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A-840-81
La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (appelante)
c.
La Commission canadienne des transports (inti- mée)
Cour d'appel, juges Pratte et Ryan, juge suppléant Hyde—Montréal, 22 et 23 avril 1982.
Transports En 1975, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) a acquis une participation minori- taire (18% des actions émises) dans EuroCanadian Shiphold- ings Limited (ECSL), société de portefeuille contrôlant plu- sieurs sociétés de transport, après en avoir donné avis à la Commission canadienne des transports conformément à l'art. 27 de la Loi nationale sur les transports L'art. 27(1) exige qu'un avis soit donné de l'acquisition proposée d'un intérêt dans les affaires ou l'entreprise de toute personne principale- ment engagée dans des opérations de transport En juillet et novembre 1980, le CN a acquis des actions privilégiées d'ECSL, mais il n'a pas donné à la Commission avis de ces acquisitions La Commission a jugé que l'art. 27 s'appli- quait à ces acquisitions et a ordonné au CN de donner l'avis requis L'art. 27 s'applique à toutes les acquisitions propo sées et il ne fait pas la distinction entre la personne qui acquiert des actions dans une société pour la première fois et celle qui, étant déjà actionnaire, accroît sa participation dans cette société Au sens de l'art. 27, acquérir des actions d'une société revient à acquérir indirectement un intérêt dans les affaires ou l'entreprise de cette société L'art. 27(5) présup- pose que l'acquisition d'un intérêt dans une société peut être, au sens de cet article, un moyen d'acquérir un intérêt dans l'entreprise de cette société Aucune distinction n'est faite entre les diverses catégories d'actionnaires Appel formé contre la décision de la Commission, rejeté Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, chap. N-17, art. 27, 64.
JURISPRUDENCE
DÉCISION EXAMINÉE:
Roche v. Marston, [1951] R.C.S. 494.
APPEL.
AVOCATS:
Serge A. Cantin pour l'appelante.
G. W. Nadeau, c.r., pour l'intimée.
Ben Bierbrier pour le sous-procureur général
du Canada, intervenant.
Gregory Evans et William Sutherland pour la
province de la Nouvelle-Écosse, intervenante.
PROCUREURS:
Contentieux de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, Montréal, pour l'appelante.
Contentieux de la Commission canadienne des transports, Hull, pour l'intimée.
Le sous-procureur général du Canada pour le sous-procureur général du Canada, interve- nant.
Le procureur général de la Nouvelle-Écosse, Halifax, pour la province de la Nouvelle- Écosse, intervenante.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE PRATTE: Il S'agit d'un appel formé en vertu de l'article 64 de la Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, chap. N-17, contre une décision rendue par la Commission canadienne des transports relativement à l'acquisition, en juillet et en novembre 1980, par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, d'actions privilégiées d'EuroCanadian Shipholdings Limited, société de portefeuille et de placement constituée sous le régime des lois des Bermudes.
Tout d'abord, il est nécessaire de rappeler qu'en 1975, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada a acquis une participation minoritaire dans EuroCanadian Shipholdings Limited en ache- tant 18% des actions émises. Avant de procéder à cette acquisition, elle en a donné avis à la Commis sion canadienne des transports conformément au paragraphe 27(1) de la Loi nationale sur les transports'. Il a effectivement été considéré, et à juste titre d'ailleurs, que EuroCanadian Shiphold- ings Limited étant une société de portefeuille con- trôlant plusieurs sociétés de transport, l'acquisition d'actions de cette société par le Canadien National était, en effet, au sens du paragraphe 27(1), l'ac- quisition d'«un intérêt dans les affaires ou l'entre-
1 L'article 27 est ainsi rédigé:
27. (I) Une compagnie de chemin de fer, une compagnie de pipe-line pour denrées, une compagnie de transport par eau, une personne exploitant une entreprise de transport par véhicule à moteur ou un transporteur par air, assujetti à la compétence législative du Parlement du Canada, qui se propose d'acquérir, directement ou indirectement, par achat, location à bail, fusion, consolidation ou autrement, un intérêt dans les affaires ou l'entreprise de toute personne principale- ment engagée dans des opérations de transport, que ces affaires ou cette entreprise soient ou non soumises à la compétence du Parlement, doit donner à la Commission avis de l'acquisition proposée.
