance au fait qu'à son avis, cette banque pouvait ne pas faire l'objet d'une enquête. Il lui suffisait que plusieurs autres personnes et sociétés, faisant ou non l'objet d'une enquête, fussent «men- tionnées» dans le mémoire. A mon avis, ces mots signifient dans le contexte des dispositions législa- tives et des pouvoirs très étendus que prévoit le paragraphe 231(3): «une personne ou des person- nes décrites avec suffisamment de détails pour pouvoir être facilement identifiées». Ils peuvent donc s'appliquer à toutes les personnes faisant partie d'un groupe décrit ou par ailleurs identifié. En l'espèce, il y a un groupe décrit, savoir tous les clients de la requérante (demanderesse) qui ont effectué des transactions sur le marché des bons et obligations à terme au cours des trois années dont s'agit. Le Ministre veut, par sa demande, obtenir des renseignements qui lui permettent de vérifier l'exactitude des déclarations d'impôt sur le revenu de chacun de ces clients au cours de ces trois années. Les déclarations de chacun de ces clients doivent être instruites séparément de celles des autres. A mon avis, on peut considérer chacun d'eux comme une personne déterminée, non encore nommée, et dont l'assujettissement à l'impôt fait l'objet d'une enquête, de même que chacun des autres membres du groupe. Je conclus donc des faits de la cause que les demandes de renseigne-
ments faites par le Ministre ne peuvent être assi- milées à une [TRADUCTION] «recherche à l'aveu- glette». En conséquence, je ne peux accueillir l'argument de la requérante selon laquelle les déci- sions ou ordonnances du Ministre n'ont aucun rapport avec une enquête véritable et sérieuse sur un cas spécifique d'assujettissement à l'impôt.
Je me penche maintenant sur l'argument figu- rant au paragraphe 3 des avis introductifs de requête de la requérante, à savoir que le paragra- phe 231(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu va à l'encontre des dispositions du paragraphe 92(13) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, modifié, et échappe à la compétence législa- tive que le Parlement tient de l'article 91 ou de tout autre article de cet Acte. Comme indiqué plus haut, j'analyserai quelques-uns des neuf arrêts cités par l'avocat de la requérante.
Le premier précédent cité, In re The Insurance Act of Canada, [1932] A.C. 41, est le dernier en date de plusieurs arrêts du Conseil privé sur la constitutionnalité des lois en matière d'assurance, dont le premier était The Citizen Insurance Com pany of Canada v. Parsons (1881), 7 A.C. 96. L'arrêt In re The Insurance Act of Canada portait sur les articles 11 et 12 de la Loi des assurances du Canada, S.R.C. 1927, chap. 101, et sur les articles 16, 20 et 21 de la Loi spéciale des revenus de guerre, S.R.C. 1927, chap. 179. Les articles 11 et 12 de la Loi des assurances interdisaient à toute compagnie canadienne ou étrangère et à tout aubain de s'occuper d'assurances au Canada, sans un permis délivré par le gouvernement du Canada. D'autres articles prévoyaient des amendes pour infraction à l'article 11 ou 12. L'article 16 de la Loi spéciale des revenus de guerre requérait tout résident canadien de payer au gouvernement du Canada un impôt de cinq pour cent de la valeur nette de toute prime, s'il faisait assurer des biens situés au Canada par toute compagnie britannique ou étrangère ou par tout assureur, qui ne déte- naient pas le permis prévu à la Loi des assurances. Le Comité judiciaire du Conseil privé a jugé que tous ces articles étaient inconstitutionnels.
