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T-3470-81
La Reine (demanderesse)
c.
Brenda A. Robichaud (défenderesse)
Division de première instance, juge Marceau— Moncton, 22 mars; Ottawa, 22 avril 1983.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions La défenderesse réclame, à titre de personne mariée subvenant aux besoins de son conjoint, la déduction prévue à l'art. 109 L'époux a obtenu une déduction semblable La Loi permet- elle aux conjoints de bénéficier tous les deux de la déduction matrimoniale? Appel accueilli L'expression «subvenir aux besoins» à l'art. 109 implique l'idée de subsistance «Celui aux besoins de qui un autre subvient» est une personne à charge de l'autre, c.-à-d. qu'il reçoit de l'autre ses moyens de subsistance Une personne à charge ne saurait être le soutien de celui-là même qui subvient à ses besoins La déduction sous le régime de l'art. 109 est prévue pour les cas un conjoint subvient aux besoins de l'autre conjoint et non pour les cas il paye les charges communes Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 109(1) (mod. par S.C. 1973-74, chap. 30, art. 11; 1976-77, chap. 4, art. 42).
La défenderesse a réclamé, pour l'année d'imposition 1977, la déduction prévue à l'alinéa 109(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, alléguant qu'en 1977, elle était une personne mariée ayant subvenu aux besoins de son conjoint dont le revenu dans cette année, pendant les sept jours qu'ils étaient mariés, n'avait pas excédé 250 $. Le Ministre a rejeté la déduction au motif que son époux avait déjà obtenu une déduction semblable sous le régime du même article et relativement à la même situation. La Commission de révision de l'impôt, convaincue que les exigences de l'alinéa 109(1)a) avaient été respectées, a accueilli la réclamation de la défenderesse au motif que les sommes engagées par celle-ci dans le mois précédant son mariage avaient été utilisées dans l'achat de biens ayant servi après le mariage (vêtements, nourriture, télédistribution) et devaient être considérées comme des frais engagés pour subvenir aux besoins de son conjoint après le mariage. La question de savoir si la Loi permet aux conjoints de bénéficier tous les deux de la déduction matrimoniale porte sur l'interprétation de l'expres- sion «subvenant aux besoins» employée à l'article 109.
Jugement: l'appel doit être accueilli. La déduction sous le régime de l'article 109 est prévue pour les cas un conjoint subvient aux besoins de l'autre et non pour les cas il paye les charges communes. Le terme anglais support et l'expression française correspondante «subvenir aux besoins» impliquent l'idée de moyens de subsistance ou de vie. Celui aux besoins de qui un autre subvient, soit totalement soit de façon partielle, est une personne à charge de l'autre, c.-à-d. qu'il reçoit de l'autre la totalité ou une partie de ses moyens de subsistance. Une personne à charge ne saurait être le soutien de celui-là même qui subvient à ses besoins. En l'espèce, la défenderesse n'a pas établi qu'elle avait subvenu aux besoins de son époux au cours du mariage.
JURISPRUDENCE
DÉCISION CITÉE:
Johnston v. Minister of National Revenue, [ 1948] R.C.S. 486.
AVOCATS:
Paul Plourde pour la demanderesse. Peter Beardsworth pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la demanderesse.
Beardsworth & Wright, Riverview (Nouveau- Brunswick), pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU: Le point litigieux dans le présent appel qu'a formé le sous-procureur général du Canada contre une décision de la Commission de révision de l'impôt est restreint et simple, et il est difficile de comprendre pourquoi il n'a pas encore fait l'objet d'une décision de la Cour. Il se rapporte à la disposition bien connue de la Loi de l'impôt sur le revenu portant sur l'exemption matrimoniale, savoir le paragraphe 109(1) [S.C. 1970-71-72, chap. 63, mod. par S.C. 1973-74, chap. 30, art. 11; 1976-77, chap. 4, art. 42] que, pour toutes fins utiles, je reproduis en l'espèce:
109. (1) Aux fins du calcul du revenu imposable d'un particulier pour une année d'imposition, il peut être déduit de son revenu pour l'année celles des sommes suivantes qui sont appropriées:
a) dans le cas d'un particulier qui, pendant l'année, était une personne mariée subvenant aux besoins de son conjoint, une somme égale au total de
(i) $1,600, et
(ii) $1,400 moins la fraction, si fraction il y a, du revenu du conjoint pour l'année pendant le mariage qui est en sus de $300;
b) dans le cas d'un particulier qui n'a pas droit à une déduction aux termes de l'alinéa a), qui, durant l'année, était
(i) une personne non mariée ou une personne mariée ne subvenant pas aux besoins de son conjoint et ne vivant pas avec lui, qui n'était pas à sa charge, et
(ii) qui, seul ou conjointement avec une ou plusieurs autres personnes, tenait un établissement domestique autonome (où ce particulier vivait) et y subvenait effectivement aux besoins d'une personne qui, durant l'année, était
(A) entièrement à la charge du contribuable, et
(B) unie par les liens du sang, du mariage ou de l'adoption,
au contribuable, ou au contribuable et à une ou plusieurs de ces personnes, selon le cas,
une somme égale au total de
(iii) $1,600 et
(iv) $1,400 moins la fraction, si fraction il y a, du revenu, pour l'année, de cette personne à charge qui est en sus de $300;
La contribuable défenderesse Brenda A. Robi- chaud s'est mariée le 23 décembre 1977 et, depuis lors, elle et son époux ont cohabité. Pendant cette année 1977, tous deux ont travaillé; elle a gagné 8 467,30 $, et son époux, environ le double. Dans sa déclaration d'impôt sur le revenu pour l'année 1977, la défenderesse a réclamé la déduction prévue à l'alinéa 109(1)a) de la Loi, alléguant qu'en 1977, elle était une personne mariée ayant subvenu aux besoins de son conjoint dont le revenu dans cette année, pendant les sept jours qu'ils étaient mariés, n'avait pas excédé 250 $. Puisque son époux avait déjà réclamé et obtenu une déduc- tion semblable sous le régime du même article et relativement à la même situation, le Ministre a rejeté la réclamation de la défenderesse. Sur appel, la Commission a été en désaccord avec le Ministre et a décidé que la défenderesse avait droit, autant que son époux, à la déduction matrimoniale. La Loi permet-elle aux conjoints de bénéficier tous les deux de la déduction matrimoniale? C'est le point que le Ministre cherche à clarifier en demandant à la Cour d'infirmer la décision par laquelle la Com mission a annulé sa cotisation.
