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T-7823-82
Webster Industries Limited (demanderesse) c.
La Reine, représentée par le ministère de la Con- sommation et des Corporations, Lawson Hunter, Douglas Fraser, K. G. Decker, Gary O'Connor, Charles Lemay (défendeurs)
Division de première instance, juge en chef adjoint Jerome—Ottawa, 13 et 15 octobre 1982.
Contrôle judiciaire Recours en equity Injonctions Protection du consommateur Action en dommages-intérêts et injonction visant à interdire aux défendeurs de publier des renseignements sur le produit de la demanderesse, à partir de tests effectués à la demande du Ministre Les renseigne- ments indiquaient que le produit de la demanderesse était inefficace pour enlever la créosote des cheminées de poêles à bois et qu'il pouvait être dangereux La demanderesse soutient que le Ministre a agi contrairement aux pouvoirs qui lui sont conférés par l'art. 6(2) de la Loi ou qu'il a outrepassé ces pouvoirs Action rejetée L'art. 6(2) est sans équivoque et il autorise clairement et simplement le Ministre à faire vérifier des produits de consommation et à préparer les rap ports qu'il juge appropriés et dans l'intérêt des consommateurs En outre, le Ministre a agi en qualité de fonctionnaire de la Couronne et non comme un mandataire d'une législature lors- qu'il a exercé, au profit du public, une fonction qui lui est imposée par l'art. 6(2) Il ne peut, par conséquent, faire l'objet d'une injonction Loi sur le ministère de la Consom- mation et des Corporations, S.R.C. 1970, chap. C-27, art. 6(2).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Le Grand Council of the Crees (of Quebec), et autres c. La Reine, et autres, [1982] 1 C.F. 599 (C.A.).
AVOCATS:
R. Marks pour la demanderesse.
B. Finlay et W. Burnham pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Vincent, Choquette, Dagenais & Marks, Ottawa, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME: La demanderesse dans la présente action exploite, au Canada et dans plusieurs autres pays, une entre- prise qui vend, en quantités importantes, un pro-
duit connu sous le nom de «Safe -T-Flue», mélange chimique destiné à prévenir l'accumulation de créosote dans les cheminées de poêles à bois. Le présent litige a pris naissance lorsque le ministère de la Consommation et des Corporations a voulu publier des renseignements fondés sur des essais effectués sur un certain nombre de ces produits. La demanderesse met en doute la qualité de ces essais et juge le communiqué en question diffama- toire. Elle réclame donc des dommages-intérêts et demande à la Cour de rendre une ordonnance interdisant au ministre de la Consommation et des Corporations de publier ces renseignements.
L'intitulé de la cause soulève un certain nombre de problèmes de procédure puisque le Ministère ne peut faire l'objet de poursuites et que les défen- deurs Hunter, Fraser et Decker sont tous employés du ministère de la Consommation et des Corpora tions et relèvent du Ministre. Les parties ont con- venu, aux fins de la présente requête, de résoudre ces problèmes en demandant, au nom de la deman- deresse, de modifier l'intitulé de la cause de façon à remplacer les mots «représentée par le ministère de la Consommation et des Corporations, Lawson Hunter, Douglas Fraser, K. G. Decker» par «Le ministre de la Consommation et des Corporations». Le procureur de la Couronne n'ayant formulé aucune objection, j'ordonne par conséquent que l'intitulé de la cause soit modifié en conséquence.
Les faits sont exposés dans deux affidavits signés le 1" octobre 1982 par Gerald Webster, cadre de la compagnie demanderesse. La pièce «A» jointe au premier affidavit est le rapport qui est à l'origine de la poursuite en justice et la pièce «A» jointe à l'autre affidavit est constituée d'un ensem ble de rapports et d'avis fondés sur les tests effec- tués par les employés et les cadres de la compagnie demanderesse. En 1981, le ministère de la Con- sommation et des Corporations, qui avait mani festé l'intention de procéder à des essais indépen- dants de la série de produits de la demanderesse, a entamé des discussions préliminaires avec le défen- deur Gary O'Connor en vue de faire effectuer ces essais par le collège Algonquin d'Ottawa. Les essais ne furent pas effectués au collège mais, à la demande du ministère de la Consommation et des Corporations, par le Rural Centre for Appropriate Technology. Ces essais et le rapport soumis au
Ministre ont été préparés sous la direction du défendeur Lemay. En septembre 1982, le Ministre a proposé la diffusion du communiqué suivant:
Le ministère fédéral de la Consommation et des Corporations désire mettre en garde les Canadiens qui utilisent des appareils de chauffage marchant à un combustible solide, comme les poêles à bois ou les foyers, qu'ils doivent ramoner leurs conduits de cheminée.
Cet avertissement vient à la suite d'un essai effectué, par un laboratoire indépendant, sur quatre produits de ramonage qui n'ont peut-être pas le rendement escompté par les consomma- teurs.
Il s'agissait de poudres destinées à être versées dans le feu et qui devaient éliminer des conduits la créosote qui s'accumule au cours de la combustion du bois ou du charbon et qui risque de provoquer des feux de cheminée si elle n'est pas enlevée.