Le vicomte Dunedin, après avoir examiné les arrêts antérieurs, a conclu l'arrêt du Comité judi- ciaire comme suit:
[TRADUCTION] Leurs Seigneuries ne peuvent mieux expri- mer leur avis qu'en paraphrasant ce passage des motifs pronon-
cés par le juge Duff dans l'arrêt Reciprocal Insurers': «Confor- mément au principe inhérent de ces décisions, leurs Seigneuries jugent qu'il est bien établi que le Parlement du Canada ne peut pas, sous le couvert de la création de sanctions pénales en application du paragraphe 91(27), intervenir dans un champ de compétence sur lequel il n'a aucun pouvoir à moins de recourir à cet artifice. S'il ressort de la loi prise dans son ensemble que, malgré les apparences d'une loi pénale, elle traite, de par sa nature et son objet, de matières qui sont de la compétence exclusive des provinces, elle doit être déclarée inconstitution- nelle.» Si l'on remplace les mots «la création de sanctions pénales en application du paragraphe 91(27)» par les mots «l'exercice des pouvoirs fiscaux prévus au paragraphe 91(3)», et le mot «pénale» par le mot «fiscale», cette phrase traduit parfai- tement les vues de leurs Seigneuries.
Je partage entièrement l'interprétation du droit que donne le paragraphe cité. A mon avis, toute- fois, cela n'est d'aucun secours à la requérante puisque, comme indiqué plus haut, j'ai conclu que la demande de renseignements a été faite par le Ministre aux fins d'application et d'exécution de la Loi de l'impôt sur le revenu. Rien n'indique en l'espèce une autre fin quelle qu'elle soit. Rien n'indique que, sous le couvert de l'application ou de l'exécution de la Loi, le paragraphe 231(3) ait pour objet véritable d'empiéter sur la compétence que les provinces tiennent du paragraphe 92(13) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867 en matière de propriété et de droits civils, ou sur toute autre compétence provinciale prévue par d'autres dispositions de cet Acte. Une loi n'est pas inconstitutionnelle du seul fait qu'elle affecte les droits civils. Ce principe est illustré par le deuxième arrêt cité par l'avocat Proprietary Arti cles Trade Association, et al. v. Attorney -General for Canada, et al., [1931] A.C. 310.
Cet arrêt portait sur la constitutionnalité en tout ou en partie de la Loi des enquêtes sur les coali tions, S.R.C. 1927, chap. 26, et sur la constitution- nalité de l'article 498 du Code criminel.
Aux termes de l'article 32 de la Loi des enquêtes sur les coalitions, quiconque participait à la for mation ou à l'exploitation d'une coalition qui était au détriment du public et qui restreignait ou lésait l'industrie ou le commerce, commettait un acte criminel punissable d'une amende ou d'une peine d'emprisonnement.
Aux termes de l'article 498 du Code, quiconque complotait, se coalisait ou s'entendait pour limiter indûment les facilités de transport, restreindre le
commerce, diminuer la fabrication ou la concur rence, commettait un acte criminel punissable d'une amende ou d'une peine d'emprisonnement.
Le Conseil privé a jugé que ces deux textes de loi relevaient bien de la compétence en matière de loi criminelle que le Parlement du Canada tenait du paragraphe 91(27) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867. Le sommaire porte en partie:
[TRADUCTION] Si la loi, de par son caractère véritable, se situe dans les limites des pouvoirs énumérés à l'art. 91, il importe peu qu'elle affecte la propriété et les droits civils dans les provinces (paragraphe 92(13)) ou affecte, ce qui n'est pas le cas, l'admi- nistration de la justice dans les provinces (paragraphe 92(14)).
Le jugement a été rendu par lord Atkin qui s'est prononcé en ces termes aux pages 326 et 327:
[TRADUCTION] Partant, si la loi en question s'autorise de l'une ou l'autre des catégories spécifiquement énumérées dans l'art. 91, rien ne sert de dire que cette loi affecte la propriété et les droits civils dans les provinces. La plupart des sujets spécifi- quement mentionnés dans l'art. 91 affectent la propriété et les droits civils, mais, dans la mesure la législation édictée par le Parlement se situe, de par son caractère véritable, dans les limites des pouvoirs énumérés, elle peut constitutionnellement affecter le domaine de la propriété et des droits civils.
Il est indéniable que le paragraphe 231(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu est, de par son carac- tère véritable, une disposition de loi fiscale; il s'autorise donc du paragraphe 91(3) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867.