Le membre de la Commission désigné pour entendre l'appel a tout d'abord accepté le témoi- gnage selon lequel la défenderesse, dans le mois précédant son mariage, avait dépensé de l'argent dans l'intérêt d'elle-même et de son futur époux. Il a noté que la défenderesse avait bien, conjointe- ment avec son futur époux, emprunté la somme de 3 000 $, dont 2 720,30 $ avaient servi d'acompte sur la maison qu'ils ont achetée. Il a également noté qu'une fois, elle avait payé 129,95 $ et une autre, 33 $ pour l'achat et la retouche de vête- ments pour son époux; elle avait donné à son conjoint 37,10 $ pour ses dépenses personnelles, avait payé 27,15 $ pour l'abonnement au système de télédistribution et 54 $ pour l'assurance de leur nouvelle résidence. Le membre de la Commission a alors rappelé trois principes bien établis relative- ment à l'interprétation correcte à donner au para- graphe 109(1), savoir: a) l'exigence que le contri-
buable ait subvenu aux besoins du conjoint pendant l'année n'implique aucune durée mini- male, le membre de phrase «pendant l'année» signi- fiant «dans le cours de l'année» et non pas «toute l'année»; b) il n'est pas nécessaire que le contribua- ble ait subvenu à «tous» les besoins de son conjoint; c) le contribuable peut avoir subvenu aux besoins de son conjoint même si ce dernier a eu pendant l'année un revenu personnel. Sur la base de ces trois principes et la constatation que les dépenses de la défenderesse ayant servi à l'achat de «biens qui ont servi après le mariage (vêtements, nourri- ture, télédistribution)», elles devaient être «considé- rées comme des frais engagés pour subvenir aux besoins du conjoint après le mariage», le membre de la Commission s'est simplement déclaré con- vaincu que les exigences de l'alinéa 109(1)a) avaient été respectées.
J'ai de la difficulté à suivre l'analyse du membre de la Commission et, particulièrement, je ne vois pas clairement la place attribuée dans son raison- nement aux trois principes mentionnés. L'avocat de la défenderesse a, très habilement, mis l'accent sur le troisième principe, à l'appui duquel on a cité la décision rendue par la Cour suprême dans l'af- faire Johnston v. Minister of National Revenue, [1948] R.C.S. 486, le juge Kellock, au cours de son raisonnement, dit ceci la page 493]: [TRA- DUCTION] «Je pense qu'un époux peut continuer à subvenir aux besoins de son épouse au sens de la loi, même si celle-ci contribue, dans une certaine mesure, aux charges communes du ménage.» Tou- tefois, entre le principe qu'une personne mariée peut subvenir aux besoins de son conjoint même si ce dernier a un revenu propre et contribue aux charges communes du ménage et l'autre principe que deux conjoints peuvent, en même temps, sub- venir réciproquement à leurs besoins, il y a, à mon avis, un fossé que je pense pas qu'on puisse combler.
Il me semble que la décision de la Commission élude la vraie question qui doit être réglée, celle de savoir si la défenderesse a «subvenu» aux besoins de son époux au sens de la Loi. Il y est simplement présumé que la défenderesse ayant engagé des dépenses dans l'intérêt commun du couple, elle a subvenu aux besoins de son époux, mais il s'agit d'une présomption tout à fait injustifiée. Celle-ci
est injustifiée pour la simple raison qu'on doit donner aux mots employés leur sens et leur effet. La déduction est prévue pour les cas un con joint subvient aux besoins de l'autre conjoint et non simplement pour les cas il paye les charges communes.
À mon avis, le terme anglais support et l'expres- sion française correspondante «subvenir aux besoins» impliquent nécessairement l'idée de moyens de subsistance ou de vie. Celui aux besoins de qui un autre subvient, soit totalement, soit seulement de façon partielle, est une personne à charge de l'autre, c.-à-d. qu'il reçoit de l'autre la totalité ou une partie de ses moyens de subsistance. Cela étant, il me semble quelque peu difficile de suggérer qu'une personne à charge pourrait être le soutien de celui-là même qui subvient à ses besoins.
À mon sens, la défenderesse, dont le salaire était la moitié de celui de son époux, n'a jamais établi qu'elle avait subvenu aux besoins de son époux au cours du mariage. La cotisation du 19 mars 1979 par laquelle le Ministre a rejeté la déduction qu'elle avait réclamée sous le régime du paragra- phe 109 (1) était donc bien fondée et doit être confirmée. Jugement sera rendu en ce sens.
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