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T-1504-82
Lance David Blanchard, un détenu de l'établisse- ment de Millhaven (requérant)
c.
Le Comité de discipline de l'établissement de Millhaven et Douglas L. Hardtman, en qualité de président venant de l'extérieur (intimés)
Division de première instance, juge Addy— Ottawa, 11 et 15 mars 1982.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Certiorari Requête fondée sur l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale et tendant à l'obtention d'un bref de certiorari ou d'un redresse- ment de même nature annulant les décisions par lesquelles le président du Comité de discipline a déclaré le requérant coupable d'infractions commises par un détenu, en violation de l'art. 39 du Règlement sur le service des pénitenciers Nature des procédures Exigences d'équité sur le plan de la procédure relativement à une enquête administrative l'étude de la conduite d'une personne peut donner lieu à l'imposition d'une sanction Il échet d'examiner si l'obligation d'agir équitablement exige que le requérant ait droit à la représenta- tion par avocat Demande rejetée Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 18 Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6 Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251, art. 39.
REQUÊTE. AVOCATS:
Alison J. MacPhail pour le requérant. Leslie Holland pour les intimés.
PROCUREURS:
Alison J. MacPhail, Kingston, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE ADDY: Le requérant demande l'émis- sion d'un bref de certiorari ou l'obtention d'un redressement de même nature annulant les déci- sions prises par l'intimé, Douglas L. Hardtman, vers le 10 février 1982 sous le régime de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10. Par ces décisions, l'intimé a déclaré le requérant coupable de deux infractions d'avoir commis un acte propre à nuire à la disci pline ou au bon ordre de l'institution, en violation
de l'alinéa 39k) du Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251, adopté en vertu de la Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, modifiée; d'une infraction d'avoir endommagé la propriété de l'État, en violation de l'alinéa 39e) du Règlement sur le service des pénitenciers, adopté en vertu de la Loi sur les pénitenciers; d'une infraction de s'être comporté par ses actions, propos ou écrits, d'une façon indécente, irrespec- tueuse ou menaçante envers qui que ce soit, en violation de l'alinéa 39g) du Règlement sur le service des pénitenciers, adopté en vertu de la Loi sur les pénitenciers; d'une infraction d'avoir eu «de la contrebande en sa possession», en violation de l'alinéa 39i) du Règlement sur le service des péni- tenciers, adopté en vertu de la Loi sur les péniten- ciers, et d'une infraction de s'être livré à des voies de fait, en violation de l'alinéa 39b) du Règlement sur le service des pénitenciers, adopté en vertu de la Loi sur les pénitenciers. Le requérant demande également l'émission d'un bref de certiorari ou l'obtention d'un redressement de même nature qui annule les décisions de l'intimé, Douglas L. Hardt- man, prises vers le 17 février 1982 et par lesquelles l'intimé déclarait le requérant coupable de deux infractions d'avoir commis un acte propre à nuire à la discipline ou au bon ordre de l'institution, en violation de l'alinéa 39k) du Règlement sur le service des pénitenciers, adopté en vertu de la Loi sur les pénitenciers.
MOTIFS
L'audition tenue par un comité de discipline d'un pénitencier, à l'égard d'une accusation d'in- fraction au Règlement sur le service des péniten- ciers, est une procédure de nature administrative qui n'a aucun caractère judiciaire ou quasi judiciaire.
Sauf dans la mesure des dispositions législati- ves ou réglementaires en vigueur prévoient le con- traire, il n'y a aucune obligation de respecter une procédure spécifique ou de se soumettre aux règles de preuve qui sont habituellement suivies devant les tribunaux judiciaires ou quasi judiciaires, ou dans les procédures contradictoires.
Il y a toutefois une obligation générale d'agir équitablement en matière administrative. Lors- qu'on l'applique à une audition ou à une enquête administrative, l'obligation d'agir équitablement se
traduit par l'obligation de faire en sorte que l'en- quête est conduite de manière équitable et con- forme à la justice naturelle. Cette obligation d'agir équitablement lors de l'étude de la conduite d'une personne passible de sanction, exige que cette per- sonne connaisse les faits qu'on lui reproche, la preuve et la nature de la preuve retenue contre elle, et qu'on lui accorde une possibilité raisonna- ble de réfuter la preuve et de faire connaître sa version de l'affaire. Lorsque la preuve est consti- tuée de témoignages, il faut, pour respecter cette obligation, que le prisonnier soit présent et puisse avoir une possibilité de contre-interroger ou d'in- terroger tout témoin, à moins de circonstances exceptionnelles qui rendent presque impossible ou très difficile la tenue de cette audition, telle une conduite délibérément obstructive de la part de la personne intéressée.