Le troisième précédent cité par l'avocat, Attor- ney -General for the Dominion of Canada v. Attorney -General for the Province of Alberta et al., [1916] 1 A.C. 588, est une affaire d'assurance antérieure au premier arrêt invoqué. L'article 4 de la Loi des assurances, 1910, 9 & 10 Edw. 7, chap. 32, du Canada prévoyait, pour quiconque enten- dait s'occuper d'assurances dans ce pays, l'obliga- tion d'obtenir au préalable un permis délivré par le gouvernement du Canada. L'article 70 prévoyait une amende pour la première infraction à cette obligation et une peine d'emprisonnement pour toute infraction subséquente. Cet arrêt du Conseil privé contient un exposé de la règle de droit appli cable; règle qui a été citée et suivie à maintes reprises depuis lors. Le Conseil privé a conclu en ces termes [sommaire, aux pages 588 et 589]:
[TRADUCTION] ... le Parlement du Canada n'avait pas le pouvoir d'adopter cette loi parce que le pouvoir conféré par le paragraphe 91(2) de l'Acte de l'Amérique du Nord britanni- que, 1867, qui permet de légiférer sur «la réglementation du
trafic et du commerce», n'embrasse pas la réglementation, par un système de permis, d'un commerce particulier auquel les Canadiens sont par ailleurs libres de s'adonner dans les provin ces...
Et plus loin:
[TRADUCTION] ... cette loi ne pouvait être adoptée en vertu du pouvoir général, prévu par l'art. 91, de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada, parce qu'elle empiète sur le pouvoir législatif conféré aux provinces par le paragraphe 92(13), pour faire des lois relatives aux «droits civils dans la province».
Quel que soit l'appui que la requérante a pensé trouver dans ce jugement, j'estime qu'il est, à la lumière des faits de la cause, entièrement anéanti par le passage cité plus haut de l'arrêt Proprietary Articles.
L'avocat a invoqué en quatrième lieu l'arrêt In re The Board of Commerce Act, 1919 and The Combines and Fair Prices Act, 1919, [1922] 1 A.C. 191. La première des deux lois mentionnées instituait la Commission de commerce. La seconde habilitait la Commission à réprimer et à interdire les coalitions qu'elle jugeait contraires à l'intérêt public. Elle lui accordait aussi le pouvoir de répri- mer les accumulations d'articles d'alimentation, de vêtements et de combustibles au-delà de la quan- tité raisonnablement utilisée pour être consommée par un particulier pour son ménage ou par un commerçant pour les fins de son commerce, de même qu'elle lui permettait d'exiger que l'excédent soit offert en vente à des prix justes et lui accordait le pouvoir d'imposer des sanctions de nature pénale pour toute infraction à la Loi.
Le Conseil privé a jugé que le Parlement du Canada n'avait pas le pouvoir d'adopter ces deux Lois parce qu'elles constituaient une grave ingé- rence dans [TRADUCTION] «la propriété et les droits civils dans les provinces», un domaine de compétence exclusive confié aux provinces par le paragraphe 92(13) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867. Ces deux Lois ne pou- vaient se réclamer d'aucune disposition de l'article 91, ni du paragraphe (2) sur le trafic et le com merce, ni du paragraphe (27) sur la loi criminelle.
Cet arrêt non plus n'est d'aucun secours pour la requérante, puisque j'ai conclu que le Parlement fédéral était habilité à adopter le paragraphe 231(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu, sous le régime du paragraphe 91(3) sur la taxation.
L'avocat a encore invoqué les arrêts suivants:
Le cinquième —The King v. Imperial Tobacco Company of Canada Limited, [1938] R.C.É. 177.
Le sixième —His Majesty The King v. Imperial Tobacco
Company of Canada Limited, [1939] R.C.S. 322, appel en Cour suprême du Canada du cinquième arrêt ci-dessus de la Cour de l'Échiquier.
Le septième —Attorney -General for British Columbia v. Attorney -General for Canada et al., [1937] A.C. 368.
Le huitième —In the Matter of Three Bills Passed by the Legislative Assembly of Alberta At the 1937 (Third Session) Thereof Entitled Respec tively:
"An Act Respecting the Taxation of Banks";
"An Act to Amend and Consolidate the Credit of Alberta Regulations Act";
"An Act to Ensure the Publication of Accurate News and Information", [1938] R.C.S. 100.