(2) La Commission doit donner ou faire donner l'avis public ou tel autre avis de toute acquisition proposée men- tionnée au paragraphe (1) qui lui semble raisonnable dans les
prise [d'une] personne principalement engagée dans des opérations de transport». En application du paragraphe 27(2), la Commission a, par la suite, donné l'avis public de cette acquisition pro posée et, après avoir reçu diverses oppositions, elle a tenu une enquête au cours de laquelle le Cana- dien National a donné l'assurance qu'il n'avait pas l'intention d'acquérir une participation de plus de 18% dans le capital social d'EuroCanadian Shipholdings Limited. A la suite de cette enquête, la Commission a décidé de reconnaître l'acquisi- tion proposée.
En 1980, le Canadien National a, sans en aviser la Commission, acquis des actions privilégiées de la même société:
a) En juillet 1980, le Canadien National a acquis 5,400 actions privilégiées remboursables, sans droit de vote, à dividende cumulatif de 12 1 / 2 % et à valeur nominale de $1,000 U.S. chacune, rachetables au plus tard le 22 juillet 1983;
b) En novembre 1980, il a acquis 2,970 actions privilégiées de deuxième rang, remboursables, sans droit de vote, à dividende de 12 1 / 2 % et à valeur nominale de $1,000 U.S. chacune, rache- tables au plus tard le 10 novembre 1985;
circonstances, y compris l'avis au directeur des enquêtes et recherches en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions.
(3) Toute personne visée par une proposition d'acquisition mentionnée au paragraphe (1) ou toute association ou autre organisme représentant les transporteurs ou des entreprises de transport visées par cette acquisition peut, dans le délai qui peut être prescrit par la Commission, s'opposer auprès de la Commission à cette acquisition en invoquant le motif qu'elle restreindra indûment la concurrence ou portera autre- ment préjudice à l'intérêt public.
(4) Lorsqu'il est fait opposition en conformité du paragra- phe (3), la Commission
a) doit faire l'enquête, comprenant notamment la tenue d'auditions publiques, qu'elle estime nécessaire ou souhai- table dans l'intérêt du public;
b) peut ne pas reconnaître une semblable acquisition si, de l'avis de la Commission, cette acquisition doit restreindre indûment la concurrence ou être par ailleurs préjudiciable à l'intérêt public;
et toute semblable acquisition, à laquelle il a été fait opposi tion dans le délai prévu à cette fin par la Commission et que la Commission n'a pas reconnue, est nulle.
(5) Rien au présent article ne doit s'interpréter comme autorisant l'acquisition d'un intérêt dans une autre compa- gnie lorsque cette acquisition est interdite par quelque loi du Parlement du Canada.
c) En novembre 1980, il a également acquis 33,500 actions privilégiées de deuxième rang, remboursables, participantes, convertibles et pri- vées du droit de vote, à dividende cumulatif de 71% et à valeur nominale de $1,000 U.S. cha- cune, rachetables au plus tard le 10 novembre 1985.
Le Canadien National n'a pas avisé la Commission de ces acquisitions, parce qu'il a estimé que cel- les-ci n'étaient pas des acquisitions du genre visé au paragraphe 27(1). Par la décision attaquée, la Commission a décidé que ces acquisitions étaient des acquisitions auxquelles s'appliquait l'article 27; elle a donc enjoint au Canadien National de [TRA- DUCTION] «donner avis sur-le-champ conformé- ment à cet article».
Le seul point litigieux dans cet appel consiste à savoir si les acquisitions faites par le Canadien National en juillet et en novembre 1980 d'actions privilégiées d'EuroCanadian Shipholdings Limited étaient des acquisitions visées à l'article 27 de la Loi nationale sur les transports. L'appelante ne conteste à aucun autre égard la légalité de la décision de la Commission.