Il n'existe pas de droit absolu à la transcription textuelle des procédures; toutefois, lorsque la transcription existe, comme en l'espèce, la cour qui siège en révision peut se servir de cette transcrip tion pour tirer ses conclusions sur le bien-fondé de la demande.
Même si l'audition n'a pas un caractère contra- dictoire mais plutôt inquisitoire, la personne res- ponsable de la tenue de l'audition n'a aucunement l'obligation d'étudier toutes lès défenses imagina- bles, ni de suggérer au prisonnier des défenses possibles. Cette personne a toutefois l'obligation de tenir une enquête complète et équitable, ce qui peut, bien entendu, amener l'obligation de poser au prisonnier ou aux témoins des questions dont les réponses pourraient disculper le prisonnier. En d'autres mots, la personne responsable de la tenue de l'enquête doit étudier les deux versions de l'affaire.
Il n'existe pas de droit à la représentation par avocat. La personne qui préside l'enquête est entiè- rement libre de permettre ou de refuser la présence de l'avocat qui représente le prisonnier. Il peut y avoir des auditions les questions sont si com plexes du point de vue juridique que l'obligation d'agir équitablement amène la nécessité de per- mettre la présence d'un avocat, mais je ne peux pour le moment concevoir une telle situation, sur- tout lorsque la personne responsable de l'enquête est un avocat dûment qualifié, comme en l'espèce.
De plus, les questions soulevées dans ces procédu- res disciplinaires portent habituellement sur des faits.
Le prisonnier doit être mentalement et physi- quement apte à comprendre les procédures ainsi que la nature et les détails des accusations, à prendre connaissance de tout témoignage présenté verbalement ou par écrit, à questionner les témoins, et à présenter sa version des événements. Lorsqu'elle nourrit un doute sur la capacité du prisonnier de prendre part aux procédures, la per- sonne qui préside l'enquête doit alors, pour agir équitablement, s'assurer d'abord de la capacité du prisonnier avant de poursuivre l'audition.
En l'espèce, après avoir étudié les affidavits et les pièces produits en l'espèce, y compris la trans cription des témoignages entendus à l'audience (quoique cette transcription soit bien incomplète), après avoir entendu les arguments des procureurs et étudié la jurisprudence citée, je ne peux, à la lumière des principes exposés plus haut, conclure que le président ait, de quelque façon, agi de manière inéquitable.
Il a soigneusement pesé la capacité du prisonnier d'assumer lui-même sa défense et il a conclu que le prisonnier en était capable. La preuve n'indique nullement que le prisonnier souffrait d'une incapa- cité mentale qui l'empêchait de prendre part à l'enquête. Le prisonnier a, tout au contraire, posé des questions très pertinentes aux témoins et fait des déclarations se rapportant directement aux questions en litige.
Le président a étudié la demande de représenta- tion par avocat et, dans l'exercice de sa discrétion, a refusé d'accorder cette demande à la lumière de la jurisprudence la plus récente en la matière. Cette Cour n'interviendra pas à moins que l'exer- cice de cette discrétion ne produise un résultat manifestement injuste.
Parce que l'audition est une procédure inquisi- toire et non une procédure contradictoire, et que le ouï-dire y est permis, même dans les témoignages écrits, cette Cour n'a pas à revoir la preuve comme une cour peut le faire dans le cas de l'appel de la décision d'un tribunal judiciaire ou dans le cas de la révision de la décision d'un tribunal quasi judi- ciaire. Cette Cour doit se limiter à déterminer s'il y a eu, en l'espèce, manquement à l'obligation
générale d'agir équitablement. Il peut, bien entendu, y avoir des cas le refus manifeste de tenir compte de la preuve indiquerait de la mau- vaise foi de la part du président ou un manque- ment à son obligation générale d'agir équitable- ment. Ce n'est certainement pas le cas en l'espèce, loin de là.
ORDONNANCE
La demande est rejetée avec dépens.
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