Le neuvième —Attorney -General for Canada v. Attorney - General for Ontario et al., [1937] A.C. 355.
J'ai lu les motifs de tous ces arrêts, et il n'est pas nécessaire d'en faire l'analyse en l'espèce. A mon avis, aucun de ces arrêts n'est d'un secours quel- conque pour la requérante (demanderesse).
Il s'agit en l'espèce de juger la constitutionnalité d'une disposition d'une loi du Parlement du Canada, plus précisément du paragraphe 231(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu. On peut rappe- ler de la manière suivante le principe fondamental et bien établi à l'égard d'une telle loi: une loi adoptée par le Parlement est constitutionnelle si, de par son caractère véritable, elle porte sur l'un ou des domaines de compétence de l'article 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, peu importe qu'elle touche à un ou à des domaines de compétence de l'article 92, lesquels relèvent de la juridiction exclusive des provinces, tels la pro- priété et les droits civils dans la province, au paragraphe 92(13), et généralement toutes les matières d'une nature purement locale ou privée dans la province, au paragraphe 92(16). Par contre, une telle loi est inconstitutionnelle si, malgré la forme ou l'apparence d'une loi adoptée en vertu d'un ou de plusieurs paragraphes de l'arti- cle 91, son caractère véritable porte sur un domaine relevant de la compétence exclusive des provinces.
Comme indiqué plus tôt dans ces motifs, il est indéniable que le paragraphe 231(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu s'autorise du paragraphe 91(3) qui prévoit le prélèvement de deniers par tous modes ou systèmes de taxation. Il investit le ministre du Revenu national des pouvoirs propres à l'accomplissement des obligations et responsabi- lités que lui impose la Loi de l'impôt sur le revenu. L'obligation qui incombe au Ministère d'appliquer et d'exécuter la Loi comprend nécessairement l'obligation et la responsabilité de déterminer, par tout moyen raisonnable, quels sont les contribua- bles qui doivent un impôt et combien ils doivent payer. En ce qui concerne la preuve, le seul moyen pratique de déterminer quelles sont les personnes qui se livrent aux opérations à terme, lesquelles d'entre elles réalisent des bénéfices ou subissent des pertes, et combien elles ont gagné ou perdu, est de se renseigner auprès des courtiers qui ont effec- tué les transactions. Le Ministre a besoin de tous les renseignements qu'il demande à la requérante. A mon avis, les deux demandes sont légales et raisonnables, leur légalité n'étant pas contestable du fait qu'elles peuvent causer à la requérante beaucoup de tracas et de frais.
L'avocat de la requérante a également soulevé deux ou trois autres points qu'il y a lieu de com- menter brièvement. Il évoque le principe selon lequel une loi fiscale doit être interprétée restricti- vement, et cite plusieurs précédents dans lesquels ce principe a été suivi ou commenté. Je ne conteste ni le principe, ni les causes citées à l'appui. Ce principe ne signifie toutefois pas qu'on doit res- treindre encore le sens de mots employés dans une loi et dont le sens est clairement exprimé, ou leur donner un autre sens que leur sens grammatical ordinaire. Il appert qu'aucune des décisions citées ne donne une interprétation différente du droit en la matière.
En l'espèce, le sens du paragraphe 231(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu est très clair. Il habilite le Ministre à exiger de toute personne tout renseignement pour toute fin visée. Cette phrase dit bien ce qu'elle veut dire, sous cette seule réserve que les renseignements demandés doivent porter sur un revenu, attendu que cette phrase se trouve dans la Loi de l'impôt sur le revenu et que la demande de renseignement doit être faite aux fins d'application ou d'exécution de la Loi.