A l'appui de sa prétention selon laquelle l'article 27 ne s'applique pas à ces acquisitions d'actions privilégiées, l'avocat de l'appelante a, en premier lieu, fait valoir que, bien que l'article 27 s'applique à l'opération initiale par laquelle un transporteur acquiert un intérêt dans l'entreprise de transport d'une autre personne, il ne s'applique pas aux opérations par lesquelles un transporteur qui a déjà une participation dans l'entreprise de trans port d'une autre personne accroît cette participa tion. Puisque depuis 1975 le Canadien National avait déjà un intérêt dans l'entreprise ou les affai- res d'EuroCanadian Shipholdings Limited, il pou- vait, selon l'avocat, accroître sa participation dans cette société sans être assujetti au contrôle prévu à l'article 27. Autrement dit, l'avocat interprète le paragraphe 27(1) comme s'il ne s'appliquait qu'aux transporteurs qui se proposent de prendre une participation dans l'entreprise de transport d'une autre personne. Mais ce n'est pas ce que prévoit le paragraphe. D'après son libellé, le para- graphe s'applique toutes les fois qu'un transporteur «se propose d'acquérir ... un intérêt» dans l'entre- prise de transport d'une autre personne. Si l'on présume, comme on doit le faire aux fins de cet
argument, que l'acquisition d'actions dans une société entraîne l'acquisition d'un intérêt dans les affaires ou l'entreprise de cette société, le texte de cet article ne permet nullement de faire la distinc tion entre la personne qui acquiert des actions dans une société pour la première fois et celle qui, étant déjà actionnaire, accroît sa participation dans cette société; toutes deux acquièrent, par leur achat, un intérêt dans la société et dans ses affaires. Il s'agit là, à mon avis, du sens naturel et usuel des termes employés au paragraphe 27(1). L'avocat de l'appe- lante n'a pas pu suggérer de raison convaincante pour l'adoption de l'interprétation restrictive et, à mon sens, moins naturelle, qu'il a proposée. J'es- time donc qu'il y a lieu de repousser ce premier moyen.
L'appelante soutient en second lieu que le para- graphe 27(1) ne s'appliquait pas aux acquisitions des actions privilégiées en l'espèce, parce que cela ne comportait pas l'acquisition d'un intérêt dans l'entreprise de transport d'EuroCanadian Ship - holdings Limited. L'avocat expose tout d'abord que la simple acquisition d'actions dans une société ne saurait, en soi, être considérée comme l'acquisi- tion d'un intérêt dans l'entreprise ou les affaires de cette société. A l'appui de cette suggestion, il cite la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Roche v. Marston, [1951] R.C.S. 494. Toujours selon lui, il n'y a qu'un seul cas l'acquisition d'actions dans une société implique l'acquisition d'un intérêt dans l'entreprise ou les affaires de la société: c'est lorsque l'acquisition des actions confère à l'actionnaire des droits de direc tion relativement aux affaires ou à l'entreprise de la société. L'actionnaire qui ne jouit pas de droits de direction doit, dit-il, être assimilé à un déten- teur d'obligations qui, on en convient, n'a aucun intérêt dans l'entreprise ou les affaires de la société.
D'après la décision rendue par la Cour suprême dans l'affaire Roche v. Marston, il existe, en droit, une nette distinction entre l'acquisition d'un inté- rêt dans une société et l'acquisition d'un intérêt dans l'entreprise de cette société. J'estime toutefois qu'il est également clair que, au sens de l'article 27, acquérir des actions dans une société revient à acquérir indirectement un intérêt dans les affaires ou l'entreprise de cette société. Tout doute que j'aurais pu avoir sur ce point est dissipé par le
paragraphe 27(5) qui, selon moi, présuppose clai- rement que l'acquisition d'un intérêt dans une société peut être, au sens de cet article, un moyen d'acquérir un intérêt dans l'entreprise de cette société. Je ne saurais, à cet égard, tenir pour différentes les diverses catégories d'actionnaires. Tout actionnaire, qu'il soit détenteur d'actions ordinaires ou privilégiées, a, à mon avis, un intérêt dans la société et, indirectement, dans son entre- prise et ses affaires. Je ne comprends absolument pas, et ne peux donc ni accueillir ni rejeter, la prétention de l'avocat selon laquelle l'intérêt des actionnaires dans les affaires de la société découle de leurs droits de direction.
Par ces motifs, j'estime qu'il y a lieu de rejeter l'appel.
LE JUGE RYAN y a souscrit.
LE JUGE SUPPLÉANT HYDE y a souscrit.
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