Il convient de noter que lors de la mise à l'épreuve des quatre produits, Co-mate, Save-on-Fuel, Kathite-H et Safe -T-Flue, les conditions normales d'utilisation ont à peu près été reproduites. Ainsi, le feu a été allumé avec du papier journal et du petit bois de cèdre. Les essais ont été faits sur des poêles à bois. En tout, une moyenne de 182 kilogrammes de mélange de bois durs a été brûlée dans chacun des huit poêles, pour chaque produit, et la température du feu a été contrôlée de façon que la température des gaz de carneau ne dépasse pas 350°C.
Il fut alors constaté qu'il y avait peu de différence dans la quantité de créosote dans les conduits, qu'il y avait eu ou non addition de poudre.
Le ministère admet que le dépôt de créosote dépend évidem- ment de certains facteurs comme l'essence du bois utilisé, la taille et le nombre de bûches, ou la température.
Toutefois, vu les résultats qui ont été obtenus, il souhaite prévenir les consommateurs qui utilisent ces produits chimiques que cela ne remplace pas un bon ramonage à la brosse et un entretien régulier.
En outre, il conseille à tous les Canadiens qui se chauffent à un combustible solide de périodiquement vérifier et nettoyer leurs conduits de cheminée. Ils devraient également se renseigner sur la fréquence et les méthodes de ramonage, soit auprès des services de pompiers du quartier, soit auprès d'un ramoneur compétent.
Ayant été informée de l'intention du Ministre, la demanderesse a formé la présente action et, en même temps, une demande ex parte à la suite de laquelle l'ordonnance suivante a été rendue par le juge Mahoney le 1°` octobre 1982:
[TRADUCTION] J'accorde une injonction interlocutoire interdi- sant aux défendeurs en l'espèce, c'est-à-dire le Ministre, Hunter, Fraser et Decker, de publier, en tout ou en partie, le rapport ou les avis exprimés au sujet du produit «sAFE-T-sI.UE», (sic), ledit rapport étant daté du mois d'avril 1982 et préparé par le défendeur Lemay. Cette injonction interlocutoire doit, à moins que sa période d'application ne soit prolongée par le tribunal, expirer le vendredi 8 octobre 1982à 18 h, HAE.
La présente demande vise à prolonger la période d'application de l'injonction interlocutoire.
La compétence du Ministre lui est conférée par la Loi sur le ministère de la Consommation et des Corporations' et plus particulièrement par le para- graphe 6(2) qui est ainsi conçu:
6....
(2) En vue de l'exercice des devoirs et fonctions que lui attribue la présente loi, le Ministre peut entreprendre des recherches sur des questions auxquelles s'étendent ses devoirs, pouvoirs et fonctions, collaborer avec toutes les provinces ou l'une ou plusieurs d'entre elles ou avec tout ministère, départe- ment ou organisme du gouvernement du Canada ou toute organisation ou personne entreprenant de semblables recher- ches et publier ou faire publier les résultats de ces recherches que le Ministre juge appropriés et conformes à l'intérêt public ou aider à leur publication.
Si je comprends bien, la demanderesse prétend qu'on peut interdire au Ministre d'agir contraire- ment aux pouvoirs qui lui sont conférés par la loi ou d'outrepasser ces pouvoirs, que les termes appa- raissant à la dernière ligne du paragraphe 6(2) obligent le Ministre à publier uniquement les résultats portant sur des sujets qui sont d'intérêt public, qu'aux fins de la présente action, il faut définir l'intérêt public en se fondant sur des critè- res objectifs plutôt que sur l'avis du Ministre, que les essais effectués dans le présent cas sont incom- plets et que la diffusion des renseignements à partir de ces essais constituerait un acte diffama- toire et, par conséquent, illégal, qu'aucun acte illégal ne peut servir l'intérêt public et que le Ministre peut donc faire l'objet d'une injonction.
Je ne peux souscrire à ces arguments. Le para- graphe 6(2) prévoit clairement et simplement que le Ministre a le pouvoir de faire vérifier des pro- duits de consommation et de préparer les rapports qu'il juge appropriés et dans l'intérêt des consom- mateurs. Il n'y a aucune raison de penser que le législateur n'entendait pas conférer ce pouvoir au Ministre et les termes de la loi sont tout à fait clairs. De toute évidence, la question relève du principe confirmé par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Le Grand Council of the Crees (of Quebec), et autres c. La Reine, et autres 2 , le juge Pratte a déclaré à la page 601:
' S.R.C. 1970, chap. C-27. 2 [1982] 1 C.F. 599 (C.A.).
Contrairement à ce qu'a soutenu l'avocat des appelants, la Loi sur la Cour fédérale n'a pas, à mon avis, abrogé la règle traditionnelle clairement énoncée dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada Le ministre des Finances de la Colombie- Britannique c. Le Roi [1935] R.C.S. 278, qu'on ne peut lancer une ordonnance obligeant de faire contre un ministre de la Couronne alors qu'il agit simplement comme fonctionnaire de la Couronne plutôt que comme un mandataire de la législature chargé d'exécuter une obligation spécifique que lui imposerait une loi au profit de quelque tiers désigné.
Dans la présente affaire, le Ministre a claire- ment agi en qualité de fonctionnaire de la Cou- ronne lorsqu'il a exercé, au profit du public, une fonction qui lui est imposée par le paragraphe 6(2) de la loi et il ne peut, par conséquent, faire l'objet d'une injonction. La demande est donc rejetée avec dépens.
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