L'avocat de la requérante soutient aussi qu'en l'espèce, il n'y a aucune enquête, ni sur la requé- rante, ni sur aucun de ses clients, ni sur qui que ce soit, et qu'en conséquence, l'action du Ministre ne
visait pas à l'application ou à l'exécution de la Loi. L'avocat de l'intimé a opposé à cet argument le précédent Attorney General of Canada v. Bélanger (1962), 63 DTC 1289 (B.R. Qué.). Il s'agissait d'une affaire de défaut de déclaration d'impôt sur le revenu, malgré une sommation du Ministre. La Cour du Banc de la Reine du Québec a infirmé le
jugement de première instance qui avait rejeté la poursuite pour défaut de déclaration d'impôt. Le juge Ouimet s'est prononcé en ces termes à la page
1292:
[TRADUCTION] a) Il n'est pas nécessaire de prouver que «la demande est faite au cours d'une enquête ordonnée en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu».
b) Une demande de production d'une déclaration de revenu, faite conformément à l'article 126(2) [actuellement rénuméroté 231(3)], peut être faite en dehors d'une enquête ordonnée par le Ministre ou une autre personne autorisée.
L'avocat de la requérante fait remarquer que l'arrêt Bank of Commerce, précité, de la Cour suprême du Canada, rendu quelques semaines après l'arrêt Bélanger, l'emporte sur celui-ci. Je conviens que l'arrêt Bank of Commerce doit préva- loir dans la mesure il y a conflit entre les deux. Il s'agit cependant de savoir dans quelle mesure les deux arrêts sont en conflit l'un avec l'autre. Ce qui ressort de ,l'arrêt Bélanger, c'est qu'il n'est pas nécessaire de procéder à une vérification, à une saisie de livres ou de documents, ni de tenir une enquête, avant d'exiger la production d'une décla- ration d'impôt sur le revenu. L'arrêt Bank of Commerce ne constitue pas, à mon avis, une néga- tion de cette conclusion. Dans l'affaire Bank of Commerce, les deux parties convenaient que la demande était relative à une enquête sérieuse et véritable sur l'impôt exigible d'une ou de plusieurs personnes déterminées. Il s'agissait d'une ques tion de fait, et ce fut un élément déterminant qui a amené la Cour à conclure que le Ministre agissait aux fins d'application ou d'éxécution de la Loi. Ni l'un ni l'autre jugement rendu en cette affaire ne dit à quel stade de l'enquête le Ministre peut autoriser la demande de renseignements, ni même qu'une enquête doit avoir lieu au préalable. Le mot «relative» peut s'appliquer tout aussi bien à une enquête envisagée qu'à une enquête déjà commencée.
A part ce que j'ai dit au paragraphe précédent, je conclus qu'il s'agit en l'espèce d'une enquête véritable et sérieuse qui a été jugée nécessaire il y a plusieurs années. N'ayant pu obtenir des rensei- gnements librement fournis, le Ministre cherche maintenant à se les assurer par les voies officielles mises à sa disposition par le paragraphe 231(3). Dès le début, il était évident que le Ministère cherchait des renseignements sur les transactions et les bénéfices des négociants en bons et obliga tions à terme. Le fait que le Ministre a poursuivi cet objectif pendant de si nombreuses années jus- qu'à la présente étape prouve qu'il s'agit de quelque chose de véritable et de sérieux que l'on peut certainement qualifier d'enquête.
J'ai déjà exprimé mon opinion sur le sens des mots «personne ou personnes déterminées», pris dans le contexte de la Loi de l'impôt sur le revenu.
L'avocat de la requérante relève un vice de forme entachant la demande du 8 mai 1980. Selon le paragraphe 231(3), il faut préciser dans la demande que les renseignements ou documents sont exigés «dans le délai raisonnable qui peut y être fixé». La demande du 8 octobre 1980 indique que les renseignements devaient être fournis au plus tard le 8 décembre 1980, ce qui est conforme à cette disposition de la loi. Toutefois, la demande du 8 mai 1980 ne précise aucune date ou délai; elle exige que les renseignements soient fournis [TRA- DUCTION] «sans délai». L'avocat soutient que ces mots ne sont pas conformes à la loi qui doit être interprétée restrictivement et, qu'en conséquence, la demande est nulle.
L'avocat de l'intimé soutient que, dans le con- texte de cette demande en particulier, les mots «sans délai» signifient [TRADUCTION] «dans un délai raisonnable», «sans tarder» ou «aussitôt que possible», et qu'ils sont donc conformes à la loi.
Le but de cette disposition législative est de garantir que la personne qui fait l'objet d'une demande de renseignements dispose d'un délai rai- sonnable pour s'y conformer (délai qui pourra varier considérablement selon la quantité de ren- seignements demandés et le temps requis pour les recueillir et les rassembler, etc.) et qu'elle s'y conforme dans ce délai raisonnable. Les mots «sans délai» ne sont pas rigoureusement conformes à la
loi, mais en tant qu'ils signifient «dans un délai raisonnable», signification que leur ont souvent donnée les cours de justice et qui, à mon avis, doit leur être attribuée en l'espèce, ils assurent à la requérante toute la protection prévue par la loi. Un délai raisonnable n'est pas un délai précis, comme une période fixe ou un dernier délai, mais on peut le déterminer par les faits selon chaque cas d'es- pèce. Si, en l'espèce, les renseignements demandés ne sont pas promptement fournis et que le Ministre engage des procédures judiciaires, il devra con- vaincre le tribunal qu'il ne les a engagées qu'au terme d'un délai raisonnable, accordé à la requé- rante pour qu'elle puisse se conformer à la demande.
Même à l'égard de la sommation du 8 octobre 1980, qui accorde à la requérante un délai de deux mois pour s'y conformer, il se peut que le Ministre ait à convaincre la Cour que le délai de deux mois constitue un délai raisonnable. Ce serait le cas si la requérante objectait assez tôt qu'elle ne disposait pas d'un délai suffisant et si elle pouvait établir de prime abord la nécessité d'un délai plus long.
Il appert qu'en l'espèce, les mots «sans délai», employés dans la demande du 8 mai 1980, sont conformes au but visé par la règle qui s'incarne dans le texte de loi dont s'agit. Je ne pense pas que les mots «dans le délai raisonnable qui peut y être fixé» du paragraphe 231(3) aient pour effet d'inva- lider une demande formulée comme celle en l'es- pèce, surtout s'il n'y a pas lieu de conclure que la requérante en a subi ou pourra en subir un préju- dice. Je conclus donc que la demande du 8 mai 1980 ne doit pas être annulée par ce motif.
Il échet enfin d'examiner si, selon l'allégation faite dans l'action intentée devant cette Cour par déclaration du 20 novembre 1980, les alinéas 231(3)a) et b) enfreignent les alinéas 1 a) et 2e) de la Déclaration canadienne des droits. Ces derniers alinéas portent:
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe:
a) le droit de l'individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ainsi qu'à la jouissance de ses biens, et le droit de ne s'en voir privé que par l'application régulière de la loi;
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonob- stant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations;
En ce qui concerne l'alinéa la), le seul droit que puisse viser cette allégation serait «le droit ... à la jouissance de ses biens, et le droit de ne s'en voir privé». Tout ce que le Ministre demande, ce sont des renseignements. Ses sommations ne portent pas atteinte au droit de qui que ce soit à la jouissance de ses biens; elles n'impliquent pas non plus que quelqu'un sera ou pourra être privé de ce droit. Même si cela n'était pas le cas, les derniers mots de l'alinéa l a), «que par l'application régu- lière de la loi», suffisent, à mon avis, à annihiler cet argument. A la lumière des faits et vu les règles de droit applicables, il appert, comme indiqué plus haut, que le Ministre applique régulièrement la loi en faisant ces deux demandes de renseignements.
Quant à l'alinéa 2e), je pense que, s'il s'applique en l'espèce, cette audition des deux requêtes a précisément pour objet de garantir une audition impartiale. Il est vrai que les clients de la requé- rante, dont le droit au secret pour ce qui est de leurs transactions peut être menacé par le rejet des requêtes, ne sont pas parties à l'instance, mais la Cour a pleine conscience de leurs droits. Il y a toujours, dans les affaires de ce genre, conflit entre les droits de l'individu, d'une part, et le but et les besoins d'un gouvernement efficace dans l'exercice de ses responsabilités, d'autre part. Il est alors nécessaire de faire l'équilibre entre les deux pla teaux de la balance, mais il est bien difficile de décider lequel des deux doit peser plus lourd.
En l'espèce, la nécessité qu'il y a pour le minis- tère du Revenu national d'établir et de percevoir, autant que possible, l'impôt sur le revenu payable par les négociants en denrées à terme, du fait des bénéfices réalisés sur leurs transactions, est impor- tante et peut-être très importante. Nombreux sont ceux qui se livrent à cette activité au Canada, et d'importants bénéfices sont parfois réalisés pen-
dant une année ou même au cours d'une seule transaction. Si l'on en juge par le nombre des affaires de fraude fiscale qui passent en jugement, il se peut que certains de ces négociants cèdent parfois à la tentation de ne pas déclarer, aux fins de l'impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés à l'occasion d'une ou de plusieurs transactions. Il ne fait pas de doute que cette tentation est d'autant plus grande que les bénéfices sont plus importants. Si cette tentation est grande, c'est que le risque d'être découvert peut sembler infime. En général, seuls le négociant et son courtier connaissent ou doivent connaître les bénéfices réalisés par le négo- ciant, et seul le négociant sait ou doit savoir s'il a déclaré dans ses revenus tous les bénéfices réalisés par ces transactions. Que ces bénéfices soient passés sous silence sciemment, ou à la suite d'un oubli ou d'une autre erreur involontaire, c'est le fisc qui subit une perte, dont une partie est suppor- tée par les provinces eu égard aux accords de partage des recettes fiscales entre le Canada et les provinces. Il se peut qu'au cours d'une année quel- conque, la perte subie par les différents gouverne- ments soit nulle ou marginale, mais il se peut aussi qu'elle soit substantielle. Le Ministère a donc réel- lement besoin de déterminer les faits dont s'agit. Comme indiqué plus haut, l'intimé affirme que le seul moyen pratique de les établir, c'est d'obtenir ces renseignements auprès des courtiers. C'est le but visé par les demandes du Ministre, en date du 8 mai et du 8 octobre 1980. Il n'a été indiqué à la Cour aucun autre moyen efficace d'obtenir les renseignements requis. Je considère donc exacte la preuve de l'intimé sur ce point.
Je n'accorde pas le même poids à la position des négociants qui sont les clients de la requérante et qui seront peut-être affectés par l'issue de ces procédures auxquelles ils ne sont pas parties. Le droit de l'individu à la vie privée cède au besoin de gouvernement efficace lorsque la situation est assez grave pour le justifier. En l'espèce, l'intimé demande ou exige, à propos de leurs transactions de valeurs mobilières, des renseignements qu'il s'est engagé à garder strictement confidentiels. Cet engagement signifie, à mon avis, que seuls les fonctionnaires du Ministère qui doivent les ins- truire connaîtront le contenu de ces renseigne- ments. Le risque que ces renseignements devien-
nent un secret de polichinelle est infime, voire nul. Cet engagement ne vaut pas, bien entendu, dans le cas les renseignements obtenus sont tels qu'ils justifient une nouvelle action en justice. A titre d'exemple, si le Ministre intente une action crimi- nelle ou civile contre un négociant, et qu'il lui soit nécessaire de soumettre en preuve les renseigne- ments qui l'ont amené à agir en justice, le droit au secret du négociant cédera aux impératifs de la justice.
Je conclus, à la lumière des faits de la cause, que les demandes du Ministre ne vont pas à l'encontre de l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, pour ce qui est des clients de la requérante. Si le Ministre vient à intenter une action en justice contre n'importe lequel d'entre eux à la suite des renseignements obtenus, son droit à une audition impartiale sera parfaitement protégé en vertu de la loi.
La conclusion finale à laquelle je suis parvenu, non sans difficulté et malgré mes doutes, est que je dois rejeter les deux demandes, introduites par la requérante devant cette Cour par voie d'avis intro- ductifs de requête, datés respectivement du 16 mai 1980 et du 14 novembre 1980, et déposés respecti- vement le 20 mai 1980 et le 20 novembre 1980. Je dois également rejeter l'action intentée par la demanderesse (requérante pour ce qui est des deux requêtes ci-dessus), par déclaration datée du 20 novembre 1980 et déposée le même jour. Les trois procédures, réunies par ordonnance de la Cour en date du 10 décembre 1980, sont rejetées avec un seul décompte de dépens pour les deux journées d'audience du 10 et 11 décembre 1980.
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